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Brésil : Menaces contre un militant du mouvement des sans-terre
Le militant brésilien José Rainha effectuait dernièrement une tournée en Europe. Il a en particulier été l'invité du groupe de la Gauche unie européenne-Verts nordiques, la GUE, au Parlement de Strasbourg. Il se trouve, dans son pays, sous la menace d'une peine de 26 ans et six mois de prison, pour un double crime qu'il n'a pas commis. Le jugement en appel, qui est le dernier recours possible, se tiendra le 15 décembre à Vitoria, la capitale de l'Etat de l'Espirito Santo, qui se trouve au nord de Rio de Janeiro.
Les faits remontent à dix ans. Le 3 juin 1989, lors de l'occupation d'une propriété inculte par des paysans sans terre, le propriétaire et un policier avaient déclenché une fusillade contre les occupants, à la suite de laquelle ils furent tués. Les grands propriétaires terriens organisés dans l'Union Démocrate Ruraliste, la police et la justice de l'Espirito Santo firent aussitôt porter l'accusation sur José Rainha, connu comme militant et organisateur du Mouvement des Sans-Terre de la région. Sauf que Rainha se trouvait alors à 2 000 km de là, dans l'ouest de l'Etat de Sao Paulo.
Les multiples témoignages qu'il apporta, jusqu'à celui d'un officier de l'armée, ne l'empêchèrent pas d'être condamné, le 10 juin 1997. Le jury était tout acquis aux grands propriétaires, au point que, dès avant le procès, quatre des sept jurés avaient signé une pétition demandant sa condamnation. Jugé en appel dans le même Etat, il a de fortes chances de voir sa peine confirmée, par des juges issus du même milieu des grands propriétaires, ou solidaires d'eux.
Les luttes pour la terre
Le problème de la terre, au Brésil, est directement issu de l'époque coloniale et esclavagiste. Les terres sont en majorité aux mains de grands propriétaires, des latifundiaires le plus souvent absentéistes, qui ne mettent en valeur qu'une infime partie de leurs terres (hors des zones de plantations de café, canne à sucre, cacao, bien sûr), alors qu'il y a 12 millions de paysans sans terre. 1 % des propriétaires détiennent la moitié des surfaces cultivables. Et ceux que l'on appelle les " colonels " détiennent localement tous les pouvoirs, bénéficient de la complicité de l'appareil d'Etat, police, justice, armée et administration, et hésitent rarement à faire le coup de feu contre les opposants, quand ils n'envoient pas contre eux leurs tueurs à gages.
Les conflits pour la possession des terres sont donc constants et meurtriers. Chaque année, plusieurs centaines de syndicalistes paysans sont assassinés. Même lorsque les coupables sont parfaitement connus, ils sont rarement condamnés et purgent encore plus rarement leur peine. C'est ainsi que les policiers et les autorités responsables de l'assassinat de 19 paysans sans terre en 1996, à Eldorado dos Carajas, ont été acquittés en septembre par le tribunal.
Les gouvernements brésiliens successifs font voter et prétendent appliquer des plans de réforme agraire, à la fois pour mettre fin à une agitation gênante et pour accélérer la modernisation de la campagne. L'actuel ministre de la Politique foncière se vante par exemple d'avoir exproprié 8 millions d'hectares, pris sur les grandes propriétés non cultivées, et d'y avoir installé 330 000 familles paysannes, ce qui laisse entier le problème des sans-terre.
Il y a même eu, ces années dernières, l'apparition de spéculateurs à l'expropriation, qui achètent bon marché un domaine et s'arrangent pour se le faire exproprier à un bon prix, y compris en le faisant occuper par des sans-terre, ce qui en général accélère la procédure.
Mais cette attitude vis-à-vis de la terre est marginale. La tradition de la grande propriété et la solidarité avec les latifundiaires est trop forte dans la classe dominante. L'Union Démocrate Ruraliste est un groupe de pression puissant, même dans les Etats brésiliens les plus industriels. C'est même dans ces Etats que se produisent actuellement les occupations de terres les plus retentissantes.