France - La « compétitivité », habillage de la guerre de classe capitaliste20/01/20142014Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2014/01/couv157_0.png.484x700_q85_box-27%2C0%2C1300%2C1841_crop_detail.png

France - La « compétitivité », habillage de la guerre de classe capitaliste

Au nom de la compétitivité, le gouvernement de Hollande a fait voter en 2013, à partir d'un Accord national interprofessionnel (ANI), une loi dite « sur la sécurisation de l'emploi » entérinant et légitimant les accords de compétitivité que le patronat voudrait imposer. Partout, ces accords aboutissent à des reculs importants pour les travailleurs, des baisses de salaires, des augmentations du temps de travail, des attaques contre les congés, plus de flexibilité et de productivité. Dans le même temps, toujours au nom de la compétitivité, les gouvernements successifs n'ont cessé d'accroître les cadeaux aux capitalistes. Le gouvernement Hollande a de son côté décidé en 2013 la création du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) qui rapportera à terme quelque 20 milliards d'euros par an aux entreprises. Ainsi, le seul résultat de cette politique de recherche de compétitivité a été l'explosion des dividendes versés aux actionnaires ces dernières années.

Depuis des années, les capitalistes, relayés par les économistes, les journalistes et les politiciens à leur service, ont fait de la compétitivité leur cheval de bataille. Tous entonnent le même refrain sur le manque de compétitivité des entreprises en France et sur la nécessité d'y remédier, seule façon, selon eux, de relancer leur économie. Cette propagande, assénée matin, midi et soir à toute la population, vise à faire accepter une aggravation de l'exploitation pour la classe ouvrière. Dans cette période de crise économique, la compétitivité n'est rien d'autre que le drapeau sous lequel le patronat poursuit sa guerre contre la classe ouvrière.

La notion de compétitivité fait d'autres dégâts, par certains aspects plus graves encore, dans la conscience ouvrière. Au nom de la compétitivité, les patrons voudraient convaincre les travailleurs qu'ils partagent avec eux des intérêts communs face à la concurrence internationale. Ils voudraient ainsi dresser les travailleurs des différents pays les uns contre les autres. Que la bourgeoisie et ses avocats cherchent à nier l'antagonisme fondamental entre ses intérêts et ceux des travailleurs est dans l'ordre des choses. Mais cette propagande est d'autant plus pernicieuse qu'elle est reprise par les dirigeants des partis de la gauche gouvernementale et par certains dirigeants syndicaux. Cela fait longtemps que l'intégration des syndicats à la société bourgeoise s'est traduite par un abandon des valeurs du mouvement ouvrier, et en premier lieu l'idée fondamentale de l'unité des travailleurs de tous les pays. Et quand ces directions syndicales distillent les idées bourgeoises au sein du mouvement ouvrier, ils contribuent encore à faire reculer les consciences et à entraver les capacités de réaction de la classe ouvrière.

La libre concurrence, ou la guerre de tous contre tous

Au sens large, la compétitivité désigne la capacité à affronter la concurrence avec succès. Autant dire que si le mot compétitivité est en lui-même assez récent, l'idée est aussi vieille que le capitalisme.

Dans les premiers temps du capitalisme, quand il permettait un développement de l'économie mondiale, la concurrence était le moteur des progrès de ce système. Elle l'était car elle représentait un puissant facteur de destruction des éléments les plus faibles ou les plus archaïques par les plus performants, les plus compétitifs diraient les experts d'aujourd'hui. Cela a fait naître les mots pour la décrire. L'adjectif anglais « competitive », apparu en 1829, a donné le français « compétitif » en 1907.

Durant tout le 19e siècle, la concurrence économique s'est traduite par une lutte acharnée entre capitalistes pour gagner des parts de marché, pour écraser les adversaires. Dans cette période, les pays les plus modernes se faisaient les fers de lance de la libre concurrence pendant que ceux arrivés plus tardivement dans la course capitaliste cherchaient à se protéger de cette concurrence impitoyable en usant de diverses formes de protectionnisme. Alors que la Grande-Bretagne, dont l'industrie était alors la plus performante et les entreprises capitalistes les plus concurrentielles sur le marché international, se voulait le pays par excellence de la libre concurrence, elle imposait par la force la destruction des métiers à tisser indiens pour accaparer le marché en Inde.

La concurrence dans le système capitaliste a toujours été la guerre de tous contre tous, même au temps où elle permettait un réel dynamisme économique. Bien souvent, cette guerre économique était accompagnée de guerres tout court, dans lesquelles toutes les armes étaient bonnes et où les États servaient déjà les intérêts de leurs capitalistes.

À la fin du 19e siècle, cette fameuse concurrence-moteur de l'économie capitaliste a entraîné le développement des monopoles capitalistes, et de l'impérialisme, qui loin d'éliminer la concurrence, la placèrent à un niveau plus élevé. Cette concurrence acharnée entre puissances impérialistes aboutit à la lutte des États européens pour les conquêtes coloniales à travers le monde entier. Et, finalement, cette lutte entre puissances impérialistes s'est traduite par des guerres mondiales pour le repartage du monde.

Durant toute la première moitié du 20e siècle, les empires coloniaux représentaient un atout pour les États impérialistes qui les possédaient : ils pouvaient imposer leurs lois, leurs marchandises et leur exploitation dans ces véritables chasses gardées. Mais cela eut pour conséquence que la Grande-Bretagne et la France, pour citer les principaux, purent durant des décennies vivre sur le dos des peuples colonisés sans se préoccuper de moderniser leurs appareils productifs. Leur déclin se trouvait en partie camouflé par la rente qu'ils tiraient de leur position de monopole, pendant que des changements s'opéraient dans les rapports de force économiques à l'échelle internationale.

Quand, dans la seconde partie du 20e siècle, la révolte des peuples colonisés mit fin à ces empires coloniaux, les puissances européennes se retrouvèrent confrontées à la concurrence internationale sans l'avantage que leur procuraient les possessions coloniales.

Les mots suivant les faits, le terme « compétitivité » naquit en France en 1960, année des indépendances africaines. Pour autant, la bourgeoisie n'avait ni la volonté ni la possibilité d'affronter la concurrence internationale en développant elle-même son industrie. C'est l'État qui prit en charge une grande partie de la modernisation de l'appareil productif pour rendre les entreprises capitalistes françaises plus concurrentielles. De Gaulle et son commissariat au Plan poussèrent les capitalistes français vers les technologies de pointe, tels l'aéronautique et le nucléaire.

La bourgeoisie n'a pas les yeux rivés sur la compétitivité mais sur la façon d'accroître l'exploitation

Avec la crise économique des années 1970, la classe capitaliste a pu de moins en moins espérer maintenir ses profits en comptant sur le dynamisme de son économie, sur de nouveaux élargissements du marché solvable, ou grâce à des investissements productifs. La course des capitaux vers les placements financiers, la financiarisation de l'économie, est devenue le mode d'existence du capitalisme. Mais même dans le cadre de ce système de plus en plus parasitaire, les profits ne peuvent naître que du travail humain, de la production.

Depuis les débuts de la crise, la bourgeoisie n'a pu rétablir ses taux de profit qu'en menant la guerre à la classe ouvrière, en aggravant l'exploitation, en bloquant les salaires, en intensifiant le rythme du travail, en s'appuyant sur la crainte du chômage. Ce qu'elle cherche, par tous les moyens, c'est augmenter la plus-value globale. C'est-à-dire augmenter le temps de travail ainsi que la productivité. Dans cette lutte acharnée, l'accord sur la flexi-sécurité, dit ANI, signé en janvier 2013 par plusieurs confédérations comme la CFDT, la CFTC ou encore la CGC, a constitué un recul important pour le monde du travail, que le gouvernement a vite officialisé sous forme d'une loi en mai 2013. Certes, les patrons n'ont pas besoin du législateur pour attaquer les travailleurs mais cette loi les a renforcés et a favorisé la multiplication des attaques. Il serait impossible de faire une liste exhaustive des accords imposés depuis en s'appuyant sur l'ANI. Quelques exemples permettront d'illustrer leurs effets dévastateurs.

Des accords de compétitivité

L'entreprise Plastic Omnium possède en Ardèche trois usines comptant 1 100 salariés, auxquels s'ajoutent actuellement plus de 400 intérimaires. Cette entreprise fabrique des pièces en plastique thermoformées pour les camions (parties de cabine, hayons). Elle a pour clients Mercedes, Renault, Volvo Trucks et Volkswagen. Plastic Omnium, loin d'être en difficulté, est devenu le premier équipementier automobile d'Europe, présent aux quatre coins de la planète. Son chiffre d'affaires, de près de 5 milliards d'euros en 2012, est en augmentation de plus 14 %. Grâce à cela, la famille propriétaire, la famille Burelle, est passée de la 104e place des fortunes françaises en 2011 à la 59e place en 2012. Et cette entreprise très profitable a organisé un chantage pour imposer aux salariés la suppression de trois jours de RTT, l'arrêt du versement de la participation jusqu'en 2015 soit une perte d'au moins 500 euros par an, le gel des salaires en 2013, tout en recourant à près de 90 licenciements. Pour justifier ces sacrifices, la direction a prétexté le sauvetage de 300 à 400 emplois qu'elle menaçait, elle-même, de délocaliser en Allemagne. Plusieurs centaines de travailleurs sont restés opposés jusqu'au bout à ce chantage, mais l'accord, signé début 2013 par une partie des syndicats a fini par être imposé.

Une autre entreprise, spécialisée dans la production de radiateurs automobiles, Behr France à Rouffach en Alsace, a commencé par organiser toute une campagne, avec l'aide de certains syndicats, menaçant les travailleurs de licenciements s'ils n'acceptaient pas la perte de dix jours de RTT, un gel des salaires pendant trois ans et une baisse des effectifs de 10 %. Il y eut des réactions de la part des travailleurs et, lors d'un référendum organisé par la direction, 40 % des travailleurs repoussèrent ses propositions. Finalement, la direction, profitant de la loi du gouvernement socialiste, réussit à imposer un accord de compétitivité, avec le gel des salaires pendant deux ans et la perte de cinq jours de RTT sur quinze, contre la promesse de ne procéder à aucun plan de suppression d'emplois dans les deux ans.

Ces accords rencontrent de fortes oppositions des travailleurs qui ne cèdent pas au chantage patronal.

Aux chantiers navals STX de Saint-Nazaire, qui comptent encore près de 2 000 salariés, dont 800 ouvriers, la direction a voulu faire passer un projet qui visait à réduire de 5 à 10 % la masse salariale, en imposant vingt minutes de travail supplémentaires non payées par jour, une modulation des horaires hebdomadaires de 0 à 48 heures sans paiement d'une majoration pour le travail effectué au-delà des 35 heures par semaine, et une baisse des primes. En juin 2013, la direction a dû reculer face à la réaction des travailleurs, tout en continuant à tenter d'imposer son accord.

Chez Renault, le projet d'un accord de compétitivité voulu par la direction a donné lieu, au début de l'année 2013, à des mois de lutte des travailleurs des différentes usines du groupe. Les ouvriers ont réussi à faire reculer la direction sur la question de la mobilité forcée entre usines du groupe. Sur le reste, l'accord de compétitivité comporte des reculs importants. Il se traduira par la perte de nombreux jours de congé, jusqu'à 21 jours dans certaines usines. La flexibilité très importante, qui avait été imposée dans les années précédentes en contrepartie de ces jours de congé volés aujourd'hui, ne disparaît pas, loin de là. Les salaires sont gelés durant trois ans. Et enfin l'accord prévoit une baisse des effectifs de 15 %. 8 200 emplois doivent être supprimés, sous prétexte de garantir la pérennité des sites, pendant que l'entreprise verra ses bénéfices augmenter de 500 millions par an, rien qu'avec ces accords et sans parler de l'aggravation de l'exploitation liée aux augmentations de cadences, etc.

Partout, les accords signés aboutissent à des résultats similaires, de véritables reculs pour toute la classe ouvrière. Les salaires sont bloqués ou diminués et des primes supprimées. Les horaires de travail s'allongent avec une plus grande flexibilité. Dans certaines entreprises, le patronat veut introduire la flexibilité de la journée de travail, l'overtime, avec comme conséquence que les travailleurs savent à quelle heure ils embauchent, mais pas à quelle heure ils finiront leur journée de travail. Les RTT et les jours de congé sont volés. Enfin, les travailleurs sont contraints à une plus grande mobilité entre les sites.

À travers ces accords, les capitalistes comptent accaparer des milliards d'euros supplémentaires sur l'exploitation de la classe ouvrière. Peu à peu ou brutalement, ils reprennent ce qu'ils avaient dû céder dans les décennies précédentes. La crise économique a mis encore plus à nu les mécanismes sur lesquels repose l'exploitation capitaliste.

La bourgeoisie, en menant un combat contre les conditions d'existence de la classe ouvrière, arbore le drapeau de la compétitivité pour faire passer sa propagande sur la nécessité de se protéger de la concurrence internationale. Cette idée vise à désarmer politiquement les travailleurs en semant les éléments de la division. Et dans cette tentative, elle est soutenue par les dirigeants du Parti socialiste au pouvoir et par bien des responsables syndicaux. Le PS a fait de la compétitivité son propre combat, répétant à longueur de journée qu'il faut aider les entreprises à gagner en compétitivité pour créer des emplois demain. Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, s'est fait le chantre de ce genre de discours réactionnaire en direction des classes populaires, pendant que le ministre des Finances Moscovici et son collègue Sapin arrosent largement le patronat. Au prétexte d'aider les entreprises face à la concurrence internationale, le gouvernement Hollande a décidé de verser, à partir de 2014, jusqu'à 20 milliards d'euros par an dans les caisses patronales, sous la forme du CICE. Cette exonération d'impôts rapportera entre deux et trois milliards d'euros annuels à la grande distribution, nullement concernée par les délocalisations, mais très concernée par la défense de ses profits.

Les hommes de la bourgeoisie qui entonnent ces refrains ne font que leur travail d'une certaine façon. Mais quand ce sont les dirigeants syndicaux qui reprennent les mêmes discours, ils contribuent à affaiblir encore plus la classe ouvrière, déjà frappée par le chômage, des années de crise économique, et les multiples trahisons politiques et morales de ceux qui disent parler en son nom.

Les responsables syndicaux relaient les valeurs de la bourgeoisie dans la conscience ouvrière

L'intégration des syndicats dans la société bourgeoise, commencée avec le développement de l'impérialisme et poursuivie tout au long du 20e siècle, ainsi que la trahison des partis socialistes, puis communistes, ont abouti à un recul profond du mouvement ouvrier conscient. Les partis et syndicats qui, dans un lointain passé, ont aidé la classe ouvrière à forger sa conscience de classe sont aujourd'hui les meilleurs relais des idées de la bourgeoisie au sein des classes populaires. Le patriotisme économique défendu par les hommes politiques de la bourgeoisie et repris par les responsables syndicaux est un des exemples de cette introduction des valeurs bourgeoises au sein du mouvement ouvrier. La défense de la compétitivité des entreprises françaises en est un autre.

Dernièrement, les dirigeants de la CFDT se sont fait remarquer par leur soutien inconditionnel à la politique patronale. À l'échelle nationale, en signant l'ANI, et à l'échelle locale en signant bien des accords imposés par les patrons, ils ont servi sans coup férir les intérêts des capitalistes et ont souvent entravé les réactions ouvrières contre ces attaques. Le 18 décembre 2013, face au nouveau chantage de la direction des chantiers STX à Saint-Nazaire, la CFDT écrivait, sous la plume de D. Zuzlewski :

« La CFDT s'engage pour préserver les emplois. Vendredi dernier, la direction de STX France a annoncé que le croisiériste italien MSC s'apprêtait à lancer un plan industriel prévoyant une commande ferme de deux nouveaux prototypes suivie d'une option sur deux autres bateaux identiques. Cette commande de quatre paquebots représente, pour l'entreprise de Saint-Nazaire, un montant de 2,4 milliards d'euros.

Mais, pour décrocher cette commande, la direction générale a prévenu les organisations syndicales : il faut pouvoir faire une meilleure offre au client avec l'aval des actionnaires. Pour cela, il faut réduire le coût du travail de 5 %, ce qui permettrait d'atteindre l'économie attendue. Et pouvoir mettre cette économie sur la table tout de suite !.... La direction a par conséquent relancé son projet d'accord de compétitivité et demandé aux organisations syndicales de prendre leurs responsabilités et, surtout, de s'engager par une "Lettre d'intention" à négocier pour aboutir ! Sans cet engagement formel, Laurent Castaing, le directeur général, a affirmé qu'il ne prendra pas cette commande, et après le paquebot Oasis, le carnet de commandes de STX France sera donc vide. La pression sur les salariés est très forte : deux autres chantiers européens, l'italien Fincantieri et l'allemand Meyerwerft, proposent des prix beaucoup moins élevés.

Confrontée aux réelles difficultés économiques de l'entreprise, la CFDT STX France a décidé lors de son assemblée générale de S'ENGAGER. Mais il n'y aura rien sans rien !!! Au lieu de chantage, la CFDT STX France préfère parler de marché.

Aujourd'hui, la donne est différente, les conditions de début d'année ne sont plus les mêmes. La CFDT STX France n'ira plus négocier pour le maintien du statut social des salariés mais pour leurs emplois. Il s'agit certes de faire des efforts mais ils doivent être récompensés dès retour à "meilleure fortune". »

Les dirigeants de la CGT, au-delà de leur opposition aux accords de compétitivité, reprennent aussi les antiennes de la bourgeoisie. Les responsables CGT passent ainsi beaucoup de temps à expliquer que les salaires pèsent peu dans les coûts de fabrication et que ce n'est pas la masse salariale qui grève la compétitivité des entreprises. Si le fait est réel, le raisonnement est très éloigné des intérêts fondamentaux des travailleurs. Car ainsi, tout en dénonçant le fait que les gains de compétitivité passent exclusivement par l'aggravation de l'exploitation, ils reprennent à leur compte la nécessité pour les entreprises d'être compétitives sur le marché international. Or, pour les capitalistes, la seule mesure intéressante de la compétitivité des entreprises c'est leur capacité à rapporter du profit, c'est-à-dire de la plus-value volée aux travailleurs.

En septembre 2013, dans un argumentaire, la Fédération CGT de la fonction publique dénonçait les attaques contre les salaires, les profits des actionnaires et les attaques contre la classe ouvrière. Mais elle le faisait au nom de la recherche d'une solution pour que le système capitaliste retrouve le chemin de la croissance (voir tract ci-joint). Derrière une expression comme « le déficit de compétitivité de la France », les dirigeants de la CGT accréditent la nécessité pour les entreprises dites françaises d'être concurrentielles face aux entreprises dites étrangères. Elle défend ainsi l'idée que le sort des travailleurs dépend des performances des entreprises, qu'il y a donc un intérêt commun entre les travailleurs et leurs capitalistes. Elle répand l'idée que les travailleurs français et ceux des autres pays sont en concurrence, idée qui contribue à diviser la classe ouvrière et qui fait le lit de bien d'autres idées réactionnaires.

On ne peut s'étonner que les directions syndicales reprennent ainsi à leur compte les idées de la bourgeoisie dans la mesure où cela fait bien longtemps qu'elles ont abandonné le combat pour l'émancipation du prolétariat. Justement pour cette raison, il est d'autant plus important que les militants ouvriers conscients, fidèles à leur classe, ne cèdent pas sur ce terrain-là.

À l'automne dernier, la télévision a montré les affrontements entre ouvriers d'une même entreprise, les abattoirs Gad, ceux de Josselin (Morbihan) en venant aux mains avec ceux de Lampaul (Finistère), en lutte contre leurs licenciements. Le fait que des travailleurs soient fourvoyés au point de considérer ceux d'une autre usine ou d'un autre pays comme des concurrents et des adversaires recèle bien des dangers, que ces images douloureuses ont rappelés à bien des militants. Céder à la propagande patronale mène inévitablement à subir plus violemment encore le joug de l'exploitation capitaliste.

Le mouvement ouvrier s'est forgé en combattant la concurrence entre les travailleurs

Diviser les travailleurs, les monter les uns contre les autres au nom de prétendus intérêts communs avec leurs patrons est un des poisons que le mouvement ouvrier et ses militants ont eu à combattre depuis le début de son histoire. En effet, le capitalisme repose sur la mise en concurrence des travailleurs les uns avec les autres. Faire accepter cette concurrence a donc toujours été une arme de la propagande idéologique de la bourgeoisie.

Ce sont Marx et Engels qui, les premiers, expliquèrent en quoi le capitalisme a besoin de mettre en concurrence les travailleurs les uns avec les autres pour imposer l'exploitation salariale. En 1845, dans La Situation de la classe laborieuse en Angleterre, Friedrich Engels écrivait :

« La concurrence est l'expression la plus parfaite de la guerre de tous contre tous qui fait rage dans la société bourgeoise moderne. [...] Or, cette concurrence des travailleurs entre eux est ce que les conditions de vie actuelles ont de pire pour le travailleur, l'arme la plus acérée de la bourgeoisie dans sa lutte contre le prolétariat. D'où les efforts des travailleurs pour supprimer cette concurrence en s'associant ; d'où la rage de la bourgeoisie contre ces associations et ses cris de triomphe à chaque défaite qu'elle leur inflige.

Le prolétaire est démuni de tout ; il ne peut vivre un seul jour pour soi. La bourgeoisie s'est arrogé le monopole de tous les moyens d'existence au sens le plus large du terme. Ce dont le prolétaire a besoin, il ne peut l'obtenir que de cette bourgeoisie dont le monopole est protégé par le pouvoir d'État. Le prolétaire est donc, en droit comme en fait, l'esclave de la bourgeoisie ; elle peut disposer de sa vie et de sa mort. Elle lui offre les moyens de vivre, mais seulement en échange d'un "équivalent", en échange de son travail ; elle va jusqu'à lui concéder l'illusion qu'il agit de plein gré, qu'il passe contrat avec elle librement, sans con­trainte, en être majeur. [...] Si tous les prolétaires affirmaient seulement leur volonté de mourir de faim plutôt que de travailler pour la bourgeoisie, celle-ci serait bien contrainte d'abandonner son monopole ; mais ce n'est pas le cas ; c'est même une éventualité quasiment impossible et voilà pourquoi la bourgeoisie continue d'être de bonne humeur. »

Et en 1848, dans le Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels expliquaient :

« À mesure que grandit la bourgeoisie, c'est-à-dire le capital, se développe aussi le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu'à la condition de trouver du travail et qui n'en trouvent que si leur travail accroît le capital. Ces ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce comme un autre ; ils sont exposés, par conséquent, à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. [...] L'existence et la domination de la classe bourgeoise ont pour condition essentielle l'accumulation de la richesse aux mains des particuliers, la formation et l'accroissement du capital ; la condition d'existence du capital, c'est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. »

Les capitalistes s'enrichissent en accaparant la plus-value issue du travail. C'est le salariat qui leur permet de réaliser ce vol, en achetant la force de travail pour l'exploiter à leur guise. Cela est rendu possible par la concurrence qui règne entre les travailleurs, entre les hommes et les femmes, entre les adultes et les enfants, et bien sûr entre les ouvriers de différents pays et par l'existence permanente d'une armée de chômeurs que Marx nommait l'armée industrielle de réserve. La concurrence imposée aux travailleurs, la « guerre de tous contre tous », est un des fondements sur lequel repose le pouvoir de la bourgeoisie.

Dès lors, pour le prolétariat, la lutte contre cette concurrence imposée à tous les travailleurs par la bourgeoisie est devenue une question vitale. La classe ouvrière, qui a été une classe combattante dès ses premiers pas, a dû surmonter cette concurrence pour lutter contre son exploitation, pour créer ses premières organisations, ses premières coopératives, ses premiers syndicats. Dans le Manifeste, Marx et Engels poursuivaient ainsi : « Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union grandissante des travailleurs. Cette union est facilitée par l'accroissement des moyens de communication qui sont créés par une grande industrie et qui permettent aux ouvriers de localités différentes de prendre contact. Or, il suffit de cette prise de contact pour centraliser les nombreuses luttes locales, qui partout revêtent le même caractère, en une lutte nationale, en une lutte de classes. Mais toute lutte de classes est une lutte politique, et l'union que les bourgeois du Moyen Âge mettaient des siècles à établir avec leurs chemins vicinaux, les prolétaires modernes la réalisent en quelques années grâce aux chemins de fer. Cette organisation du prolétariat en classe, et donc en parti politique, est sans cesse détruite de nouveau par la concurrence que se font les ouvriers entre eux. Mais elle renaît toujours, et toujours plus forte, plus ferme, plus puissante. »

Combattre pour créer une union des travailleurs contre la concurrence imposée par les capitalistes, voilà le rôle que se donnèrent les militants ouvriers conscients. C'est même cette nécessité de contrer la concurrence entre travailleurs de différents pays qui poussa les militants ouvriers à chercher des solutions et à créer la Première Internationale en 1864. Pour le premier congrès de cette Association internationale des travailleurs (AIT), en 1866 à Genève, Marx écrivit une motion détaillée sur les syndicats et leur rôle dans les luttes d'émancipation du prolétariat. Ce texte, qui fut lu par un militant français, Eugène Dupont, au nom de la direction de l'AIT, disait notamment : « Le capital est la force sociale concentrée, tandis que l'ouvrier ne dispose que de sa force productive individuelle. Donc le contrat entre le capital et le travail ne peut jamais être établi sur des bases équitables, même en donnant au mot "équitable" le sens que lui attribue une société plaçant les conditions matérielles d'un côté et l'énergie vitale de l'autre. Le seul pouvoir social que possèdent les ouvriers, c'est leur nombre. La force du nombre est annulée par la désunion. La désunion des ouvriers est engendrée et perpétuée par la concurrence inévitable faite entre eux-mêmes. Les trade-unions (associations de métiers) originairement sont nées des essais spontanés des ouvriers luttant contre les ordres despotiques du capital, pour empêcher ou du moins atténuer les effets de cette concurrence faite par les ouvriers entre eux. Ils voulaient changer les termes du contrat de telle sorte qu'ils pussent au moins s'élever au-dessus de la condition de simples esclaves. L'objet immédiat des trade-unions est toutefois limité aux nécessités des luttes journalières du travail et du capital, à des expédients contre l'usurpation incessante du capital, en un mot aux questions de salaire et d'heures de travail. Une telle activité est non seulement légitime, elle est encore nécessaire. On ne peut y renoncer tant que le système actuel dure ; au contraire, les trade-unions doivent généraliser leur action en se combinant. »

Répondre à la concurrence imposée par les bourgeois, par l'union et l'internationalisme indispensables à la lutte des prolétaires, a été la grande force du mouvement ouvrier conscient. L'internationalisme prolétarien n'était donc pas seulement un geste de solidarité, une pensée généreuse, mais la condition nécessaire de la lutte. Combattre la concurrence entre travailleurs, c'était combattre les fondements mêmes du capitalisme, refuser le sort d'éternels exploités que la société bourgeoise imposait aux prolétaires. C'est parce qu'elle était armée de ces convictions et de cette compréhension, que la classe ouvrière a pu mener ses combats dans le passé. L'idée qu'elle représentait un autre avenir pour la société, un avenir débarrassé du capitalisme et de ses tares, au premier rang desquelles la concurrence de tous contre tous, rendait plus unie et donc plus forte la classe ouvrière pour mener l'ensemble de ses luttes. C'est convaincue de l'antagonisme fondamental qui l'opposait à la bourgeoisie que la classe ouvrière a pu trouver la détermination nécessaire pour mener ses luttes.

Aujourd'hui, comme au temps de Marx et Engels, la force des ouvriers réside dans leur place dans l'économie, leur nombre et leur capacité à s'unir, y compris au-delà des frontières.

8 janvier 2014

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