Afrique francophone : une aide très intéressée14/05/20232023Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2023/05/232.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Afrique francophone : une aide très intéressée

Macron, comme avant lui Sarkozy puis Hollande, prétend avoir une politique africaine en rupture avec ses prédécesseurs. Après sa première élection en 2017, dans un discours prononcé lors d’un voyage au Burkina Faso, et qui sera très commenté, il affirma : «  Je suis, comme vous, d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé… […] Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables… Je suis d’une génération où on ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire ! »

Lors d’un voyage en Algérie, en août 2022, Macron déclara aux jeunes Algériens : « Votre avenir, ce n’est pas l’anti-France. […] Oui, la France est critiquée. Elle est critiquée pour le passé, […] parce qu’on a trop longtemps laissé des malentendus s’installer, et aussi parce qu’il y a une immense manipulation. » Il a dénoncé des pays comme la Turquie, la Russie, la Chine, qui ont « un agenda d’influence, néocolonial et impérialiste »1. En tant qu’ancienne puissance colonisatrice, il fallait oser.

Mais ces discours officiels cachent bien mal que, depuis les indépendances, l’enjeu pour les gouvernements français a toujours été de maintenir leur domination sur leurs anciennes colonies, pour continuer à jouer dans la cour des grands pays impérialistes et satisfaire les besoins de leur bourgeoisie.

L’armée française y a joué un rôle de premier plan, mais cette domination s’exerce souvent, hypocritement, au travers de l’aide publique au développement (APD), prétendument humanitaire. Elle sert à ouvrir l’accès à des marchés, à imposer aux États des pays pauvres des commandes conditionnées par ces aides, à orienter les investissements dans ces pays vers des domaines qui intéressent les capitalistes occidentaux, français en particulier.

Mais, depuis quelques mois, la France, impérialisme de second ordre, voit son influence dans son ancien pré carré colonial menacée. Les dirigeants du Mali, du Burkina Faso, contestent la présence militaire française et ont exigé le démantèlement des bases militaires françaises. Certaines troupes françaises ont été transférées au Niger.

Cette contestation du rôle de la France s’est aussi traduite par le refus par le gouvernement malien de l’aide des organisations humanitaires financées par la France, derrière lesquelles il voit un moyen d’ingérence. De leur côté, les États-Unis marchandent actuellement avec la Centrafrique des aides au développement et une assistance militaire, en échange de l’abandon de ses liens avec la Russie. Deux exemples qui montrent comment l’aide publique au développement et l’aide humanitaire sont en fait des instruments politiques et économiques au service de la domination impérialiste.

Une aide distribuée en fonction des intérêts impérialistes

L’aide publique au développement d’une nation à d’autres nations s’est inspirée des quelques moyens consacrés par les métropoles au développement de leur empire colonial, financés le plus souvent par des prêts, et du plan Marshall. Après la Deuxième Guerre mondiale, en janvier 1949, le président américain Truman déclarait, dans un discours aux apparences humanitaires :

« Il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées. Plus de la moitié des gens dans le monde vivent dans des conditions voisines de la misère. Ils n’ont pas assez à manger. Ils sont victimes de maladies. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace, tant pour eux que pour les régions les plus prospères. »

Pour les États-Unis et leurs alliés impérialistes, il fallait contrer l’influence acquise par l’URSS. La période de la guerre froide s’ouvrait.

Forts de capitaux inemployés, les États-Unis mirent en place le plan Marshall, un vaste plan d’aides publiques sous forme de prêts à une Europe dévastée par la guerre, pour relancer son économie et endiguer l’influence soviétique, entre 1948 et 1951. La situation des États européens impérialistes se modifia rapidement, en particulier parce que leur situation résultait des destructions de la guerre mais qu’ils disposaient des moyens techniques et humains nécessaires à la reconstruction. Les capitaux furent donc ensuite dirigés vers les pays sous-développés, encore colonisés ou tout juste décolonisés, qui ne disposaient ni d’infrastructures ni de suffisamment de personnel formé. L’aide n’eut pas du tout le même effet et ne permit pas à ces pays de se développer, et encore moins de devenir indépendants de leurs anciens colonisateurs.

Plusieurs institutions destinées aux aides au développement furent créées dès la sortie de la guerre : la BIRD, Banque internationale pour la reconstruction et le développement, le CAD, Comité d’aide au développement, ou encore l’OCDE, Organisation de coopération et de développement économique. À leur tête furent recyclés d’anciens administrateurs coloniaux, au fur et à mesure de l’accession à l’indépendance des pays coloniaux. En fait de développement, ce furent les intérêts bien compris des grandes puissances qui furent soignés, même lorsque les fonds collectés s’adressèrent à des pays pauvres en proie à des crises humanitaires.

Ainsi, en 1954, les États-Unis mirent en place la Public Law, rebaptisée Food for Peace en 1966. Cette distribution gratuite de nourriture aux populations de pays pauvres, prétendument généreuse, fut un moyen d’écouler des excédents agricoles américains et de trouver de nouveaux débouchés commerciaux. Elle entraîna des conséquences catastrophiques pour les agriculteurs des pays destinataires qui, concurrencés par cette alimentation gratuite, ne pouvaient plus vendre leur production.

Elle servit aussi de système de sanction positive, en aidant les régimes qui convenaient aux États-Unis, ou négative, en supprimant l’aide aux régimes qu’ils combattaient, comme le Chili d’Allende en 19712, ou le Bangladesh, dont ils tardèrent à satisfaire les demandes lors de la famine de 1974, à cause des relations que ce pays entretenait avec Cuba3.

Tous les impérialismes ont utilisé les mêmes moyens

Les territoires colonisés étaient des chasses gardées pour le colonisateur. La décolonisation ouvrait leur marché aux autres impérialismes. Alors naturellement, les États-Unis se tournèrent prioritairement vers les États d’Amérique du Sud, la France vers ses anciennes colonies d’Afrique, la Grande-Bretagne vers son ancien empire colonial, et le Japon vers l’Asie, afin de maintenir leur influence.

La France, après avoir essuyé une défaite en Indochine, puis avoir été mise en difficulté en Algérie par une guerre meurtrière, anticipa la perte de son empire colonial et organisa l’accession à l’indépendance des pays d’Afrique subsaharienne, en les maintenant le plus possible sous sa dépendance économique et politique. De Gaulle, dans un entretien télévisé avec Michel Droit, le 14 décembre 1965, affirmait : « Cet argent que nous donnons pour l’aide aux pays sous-développés n’est pas de l’argent perdu, à aucun point de vue. Je considère même que c’est un très bon placement. »

Son objectif était d’utiliser l’aide publique au développement pour le maintien des mêmes relations de subordination dans le contexte créé par la décolonisation. L’accès à certaines matières premières restait une préoccupation majeure pour de Gaulle, qui affirmait dès 1961 : « Notre ligne de conduite, c’est celle qui sauvegarde nos intérêts et qui tient compte des réalités. Quels sont nos intérêts ? Nos intérêts, c’est la libre exploitation du pétrole et du gaz que nous avons découvert ou que nous découvririons. »4 Il y avait aussi les grandes plantations agricoles de coton, de palmiers à huile et autres cultures tropicales dont les entreprises françaises pouvaient bénéficier à bas prix.

Pour mener à bien la défense de ses intérêts, la France utilisa plusieurs moyens.

La décolonisation : mise en place d’États africains dépendants de la France

Tout d’abord, l’État français installa en Afrique des chefs d’État « amis de la France », tel Omar Bongo, président du Gabon de 1967 à 2009, issu des services secrets français. Là où ce fut nécessaire, la France n’hésita pas devant la violence extrême pour éliminer du pouvoir les hommes qui ne lui étaient pas inféodés, comme au Cameroun, où le populaire mouvement pour l’indépendance UPC, mené par Ruben Um Nyobè, fut écrasé par la France lors d’un bain de sang – entre cent mille et quatre cent mille morts, selon les estimations – en 1958. D’autres leaders indépendantistes furent assassinés, comme Sylvanus Olympio au Togo en 1963 ou Thomas Sankara au Burkina Faso en 1987, remplacés par des dictateurs sanglants qui acceptaient de fournir les matières premières produites par leur pays en priorité aux entreprises françaises, et à très bas prix.

Au Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso dirigeait une « pétrodictature » selon l’expression de François-Xavier Verschave. Il était « très lié aux services secrets français », et « non seulement l’ami de Chirac mais aussi très prisé des pétroliers. En effet, il ne demandait pour son pays, officiellement, que 17 % de l’argent du pétrole – du pétrole déclaré. »5 L’affaire Elf a montré que l’argent non déclaré du pétrole pouvait aller directement dans la poche des dictateurs africains, mais aussi servir à financer les campagnes électorales de partis ­politiques français. Quand en 1992 des élections firent élire un autre candidat, Patrick Lissouba, ces élections furent contestées et engendrèrent une guerre civile. Denis Sassou Nguesso s’exila quelque temps en France, puis revint au pouvoir en 1997 avec le soutien militaire de la France et de ses alliés.

En parallèle avec la force brutale, l’impérialisme français a maintenu la dépendance économique de ces États vis-à-vis de la France en ne leur transférant pas les technologies nécessaires à l’usage et à la commercialisation des matières premières que ses industriels exploitaient. Ainsi le Nigeria, le Gabon et autres pays producteurs de pétrole ne disposent que de très peu de raffineries, et ne transforment toujours aujourd’hui qu’une infime partie du pétrole extrait de leur sous-sol. Ils doivent importer les produits pétroliers qu’ils consomment. Autre exemple, la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao, mais la moitié des fèves récoltées sur son territoire sont encore exportées brutes et la quasi-totalité du reste sous forme de produits semi-transformés.

Qui profite de l’aide publique au développement ?

Par un autre mécanisme, l’aide au développement est détournée pour servir les intérêts des pays donateurs. Elle revient en effet pour sa plus grande partie dans les coffres des puissances occidentales.

Des années 1960 jusqu’aux années 2000, l’aide publique française était majoritairement « liée ». Cela signifie que le pays bénéficiaire utilisait obligatoirement l’argent pour acheter dans le pays donateur. Il s’agissait donc de subventions déguisées aux entreprises françaises.

Une revue militaire, la Revue Défense nationale, affirmait en 1970 que l’argent versé revenait augmenté vers les pays donateurs : « Les études les plus sérieuses estiment que 80 % des sommes affectées à l’aide au tiers-monde reviennent dans le pays donateur sous forme de salaires, de commandes passées à ses entreprises, de réinvestissement d’économies personnelles et de bénéfices d’entreprises. »6

Depuis les années 2000, l’aide est majoritairement « déliée » (à plus de 80 %), c’est-à-dire sans obligation d’achat au pays donateur. Mais elle reste une bonne affaire pour la bourgeoisie française. Ses entreprises sont sur place et profitent de la complicité de gouvernements mis en place bien souvent par l’État français. Ce nouveau système permet de ce fait aux entreprises françaises de capter une part plus grande de l’aide versée par d’autres entités que l’État français, en particulier par le biais des fonds européens.

« À nous de nous débrouiller pour que les entreprises françaises gagnent et qu’elles soient plus compétitives, donc qu’elles répondent aux cahiers des charges, aux normes ; disons que c’est notre travail sur place, en liaison avec l’AFD (l’Agence française de développement), de faire en sorte que nos entreprises aient suffisamment d’atouts pour gagner les appels d’offres », explique un agent de la direction générale du Trésor français, en poste sur le continent africain.7

Non seulement cet argent revient dans les anciennes métropoles, mais ce sont essentiellement les trusts qui profitent des contrats. Au total, les aides fournies par l’Agence française du développement entre 2015 et 2019 ont donné lieu, suite à des appels d’offres, à des commandes qui ont été passées majoritairement auprès de dix sociétés, toutes françaises. Parmi elles, une filiale de Suez, une filiale d’Engie, ou encore une société de sécurité proche des services secrets français, Amarante International.8 Le projet de métro d’Abidjan, financé en partie par l’Agence française du développement, est confié aux entreprises Bouygues, Alstom, Colas, Keolis, toutes françaises.

Mais, françaises ou non, le résultat est le même. L’Agence française du développement a largement aidé une plantation de palmiers à huile en République démocratique du Congo. Entre 2012 et 2020, la principale société qui gère cette plantation, Feronia, a reçu près de 128 millions d’euros d’aides européennes, dont près de 25 millions versés par l’Agence française du développement. Les ouvriers travaillent dix heures par jour pour un salaire quotidien misérable de 1,23 euro, trois fois moins que le salaire minimum du pays, et en dessous du seuil de pauvreté défini par la Banque mondiale. Pendant des années, ils ont pulvérisé des insecticides sans aucune protection. Divers projets, telle la construction de dix écoles, de deux centres de santé, de puits, l’entretien des routes, censés justifier 12 millions de dollars de subventions, ne furent pas menés à bien.9

De façon encore plus grossière, l’aide publique au développement française a été utilisée pour satisfaire les lubies des dirigeants soumis à l’État français, tel le sacre de Bokassa comme empereur de Centrafrique en 1977 ou l’aménagement du Boeing personnel d’Omar Bongo.

Une « aide »… qui étrangle les pays africains par le biais de l’endettement

La part des prêts dans l’APD reste importante. En Côte d’Ivoire, entre 1970 et 1979, 29 % de l’aide était sous forme de prêts. Les pays du Sahel ont profité de prêts à taux très bas, mais ils ont alimenté la dette publique de ces pays (Mali et Burkina Faso). Selon Pierre Kipré, ancien ambassadeur de Côte d’Ivoire en France et historien, « l’analyse de la dette africaine montre que c’est moins par le biais des IDE (investissements directs à l’étranger) que par celui de l’APD qu’elle s’est accrue ».

Le premier choc pétrolier en 1973, qui avait fortement relevé le prix du pétrole, a modifié la situation en augmentant les capitaux à disposition des banques occidentales, dans un moment où les possibilités d’investissement étaient réduites dans les pays développés du fait de la crise économique qui avait débuté en 1971. Les banques se sont alors tournées vers les pays en voie de développement. En concurrence les unes avec les autres, elles ont prêté presque sans limite, de peur de perdre des opportunités. Lorsque les taux d’intérêt ont fortement augmenté en 1979, après le deuxième choc pétrolier, l’endettement s’est emballé dans de nombreux pays. Les pays étranglés par la dette, dont ceux de l’Afrique francophone, ont été contraints de suivre des programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI comme condition à de nouveaux prêts. Ces programmes leur imposaient de brader leurs quelques infrastructures et entreprises nationales, de réduire leurs dépenses publiques, engendrant un délabrement de services publics déjà insuffisants. Une partie toujours plus importante servait à rembourser leurs intérêts, accroissant l’endettement.

Pour l’Afrique subsaharienne, la dette extérieure est passée de 7 milliards de dollars en 1970 à 235,4 milliards de dollars en 1996. À cette date, elle avait remboursé deux fois sa dette de 1980 mais connaissait un endettement trois fois supérieur. Le poids des intérêts a dépassé les recettes. Ces pays étaient pris dans une spirale infernale de l’endettement.

La dette a été une des formes du pillage des pays sous-développés. « Pour la seule année 1999, les pays à faibles revenus ont payé au Nord une somme cinq fois supérieure à celle qu’ils ont reçue. En 2000, ils ont remboursé 127 milliards de dollars de plus qu’ils n’ont reçu », et ainsi de suite les années suivantes, selon Alain Houziaux10.

Aide au développement… ou à la guerre

Avec la chute du mur de Berlin en 1991, l’aide publique au développement s’est réorientée provisoirement vers les pays de l’Est européen. La possibilité pour l’impérialisme de récupérer les zones qui avaient fait partie du camp soviétique devint une priorité.

À la suite des attentats du 11 Septembre 2001, la crainte que des États parmi les plus pauvres ne s’effondrent sous les coups de groupes terroristes a entraîné une nouvelle politique internationale. Depuis 2002, l’aide a de nouveau augmenté, en particulier envers l’Afrique. Comble du cynisme, la sécurité est officiellement devenue un des objectifs avancés par les institutions internationales. Depuis 2017, le gouvernement français résume cette politique par le principe des trois D : diplomatie, défense, développement.

Concrètement, l’APD finance des interventions militaires, l’entretien d’armées africaines ou de forces de répression telles que la police. Selon un article de Mediapart11, 45 blindés français ont été fournis au Mali, au Niger, au Tchad, à la Mauritanie et au Burkina Faso au cours de l’année 2020, des Bastion fabriqués par la société Arquus avec, en plus, des véhicules tout-terrain, des drones, des gilets pare-balles, des groupes électrogènes, un marché de 196,4 millions d’euros. Ce matériel a été fourni par Expertise France, qui dépend de l’Agence française du développement. Tout cela pour soutenir des armées du G5 Sahel qui imposent leur loi aux populations civiles avec une violence qui n’a rien à envier à celle des djihadistes : l’ONG Human Rights Watch les accusait en 2020 de l’exécution sans jugement de plusieurs centaines de personnes.

Enfin, toujours au nom de la sécurité, une partie de l’aide est aussi destinée à contenir le départ vers l’Europe de réfugiés.

En fin de compte, une toute petite part de l’aide sert à développer les infrastructures nécessaires à l’éducation, à la santé. Selon l’OCDE, sur la période 2011-2016, 1 % de l’aide bilatérale française (entre la France et un autre pays) est consacré à l’éducation première et 2 % à la santé rudimentaire. Cette part sert d’alibi et cache le reste, c’est-à-dire l’essentiel : le pillage des richesses de l’Afrique.

Le rôle des ONG et des fondations privées

Une part de l’aide au développement passe par l’intermédiaire des ONG, qui peuvent sembler, aux yeux d’une partie de l’opinion publique, moins ouvertement au service de la bourgeoisie, et même souvent critiques de la politique des États impérialistes. Mais les ONG sont en fait très dépendantes de ces États, ne serait-ce que parce que leur budget vient essentiellement de subventions étatiques.

Certaines de ces ONG sont devenues d’énormes entreprises internationales et sont des rouages des institutions internationales. Elles ont des représentants dans certaines commissions de l’ONU. Leurs expatriés ont parfois le droit de circuler avec des plaques diplomatiques. Leur budget est souvent supérieur à ceux destinés à la santé ou à l’éducation des pays où elles interviennent.

Face à la déliquescence des États des pays pauvres, qui résulte de la pression de l’impérialisme, ces ONG calment un peu la colère accumulée en assurant parfois quelques services publics indispensables à l’exploitation capitaliste et en répondant aux situations d’urgence. Elles participent de fait à maintenir l’impérialisme.

Certains patrons privés créent leurs propres fondations caritatives. Bien que leurs budgets soient marginaux12, elles sont pour eux des faire-valoir, et un moyen supplémentaire pour décider de la politique des pays où elles interviennent, à l’image de celle de Bill Gates, très active en Afrique.

La fondation Gates permet surtout à sa propre entreprise, Microsoft, ou à d’autres dans lesquelles il a des actions (Coca-Cola, McDonald’s), de gagner de nouveaux marchés en Afrique. Elle pousse les paysans africains à pratiquer la culture des OGM et à utiliser des pesticides, ce qui fournit un marché pour Monsanto, dont Bill Gates est actionnaire.

Bill Gates est également le deuxième donateur de l’OMS pour 2020-2021 (devant les États-Unis) et finance notamment la lutte contre le paludisme, ce qui fait aussi ses affaires, en tant qu’actionnaire de l’industrie pharmaceutique.

De nombreuses grandes entreprises françaises ont aussi créé des fondations humanitaires, qui financent des projets dans les pays pauvres : Suez, Veolia, EDF, Total… Les mêmes qui profitent grassement des contrats liés à l’aide au développement, et pillent les richesses de l’Afrique, font mine d’aider les populations pauvres.

TotalEnergies peut donc ravager la Tanzanie et l’Ouganda avec son projet de nouvel oléoduc, menacer de pollution le bassin du lac Victoria, confisquer par la force les terres de dizaines de milliers de paysans, souvent sans les indemniser, et se faire passer pour un bienfaiteur de l’humanité et de l’environnement, à l’aide de sa fondation, en participant par exemple au projet de grande muraille verte au Sahel.

Face à la violence de la crise et de la concurrence interimpérialiste

Depuis les années 2000, l’aide publique au développement a augmenté, pour atteindre 202 milliards de dollars en 2021 mais ce chiffre est à comparer aux dépenses militaires la même année (plus de 2 100 milliards de dollars) ou aux subventions accordées aux agriculteurs des pays riches (de l’ordre de 300 milliards de dollars).

Mais, quel que soit son montant, l’APD est une escroquerie, en ce qu’elle vise à faire croire à la population que les États les plus riches font ce qu’ils peuvent pour empêcher les crises humanitaires et le sous-développement, alors qu’ils continuent à dominer et piller les richesses des pays pauvres.

Face à la famine qui menace à nouveau un certain nombre de pays, du fait des sécheresses, de la flambée des prix et de l’augmentation des conflits, les grandes puissances enverront peut-être quelques sacs de riz, avant de tourner leur attention vers ce qui leur importe vraiment, leur cœur de métier, la sauvegarde des profits de leur bourgeoisie. La rivalité exacerbée entre impérialistes les conduira à fomenter des guerres plutôt qu’à sauver les populations de la détresse dans laquelle ils les entraînent.

Face au réchauffement climatique et à ses conséquences catastrophiques sur des populations qui n’en sont pas responsables, de nouvelles sommes sont promises, souvent sous forme de prêts. Le système capitaliste qui rend invivables de nouvelles zones, chassant les populations, poursuit sa course mortifère, et la poursuivra tant qu’il ne sera pas arrêté par une révolution menée par les travailleurs.

28 mars 2023

1« Guerre d’Algérie : Macron récuse toute “repentance” et appelle à regarder le passé “avec courage” », Le Figaro, article mis en ligne le 26 août 2022.

 

2Soit immédiatement après la victoire du socialiste Salvador Allende à l’élection présidentielle de septembre 1970, où il représentait l’Unité populaire, coalition allant du Parti communiste jusqu’au centre.

 

3La République populaire du Bangladesh s’était constituée en 1971 au cours d’une guerre meurtrière pendant laquelle, soutenue par l’Inde et l’URSS, elle se sépara de la République islamique du Pakistan. Elle entretint dès 1972 des relations diplomatiques, puis économiques avec Cuba.

 

4Charles de Gaulle, conférence de presse du 5 septembre 1961.

 

5François-Xavier Verschave, De la Françafrique à la Mafiafrique, 2005.

 

6Article signé Yvon Bourges, alors secrétaire d’État aux Affaires étrangères chargé de la coopération. Cité par Philippe Marchesin, La politique française de coopération, Je t’aide, moi non plus, L’Harmattan, 2021.

 

7Ibid.

 

8« L’aide au développement, une longue hypocrisie française », Mediapart, 3 octobre 2021.

 

9Justine Brabant et Anthony Fouchard, « En RDC, l’huile de palme au mépris des droits humains », Mediapart, 27 septembre 2021.

 

10Alain Houziaux, Christianisme et question politique : Trente questions impertinentes, Desclée De Brouwer, 2008.

 

11Justine Brabant et Anthony Fouchard, « Au Sahel, l’aide française au développement arme des militaires accusés d’exactions », Mediapart, 27 septembre 2021.

 

12En 2018, l’aide publique au développement était de 167,8 milliards de dollars, et l’aide privée de 7,8 milliards de dollars, dont la moitié financée par la fondation Bill & Melinda Gates, principal fournisseur privé d’aide au développement.

 

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