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Dans les entreprises
Michelin Clermont-Ferrand : Il roule sur l'or... en écrasant les emplois
Après le choc de l'annonce de la suppression de 7 500 emplois dans les usines Michelin en Europe, les commentaires et les prises de position se sont multipliés. Sur le coup, les travailleurs sont restés inquiets et attentistes. Mais les premières réactions se font jour : à Clermont-Ferrand, les syndicats appellent à la grève et à manifester mardi 21 septembre.
Une décision scandaleuse
C'est mercredi 10 septembre, en fin de journée, que la direction, dont Thierry Coudurier, directeur des usines Michelin en Europe, annonçait à des journalistes parisiens, alors que les principaux actionnaires avaient bien entendu déjà reçu l'information, les mesures suivantes : 10 % des effectifs des usines Michelin en Europe, soit 7 500 postes, seront supprimés, dans les trois années à venir.
Il est remarquable, une fois de plus, et ce fut le même procédé lors des plans de réduction d'emplois précédents, que la direction ne s'adresse ni aux syndicats, ni au personnel. Seuls comptent, dans l'esprit des dirigeants, les possesseurs d'actions, les milliardaires...
C'est ainsi que les travailleurs furent mis au courant de mesures très graves les concernant au premier chef grâce à la télévision régionale ou par le journal La Montagne le lendemain.
Une entreprise mondiale florissante
Michelin, qui se vante régulièrement d'occuper la première place mondiale dans la fabrication des pneumatiques toutes catégories, est présent sur tous les continents : 40 usines en Europe, le double dans le monde entier, avec 125 000 salariés. Ses affaires vont pourtant très bien, de l'aveu même de ses dirigeants et propriétaires : la famille Michelin, où François, patron depuis quarante ans, vient de passer la main à son fils Edouard.
Lors d'une conférence de presse tenue à Clermont-Ferrand le lendemain de l'annonce officielle, Michel Rollier, le nouveau directeur financier, et Edouard lui-même déclaraient le plus naturellement du monde : " Nos résultats sont bons et nous sommes très contents, mais il faut savoir préparer l'avenir. "
Quand on s'appelle Michelin, il est certain qu'il y a de quoi se frotter les mains : un chiffre d'affaires en progression de 20 %, des bénéfices nets (chiffre parfaitement invérifiable, mais avoué par les patrons eux-mêmes), 2,106 milliards de francs en six mois, contre 1,157 pour le premier semestre de 1998, des réserves très confortables : une capacité d'autofinancement de 5,198 milliards, soit 1,161 milliard de plus que l'an dernier. Et des " provisions " pour financer partiellement le futur probable " plan social " relatif à la suppression des 7 500 emplois.
" Il y a un environnement favorable : une croissance de 4 % des ventes... Nous avons tous les atouts pour être gagnants sur les marchés ". Alors, pourquoi donc ces mesures, avec de si bons résultats, qui ont comblé la Bourse ? C'est que l'objectif des grands groupes capitalistes est de satisfaire encore et toujours plus les actionnaires : Edouard Michelin le dit crûment : " Nos résultats sont en amélioration mais, en termes de rentabilité, ils sont insuffisants. Aussi convient-il d'améliorer la compétitivité. "
Et d'invoquer l'éternelle concurrence qui menacerait les affaires Michelin, celle de l'américain Goodyear et du japonais Bridgestone, qui voudraient se développer sur les plates-bandes de Michelin : le marché européen, qu'il considère comme sa chasse gardée.
Alors, le moyen de préserver et même d'augmenter ses profits, c'est, d'après Michelin, de réduire le nombre de travailleurs par milliers, tout en faisant augmenter la production. Moins de charges salariales, donc moins d'impôts à payer, et plus de production, donc plus de bénéfices : cela s'appelle la productivité, que Michelin entend faire augmenter de 20 %. Voilà les travailleurs prévenus de ce qui les attend s'ils se laissaient faire. Dans ces conditions, on ne s'étonne pas que l'action Michelin en Bourse, gonflée à bloc, ait pu faire un bond de 12,5 % en une journée !
La direction montre son incroyable cynisme, qui est devenu sa véritable nature. Il faudra attendre son bon plaisir pour connaître les détails des suppressions d'emplois, de la réorganisation de nombreux secteurs : fermeture complète et définitive d'usines, comme c'est déjà le cas à Soissons, avec l'usine Wolber, où 450 travailleurs, surtout des femmes, fabriquaient des pneus pour deux-roues. Quant à savoir les mutations, transferts multiples, changements d'horaires - le patron ayant seulement annoncé qu'il veut renforcer la flexibilité - ou encore qui pourra partir en préretraite, tout cela reste secret ! Les premières mesures de détail ne seraient appliquées que dans six mois environ.
L'aggravation des conditions de travail
L'accumulation des richesses dans les mains de quelques-uns ne peut se faire que par l'exploitation renforcée des travailleurs. Comme dans les autres groupes industriels, Renault, Peugeot et bien d'autres, chez Michelin ce sont les horaires qui pèsent sur les ouvriers : toujours plus de flexibilité. Il y a longtemps que Michelin applique les 35 heures à sa façon. Il a même calculé que, pour les équipes de jour comme de nuit ou de fin de semaine, dite " VSD ", le temps réel de production n'arrive même pas à 35 heures. Il suffit d'un tour de passe-passe sur le papier : enlever les temps de casse-croûte, de pause, de douche ! Les heures supplémentaires existent, le travail le dimanche aussi. Ces jours-ci, suite à un incendie dans l'une des usines italiennes, à Cuneo, où se fabrique de la gomme, la direction fait augmenter la production de gomme dans les ateliers en France : deux dimanches de plus, alors qu'il y en a déjà 19 travaillés dans l'année, pour l'usine de Cholet. Et à Clermont-Ferrand, il faudra aussi faire des heures en plus samedis et dimanches, avec des effectifs renforcés : des travailleurs italiens ont été immédiatement transférés à l'atelier Z dans l'usine de Cataroux;
Des réactions nécessaires
Les responsables politiques de gauche ne brillent pas par leurs critiques et encore moins leur combativité. Godard, sénateur-maire socialiste de Clermont-Ferrand, se contente de souhaiter que, cette fois, les suppressions d'emplois ne touchent pas sa ville. De Jospin à Martine Aubry, c'est soit le silence, soit des déclarations très vagues, et surtout le refus de prendre les mesures indispensables qui s'imposent en pareil cas : contrôler les affaires des capitalistes, prélever sur leurs bénéfices pour payer emplois et salaires, interdire les licenciements. La colère pourrait éclater : les discussions et les critiques se font de jour en jour plus fortes.