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Conclusions (extraits)

Avant d’en venir à nos objectifs pour l’année qui vient, nous voudrions faire le bilan de l’année 2021.

Comme dirait La Palice, l’année prochaine c’est la continuation de l’année précédente. Elle le sera probablement dans bien des domaines de nos activités militantes. Avec cependant cette grosse réserve que la situation, sur le plan économique, comme sur le plan politique et dans les relations internationales, est sans cesse plus instable que dans le passé, sans cesse plus lourde de menaces. Avec tout ce qu’un changement de situation peut impliquer pour nos activités militantes. Sans même être obnubilés par les rebondissements de la pandémie et l’imprévisibilité des mesures gouvernementales.

Militer au temps du Covid-19

L’année écoulée au sens large, c’est-à-dire depuis le début de la pandémie en mars 2020, a été une période difficile. Elle l’a été par les difficultés quotidiennes pour tout un chacun.

Pour l’essentiel, nos difficultés ne découlaient pas de nos activités militantes. Elles ont été partagées par toute notre classe : menace du virus, hôpitaux débordés, personnel de santé exténué, valse-hésitation du gouvernement dans la gestion de l’épidémie, confinement, déconfinement, avec ou sans test, possibilités de se déplacer à distances variables, formulaires variables, liens entre les uns et les autres tout aussi variables, découverte du vaccin, déplacements avec ou sans passe sanitaire, variant Delta, quatrième et cinquième vagues.

À ceci près cependant que les difficultés pour maintenir les liens et les difficultés pour se déplacer ont été un peu plus accentuées pour l’activité militante.

La seule difficulté qui nous a touchés spécifiquement en tant que militants révolutionnaires a été qu’il a fallu rompre avec un certain nombre de routines des années précédentes et que nous avons eu l’obligation de trouver des solutions nouvelles pour militer dans des conditions changées.

Mais, sur ce terrain, c’est-à-dire maintenir les liens entre nous et continuer à nous adresser aux travailleurs, il ne faut pas exagérer les difficultés de la période. Ne comparons même pas avec celles qu’ont connues nos ancêtres politiques, la social-démocratie allemande sous Bismarck et ses lois d’exception, ni avec les bolcheviks pendant la quasi-totalité de leur existence, en dehors des périodes révolutionnaires de 1905 et de 1917. Nos difficultés ont été bien modestes, même par rapport à celles auxquelles a été confrontée la génération trotskyste qui militait à la veille, au début et pendant la Deuxième Guerre mondiale, aussi bien sur le plan de la survie quotidienne que sur celui de la survie politique.

Nos objectifs dans les campagnes électorales

Notre première échéance est évidemment la campagne électorale, ou plus exactement les deux campagnes successives de la présidentielle et des législatives qui, pour nous, politiquement constitueront une seule et même campagne. Nous l’avons déjà engagée.

Le fondement de notre campagne est de développer une politique communiste révolutionnaire, aussi bien par rapport aux événements d’actualité que pour faire la propagande en direction de cette écrasante majorité de la classe ouvrière que nous ne touchons pas par nos activités quotidiennes ordinaires.

Au-delà de l’agitation autour des questions politiques d’actualité, disons, en gros, ce que nous faisons avec les éditoriaux des bulletins ; au-delà aussi de la propagande générale pour défendre la perspective de la révolution prolétarienne et de la nécessité d’un parti ouvrier communiste révolutionnaire, nous voudrions insister sur l’objectif que chaque groupe de camarades, chaque militant, doit se fixer pour les mois à venir.

La période est ce qu’elle est, c’est-à-dire marquée par une évolution réactionnaire des choses. Il ne s’agit pas seulement de la droitisation des partis politiques, mais aussi de l’évolution réactionnaire dans toute la vie sociale, dans toutes les mentalités, y compris dans notre classe. Il serait vain de tenter de mesurer la part des choses, à savoir dans quelle mesure la droitisation des partis politiques influe sur l’opinion publique en général et dans quelle mesure ce sont les partis qui, pour des raisons électorales, s’adaptent à l’évolution des choses. Les deux, mon général, comme dirait l’autre.

Notre problème est de comprendre cette évolution générale, la comprendre en profondeur, non pas pour s’y adapter, mais, au contraire, pour saisir ce que la situation recèle comme opportunités pour faire avancer la construction d’un parti ouvrier communiste révolutionnaire.

Saisir les possibilités de la période

Dans La maladie infantile du communisme, Lénine évoque toute l’histoire du parti bolchevique. Cet ouvrage est très riche d’enseignements. Et pour cause : il a été rédigé au printemps 1920, en direction des jeunes partis communistes en voie de naître et à qui il fallait transmettre les leçons essentielles de l’histoire du parti bolchevique. En insistant, dès le début du texte, sur « la portée internationale de la révolution russe », Lénine s’adresse à nous, par-dessus le siècle écoulé. Une histoire qui n’a certainement pas été un long fleuve tranquille pour s’acheminer vers la révolution d’Octobre.

Pendant les quatorze ans qui séparent l’émergence de la fraction bolchevique en 1903 des révolutions de Février puis d’Octobre 1917, le Parti bolchevique a connu bien de situations très diverses : de l’existence de petits cénacles de militants, pour la plupart dans l’émigration ou dans les prisons du tsar, jusqu’à des périodes révolutionnaires comme en 1905. Après avoir insisté sur l’intensité et l’ampleur des débats d’idées dans le mouvement révolutionnaire russe, entre les courants populiste, anarchiste, marxiste, débats qui aboutirent au bolchevisme, Lénine écrivait : « Le bolchevisme, né sur cette base théorique de granit, a vécu une histoire pratique de quinze années (1903-1917) qui, pour la richesse de l’expérience, n’a pas d’égale au monde. Aucun autre pays durant ces quinze années n’a connu, même approximativement, une vie aussi intense quant à l’expérience révolutionnaire, à la rapidité avec laquelle se sont succédé les formes diverses du mouvement, légal ou illégal, pacifique ou orageux, clandestin ou avéré, cercles ou mouvement de masse, parlementaire ou terroriste. Aucun autre pays n’a connu dans un intervalle de temps aussi court une si riche concentration de formes, de nuances, de méthodes, dans la lutte de toutes les classes de la société contemporaine, lutte qui, en conséquence du retard du pays et du joug tsariste écrasant, mûrissait particulièrement vite et s’assimilait avec avidité et utilement le “dernier mot” de l’expérience politique de l’Amérique et de l’Europe. »

À part la décision de prendre le pouvoir en octobre 1917, ce n’est pas le Parti bolchevique qui a créé les situations ou qui les a maîtrisées. Elles ont découlé des rapports de force sociaux. On ne peut évidemment pas recréer artificiellement une « si riche concentration de formes, de nuances, de méthodes ». Mais on peut et on doit l’étudier et s’en pénétrer.

Mais ce qui en fait un modèle pour nous, c’est que le Parti bolchevique a su, à toutes les périodes, saisir toutes les opportunités que la situation offrait. Et, à certaines périodes, les opportunités étaient limitées à celles que devait saisir un militant ou un groupe de militants enfermés dans les prisons du tsar pour se cultiver politiquement et en cultiver d’autres, et par la même occasion les gagner. En période révolutionnaire, la situation offrait de multiples possibilités auxquelles les militants devaient savoir faire face. Les militants décidés et compétents pouvaient faire basculer du côté de la révolution une usine ou un régiment entier.

Alors, quelle est la période ? Quelles possibilités recèle-t-elle face à la crise avec toutes ses conséquences, déjà présentes ou à venir, pour les travailleurs ?

Sans même parler de la situation en Martinique et en Guadeloupe, il y a aussi en France, bien qu’à une toute petite échelle, des axes de résistance face à l’offensive patronale. La rubrique Entreprises de notre journal en témoigne. Cela ne va pas bien loin pour le moment, en tout cas comparé aux Antilles, mais encore une fois, cela peut changer très vite, car on sent, ne serait-ce que dans les discussions, le mécontentement se transformer en colère. En revanche, la classe ouvrière est désarmée sur le plan politique. Nous n’insistons pas sur cet aspect, mais c’est le véritable problème, c’est-à-dire celui du parti ouvrier communiste révolutionnaire.

Alors, souhaitons bon courage à tous les camarades pour la période à venir et pour l’accomplissement des tâches qui nous attendent.

Autant qu’on puisse le prévoir, ces tâches ne seront pas grandioses, mais elles nous permettront, espérons, de faire quelques pas en avant dans la construction du parti ouvrier communiste révolutionnaire.

La question des délais

Plusieurs générations de militants se sont succédé depuis la fondation de la IVe Internationale avec cet objectif, en partant de la catastrophe qu’ont été le stalinisme et la destruction physique, politique et morale de la génération qui a réalisé la première révolution prolétarienne de l’histoire.

La première, en tout cas, qui a pu non seulement conquérir le pouvoir, mais le garder, faisant la démonstration à l’échelle d’un sixième de la planète que la classe ouvrière était capable de diriger la société. Mais comme l’a écrit Trotsky, si les délais pour changer la société de fond en comble ont été plus longs que ne l’imaginaient Marx et sa génération, l’histoire des sociétés ne se mesure pas avec les mêmes instruments que pour la vie des hommes et, à plus forte raison, pour celle des militants qui ont l’impatience des révolutionnaires.

Nous ne savons pas si on peut parler de retard, car retard par rapport à quoi, au juste, si ce n’est par rapport à la vague révolutionnaire qui a suivi la révolution d’Octobre 1917 ? Ce qui est certain, c’est que cette période a été marquée par deux guerres mondiales, des massacres sans fin et surtout par cette « accumulation de misère, de souffrances, d’esclavage, d’ignorance, de brutalité, de dégradation mentale », pour reprendre l’expression de Marx, que la société de classe, que l’exploitation réservent aux prolétaires.

Plus de cent-cinquante ans après que Marx a écrit ces lignes, on peut les reprendre intégralement pour décrire la situation d’aujourd’hui. On peut les reprendre pour la situation dans l’écrasante majorité pauvre de la planète. Et on peut les reprendre aussi même dans les pays impérialistes privilégiés mais qui, avec la crise, ont enclenché la marche arrière pour la majorité travailleuse de la population.

La crise économique d’aujourd’hui, comme nous l’avons expliqué dans le texte Le capitalisme en crise et l’interventionnisme de l’État, vire au chaos. Chaos et loi de la jungle dans les relations entre groupes capitalistes et entre États capitalistes. Chaos entre entreprises principales et entreprises sous-traitantes. Chaos dans les filières de transport.

Chaos qui se répercute jusqu’à l’intérieur même des entreprises capitalistes, dans l’organisation même du travail.

Ce chaos de l’économie capitaliste se répercute dans la vie sociale, dans les relations internationales jusqu’aux comportements individuels.

C’est toute la vie sociale organisée sur la base capitaliste, c’est-à-dire la propriété privée des moyens de production, la concurrence, la loi du marché, qui est en train de se disloquer devant nos yeux.

Quant aux États, instruments de la bourgeoisie partout, ils sont soumis à deux évolutions contradictoires.

D’un côté, une évolution vers un autoritarisme croissant. Mais encore faut-il qu’ils en aient les moyens, c’est-à-dire la richesse de leur bourgeoisie et un appareil d’État solide, éprouvé, auquel elle puisse faire confiance.

De l’autre côté, la dislocation des États répercutant celle de la société dans son ensemble.

L’évolution des États dans le chaos capitaliste

D’un côté, il y a cette douzaine de pays impérialistes qui sont riches de l’exploitation passée et présente des pays pauvres et qui sont accompagnés de quelques autres pays industriels comme ceux de l’Est européen.

De l’autre côté, il y a les pays pauvres. Certains, dont plusieurs en Afrique, sont de fait déjà décomposés même territorialement : la Libye, le Soudan, la Somalie, le Yémen et, peut-être, faudra-t-il ajouter l’Éthiopie.

Il y a une autre variante comme en Haïti où ce sont les bandes armées criminelles qui se substituent de plus en plus à l’appareil d’État.

Le chaos, c’est aussi ces centaines de milliers de femmes,  d’hommes, d’enfants, chassés de leur pays par la guerre ou par la faim, qui meurent en Méditerranée, dans la Manche, sur les routes des Balkans ou entre les barbelés à la frontière de la Biélorussie. Le chaos, c’est aussi les marchandages abjects entre les pays européens, sur le meilleur moyen de les refouler.

Le chaos, c’est également dans les têtes, avec toutes les formes de conspirationnisme, le foisonnement de toutes les idées réactionnaires.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous rappelons cette expression de Rosa Luxemburg : socialisme ou barbarie.

Sur bien des plans, la barbarie n’est pas une menace pour l’avenir, car c’est déjà le présent. Elle ne prend pas encore la forme d’une guerre généralisée. Mais, pour combattre des peuples de cette planète, les guerres locales ou les guerres d’oppression diverses, nationales ou ethniques, ont fait ou font déjà bien plus de victimes que les deux guerres mondiales du passé.

Le combat pour la destruction de l’organisation capitaliste de la société, devenu depuis bien longtemps la seule lutte qui vaille, est aujourd’hui une question de vie ou de mort pour beaucoup.

Depuis la domination capitaliste, bien des générations ont rêvé de l’émancipation sociale, mais n’ont pu qu’en rêver.

Mais ce qui n’était qu’un rêve, une utopie, est devenu avec Marx un moyen de compréhension de la société et, par là même, un instrument de combat. C’est pour mener ce combat que des partis communistes révolutionnaires, qu’une internationale, sont indispensables.

Malgré le fait que les combats des générations successives du prolétariat n’ont pas abouti au changement de l’organisation sociale, la société a continué à évoluer. Freinée par le capitalisme et malgré le bond en arrière de certaines périodes, de crises ou de guerres, la société a continué à accumuler des matériaux qui rendent l’organisation capitaliste de la société de plus en plus anachronique mais qui offrent en même temps la possibilité d’y mettre fin et de créer une nouvelle société sans propriété privée et sans exploitation.

Nous avons dit bien souvent que, par-delà la capacité croissante de productivité du travail humain, le développement capitaliste a mis en place une multitude de formes d’organisation qui donnent les moyens de gérer rationnellement et à l’échelle du monde les capacités de production et la répartition.

Une fois renversée la domination de la bourgeoisie sur le monde et les moyens de production maîtrisés par la classe ouvrière, le socialisme fera la démonstration de sa supériorité, et le retour au capitalisme sera rendu impossible.

C’est la fierté de se battre pour cette perspective, aussi modeste que soit notre rôle aujourd’hui pour la faire avancer, qui doit nous guider pour faire face aux difficultés.

À toutes les générations de camarades

Enfin, pour terminer, nous voudrions nous adresser aux militants des différentes générations.

Les militants les plus âgés n’ont certes plus leur corps de 20 ans, mais ils sont encore là. Et souhaitons qu’ils aient toujours leur cœur de 20 ans !

Dans notre « métier », dans notre vocation, on ne connaît pas la retraite, sauf lorsque le vieillissement ou la maladie font qu’on n’est plus en état de marche. Car tant que la volonté militante existe, on a toujours quelque chose à faire, ne serait-ce que transmettre aux militants plus jeunes.

Les militants des générations anciennes ont pour mérite principal d’être toujours là. D’être là d’abord politiquement, c’est-à-dire sans avoir trahi leurs idées de jeunesse et sans avoir rejoint le camp adverse.

Une des choses qui nous distinguent sur le long terme d’autres courants trotskystes, c’est que même ceux de notre organisation qui ont abandonné le combat n’ont pas fourni à la bourgeoisie des députés, des ministres, c’est-à-dire des laquais galonnés.

Sans cette génération de vieux militants, l’organisation ne pourrait pas vraiment fonctionner. Mais ceux dont dépend l’avenir, ce sont les jeunes. Alors, quelques mots pour les militants les plus jeunes.

Pour ce qui est de l’enthousiasme et de la volonté de militer malgré le courant contraire qui est dominant, ils doivent les trouver en eux-mêmes. Il faut aussi que la boussole politique, ils l’aient en eux-mêmes.

Il faut qu’ils raisonnent en marxistes et que cela devienne naturel. La nécessité de se cultiver en marxiste, pour un militant, ne s’arrête pas. En relisant le même ouvrage de Marx, de Lénine, de Trotsky et de bien d’autres, en fonction des événements, on y trouve chaque fois quelque chose de nouveau, car ce ne sont pas seulement les livres qui éduquent, c’est la confrontation des idées que ces livres contiennent avec la vie, avec la lutte de classe vivante.

Il faut être capable de raisonner en marxiste, même tout seul, même s’il n’y a pas une organisation derrière soi, même s’il n’y a pas d’autres militants pour nous guider. D’autant plus qu’à militer à contre-courant, on subit des pressions, et de plus en plus.

La pression des adversaires, mais aussi la pression du milieu petit bourgeois qui nous entoure et qui, même lorsqu’il se revendique de la gauche, même s’il mène certains combats avec lesquels nous sommes solidaires, ne les place pas dans la perspective de la révolution prolétarienne et du communisme.

Souhaitons à tous ceux qui sont déjà ici, comme à ceux qu’ils ont encore à gagner, d’être de ceux qui pousseront ce combat jusqu’au renversement du système capitaliste à l’échelle internationale.

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