Grande-Bretagne, Nissan-Renault : Les tribulations d'une subvention01/10/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/10/une-1629.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne, Nissan-Renault : Les tribulations d'une subvention

En Grande-Bretagne depuis l'arrivée au pouvoir des Travaillistes il y a deux ans, c'est une tradition : quand une entreprise veut une subvention d'Etat, elle ne prend même plus la peine de prétendre qu'elle va créer des emplois. Elle dit que c'est pour pouvoir supprimer moins d'emplois que ce que le " marché lui impose " - selon elle, bien sûr, car tout comme en France les profits se portent bien en Grande-Bretagne.

A ce petit jeu, les constructeurs automobiles sont passés maîtres. Ford, Vauxhall (filiale de General Motors) et Rover (filiale de BMW) sont déjà passés à la caisse. Ce dernier a même réussi à se faire verser 1,5 milliard de francs en promettant de ne supprimer " que " 2 500 emplois, pour finalement en supprimer près de 4 000.

Le dernier constructeur en date à jouer au jeu des subventions est Nissan. Or l'usine Nissan de Sunderland, dans le nord de l'Angleterre, est un symbole. Elle a été construite à la fin des années 1980 de façon à fonctionner en flux tendu sur la base d'une sous-traitance maximum. Cela explique sans doute pourquoi le nombre de véhicules produits par ouvrier y est paraît-il le plus élevé d'Europe. En plus, et c'est ce qui en faisait l'enfant chéri de Thatcher, c'est la seule usine automobile du pays où existe un accord d'entreprise qui, non seulement ne reconnaît pas les délégués d'ateliers, mais interdit explicitement le droit de grève. Voilà qui cadre bien avec la " fin de la lutte des classes " décrétée par le Premier ministre travailliste Tony Blair.

Aussi la direction de Nissan a-t-elle été bien accueillie lorsqu'elle a présenté un dossier de demande de subvention de 1 milliard de francs pour financer en partie l'introduction d'un nouveau modèle sans lequel l'usine de Sunderland " devrait fermer ".

Mais à peine les ministres de Blair avaient-ils fait entendre les bruits favorables que tout le monde attendait d'eux, qu'une tempête s'est élevée du côté Conservateurs. Comment ? L'argent du contribuable anglais allait servir à remplir les caisses d'une société d'Etat française (Renault, qui détient plus d'un tiers des actions de Nissan) ? Et Blair de se faire accuser de vouloir aider le " socialiste " Jospin à " nationaliser " Nissan avec l'argent des impôts... Embarras de Blair, grand partisan de privatiser tout ce qui peut l'être, et mise au frigo du projet.

Dans cette affaire, Blair n'est pas le seul à s'être fait prendre à ses propres rets. A l'ère du Nouveau Travaillisme de Blair et du " partenariat syndical " qui l'accompagne, le rôle des syndicats consiste officiellement à aider les entreprises à augmenter leurs profits. Donc le leader du syndicat des ouvriers professionnels de la métallurgie, Ken Jackson (père de l'accord-maison chez Nissan) se devait d'aider un aussi bon patron à obtenir la subvention qu'il réclamait. Or juste au moment où Nissan déposait son dossier de demande de subvention, Jackson lançait son syndicat dans une grande campagne pour inciter les Anglais à acheter des véhicules " made in Britain ". Dans une conférence de presse, il allait jusqu'à expliquer : " Plus nous achetons de véhicules importés et plus nous créons d'emplois à l'étranger. Je veux créer des emplois ici. Si nous ne soutenons pas nos propres ouvriers, pourquoi d'autres le feraient-ils. Allez-donc en France et vous verrez des voitures construites en France. Vous ne verrez pas beaucoup de voitures importées dans les rues de Paris ". Preuve que la mauvaise foi se marie bien avec la démagogie nationaliste la plus crasse. Et, bien sûr, dans cette campagne, l'ennemi numéro un de Jackson était justement... Renault, en tant que premier importateur de voitures en Grande-Bretagne où aucune Renault n'est assemblée. Voilà donc Jackson en train de réclamer un milliard de francs sur les caisses publiques au profit de ceux qu'il accuse de voler les ouvriers anglais de leurs emplois. Nouvel embarras, nouveau silence radio.

Rien de tout cela n'empêchera sans doute Nissan (et Renault) d'obtenir leur subvention, tant il est vrai que, pour Blair comme pour Jospin, le rôle de l'Etat est de servir de vache à lait au capital. Mais au moins cette histoire aura eu le mérite de tourner en ridicule les préoccupations politiciennes des uns et la démagogie chauvine des autres.

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