La crise économique : quelques questions débattues18/01/20152015Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2015/01/165.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

La crise économique : quelques questions débattues

Politiques d'austérité, politiques de relance : les deux bouts d'un même bâton pour frapper les exploités

Une phrase du texte sur la situation intérieure : « Une politique d'investissements publics et de grands travaux, à condition qu'elle se fasse sous le contrôle de la population, est certainement plus utile pour la société que la saignée des intérêts à verser au capital financier » a fait l'objet de multiples interprétations dans plusieurs assemblées locales.

Certains camarades ont estimé que cette formulation laissait à penser que nous prenions parti pour une politique de relance par rapport à la politique d'austérité. D'autres se sont demandé : si les organisations réformistes mettaient en avant une politique de grands travaux, est-ce que l'on dirait oui, à condition que ce soit sous le contrôle des travailleurs ? Des camarades ont même vu là une concession au Parti communiste ou au Front de gauche.

Il n'est évidemment pas question de cela. D'abord, l'essentiel du point que nous développons ici est d'expliquer en quoi la politique d'austérité, d'un côté, et la politique de relance, de l'autre, que l'on présente parfois sous la forme de la politique de l'offre et la politique de la demande, ne sont pas deux politiques opposées. Ce sont deux politiques qui peuvent être menées dans une période de crise au profit de la bourgeoisie. Elles ne sont contradictoires que dans le sens où il n'y a pas d'argent dans les caisses de l'État pour mener massivement les deux de front.

Cette question mérite en effet qu'on y consacre un développement plus long. Au moins pour deux raisons. D'abord, parce que la revendication d'une « bonne politique industrielle » fait partie depuis un bon bout de temps de la politique du PCF et de la CGT.

Je vous lis un passage d'un tract de la CGT qui fait la publicité pour un document signé « Confédération européenne des syndicats » et qui s'intitule « Un contrat social pour l'Europe ». Rien que ça !

Voici cette prose : « L'ensemble des syndicats européens fait des propositions chiffrées pour consacrer 2 % du PIB européen pendant dix ans à la relance de l'investissement industriel. Cela permettrait de créer durablement 11 millions d'emplois de qualité.

Aux politiques d'austérité qui échouent, au développement de la précarité, il existe des alternatives de progrès et de retour au plein-emploi. Elles sont portées par le syndicalisme. Pour qu'elles soient prises en compte par les gouvernements et le patronat européen, il faut que les salariés s'en mêlent ! »

C'est bien un langage de réformistes qui mendient auprès du gouvernement et du patronat européen la prise en considération de leurs propositions si brillantes !

Pourquoi le patronat européen les écouterait-il ? Les réformistes ne se posent même pas la question. Mais l'expression « il faut que les salariés s'en mêlent » est une façon de dire, toujours avec le même langage mièvre des réformistes, que les travailleurs, au lieu de se battre pour leur peau, pour leurs revendications vitales, pour s'opposer aux licenciements et au chômage, pour revendiquer des salaires qui permettent de vivre, doivent se battre pour que les patrons veuillent bien prendre en compte la politique industrielle préconisée par les chefs syndicaux.

Nous combattons ce genre de politique. Cela ne date pas d'aujourd'hui. Ce qui donne cependant une certaine actualité à cette prose, c'est que, depuis quelque temps, c'est la bourgeoisie elle-même qui met en avant cette question, ce qu'illustre notamment le plan Juncker.

Ce plan est complètement bidon. Le Canard enchaîné a trouvé le titre qui résume la situation : « Le plan Juncker : peu de savon, beaucoup de mousse. » On brandit le chiffre de 315 milliards consacrés aux investissements productifs. Mais, en fait, les États européens sont seulement sollicités afin de débloquer 16 milliards, pour assurer aux éventuels investisseurs privés que leurs éventuelles pertes seront comblées par l'État.

Une fois de plus, il s'agit d'« inciter » les possesseurs de capitaux, qui, comme chacun sait, souffrent d'une grave « aversion au risque », à investir leur argent dans la production.

On sait l'efficacité de toutes les politiques qui consistent à « inciter » les capitalistes à faire ceci ou cela, à investir, à embaucher, etc. On nous sert cette chanson depuis le début de la crise, avec le résultat que l'on connaît. La seule nouveauté, c'est qu'il s'agit d'un projet européen (au demeurant, seulement un projet).

Mais il y a bien des raisons de penser que, dans les mois qui viennent, on entendra parler de cette politique et que cela donnera aux réformistes de certaines franges semi-oppositionnelles du PS, du PC, de la CGT, aux mélenchonistes et tutti quanti, des raisons de s'agiter sur ce terrain. Puisque même les institutions officielles parlent d'investissements publics pour relancer la croissance, c'est que leurs propositions sont géniales !

Reparlons donc de cette prétendue politique de relance. Pas seulement en fonction de la façon dont cela s'amorce actuellement, mais reparlons aussi de la façon dont des politiques de ce type ont été menées lors de la Grande Dépression qui a suivi la crise de 1929 et des résultats auxquels elles ont abouti.

Plusieurs pays impérialistes ont tenté à l'époque de pallier l'effondrement des investissements privés par des investissements d'État. Le New Deal aux États-Unis et, plus encore, la politique économique du gouvernement nazi en Allemagne ont constitué deux variantes de cette politique.

L'État finançait les investissements pour de grands travaux. Cela allait de la construction d'autoroutes au drainage et à l'assèchement de certaines régions, en passant par de grandes infrastructures concernant les chemins de fer ou la production d'électricité (les temps changent : aujourd'hui, le plan informatique, la construction de lanceurs de satellites ou encore la « transition énergétique » s'ajoutent à la modernisation des infrastructures routières !).

Ces financements étaient assurés par l'endettement croissant des États, par la hausse des impôts et, surtout, sous des formes techniques diverses, par la planche à billets, c'est-à-dire par l'inflation. Cette politique avait de toute façon des limites étroites.

La crise exprime le fait que le développement de la capacité de production se heurte aux limites de la demande solvable. Quand le marché est insuffisant, l'État capitaliste ne peut pas le remplacer. La demande venant de l'État, même d'un État capitaliste disposant de puissants moyens, est dérisoire par rapport à la demande de l'ensemble de la société. En outre, pour rendre sa demande « solvable », c'est-à-dire pour disposer du financement nécessaire, l'État doit le prélever sur la société (par le biais des impôts, etc.). Il le prélève sur les classes populaires, sur celles précisément dont la consommation insuffisante provoque le rétrécissement du marché, réduisant encore plus la consommation solvable. En réalité, l'État n'a pas pour fonction d'élargir le marché mais de modifier la répartition du profit à l'intérieur même de la classe capitaliste en faveur des groupes industriels et financiers les plus puissants, les plus liés aux sommets de l'État.

L'étatisme capitaliste ne pouvait relancer et n'a pas relancé l'ensemble de la machine économique. Il était destiné surtout à sauver la mise au grand capital. Dans l'Allemagne nazie, où l'étatisme capitaliste a été poussé le plus loin, il était axé sur la préparation de la guerre et avait pour fondement politique la mise au pas violente de la classe ouvrière. La militarisation de l'économie a impliqué toute une organisation économique qui consistait à constituer des cartels de manière autoritaire pour répartir les matières premières comme les marchés intérieurs, ce qui revenait à mettre les capitalistes petits et moyens sous la coupe du grand capital.

Dans tous les pays, le financement de cet étatisme économique s'est fait sur le dos de la classe ouvrière en premier lieu, et finalement de toutes les classes laborieuses, artisans, petits commerçants, paysans, par le biais des prix, des impôts et des bas salaires. Il ne faut pas oublier non plus que cet étatisme était lié à une politique protectionniste plus ou moins rigoureuse suivant les pays impérialistes. Et si elle correspondait aux intérêts du grand capital d'un pays donné, elle a constitué un frein supplémentaire au commerce mondial et, par conséquent, elle a été non pas une solution à la crise économique mais un facteur d'aggravation.

Pendant la crise de 1929, même la politique de grands travaux n'a pas diminué de façon significative le chômage. Aux États-Unis par exemple, le chômage de la population active non agricole a dépassé par moments officiellement les 35 %. Même pendant la période de légère reprise entre les phases les plus graves de la crise, il n'est jamais descendu au-dessous de 20 %.

À l'échelle de l'ensemble des grands pays industriels de l'époque, la production n'a retrouvé le niveau de production d'avant la crise qu'en 1938, et essentiellement grâce à la course aux armements, puis à la guerre. (...)

Avec la financiarisation actuelle de l'économie, les limites de ces tentatives de relancer la demande par des investissements étatiques sont plus étroites encore qu'au temps de la Grande Dépression. Une part plus grande des budgets est consacrée au paiement des intérêts. Ces deux formes de dépenses sont en concurrence. Les États des puissances impérialistes seront amenés à jongler entre les deux, à doser, d'une part, ce qui dans le budget de l'État ira à la finance et, d'autre part, ce qui ira au grand capital industriel. La rigueur budgétaire est destinée à rassurer les marchés financiers sur le fait que l'État pourra continuer à verser, rubis sur l'ongle, les intérêts de ses emprunts, mais aussi que l'inflation ne diminuera pas la valeur réelle de ces intérêts. Mais comment faire pour dégager en même temps sur le budget les sommes nécessaires au financement des grands travaux ?

C'est, en gros, les nuances de ces dosages qui séparent les politiques respectives de l'Allemagne et de la France. Il s'agit de deux façons de venir au secours du grand capital. Car il ne faut jamais oublier que, derrière le capital financier comme derrière le capital industriel, il y a les mêmes groupes capitalistes, le même grand capital, c'est-à-dire la même grande bourgeoisie.

C'est dire que, contrairement à ce qu'affirment les réformistes en tout genre, il ne s'agit pas de deux politiques alternatives dont l'une serait plus favorable aux classes populaires. Il s'agit de deux façons d'aider le grand capital. C'est sur la classe ouvrière, et plus généralement sur les classes populaires, que sera prélevé de quoi financer l'une ou l'autre de ces politiques, ou, plus exactement, les deux en même temps avec un dosage variable suivant les circonstances. Il s'agit, dans les deux cas, d'étrangler les classes exploitées, d'ailleurs sans que cela puisse relancer l'économie.

Les commandes étatiques servent pour l'essentiel à drainer vers le grand capital les profits réalisés dans l'ensemble de l'économie, mais pas à surmonter la crise. En cas de grands travaux, à qui iront les commandes d'État ? En matière militaire, c'est tout vu : aux Dassault et consorts. Et en matière civile, comme les infrastructures ou les logements, des dépenses certainement préférables, ce sont les Bouygues, Vinci et compagnie qui décrocheront les contrats, et non pas les artisans-maçons du coin, ni même les petites entreprises. Celles-ci n'auront que quelques retombées, des miettes...

À propos des revendications à mettre en avant

Les revendications à mettre en avant sont inspirées par celles contenues dans le Programme de transition. Ce sur quoi nous mettons l'accent dans l'activité quotidienne dépend de l'évolution de la crise elle-même, de sa gravité pour la classe ouvrière et de la conscience que celle-ci en a. Ces revendications pourront varier avec une aggravation brutale de la crise.

Pour ne prendre que cet exemple, la revendication de l'interdiction des licenciements correspond tout à fait à la situation où en est la crise aujourd'hui. Pour le moment, elle garde toute sa valeur de propagande et, dans le cas d'entreprises qui ont des plans de licenciement, toute sa valeur d'agitation, et, en cas de mobilisation, elle peut devenir un objectif de combat. Mais ce n'est pas pour rien qu'il n'y en a pas trace dans le Programme de transition. Et pour cause : à des périodes comme celle de la fin des années 1930, quand Trotsky élabora le Programme de transition, où 30 % des travailleurs, et en réalité bien plus, sont au chômage, où les usines ferment les unes après les autres et où l'économie s'effondre, l'interdiction des licenciements perd sa pertinence.

Aujourd'hui, ce mot d'ordre est sans doute celui qui est le plus facilement compris, en tout cas par tous ceux qui sont menacés de chômage et pour qui des revendications comme le contrôle ouvrier sur l'industrie apparaissent infiniment plus abstraites.

Mais l'aggravation de la crise rendra indispensables et en même temps plus compréhensibles les revendications les plus révolutionnaires, c'est-à-dire toutes celles qui mettent directement en cause le pouvoir de la bourgeoisie sur les entreprises et sur l'économie.

Nous ne sommes pas encore dans une période où la gravité de la crise est telle que la mise en cause du pouvoir de la bourgeoisie sur les entreprises puisse apparaître comme une nécessité, ne serait-ce qu'aux yeux d'une minorité de travailleurs. Mais nous, dans notre propagande et dans nos discussions, nous devons anticiper et insister sur cet aspect des choses.

Et nous devons avoir en tête en permanence que, dans le contexte d'aujourd'hui où dominent encore parmi les nôtres la perte de repères, voire la résignation, le fatalisme, les aspects les plus révolutionnaires du Programme de transition peuvent être vidés de leur sens et transformés en leur contraire par la pression réformiste. Le contrôle ouvrier sur la production peut être traduit comme la revendication d'un rôle accru des comités d'entreprise, et l'échelle mobile des salaires, comme un article du Code du travail, du genre du smic.

Nous devons donc, chaque fois que faire se peut et que la discussion nous le permet, aboutir à la mise en cause de la bourgeoisie, du grand patronat, des banquiers et de leur pouvoir dictatorial sur les entreprises comme sur l'ensemble de l'économie. Sous leur direction, l'économie va à la catastrophe.

La politique des grands travaux : comment Trotsky posait-il le problème ?

Et puisqu'on vient de parler de grands travaux comme d'une solution pour la bourgeoisie, que nous critiquons comme telle, il faut préciser un certain nombre de choses.

Il nous est arrivé à certaines élections de défendre l'idée de grands travaux, principalement en matière de logement, non pas comme un moyen de surmonter la crise mais comme un moyen de répondre à un besoin élémentaire. Il s'agissait d'une position propagandiste pour expliquer simplement que les moyens existent pour résoudre le problème, aussi bien les moyens financiers que la main-d'œuvre qualifiée disponible. Et si la bourgeoisie ne le résout pas, ce n'est pas faute de moyens, c'est parce que l'économie capitaliste fonctionne avec des critères tout à fait différents des besoins de la population, des critères de profit.

Dans les discussions d'aujourd'hui sur les grands travaux, on n'entend que la bourgeoisie ou des politiques et des économistes qui se placent sur le terrain de la bourgeoisie. Bien sûr, même limités à ce cadre, il n'est pas indifférent pour la société que les grands travaux en question servent à fabriquer des chars d'assaut ou des équipements ferroviaires, des infrastructures routières. Bien sûr, il est préférable pour la société que les grands travaux répondent aux besoins de la population. Mais cela ne doit signifier en aucun cas un soutien à la bourgeoisie ou à son choix politique momentané.

Dans l'économie capitaliste, même avec le poids croissant de la finance, il y a quand même une production, et c'est la classe capitaliste seule qui fait ce choix de fabriquer et de vendre ou pas des choses utiles à la population. C'est même une lapalissade de constater cela. Jusqu'à nouvel ordre, c'est la bourgeoisie qui décide de tout. C'est pour cela, soit dit en passant, que la proposition d'une « bonne politique industrielle » n'est pas fausse mais stupide.

Voyons comment Trotsky en parle dans le Programme de transition : « La lutte contre le chômage est inconcevable sans une organisation large et hardie de grands travaux publics. Mais les grands travaux ne peuvent avoir une importance durable et progressiste, tant pour la société que pour les chômeurs eux-mêmes, que s'ils font partie d'un plan général, conçu pour un certain nombre d'années. Dans le cadre d'un tel plan, les ouvriers revendiqueront la reprise du travail, au compte de la société, dans les entreprises privées fermées par suite de la crise. Le contrôle ouvrier fera place, dans ces cas, à une administration directe par les ouvriers. »

Trotsky ne rejetait pas la politique de grands travaux et même l'exigeait. Mais il ne la séparait pas de l'idée d'un contrôle ouvrier, voire de « l'administration directe par les ouvriers ».

En d'autres termes, il s'adresse là à une classe ouvrière révolutionnaire revendiquant le pouvoir. Comme l'avait fait Lénine dans La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer, écrit en septembre 1917, lorsque le prolétariat russe était aux portes du pouvoir. Et tout le problème est là.

Dans les années 1944-1945, lorsque les staliniens faisaient taire les ouvriers au nom des nécessités économiques, au nom de la nécessité de rétablir l'électricité, de produire du charbon pour que l'économie redémarre, et plus encore pour qu'on reconstruise, qu'on répare ce que la guerre avait détruit, d'un point de vue technique, ils avaient raison. Cela pouvait beaucoup ressembler à ce que les bolcheviks proposaient en 1918-1919 au pouvoir soviétique. Nous connaissons tous cette expression de Lénine : « Le communisme, c'est les soviets plus l'électricité. » Il n'oubliait pas l'électricité. Mais les staliniens en 1944-1945 ne parlaient pas de soviets...

Le problème fondamental est : quelle classe sociale exerce le pouvoir, étant bien entendu que la classe ouvrière au pouvoir cherchera à produire en fonction des besoins réels de la population, et pas en fonction du profit, et que le pouvoir ouvrier construira des logements plutôt que des yachts, des villas de milliardaire, des jets privés et des produits de luxe pour la classe privilégiée.

Qu'il s'agisse de propagande ou, avec l'aggravation de la crise, d'agitation, la politique que nous avons à proposer aux exploités a pour fondement l'idée que, sous la direction des travailleurs et sous leur contrôle, toute l'économie serait mille fois mieux organisée que sous celle de la bourgeoisie capitaliste.

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