La tempête de fin 1999 aurait été celle " du siècle ", avec une violence imprévisible. Vraiment ? La Vie électrique, journal de la direction, écrivait il y a deux ans en 1998 : " le vendredi 2 janvier, à 6 h 30 du matin, de violents orages éclataient sur la Bretagne [...] une tempête de force 10 et des vents mesurés à 192 km/h à la pointe de Beg-Meil et qui par endroit, se formaient en mini tornades [...] ". On n'était pas très loin des vents de 200 km/h de fin 1999.

Le réseau breton fut alors en grande partie détruit. Déjà, il l'avait été en février 1987, ou presque tout était par terre dans cette région.

Dans un cours de formation interne d'EDF il est écrit : " Il n'est pas question de construire des lignes d'ossature qui résistent aux cyclones, ouragans, tempêtes [...] ce qui coûterait une fortune ". Et pour la moyenne et basse tension (ce qu'on appelle la distribution) les normes officielles, variables selon les régions, prévoient de pouvoir résister au maximum à des vents de 140 km/h.

Pour la très haute tension (THT, appelée transport) les normes sont un peu supérieures, mais, comme on le voit, insuffisantes. Actuellement, il y a 35 lignes THT par terre, soit le quart du réseau. Pour la basse et moyenne tension, c'est pire. On a frôlé la catastrophe. Au maximum de la crise, il y a eu 3,5 millions de foyers, soit 8 millions de personnes privées d'électricité.

Si pour la THT, tout est réalisé par EDF, en revanche pour le réseau de distribution (basse et moyenne tension) et en particulier pour " l'électrification rurale " (communes de moins de 2 000 habitants) il existe des partenariats entre EDF et des " syndicats d'électrification rurale " qui prennent en charge les travaux. Et comme bien souvent les collectivités locales ont peu de moyens, eh bien, il y a parfois tendance à faire les installations, pylônes et lignes, à l'économie.

Et puis chacun sait qu'il y a peu de lignes enterrées : 30 % en moyenne tension et 25 % en basse tension. En Allemagne, pays il est vrai bien moins étendu et beaucoup plus densément peuplé, c'est 75 % de la distribution qui est enterrée. Pour la THT, l'enterrement des lignes n'est pas encore au point.

Bien sûr faire des installations plus résistantes et enterrer les lignes coûterait " des fortunes ", mais ces fortunes EDF les a dépensées en achetant à tour de bras des sociétés électriques à l'étranger. Et il va bien falloir maintenant remettre en état le réseau. La dépense annoncée, probablement sous-estimée, serait de 17 milliards sur deux ou trois ans. Somme énorme ? Cela représente les bénéfices d'EDF (avant impôts) de trois ans, 1997, 1998 et 1999.

Pour le moment, la plupart des travaux qui viennent d'être faits, ou sont en cours, sont provisoires. Un nouveau coup de vent sérieux, ou de gel, ou de neige, et de nouveaux désastres pourraient se produire. Et puis le réseau est très loin d'être rétabli. Ce qui " sauve la situation " c'est que l'hiver est doux. Mais en cas de refroidissement sérieux, il pourrait y avoir des délestages.

Manque de personnel et de matériel

Bien des agents EDF qui ont réparé les dégâts ont été volontaires, ou sont revenus de vacances. Il y a même eu des retraités récents rappelés pour faire face au travail. Parmi eux beaucoup venaient de partir dans le cadre des réductions d'effectifs.

EDF a perdu 14 000 agents en quinze ans, mais la distribution, elle, en a perdu... 22 000 en cinq ans (ce qui s'explique par des changements de secteurs internes à EDF).

Evidemment ils ont cruellement manqué pour rétablir la situation.

Non seulement les agents ont travaillé (et ce n'est pas fini) dans des conditions difficiles et dangereuses, mais ils ont souvent manqué d'outillage, de gants de protection, de vêtements adaptés, etc. Il y a encore peu de temps tout cela était stocké dans des magasins. Seulement beaucoup d'entre eux ont été fermés dans le cadre de " réformes " diverses, et de la réduction des coûts...

Si " l'image " d'EDF a été " préservée " dans cette affaire, et les agents loués pour leur dévouement, on voit que la direction a été particulièrement imprévoyante.

Si elle voulait respecter le " service public ", il lui faudrait embaucher et former d'urgence du personnel, au moins pour les années à venir, et repenser tout ce qui concerne les installations.

Malheureusement il est vraisemblable qu'EDF s'oriente une fois de plus vers la réduction des effectifs, dès que la crise sera passée, et un relatif " bricolage " pour le matériel... Et on dira, à la prochaine tempête, qu'on ne peut pas tout prévoir !