Russie : Après deux mois de guerre en tchétchénie10/12/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/12/une-1639.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Après deux mois de guerre en tchétchénie

Pour une fois, ces avions-là ne déversaient pas des bombes sur Grozny mais des tracts. Rédigés par le commandement russe, ils donnaient cinq jours aux civils pour quitter la capitale de la Tchétchénie indépendantiste. Passé ce délai, " ceux qui resteront [...] seront considérés comme des terroristes et seront anéantis par l'artillerie et l'aviation. Tous ceux qui n'auront pas quitté la ville seront tués ".

Grozny serait désormais encerclée, tandis que l'armée russe contrôle la moitié nord du pays. Nombre de villes et bourgades ont déjà été reprises, souvent après avoir été rasées par les canons et avions russes. Dans les régions non occupées par les forces russes, les bombardements sont à ce point incessants que la population tente de survivre en se terrant dans les caves. Quant à ceux qui en sortent, pour manger ou pour fuir le pays, leur sort n'est guère plus enviable. On ne compte plus les convois de civils pris pour cible par l'armée russe, sans parler de ceux qu'elle rançonne quand ils atteignent la frontière.

On estime que la moitié de ses habitants auraient quitté la Tchétchénie, principalement pour l'Ingouchie voisine, où les réfugiés s'entassent dans des camps de fortune. Ce flot humain est tel que la République ingouche, une des plus pauvres de la fédération de Russie, compte presque autant de réfugiés sur son sol que d'habitants du cru et ferme périodiquement sa frontière pour tenter d'obtenir quelque aide du gouvernement fédéral russe.

L'hypocrisie des dirigeants occidentaux

Il y a deux semaines, déjà, le représentant d'Eltsine en Tchétchénie " libérée " avait annoncé qu'il laissait un corridor ouvert par lequel les non-combattants pourraient quitter Grozny. Vendredi 3 décembre, un convoi de civils empruntant ce corridor a été mitraillé à bout portant : on a relevé 50 morts et 10 blessés. L'ultimatum du 11 décembre, accompagné d'une promesse de vie sauve pour ceux qui quitteraient Grozny, est de la même eau.

En fait, l'annonce régulière de l'ouverture de prétendues portes de sortie est moins destinée à ceux que l'armée russe pilonne jour après jour qu'à couvrir, par avance, les exactions des militaires russes face à l'opinion publique internationale.

Au récent sommet de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) d'Istanbul, les dirigeants occidentaux avaient fait semblant de s'émouvoir de la guerre en Tchétchénie. Mais ils ont à nouveau donné acte à Eltsine qu'il s'agirait d'une " affaire intérieure ", en vertu de quoi ils lui laissent carte blanche, à lui et à ses généraux. Et alors que cette seconde guerre de Tchétchénie en cinq ans avait déjà fait des milliers de victimes, fin octobre, c'est à Moscou que les Etats du G8 (les sept plus riches pays au monde plus la Russie) se sont réunis, apportant ainsi, selon un diplomate, leur " soutien moral " au Kremlin.

En échange, les dirigeants occidentaux aimeraient seulement que le Kremlin y mette les formes. Par exemple, en couvrant le bruit des bombes sous des propos " humanitaires ", comme les chefs de l'OTAN au printemps, quand ils détruisaient systématiquement la Serbie. Pour y inciter le Kremlin, les Etats occidentaux ont retardé le versement de la seconde tranche du prêt que lui a promis le FMI. Une mesure pour la galerie car, avec la remontée des cours du pétrole, la Russie, qui en exporte, a un besoin moins urgent de ce prêt. Et l'Occident le sait bien.

Et à hypocrite, hypocrite et demi : le Kremlin rappelle le cynisme drapé de bonne conscience de l'OTAN dans sa guerre contre la Serbie, ou les raids continus des USA et de l'Angleterre contre la population irakienne, dont la presse occidentale se moque comme de son premier mensonge journalistique.

En même temps, le Kremlin fait aussi des " gestes ", comme avec ce prétendu corridor humanitaire de Grozny. Et, quitte à chanter l'air de l'Occident, il en fait des tonnes. Le 30 novembre, le quotidien Izvestia titrait : " Attentats en Russie, l'enquête s'oriente sur Ben Laden ". Les autorités russes n'ont évidemment trouvé aucun des " terroristes tchétchènes " qu'elles avaient, en août et septembre, accusés aussitôt et sans preuves d'avoir commis des attentats où 293 personnes avaient trouvé la mort, notamment à Moscou, attentats ayant servi de prétexte à leur intervention armée en Tchétchénie. Mais qu'à cela ne tienne, ces mêmes autorités désignent maintenant un islamiste, allié aux taliban afghans, qui a revendiqué des attentats contre des ambassades américaines ! Voilà les grosses ficelles censées amener l'opinion publique occidentale à se montrer aussi complaisante que ses dirigeants.

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