Le Front de gauche : une nouvelle version des illusions électoralistes09/07/20122012Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2012/07/145.png.484x700_q85_box-20%2C0%2C575%2C804_crop_detail.png

Le Front de gauche : une nouvelle version des illusions électoralistes

À l'élection présidentielle de 2012, le candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, a recueilli 11,1 % des voix. Ce résultat, supérieur aux résultats du PCF aux élections présidentielles de 2002 et 2007, n'était pas pour autant celui espéré par les militants du Front de gauche. Contrairement aux propos du candidat Mélenchon durant la campagne, il n'y a pas eu de radicalisation, même électorale, de poussée à gauche et encore moins de dynamique. Derrière tout le cinéma de la campagne du Front de gauche, sur la dynamique enclenchée vers on-ne-sait-quoi, Mélenchon, avec ses discours et son « insurrection civique », cherchait à faire croire qu'en pesant électoralement, on pouvait non seulement agir sur les choix du futur gouvernement de gauche, mais carrément changer la situation économique et sociale.

La campagne des législatives du Front de gauche (FdG) fut dans la même lignée. Il a appelé à envoyer le maximum de députés à l'Assemblée, mais dans le seul but de peser sur le rapport des forces au sein de la majorité de gauche, sur ses décisions, sur les lois. Le numéro d'équilibriste devenait plus compliqué, puisqu'il fallait faire croire d'un côté à l'importance du rôle des députés Front de gauche, tout en répétant de l'autre côté que le Front de gauche faisait partie de la majorité présidentielle et s'engageait donc par avance à ne rien faire qui puisse entraver la politique du nouveau président.

Le 17 juin, patatras, les résultats électoraux des élections législatives (6,94 % des voix) aboutirent non à un maximum de députés mais à un minimum, avec 10 députés, contre 19 auparavant. Ces élections sonnèrent le glas des rêves de grandeur électorale du Front de gauche. Et la dynamique entraperçue par ceux qui avaient envie d'y croire n'a finalement duré que... le temps d'une rose ! De ce fait, certains militants, qui s'attendaient à des résultats plus importants, ou qui avaient trop cru aux propos enflammés de leur candidat, se révélèrent déçus et parfois même assez démoralisés, car les résultats n'ont pas été ceux escomptés.

Pendant ces campagnes électorales qui se situent dans un contexte de crise du capitalisme aux conséquences dramatiques pour les classes populaires, le Front de gauche n'a eu à offrir que des perspectives qui s'inscrivent volontairement dans le cadre limité des institutions bourgeoises. Pas seulement parce qu'il s'agissait de campagnes électorales. Mais surtout parce que le Front de gauche ne se place pas sur le terrain de la classe ouvrière. Ni Mélenchon, ni le Front de gauche, ni le PCF ne cherchent à offrir une politique à la classe ouvrière face à la crise, face aux attaques des patrons. Ils refusent de se placer sur le terrain de la lutte de classe, sur le terrain qui peut mener à la contestation de l'ordre économique capitaliste existant. Ils se sont limités à faire croire que, par le vote, on pouvait changer le rapport de force au sein de la gauche et donc influencer la politique du futur gouvernement sous Hollande. Ces idées n'ont donc rien de commun avec les idées communistes, ni avec la perspective d'un changement par les luttes de la classe ouvrière. Mélenchon lui-même, lors de sa toute première émission télévisée de la campagne, commença par contester les propos des journalistes qui le situaient à l'extrême gauche.

La campagne du Front de gauche n'a ainsi été que l'énième expression du réformisme bourgeois, de l'électoralisme instillé dans le mouvement ouvrier depuis des décennies. Et la diffusion de quelques idées plus dangereuses encore, comme le protectionnisme et le nationalisme.

La naissance du Front de gauche, ou comment faire du neuf avec du vieux

Le Front de gauche est, à l'origine, une alliance électorale entre le PCF et le Parti de gauche (PG) en vue des élections européennes de 2009. Rien que cette naissance sur des fonts baptismaux électoraux en disait long sur ce que serait la suite.

Mais le parcours personnel de Mélenchon nous en dit plus encore. Mélenchon est avant tout un vieil habitué des couloirs de l'État français, c'est-à-dire de l'appareil politique de la bourgeoisie. Il a fait un bref passage par les rangs trotskystes, dans l'après-Mai 68, à un moment où tout le monde se revendiquait des idées révolutionnaires. Il a adhéré à l'Unef, le syndicat étudiant qui sert encore de vivier aux futurs cadres du PS. Et, en 1977, il a donc rejoint ce parti et démarré une carrière traditionnelle d'homme de l'appareil au sein du PS. En 1981, déjà reconnu comme mitterrandiste, il devint premier secrétaire de la fédération socialiste de l'Essonne avant d'être élu sénateur en 1986. Les années suivantes furent marquées par une série de bagarres d'appareil au sein du PS sur lesquelles il serait trop laborieux de revenir. Il est juste plaisant de noter qu'en 1992, Mélenchon approuva et vota le traité de Maastricht. Et surtout, il resta sénateur pendant vingt-deux ans, avec une interruption de deux ans durant lesquels il fut ministre de l'Enseignement professionnel.

En effet, au début de l'année 2000, sous le gouvernement Jospin, les enseignants se mirent en grève contre les projets d'Allègre d'annualiser le temps de travail et de réduire les heures d'enseignement général pour les élèves dans les lycées techniques. Lionel Jospin finit par renvoyer Claude Allègre en mars 2000 et nomma à sa place Jack Lang à l'Éducation nationale et Mélenchon ministre délégué à l'Enseignement professionnel. Dès leur arrivée, les nouveaux ministres promirent aux enseignants d'annuler les projets d'Allègre. Mais ils profitèrent des congés scolaires de Pâques, avec la connivence des syndicats, pour faire passer un projet en tout point semblable à celui d'Allègre. Ainsi, Mélenchon participa en tant que ministre à la dégradation générale des conditions d'enseignement pour les milieux les plus populaires.

Et, pas plus hier qu'aujourd'hui, Mélenchon ne critique la politique du gouvernement Jospin (1997-2002) auquel il a participé, et dont il faut rappeler qu'il privatisa plus que ceux de Balladur (1993-1995) et Juppé (1995-1997) réunis, et qu'il mit en place les lois sur les 35 heures aidant les patrons, à coup de milliards, à introduire la flexibilité du temps de travail. Le bilan de ce gouvernement fut d'ailleurs tellement scandaleux pour le monde du travail que Jospin et Hue, les candidats du PS et du PCF, perdirent quatre millions de voix entre 1995 et 2002. Mais ce n'est pas cela qui fit rompre Mélenchon avec le PS. D'ailleurs, il continue à proclamer que son modèle est... Mitterrand ! Au début de la campagne présidentielle, il s'est même déclaré « mitterrandolâtre ». C'est pourtant la politique de Mitterrand au pouvoir qui a profondément démoralisé les militants ouvriers et la classe ouvrière, dès le début des années 1980.

La seule question sur laquelle Mélenchon a pris ses distances avec le PS est celle du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005. En tant que ministre, il n'avait rien trouvé à redire à la politique de Jospin qui avait entamé la privatisation d'EDF-GDF, avant de signer l'ouverture du marché de l'énergie à la concurrence. Mais, en 2005, il choisit de mener campagne pour le « non » au traité européen. Il rejoignit alors tous ceux qui voulaient bien entériner l'idée que l'Europe est responsable des reculs que nous subissons, et pas les capitalistes français.

Malgré le désaccord avec la majorité du PS, il tenta de poursuivre sa carrière dans ce parti. En 2007, il soutint Ségolène Royal après avoir longuement hésité. Il avait notamment écrit en 2005 : « Il n'y a pas cinquante candidats pour l'élection présidentielle de 2007 au PS, au point où nous en sommes, il n'en reste que deux : Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn. Ce sont deux hommes intelligents, qui ont bonne mine, mais il faut bien les démarquer sur quelque chose, donc sur leurs idées et leurs engagements. »

La défaite du PS en 2007, mise en perspective avec ce qui lui semblait être une victoire du « non de gauche » au référendum sur le traité constitutionnel en 2005, dut finir de convaincre Mélenchon qu'il était possible d'occuper une place politique « à la gauche du PS », laissée vacante par le recul électoral régulier du PCF. Dans cette perspective, en 2008, il décida donc de quitter le PS pour fonder le Parti de gauche et tenter une alliance avec le PCF en vue des élections européennes.

Le but du Front de gauche était de se démarquer suffisamment du PS tout en utilisant l'écœurement des classes populaires contre la droite au pouvoir, pour remettre au goût du jour les illusions sur la possibilité de peser sur un gouvernement de gauche en s'imposant comme une force électorale. Cette idée d'une « gauche de la gauche » n'est ni une nouveauté ni une invention de Mélenchon. Depuis des décennies, des partis ou des forces politiques espèrent occuper cette place. Du PSU au NPA, en passant par Juquin ou les Alternatifs, beaucoup s'y sont essayés. Mais en France, le poids du PCF a longtemps représenté un obstacle réel pour la formation d'une telle force politique.

Alors, la nouveauté avec le Front de gauche, c'est justement l'alliance entre Mélenchon et le PCF. Pour Mélenchon, il s'agissait de mettre au service de son ambition politique la seule force militante qui compte réellement à gauche. Pour la direction du PCF, cette opération avait l'avantage de tenter d'enrayer sa chute électorale et les pertes de positions dans les institutions bourgeoises qui s'ensuivaient.

Si le PCF reste, aujourd'hui encore, une force militante, les dernières décennies ont vu son poids électoral s'effondrer. Tout en occupant une place à part dans la gauche réformiste, du fait de ses origines, de ses liens avec la bureaucratie stalinienne et de son implantation dans la classe ouvrière, il a perdu une grande partie de son poids politique depuis la signature du programme commun entre Marchais et Mitterrand en 1972. Cela a marqué le début de son érosion électorale. En 1981, l'élection présidentielle aboutit à la victoire de Mitterrand, mais aussi au plus faible score électoral depuis la guerre pour le PCF, avec... 15,35 % des voix pour Georges Marchais. Malgré ce faible score, Mitterrand proposa au PCF des postes de ministres car il voulait le ligoter en l'attachant au char du gouvernement socialiste, et ainsi réduire son influence politique. Quant à Marchais et au PCF, cela faisait déjà bien longtemps que leur seule perspective politique consistait à chercher à participer à un gouvernement de gauche. Entre juin 1981 et juillet 1984, il y eut quatre ministres communistes dans le gouvernement Mauroy, qui assumèrent et cautionnèrent ainsi les mesures antiouvrières du nouveau pouvoir. Dès 1982, le blocage des salaires était décidé. En 1983, c'est un ministre communiste, Jack Ralite, qui mettait en place le forfait hospitalier. À la fin de cette année-là, la grève à l'usine automobile Talbot de Poissy (Yvelines) montrait comment la CGT aidait le gouvernement à faire accepter les plans de licenciements et à désarmer la classe ouvrière. Enfin, en 1984, le plan acier imposait 21 000 suppressions d'emplois dans la sidérurgie en Lorraine, s'ajoutant à celles de la fin des années 1970.

Les premières années de la gauche au pouvoir entraînèrent une forte démoralisation de la classe ouvrière. Les licenciements par centaines de milliers, les déréglementations financières, les économies réalisées par le gouvernement sur le dos de la population, tout cela contribua à la dégradation marquée des conditions d'existence des classes populaires. Mais surtout, cela se faisait alors que les directions de la CGT et du PCF mettaient tout leur poids pour justifier les mesures antiouvrières de Mitterrand et qu'ainsi les militants du PCF et de la CGT se sentaient ligotés par leur soutien au gouvernement de gauche comportant des ministres communistes. Dans cette période, des dizaines de milliers de militants politiques et syndicaux abandonnèrent le combat. Mais ils ne perdirent pas que leurs illusions électorales, ils perdirent aussi les seules perspectives qu'on leur avait offertes durant des décennies et abandonnèrent bien souvent leur engagement politique, se réfugiant dans le syndicalisme, dans des associations largement apolitiques comme ATTAC et, plus souvent encore, en cessant toute activité militante.

Le 19 juillet 1984, les ministres communistes quittèrent le gouvernement car le PC estima que les reculs enregistrés - la perte de villes comme Reims ou Nîmes aux élections municipales de 1983, 11,2 % aux élections européennes de juin 1984 -, et la diminution de l'influence dans la classe ouvrière devenaient trop préoccupants. Cela ne changea pas radicalement la politique du PC. Certes, il n'était plus directement responsable des actes du gouvernement, mais il resta solidaire de celui-ci.

En 1997, de nouveaux ministres communistes participèrent au gouvernement de la gauche plurielle de Jospin. Et aux élections présidentielles de 2002 (3,37 % pour Robert Hue) et 2007 (1,93 % pour Marie-George Buffet), le PC réalisa les pires scores à ce type d'élections de toute son histoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Il avait perdu son crédit politique et écœuré une partie de son électorat. Mais il restait, de par la fidélité de ses militants ouvriers, la seule force militante importante à gauche et gardait une véritable implantation locale dont Mélenchon voulait se servir pour réussir son opération politique.

Entre 2009 et 2012, le Front de gauche fraîchement créé se présenta à différentes élections. Aux européennes de 2009, il réalisa 6,5 % des voix, contre 5,88 % pour le PCF en 2004. Aux élections régionales de 2010, le FdG fit 7,49 % pour 17 listes, contre 6,78 % pour le PCF en 1999. Ainsi les scores de cette nouvelle formation n'étaient que faiblement en progression par rapport aux scores antérieurs du PCF.

Mais ces campagnes et les résultats électoraux obtenus convainquirent quand même la direction du PC de se laisser entraîner dans cette alliance. Elle faisait le calcul que Mélenchon obtiendrait de meilleurs scores à la présidentielle qu'un candidat du PCF, mais que, fort de cet élan électoral, cela permettrait à celui-ci de gagner de nouveaux postes en particulier aux élections législatives, qui profiteraient cette fois au parti et non au PG. Dire que le raisonnement ne sortait pas du cadre électoraliste est un doux euphémisme !

Alors, finalement lors de l'élection présidentielle de 2012, le PCF abandonna sa propre étiquette et se rangea derrière Mélenchon. Si, dans un premier temps, certains militants PC étaient sceptiques devant ce ralliement à un cacique socialiste, les sondages et l'enthousiasme suscité par la campagne vinrent facilement à bout de leurs réticences.

la campagne du Front de gauche : des accents radicaux pour dissimuler une politique qui ne cherche pas à dépasser les institutions

La campagne du FdG a certes rencontré un écho dans la population car il a dénoncé la dégradation des conditions de vie, le pouvoir de la finance, et les inégalités de plus en plus criantes. Mélenchon a dû, pour attirer et satisfaire l'électorat de gauche méfiant vis-à-vis de Hollande, multiplier les phrases grandiloquentes, faussement radicales. Mais gare à ceux qui se laissent bercer par des paroles bien assénées !

Le 18 mars 2012, des dizaines de milliers de personnes enthousiastes se sont retrouvées place de la Bastille pour un défilé qui se voulait combatif. Le discours de Mélenchon à cette manifestation donne un bel aperçu de ces phrases politiquement creuses : « Nous allons faire de cette élection une insurrection civique. » ; « Commencer la révolution citoyenne pour changer la vie du peuple qui patine et ouvrir la brèche qu'attend toute l'Europe de son volcan français. » ; « Oui ça se voit, ça se sent, ça se sait... le printemps est pour dans trois jours. Et chaque matin qui se lève, la lumière étend son domaine dans la journée, la nuit se replie, vienne le temps des cerises et des jours heureux. Tel est notre premier message ! »

Et quand Mélenchon ne fait pas des phrases creuses, c'est pour se lancer dans des envolées nationalistes au nom du « peuple français ». Quand il promet « plus aucun abandon de souveraineté sans référendum », quand il parle de « l'abjecte oppression (...) de l'infâme troïka », il reprend sans vergogne des thèmes chers aux souverainistes, qui se situent la plupart du temps à l'extrême droite. Rejeter la faute de la crise, des licenciements et des plans d'austérité sur l'Europe aboutit à se placer sur le terrain dangereux du nationalisme. Ces idées sont des poisons, surtout quand elles sont distillées par des militants ouvriers. Car ce nationalisme pointe du doigt l'étranger, le travailleur chinois, l'Europe, au lieu de dénoncer clairement le patron français, le capitalisme sans frontières, la course au profit. Alors, même si cela s'accompagne de propos justes contre le racisme, contre la chasse aux travailleurs sans papiers, les discours pour le protectionnisme, contre l'Europe et aux relents nationalistes jugent sur quel terrain se place Mélenchon. Pour la défense des intérêts ouvriers, il est indispensable de rejeter ces préjugés, ces idées qui exonèrent les capitalistes et fourvoient les travailleurs.

En réalité, le programme du FdG n'a rien de radical, encore moins de révolutionnaire. Même s'il comporte une série de revendications empruntées aux syndicats comme la retraite à 60 ans ou le smic à 1700 euros, c'est avec beaucoup de nuances. Quand Mélenchon s'adressait aux journalistes des Échos, à la veille du premier tour de l'élection présidentielle, il expliquait que les patrons n'avaient aucune raison de redouter une augmentation du smic car elle ne serait appliquée qu'en fin de mandature et pour les secteurs non soumis à la concurrence internationale. Autant dire qu'on était loin d'une revendication claire d'une augmentation générale des salaires.

Le programme du FdG évoque aussi la limitation des hauts salaires des PDG. Cela peut sembler une mesure utile, ou du moins juste. Mais c'est surtout une façon de ne pas s'attaquer réellement aux maîtres de l'économie, les grands capitalistes, ceux qui nomment les PDG et qui les rémunèrent : les Peugeot, Bettencourt, Dassault ou Mulliez. Dans le programme de Mélenchon, il n'y a rien pour expliquer comment s'attaquer à ces grandes fortunes, comment limiter leur pouvoir sur l'économie et la société.

Il en est de même pour l'interdiction des « licenciements boursiers », expression empruntée au PCF et qui ne signifie rien sur le fond. Pourquoi laisser entendre qu'il y aurait, comme pour le cholestérol, un bon capitalisme, celui de l'industrie, et un mauvais, celui de la finance, de la Bourse ? La famille Mulliez, par exemple, vient de décider la suppression de 1 600 emplois en France dans les magasins Auchan, mais Auchan n'est pas coté en Bourse. Alors, ces licenciements sont-ils condamnables ou pas ? L'expression de « licenciements boursiers » montre surtout sur quel terrain se situe Mélenchon.

Du point de vue des travailleurs, aucun licenciement ne se justifie, quelle que soit la raison du patron de le faire. Mais pour ceux qui tiennent à apparaître comme responsables aux yeux de la bourgeoisie, il est important de montrer qu'on raisonne en fonction des nécessités économiques, des enjeux de l'économie capitaliste. Alors pour Mélenchon, il y a une différence entre les licenciements qui se justifient par des difficultés économiques et les autres. De même qu'il existe aux yeux de ces gens-là des « patrons voyous » qu'on doit combattre... et les autres.

Quant à la lutte contre le pouvoir de la finance, Mélenchon n'a cessé de l'évoquer. Il fallait d'après lui « dompter et faire reculer la finance. » Diantre, quel programme ambitieux ! Mais concrètement, cela se résume à « une importante réforme de la fiscalité, des prélèvements obligatoires, mais aussi de la politique du crédit ». Il ne s'agit plus d'exproprier les banquiers, de reprendre leur pouvoir, mais de les taxer un peu plus. Enfin, sont envisagées « l'augmentation de l'impôt sur les fortunes et de celui sur les revenus du capital, la taxation des revenus financiers des entreprises, la mise en place d'un principe de modulation de l'impôt sur les sociétés et du taux des cotisations sociales patronales en fonction des objectifs d'emploi et de salaires des entreprises, la suppression des exonérations sociales patronales ayant montré leur inefficacité ».

Finalement, dans le même article Mélenchon a pu commencer par une envolée contre la finance pour finir par parler d'arrêter les exonérations inefficaces... ce que tout le monde peut traduire par poursuivre celles dont les patrons peuvent prouver l'efficacité !

Si les envolées contre la finance et les patrons voyous parlent à l'électorat ouvrier car elles semblent dénoncer ses ennemis et la dégradation de ses conditions de vie, elles ne représentent pas un programme réel pour les classes populaires. Toutes ces phrases, ces expressions ne sont pas floues par hasard. Si les discours de Mélenchon ont pu faire écho à la colère d'une partie des travailleurs, ils n'apportent aucun élément de compréhension des causes de l'exploitation, ni aucun élément de compréhension des luttes à mener. Car ce courant politique-là veut cantonner les combats à l'arène électorale. Et c'est particulièrement en cela que Mélenchon ne représente vraiment pas une perspective pour la classe ouvrière.

Sa grande idée durant sa campagne électorale, la « VIe République », est l'expression de cette acceptation des institutions bourgeoises comme seul cadre dans lequel agir. La solution miracle consistait à bâtir une nouvelle République qui deviendrait démocratique et sociale par la grâce des textes constitutionnels, rien de moins. Que n'y a-t-on pensé avant ! Pour rendre la société démocratique, pour faire en sorte que la population exerce le pouvoir, que les décisions prises aillent dans le sens des intérêts de la collectivité, point n'est besoin de toucher aux rapports de propriété, d'arracher le pouvoir économique des mains des capitalistes, des banques, des multinationales. Il suffirait pour cela de changer la Constitution et le tour serait joué !

Mais quelle Constitution permet aux capitalistes de s'enrichir sur notre dos ? Quel texte de loi leur permet de saccager la société, de licencier en masse, de fermer des entreprises et de spéculer contre les populations ? Aucun ! Leur force, leur pouvoir, les grandes banques, le grand patronat, la bourgeoisie ne les tirent pas d'un texte de loi ou d'une Constitution, mais du monopole qu'ils ont sur l'argent, sur les entreprises et sur toute l'économie. On ne combat pas ce pouvoir avec des mots, des mots seulement, on le combat sur le terrain bien réel des forces économiques et sociales. Ce sont les capitalistes qui dirigent dans la société et dans cette période de crise, encore plus qu'auparavant, ce sont eux qui imposent les choix politiques et économiques des gouvernements afin de préserver leurs profits. Les attaques contre les retraites, la baisse du nombre d'enseignants, d'infirmières, de conducteurs de trains et de bus, toutes ces mesures ont été prises par des gouvernements de gauche comme de droite parce que le patronat réclamait à l'État des milliards de subventions qu'il fallait bien prendre dans la poche des travailleurs. Et cela ne peut que continuer tant que les travailleurs n'arrêtent pas non seulement les gouvernements, mais surtout tant qu'ils ne se font pas craindre de la bourgeoisie.

Quand Mélenchon ou le FdG parlent des luttes sociales, c'est pour semer des illusions sur l'arrivée de la gauche au pouvoir, en faisant croire que la victoire électorale aura comme effet quasi automatique d'amplifier les luttes. Ainsi, le 20 avril, dans une interview à l'Humanité, Mélenchon expliquait : « Quelque chose bouge en profondeur dans le salariat de notre pays qui est en train de vaincre la peur. À l'heure où nous parlons, des luttes offensives pour l'augmentation du salaire, contre des cadences infernales, contre le travail du dimanche sont conduites. Ce sont des luttes de conquête. Le Front de gauche en est l'expression politique. Nous avons permis que ce mouvement prenne confiance en lui, non seulement syndicalement mais politiquement. Il va donc s'élargir. De plus, si nous battons Nicolas Sarkozy, ce sera un démultiplicateur d'énergie gigantesque. »

Semer de telles illusions est encore une façon de désarmer les travailleurs, car même dans ce cas de figure difficile à envisager sérieusement, celui d'une remontée des luttes due aux espoirs suscités par la victoire de la gauche, le FdG insiste sur la nécessité de la victoire électorale sans expliquer comment préparer les luttes. Même dans ce cas, sa politique consiste à présenter les luttes ouvrières comme annexes et non comme l'élément essentiel de notre avenir.

Mélenchon et le PCF sans autre perspective que la participation gouvernementale

Pour bien des électeurs ou des militants du PCF, le fait de voir affluer du monde dans les meetings et les manifestations a suffi à déclencher l'enthousiasme. Il s'agissait là pour eux d'une véritable dynamique qui allait tout balayer. Dans l'Humanité, au lendemain de la manifestation à la Bastille, Mélenchon affirmait avec sa modestie coutumière :

« Alors que tant de peuples n'ont pas l'outil politique efficace, comme le Front de gauche, pour résister à cette crise, nous l'avons fabriqué, patiemment, méthodiquement, sans a priori, en acceptant que le mouvement de la vie corrige les théories que l'on avait au début. Quel exploit ! Nous sommes devenus dépositaires d'un bien très précieux, unique en Europe. On nous regarde dans le reste du monde. Nous ouvrons une nouvelle histoire de la gauche et il faut en assumer toute la responsabilité. Car le patronat et Laurence Parisot ne s'y sont pas trompés qui ont vu en nous "la terreur"... pour les portefeuilles des patrons, en effet. Même l'instant d'une élection, ils ne veulent pas des rouges à 15 %. Ils s'interrogent : comment en est-on arrivé là en France, alors qu'ailleurs nous sommes arrivés à domestiquer les salariés ? À leurs yeux, nous avions déjà fichu la pagaille en 2005 en votant majoritairement contre le traité constitutionnel européen et l'on avait recommencé avec la mobilisation contre le projet de réforme des retraites en 2010. Pour eux, nous empêchons de se dérouler l'histoire du triomphe capitaliste libéral.

« Quelle que soit l'issue de la campagne, chacun en gardera la brûlure. On n'est plus le même qu'avant quand on a été confronté une fois dans sa vie à la Bastille remplie à l'appel d'organisations politiques, au Capitole archicomble et à la marée humaine de Marseille. Alors, on ne regarde plus la politique de la même manière ni l'action en politique. »

Où a-t-il vu le patronat trembler devant les scores du FdG ? Comment peut-on raconter que le référendum contre le traité constitutionnel a empêché le triomphe du capitalisme libéral ? Quant aux manifestations électorales qui brûlent et transforment la politique, qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Si ce discours n'était pas ridicule, il figurerait dans les annales les plus drôles des aveuglements de l'électoralisme. Et que dire de ce discours quand les ambitions électorales se sont dégonflées comme une baudruche. Même les 11 % de Mélenchon à l'élection présidentielle étaient loin des résultats électoraux du PCF dans le passé.

Non, il n'y avait pas de dynamique ni de contestation de la société, même électorale, autour du candidat Mélenchon. Au fond, ce qu'a fait Mélenchon avec cette campagne électorale et ses discours aux accents radicaux, c'est de ramasser des voix pour Hollande et pour le PS. Il a réussi à rallier en premier lieu l'électorat PCF. Il a aussi récupéré une partie des déçus de la gauche pour leur permettre un vote certes légèrement contestataire, mais un vote qui ne gêne pas Hollande, car il était assuré de récupérer ces voix dans n'importe quelles conditions au second tour. Et combien d'électeurs qui ont un temps envisagé de voter Mélenchon ont finalement voté Hollande directement car ils restaient fondamentalement sur cette perspective d'un « vote utile », d'un vote « pour un bon gouvernement de gauche » ? Et d'ailleurs, au soir du premier tour, Mélenchon a fait preuve d'un sens aigu des responsabilités vis-à-vis de son camp, la gauche gouvernementale. Il a appelé à voter Hollande, sans hésiter, mais surtout sans rien demander en échange car le calcul était très clair : il ne fallait pas gêner le candidat du PS dans sa pêche aux voix centristes, en lui réclamant des garanties.

Mélenchon et le PCF se sont tout de suite situés comme faisant partie de cette nouvelle majorité. Ils n'ont pas lésiné sur les tirades lyriques à propos de l'arrivée de la gauche au pouvoir. Dans l'Humanité du 7 mai, on pouvait lire sous la plume de Patrick Le Hyaric un article intitulé « En avant pour la réussite du changement à gauche » :

« Avec lui tout peut commencer. Nous souhaitons ardemment, dans l'intérêt de nos concitoyens, que la gauche réussisse, qu'elle s'attaque à la crise, qu'elle améliore la vie quotidienne de chacune et chacun (...) Une brèche vient de s'ouvrir qui libère des forces pour une République nouvelle, un pays apaisé, où chacune et chacun peut contribuer au changement. Ensemble, ce soir, partageons l'immense joie de la victoire. Ensemble, demain, partageons notre réussite commune. » Avec de tels écrits, le PC cautionne entièrement l'idée que le gouvernement PS représente un espoir pour les classes populaires.

De son côté, Mélenchon a refusé dès le début jusqu'à l'idée de participer au gouvernement avec Hollande. Ce n'est pas le signe d'une nouvelle radicalité, mais un calcul pour sa carrière politique. Tout le monde a en tête ce qui se passe en Grèce, et donc se rend compte que le gouvernement Hollande peut être discrédité en quelques mois seulement si la crise s'aggrave, si les capitalistes décident d'étrangler encore plus les États. Alors, si une période de troubles sociaux et politiques s'amorce, Mélenchon pourrait jouer sa propre carte. Il pourrait se poser comme une solution de rechange à gauche, une solution qui aura l'avantage de canaliser à nouveau les espoirs des classes populaires vers des solutions électorales, gouvernementales, non révolutionnaires. Et un Mélenchon qui a arpenté les allées du pouvoir durant des décennies, qui a été sénateur, ministre, député européen, bref un rejeton de la famille, cela n'aura pas de quoi inquiéter la bourgeoisie.

Son dernier coup en date, en se présentant aux élections législatives à Hénin-Beaumont contre Marine Le Pen, a été un fiasco. Il a voulu poursuivre sa nouvelle carrière de chevalier blanc de la classe ouvrière contre le Front national et ramener le combat contre le FN à un duel entre deux leaders politiques. Mais le pire dans cette histoire a été de faire croire, encore une fois, que le combat contre le FN est électoral. La gauche gouvernementale utilise depuis des décennies la peur légitime de la montée de l'extrême droite comme un épouvantail politique, pour ne pas parler du reste, pour finalement désarmer politiquement les travailleurs. Si le Front national des le Pen père et fille réalise des scores aussi élevés en France, c'est bien parce qu'à l'électorat d'extrême droite traditionnel dans ce pays viennent s'ajouter des électeurs des milieux populaires, déboussolés par la situation, en colère contre tous ces gouvernements qui n'ont rien fait pour améliorer leur sort, tout occupés qu'ils étaient à gérer les affaires de la bourgeoisie.

Alors, s'il est juste de dénoncer le FN comme un ennemi des travailleurs, en faire le combat principal c'est esquiver les vrais combats, c'est faire du radicalisme à bon compte. Non seulement la lutte contre la montée de l'extrême droite impose d'offrir des perspectives pour combattre le grand patronat, les capitalistes, mais surtout elle nécessite de rejeter toutes ces idées réactionnaires qui consistent à faire croire que les problèmes du chômage ou des bas salaires viennent de la concurrence chinoise, ou des règlements de la Commission européenne ! Combattre le chômage, les licenciements, la dictature des financiers sur l'économie, c'est mener la lutte de classe, c'est armer la classe ouvrière pour qu'elle affronte le patronat. Et dans ce combat, les idées nationalistes et antieuropéennes du PCF et de Mélenchon sont des poisons. Tout comme les illusions semées autour de l'arrivée au pouvoir de la gauche sont des freins à cette prise de conscience. Mais ce n'est absolument pas la préoccupation ni de Mélenchon, ni du PC.

Pendant que Mélenchon réfléchissait à sa carrière politique, le PCF réfléchissait à ses propres perspectives. La question d'accepter ou pas de participer au gouvernement PS s'est posée pour lui dans des termes différents. Toute sa politique se résume à cette perspective de participation gouvernementale et jusqu'aux législatives les tentations étaient fortes pour la direction du PCF. Mais les résultats électoraux des 10 et 17 juin le plaçaient vraiment trop dans une situation d'allié soumis du PS. Il était même évident que le soutien trop direct apporté à Hollande lui avait coûté des postes. Dans l'Humanité du 21 juin, un militant expliquait la défaite de l'ex-député PCF du Val-de-Marne, le maire d'Ivry-sur-Seine Pierre Gosnat, par le simple fait qu'il ait posé sur la photo de l'affiche électorale aux côtés de Hollande !

Dès le 18 juin, Pierre Laurent, tout en réaffirmant que « le parti se considérait dans la majorité de gauche et que ses membres ne seraient pas des empêcheurs de tourner en rond », annonçait que les conditions n'étaient pas réunies pour l'entrée de communistes dans le gouvernement Ayrault. Il n'oublia pas d'ajouter immédiatement : « La porte n'est pas définitivement fermée, nous restons disponibles si ces conditions évoluaient. » C'est dire que fondamentalement, même s'ils ne participent pas au gouvernement, le PCF comme Mélenchon se situent dans la majorité présidentielle soutenant un gouvernement qui se prépare pourtant à imposer la rigueur aux classes populaires.

Dans Où va la France ?, Trotsky écrivait en juin 1936, à propos de l'attitude du PCF vis-à-vis du gouvernement Blum, qu'il soutenait sans y participer : « Plus criminelle et plus infâme que tout est, dans cette situation, la conduite des communistes : ils ont promis de soutenir à fond le gouvernement Blum sans y entrer. "Nous sommes de trop terribles révolutionnaires, disent Cachin et Thorez ; nos collègues radicaux pourraient en mourir d'effroi, il vaut mieux que nous nous tenions à l'écart." Le ministérialisme dans les coulisses est dix fois pire que le ministérialisme ouvert et déclaré. En fait, les communistes veulent conserver leur indépendance extérieure pour pouvoir d'autant mieux assujettir les masses ouvrières au Front populaire, c'est-à-dire à la discipline du capital. »

La situation est certes très différente et le PCF ne représente vraiment plus la même chose aujourd'hui, mais l'assujettissement au capital n'est pas moindre.

Affirmer une perspective communiste et révolutionnaire

Avec la crise, le patronat mène sa guerre pour arracher ses profits sur notre dos. Et pendant ce temps, les milliards gagnés grâce à l'exploitation des travailleurs du monde entier sont jetés dans la spéculation financière et entraînent le monde dans la spirale de la crise et de ses soubresauts. L'économie capitaliste a été au bord du gouffre en 2008. Mais la spéculation se poursuit avec des sommes toujours plus grandes. Les causes de la catastrophe sont toujours présentes. Le patronat ne connait aucune solution face à la crise sauf de semer la misère dans les classes populaires. Dans les mois qui viennent, les capitalistes continueront à mener une guerre sans merci aux travailleurs. Et le gouvernement de gauche ne mènera pas une politique en opposition à leurs intérêts. Devant les annonces de plans sociaux, il montre déjà son refus de contraindre les patrons. Et l'annonce des premières mesures d'austérité dans les services publics n'est qu'une question de jours.

Alors, face à cette situation, ce qui compte vraiment pour l'avenir c'est de faire exister un courant politique qui se place clairement dans la perspective de combattre la bourgeoisie en ayant conscience de l'importance des enjeux. Le rôle des militants c'est de préparer ces luttes en développant la conscience qu'il est nécessaire de se défendre collectivement. Il est important que les communistes se fassent entendre, propagent l'idée que les travailleurs ne peuvent défendre leurs conditions d'existence et changer leur sort que par des luttes et des luttes massives. Les luttes qu'il est nécessaire de préparer sont celles qui visent à combattre ceux qui ont le pouvoir réel dans cette société, ceux qui possèdent, ceux qui dirigent les banques, les grands groupes capitalistes.

C'est pourquoi, seuls des communistes peuvent offrir des réelles perspectives à la classe ouvrière pour qu'elle mène ses combats tout en expliquant qu'il est nécessaire de renverser le pouvoir des capitalistes pour transformer la société en profondeur, développer la conscience communiste qu'il faut renverser le capitalisme pour que l'humanité ne crève pas de ses contradictions.

C'est pourquoi Lutte Ouvrière, dans ces élections, comme dans l'activité quotidienne de ses militants, a tenu aussi à défendre l'idéal communiste, la nécessité de renverser le capitalisme pour transformer la société dans le sens des intérêts de la collectivité. Même en sachant que ce drapeau ne regroupe qu'un faible nombre de travailleurs aujourd'hui.

C'est pour cela qu'il y a vraiment un fossé entre les perspectives représentées par Mélenchon et le Front de gauche d'une part, et les perspectives communistes d'autre part.

26 juin 2012

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