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Exposition Daumier au Grand Palais à Paris
L'exposition consacrée à Daumier au musée du Grand Palais à Paris jusqu'au 3 janvier prochain (*) mérite la visite. Jusqu'à présent, rares ont été les hommages rendus à cet artiste. Il faut dire que celui-ci n'avait pas fait de cadeaux aux différents régimes bourgeois de son temps.
Les caricatures dans les journaux satiriques de l'époque, contestant l'ordre établi et en butte à la censure, ont fait la réputation d'Honoré Daumier (1808-1879), mais il fut aussi un grand peintre. Et l'exposition vise à permettre d'apprécier les deux facettes de son talent.
Fils d'une couturière et d'un encadreur de milieu très modeste, Daumier avait dû travailler dès 12 ans comme commis pour un huissier puis pour un éditeur du quartier du Palais-Royal à Paris, au lendemain du Premier Empire, sous la Restauration. Il puisa alors les matériaux qui devaient inspirer son oeuvre : la dureté de la vie des pauvres qui sont ses frères, les façons de paraître des milieux bourgeois rencontrés dans son travail ainsi que le petit monde de la justice avec son hypocrisie. Probablement, il fréquenta aussi le musée du Louvre pour y copier des chefs-d'oeuvre. Plus tard, il reçut des leçons d'un graveur spécialisé dans la lithographie, technique que Daumier fera sienne.
Enthousiaste pour la Révolution de 1830, il baigna ensuite dans le climat d'effervescence contre le roi bourgeois, Louis-Philippe. Engagé par le journal La Caricature bientôt relayé par Le Charivari, il dessinait plusieurs lithographies par semaine, ce qui lui permit d'assurer sa subsistance. Ses caricatures de Louis-Philippe dont le visage apparaît sous forme de poire atteignirent la cible au point que, pour le journal, la poire produisit non seulement des pépins mais des amendes. Les bustes de parlementaires (Thiers est parmi eux) sculptés en terre crue nous touchent encore : chacun a sa physionomie propre et tous expriment la suffisance et l'arrogance sociale du personnel politique de la bourgeoisie.
La goujaterie de cette classe est explicite quand Daumier représente Louis-Philippe en Gargantua qui boulotte les tonnes d'or apportées par le peuple mal vêtu et affamé tandis que d'autres personnages s'emparent avec avidité de tout ce qui tombe.
Cette scène valut à Daumier une peine avec sursis. Mais il ne se laissa pas intimider. Après une nouvelle lithographie, La Cour du roi Pétaud, il connut la prison dont il fit un dessin-souvenir sans s'apitoyer.
Parfois, le dessin réaliste l'emporta sur la caricature, car la réalité sociale était par elle-même une monstruosité. Le souvenir du massacre de la rue Transnonain, dans le quartier de la rue Beaubourg, où la troupe tua en 1834 tous les habitants d'un immeuble, reste lié à la représentation des victimes qu'en a faite Daumier.
L'année suivante, après un attentat contre Louis-Philippe, la censure se renforça. La caricature politique céda la place à une critique de moeurs. Daumier adopta alors dans son oeuvre le personnage de Robert Macaire (tiré d'une pièce de théâtre) qui incarne l'actionnaire, le spéculateur.
Mais, et ce n'est pas le plus glorieux, les féministes de l'époque furent elles aussi la cible de ses caricatures, Daumier se moquant des femmes, telle l'écrivain George Sand, qui refusaient d'être confinées au rôle de mère dévouée et d'épouse modèle.
En 1848, le renversement de la monarchie ouvrit une nouvelle perspective à Daumier. Avec l'aide d'amis désormais bien placés, il voulut consacrer une part de son activité à la peinture. Le thème de Don Quichotte l'inspirait particulièrement, comme le montrent de magnifiques tableaux regroupés dans la dernière salle de l'exposition.
Daumier utilisa aussi la peinture pour exprimer sa révolte. Les déportations en Algérie, qui faisaient suite aux massacres des ouvriers parisiens en juin 1848 marquaient la défaite de la révolution. Sans doute sont-elles à l'origine de fresques émouvantes sur le thème des fugitifs.
La venue au pouvoir de Napoléon III par le coup d'Etat du 2 décembre 1851 fut pour Daumier une nouvelle source d'indignation, Un personnage de son invention, Ratapoil, est muni de sa canne gourdin qui l'aide à persuader le peuple. Il symbolise le nouveau pouvoir qui s'appuie sur des hommes de main recrutés dans les bas-fonds de la société.
Lorsque la Commune de Paris, le premier pouvoir des travailleurs, fut proclamée en mars 1871, Daumier fit partie de la Fédération des artistes. Il répondait ainsi à l'appel du peintre Courbet de soutenir le peuple héroïque de Paris. Les dessins de Daumier réalisés pendant la Commune sont absents de l'exposition. Ils étaient pourtant la conclusion naturelle d'une oeuvre belle et virulente.
Jean SANDAY
(*) Un film datant de 1979, Un artiste républicain en colère : Honoré Daumier, relate les différentes étapes de la vie et du combat de l'artiste. Il est projeté à l'auditorium à 11 h 35, chaque jour sauf le mardi. Entrée gratuite par l'autre escalier, conduisant à l'exposition sur Chardin.