Côte d’Ivoire

Ainsi donc, grâce à l'intervention de l'armée française stationnée en permanence à Abidjan, l'ancien président de la République, Laurent Gbagbo, a été délogé du palais présidentiel, arrêté et emmené en résidence surveillée dans le nord du pays. Alassane Ouattara, son rival, qui a bénéficié du soutien des grandes puissances impérialistes et des États africains, est devenu président de la République.

Et Sarkozy peut bien parader à Yamoussoukro, la capitale administrative pour l'investiture officielle, les médias se désintéressent désormais de ce pays, considérant que la légalité l'a emporté, que l'économie de la Côte d'Ivoire va redémarrer, que les dégâts seront réparés et qu'en somme, tout va pour le mieux dans la meilleure des Côte d'Ivoire... Voilà pour le côté jardin.

Cet avenir rose est sans doute celui de la « nouvelle » équipe au pouvoir, en intégrant dans cette catégorie non seulement ceux qui ont soutenu Ouattara tout au long de son conflit avec Gbagbo, mais aussi les ralliés de la dernière heure, voire de la dernière minute. Ouattara a tenu en effet à récupérer tout ce qui peut l'être de l'appareil d'État en service sous Gbagbo : hauts fonctionnaires, militaires de haut rang, et bien d'autres. Ouattara avait tout de suite annoncé la réconciliation nationale, qui ne concerne que les hautes sphères du pouvoir, à l'exception du moins de la famille de Gbagbo, sa proche parentèle et ceux qui ont été stupides au point de s'accrocher à l'ancien président même après son arrestation.

Peuvent être heureux aussi les possesseurs de capitaux, les propriétaires des entreprises, dont un bon nombre sont français. Les banques ont en effet rouvert leurs portes, les affaires ont redémarré, et Ouattara leur a promis de les dédommager des dégâts causés.

En somme, cela concerne quelques milliers de personnes dans le pays.

Quant aux autres, l'écrasante majorité de la population, les ouvriers, les paysans pauvres, les enseignants, les petits fonctionnaires, ils retrouvent la pauvreté, voire la misère, d'avant la guerre civile, aggravée encore par les hausses de prix, par les pillages et les destructions des bandes armées. Et à ces difficultés matérielles, s'ajoutent les conséquences morales d'une guerre civile aux relents ethnistes infusés par les dirigeants des deux bords.

La guerre civile plus ou moins finie, la guerre sociale, menée par les riches contre les pauvres de ce pays, n'a même pas à reprendre, elle n'a jamais cessé.

Sur la situation actuelle de la Côte d'Ivoire, nous laissons la parole à nos camarades de l'Union africaine des travailleurs communistes internationalistes et à leur publication Le Pouvoir aux Travailleurs (n° 171 du 24 avril 2011).

Quelques mots d'explication pour comprendre certains sigles et noms dans l'article ci-dessous.

FDS : fraction de l'ancienne armée de la Côte d'Ivoire qui est restée du côté de Gbagbo pendant les années de sa présidence et qui l'a soutenu dans la guerre civile récente.

FRCI : fraction de l'armée qui s'est rebellée en septembre 2002 et qui a imposé la sécession de fait du nord du pays qu'elle a dominé. C'est cette fraction de l'armée, sous la direction politique de Guillaume Soro, qui a pris le parti de Ouattara.

Quant à Ibrahim Coulibaly, dit « sergent-chef IB », il était chef de guerre dans le camp du Nord, c'est-à-dire soutenant Ouattara, mais menant un jeu personnel, en rivalité avec Guillaume Soro. Il avait joué un certain rôle dans l'organisation de la résistance à Gbagbo dans la commune d'Abobo. Au moment où l'article a été écrit, il avait des fidèles et des miliciens dans Abobo et risquait de poser un problème au nouveau pouvoir de Ouattara-Soro. Ces derniers ont réglé le problème : Ibrahim Coulibaly vient d'être assassiné !

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Par la grâce de l'impérialisme français,le clan Ouattara s'installe au pouvoir

Après une parodie électorale qui n'a pas pu les départager, la lutte pour le pouvoir a été tranchée par les armes. Au bout de plusieurs jours de combats, Gbagbo et son clan ont fini par être écrasés par les troupes françaises, qui ont préféré Ouattara à Laurent Gbagbo.

Dans les quartiers populaires, il y en a qui sont déçus de la défaite du clan Gbagbo. D'autres se réjouissent de la « victoire » du clan Ouattara. Ce qui est certain, c'est que Gbagbo comme Ouattara sont dans le même camp, celui des riches.

Comme il fallait s'y attendre, la première mesure proposée par Ouattara est en faveur des riches. Il leur a promis que l'État dédommagera ceux d'entre eux qui ont subi des pertes suite aux pillages. Les plus riches empocheront ainsi de l'argent, à commencer par les capitalistes français. Mais ce ne sera certainement pas le cas des petits boutiquiers de quartier qui ont été pillés ! Oh, l'argent des indemnisations sera peut-être bien décaissé des caisses de l'État mais on peut faire confiance à ces « nouveaux » venus au pouvoir pour s'en mettre plein les poches, comme savaient le faire les « refondateurs ».

Quant aux populations pauvres - certains ont eu leur maison pillée - qui subissent de plein fouet les effets de cette guerre qui ne les concerne pas, Ouattara n'a proposé aucune mesure semblable à celles proposées aux riches. Il s'est juste contenté de déclarer qu'il « partage leur douleur ». Pourtant le prix du kilo de riz est passé par moment de 350 F à 800 F ; le litre d'huile de 900 F à 2 500 F ; la boîte de charbon de 200 F se vendait jusqu'à 1 000 F dans certains quartiers. Même en admettant que les prix des marchandises reviennent à leur prix initial, quel ouvrier a l'argent pour payer ? Même ceux d'entre nous qui avons encore un emploi, nous n'avons plus de revenu depuis plusieurs jours. De plus, depuis bien longtemps, notre salaire ne vaut rien à côté du coût de la vie. Pourtant, si aux riches Ouattara a promis de l'argent, pour nous les travailleurs, il n'a rien !

Alors, camarades ouvriers, si nous ne voulons pas crever de faim, il n'y a pas deux solutions ! Il nous faudra nécessairement, tôt ou tard, engager la lutte contre les riches qui nous exploitent ! Ouvriers bété, dioula, burkinabé, ébrié, baoulé, nous devons nous unir ! C'est seulement ainsi que nous pouvons espérer changer notre situation !

Nous devons nous préparer à combattre, non seulement les riches qui nous exploitent, mais aussi le gouvernement qui se mettra inévitablement sur notre chemin. Nous aurons à lutter contre la même police, la même gendarmerie, la même armée, les mêmes bandes de racketteurs, de pilleurs et d'assassins qui s'en prennent surtout aux pauvres ! Ouattara remettra en service les mêmes juges et les mêmes inspecteurs du travail corrompus que sous Gbagbo. Le pouvoir a changé de main mais l'appareil d'État reste le même. Il œuvre pour les riches, contre tous les pauvres !

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Les populations pauvres n'ont pas fini de payer le prix de l'affrontement armé entre les clans Ouattara et Gbagbo

Après un peu plus de quinze jours d'arrêt des activités économiques dans la ville d'Abidjan, la situation revient petit à petit à la « normale » depuis le lundi 18 avril. Le clan Ouattara, épaulé par les forces françaises, a fini par écraser militairement les forces armées de Gbagbo. Aujourd'hui, des gens armés, il y en a partout. Les populations pauvres sont loin d'avoir fini de payer les conséquences de cette guerre entre bandes rivales. Qui sont ces gens armés ? Qu'adviendra-t-il d'eux ?

Les FDS

Dans leur écrasante majorité, exceptée la garde républicaine et peut-être une partie de la marine, on a vu que les FDS n'ont pas participé à cette guerre. Oh, non pas parce qu'elles n'ont pas été invitées par l'un ou l'autre clan, mais parce qu'elles sont constituées essentiellement d'éléments formés non à combattre une autre armée, mais spécialisés dans le racket, particulièrement le racket des populations pauvres non organisées et vulnérables.

Cette « armée » continuera, comme par le passé, à toucher salaires et primes, et à être choyée. Cette fois-ci par le nouveau pouvoir. Pour l'instant, les FDS ne sont pas en mesure de reprendre le racket des populations pauvres, les FRCI leur ayant pris la place. D'ailleurs, plus d'une semaine après la reddition de Gbagbo, on ne les voit toujours pas, ni sur les voies publiques, ni dans les commissariats.

Les miliciens de Gbagbo

Qui sont-ils et combien sont-ils ? À Abidjan, il s'agit, pour la plupart, de désœuvrés gagnés par la haine contre les Dioulas. Ils sont xénophobes et il y a chez eux un petit relent anti-français. Il s'agit de ces jeunes qui s'étaient portés candidats à l'enrôlement organisé par Blé Goudé et le général Mangou, quelques jours avant l'offensive des FRCI. Ceux qui ont été recrutés ont peut-être trouvé un revenu et aussi l'espoir, un jour, de se faire enrôler dans l'armée ivoirienne et de bénéficier aussi de ses avantages.

Avec la défaite du clan Gbagbo, plusieurs de ces miliciens ont certainement été désarmés par les FRCI. Mais ceux d'entre eux qui sont dispersés dans les quartiers disposent toujours d'armes et de munitions. S'ils échappent au désarmement et aux perquisitions, quel intérêt ont-ils à rendre leurs armes ? Ouattara a-t-il les moyens de les désarmer de force ? Il semblerait, en tout cas, que les hommes de Ouattara ont quelques difficultés à demander à leurs soldats du FRCI d'aller se frotter aux miliciens qui leur résistent à Yopougon. C'est à croire que les FRCI obéissent aux ordres de leur hiérarchie uniquement quand ils ont quelque chose à gagner. Or, ils ont justement tout à perdre à aller faire la guerre à Yopougon, y compris le butin que chacun d'entre eux a pu accumuler dans leurs rapines.

Par ailleurs, des miliciens ayant combattu pour Gbagbo et qui sont toujours armés, il n'y en a pas qu'à Abidjan. Ils sont nombreux dans les villes et villages côtiers et lagunaires. Ils sont aussi nombreux à l'ouest, le long de la frontière libérienne.

Les « commandos invisibles »

Dans la commune d'Abobo aussi, des combattants se réclamant du sergent-chef IB (Ibrahim Coulibaly) refusent pour l'instant de déposer les armes. IB conditionne le désarmement de ses troupes à une reconnaissance par le nouveau pouvoir des services rendus. Il estime que ce sont les « commandos invisibles », dont il réclame la paternité, qui ont ouvert la brèche à Abobo contre les forces armées de Gbagbo. Que revendique donc IB ? Pour lui, peut-être de l'argent en plus de l'impunité. Pour une partie de ses troupes peut-être aussi l'enrôlement au sein de la future armée de la Côte d'Ivoire. Il est difficile de savoir ce qui se passe dans les coulisses des négociations, si négociations il y a. Pour l'instant, Ouattara et Soro ne semblent pas vouloir lâcher quelque chose à IB et à ses miliciens. Ouattara les a même sommés de déposer les armes.

Accessoirement, on peut se poser aussi la question de savoir quelle est la proportion de miliciens recrutés par IB, ou de ceux qui se réclament de lui, parmi ces « commandos invisibles » ? Quelle est la proportion des pro-Ouattara ? Quelle est la part des « volontaires », uniquement guidés par l'opportunité de posséder une arme et d'en faire usage pour racketter les populations pauvres et piller ? Il est difficile d'y répondre. Ce qui est certain, c'est que dans cette situation de désordre et de misère, tous ceux-là continueront à tuer, à piller et à semer la peur dans les quartiers pauvres.

Les FRCI

Les soldats de Soro-Ouattara appelés FRCI sont un mélange de Force nouvelle (FN), c'est-à-dire d'ex-FDS mutinés en 2002 auxquels s'étaient ajoutés des miliciens recrutés en 2002. À ceux-là se sont maintenant ajoutés quelques milliers de miliciens nouvellement recrutés au Nord pour combattre les troupes de Gbagbo. Ce sont essentiellement des paysans et des désœuvrés des villes, auxquels se sont peut-être ralliés aussi des éléments recrutés parmi les désœuvrés dioulas d'Abidjan. Dans tous les cas, l'écrasante majorité des FRCI sont des ressortissants du Nord.

Les FRCI sont aujourd'hui les maîtres d'Abidjan. Ils sont partout : ils surveillent aussi bien l'intérieur des quartiers que les grandes artères. Ils règlent la circulation. Ils sont devant les magasins et les stations d'essence. Ils surveillent les bâtiments administratifs. Ils empêchent les bandes de pilleurs d'agir. Eux-mêmes tuent, volent et pillent en toute impunité.

Qui paie ces FRCI ? Manifestement, ils se paient pour l'essentiel eux-mêmes. On peut imaginer que leurs chefs, les Chérif Ousmane, Koné Zackaria, Wattao, Vetcho, Morou et au-dessus d'eux, les Soro Guillaume, palpent de l'argent pour le compte de ces combattants. Mais quelle est la part d'argent détournée par la hiérarchie ? Le fait que ces soldats rechignent aujourd'hui à aller combattre les miliciens à Yopougon, n'est-ce pas un signe qu'ils n'ont pas vraiment de comptes à devoir rendre à leurs hiérarchies ?

Que peuvent maintenant espérer ces FRCI ? S'enrôler dans la future armée de la Côte d'Ivoire ? Pour l'écrasante majorité, certainement pas. Ouattara n'en saura quoi faire ! Il a d'ailleurs déjà beaucoup à faire avec les FDS et les FN.

Ce qui implique à terme le désarmement de ces FRCI et leur renvoi à leur occupation initiale. Mais encore faudrait-il pouvoir le leur imposer, d'autant plus qu'ils auront eux aussi des revendications, notamment un pécule à exiger. Qui pourra les désarmer ? Les FDS ?

Le danger pour les populations pauvres

Ouattara ayant atteint son objectif, qui était d'accéder au pouvoir, a aussitôt déclaré : « La guerre est finie. Il faut que tout le monde dépose les armes ». Mais le passage du discours aux actes est plus que problématique. Qui sera donc chargé d'exécuter ce désarmement des coupeurs de routes qui sèment la terreur un peu partout, des miliciens de Gbagbo, à Abidjan, dans les villes et villages, comme ceux, nombreux, dans l'ouest du pays. Il y a IB et ses « commandos invisibles ». Il y a les « volontaires ». Et pour finir, il y a aussi les FRCI qui, eux, se comptent par milliers.

Ce n'est pas demain la veille que tout ce monde sera désarmé. En attendant, toutes ces bandes armées feront comme les FDS et les FN, elles sèmeront la mort et parasiteront les populations pauvres, déjà dans la misère.

Ce n'est certainement pas Ouattara qui pourra les empêcher de se comporter comme des bandits envers les populations pauvres, même s'il le voulait. Lui et son clan, les Bédié, les Soro, les Mabri et autre LMP, seront bien plus occupés à se disputer les postes lucratifs, à servir les riches et à se servir eux-mêmes !

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Histoire d'une folle journée dans l'enfer des miliciens pro-Gbagbo à Yopougon

Voici le témoignage d'un ouvrier du bâtiment qui est parti voir sur son lieu de travail, situé à Yopougon Niangon-sud, route Azito.

« Ce vendredi 22 avril, après trois semaines d'absence, j'ai décidé de me rendre sur mon chantier où j'ai laissé deux cousins qui sont restés sur place pour surveiller le matériel. Le gbaka qui nous transportait depuis Adjamé nous a laissés à la Siporex. De là, j'ai appris que depuis que les combats font rage entre les miliciens et les soldats pro-Ouattara, Yopougon est divisé en deux. La partie sud-ouest jusqu'au centre est occupée par les miliciens. Le transport en commun, même les taxis communaux n'ont pas droit de pénétrer dans leur périmètre.

Nous avons étés obligés de faire le reste du chemin à pied, depuis la pharmacie Siporex jusqu'à Niangon. Sur notre chemin, le premier barrage des miliciens se trouve à la pharmacie Kénéya. Ces jeunes en armes, dont une bonne majorité est composée de mercenaires libériens ne comprenant pas le français, sont très excités. Ils braquent leurs armes en position de tir sur tout véhicule qui s'avance vers eux. À chaque barrage, nous levons les bras. Ils nous demandent nos pièces d'identité en insistant : " Celui qui n'a pas de pièce d'identité doit payer 2 000 F ". Quand je brandis la carte, ils ne contrôlent pas et me laissent passer. Mais ceux qui n'ont pas leur pièce et qui ont été mis de côté, je ne sais pas quel sort leur est réservé. Déjà, à plusieurs endroits, je les ai vus terroriser les gens en tirant en l'air ou dans le sol près du pied de celui qu'ils veulent intimider.

J'ai passé une nuit calme malgré quelques coups sporadiques de " kalache ". Le lendemain, j'ai pris un autre chemin pour le retour. Mais j'ai dû rebrousser chemin à plusieurs reprises parce que les miliciens pillaient magasins, banque et même les domiciles des habitants de Niangon-nord. Ils s'attaquaient aussi à tous les passants, les dépouillaient. J'avais peur d'être appréhendé par eux car il y a de cela deux semaines, deux de mes collègues carreleurs avaient passé une mauvaise matinée en leur compagnie tout simplement parce qu'ils avaient dit qu'ils étaient d'Abobo.

La population, excédée, raconte que, depuis la chute de Gbagbo, ces miliciens sont livrés à eux-mêmes. Donc, ils s'en prennent à la population pour trouver de quoi manger.

À deux pas de là, dans le quartier Ananeraie et Maroc, ce sont les éléments des FRCI qui sont postés, embusqués derrière des baraques de fortune.

C'est l'insécurité totale dans cette énorme commune car les uns et les autres vous rackettent, chacun à son tour. »

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La direction de l'UGTCI : allégeance au nouveau pouvoir et à plat ventre devant le patronat

Suite à la chute du pouvoir de Gbagbo, et surtout au chaos et à l'insécurité qui règnent, le secrétaire général de l'UGTCI, François Adé Mensah, a fait savoir les préoccupations immédiates de sa centrale. Mais c'était beaucoup plus celles du patronat que celles des travailleurs.

Il a déclaré ceci : « Il faut que nous nous entendions pour permettre au président Ouattara de réaliser son programme de société... Nous devons travailler en bonne intelligence avec les employeurs pour le bonheur du pays. »

Et pourtant, des problèmes, les travailleurs n'en manquent pas. Dans toutes les familles c'est la misère. Nos salaires ne représentent plus rien à côté de la cherté de la vie. La revendication pour des augmentations des salaires doit être mise en premier point.

Il y a aussi le fait que, depuis plus d'une quinzaine d'années, les patrons ont bénéficié d'une souplesse en matière d'embauche. Tout cela n'a fait que plonger les travailleurs et leurs familles dans l'abîme de la misère.

Mais la seule chose qui préoccupe ce lèche-botte du patronat, c'est « l'entente intelligente » avec ceux qui exploitent les travailleurs et qui les réduisent à la misère.

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Exactions des soldats sur les populations d'Azaguié !

Le 15 avril, les populations d'Azaguié, sous-préfecture située dans le département d'Agboville, ont passé une sale journée avec les combattants acquis à la cause de Ouattara.

Ces soldats s'en sont pris aux populations parce que celles-ci, exaspérées par les exactions dont elles sont quotidiennement victimes, ne voulaient plus se laisser piller ni se laisser soumettre. Alors ils ont demandé des renforts d'Abidjan. Ce vendredi-là, les habitants ont été conduits manu militari sur la place publique à 8 heures. Même les enseignants qui avaient repris les cours ont été aussi conduits sur le même lieu. De 8 heures à 15 heures, ces personnes exposées au soleil ont été l'objet de bastonnades. Pendant que les uns les bastonnaient, les autres procédaient au pillage des domiciles. Durant sept heures, des nouveau-nés et leur mère étaient exposés au soleil. Ceux qui ont pu échapper ont élu domicile dans la forêt. Les mêmes sévices ont été administrés aux populations de plusieurs villages Abbey et Krobou dans la région d'Agboville.

En plus des soldats qui commettent des exactions sur les populations, l'insécurité dans les villages a atteint un tel niveau qu'il est difficile pour les habitants de ces villages de se rendre au champ. Les bandits armés utilisent leurs armes pour braquer les populations. À croire qu'ils sont complices les uns des autres.

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Les rackets continuent sur les routes

Le 22 avril, au cours d'une rencontre avec les généraux des FDS et des FRCI, Ouattara a demandé que les rackets cessent. Ça ressemble plus à un vœu pieux vu tout ce qui se passe. Les forces pro-Ouattara sont formées d'un ensemble hétéroclite et il n'est pas sûr que leurs différents commandants les maîtrisent toutes. En tout cas, pour ceux qui voyagent vers l'intérieur du pays, ce sont toujours les rackets et un parcours de combattant. Voici le témoignage d'une voyageuse :

« Entre Gagnoa et Abidjan, j'ai compté à peu près quinze barrages. Et à chaque barrage, nous sommes obligés de cotiser 100 F ou, si nous sommes chanceux, 50 F par personne. Alors qu'on était près de soixante-dix. Ceci pour payer les combattants pro-Ouattara qui gardent ces barrages.

Dans le car, des gens n'ont pas manqué de s'en plaindre. Ça fait deux mois ou plus que beaucoup n'ont pas été payés. De plus, certains d'entre nous sont de Yopougon. Nous avons fui les combats et laissé tout derrière nous. En tout cas, je ne suis pas prête à reprendre la route de sitôt. »

Cela prouve que, si les gouvernements se succèdent, pour la population, malgré les grands discours sur la fin de l'impunité, du racket, de la corruption, etc., rien ne change vraiment.

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Le racket en ville

À Abobo, dans la partie nord contrôlée par les éléments du « commando invisible », toutes les voies principales sont jonchées de multiples barrages. À ces points de contrôle, les piétons payent le passage. Ils donnent ce qu'ils peuvent. Les pousse-pousse qui transportent les bagages payent entre 200 et 250 F. Quant aux chauffeurs des transports urbains comme les taxis communaux ou les gbakas, ils versent au minimum 500 F CFA.

Dans les quartiers chics de Cocody Angré, les éléments de la nouvelle armée FRCI y mettent la forme. C'est à la manière des sociétés de gardiennage qu'ils surveillent les cités. Mais pour cette protection, chaque cité doit verser en moyenne 50 000 F par jour ; il y a même des endroits où ils exigent de la nourriture en plus.

Ces faits montrent bien que le changement de nom ou de sigle de FDS en FRCI n'a rien changé en matière de racket. Comme le dit un adage, « le chien ne change pas sa manière de s'asseoir ».

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À propos de la commission vérité et réconciliation de Ouattara

Les clans Gbagbo et Ouattara se sont affrontés par armées interposées. Bientôt, ils vont peut-être pouvoir s'embrasser et se retrouver autour d'une « commission vérité et réconciliation », comme l'a dit Ouattara. Tant mieux si cela peut permettre de mettre fin à la guerre et au climat de haine. Que les populations pauvres retrouvent le chemin de la bonne entente comme jadis est une bonne chose. Mais aujourd'hui c'est le spectre de la famine qui pointe. Avec la cherté du coût de la vie, même en multipliant le salaire des travailleurs par cinq, il leur serait difficile de vivre dignement.

Dans ce pays, tout le monde n'est pas pauvre et des richesses, il y en a. L'idée viendra peut-être un jour aux travailleurs de créer une « commission partage des richesses ».

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Attention à l'exacerbation des antagonismes ethniques !

Alassane Ouattara et ses alliés du RHDP se frottent les mains. Le bras de fer qui les opposait au LMP de Laurent Gbagbo s'est terminé en leur faveur. Les troupes qui les soutenaient sont entrées à Abidjan et se pavanent dans les rues.

Aujourd'hui, les populations qui avaient fui, ont commencé à regagner leurs anciens logis à Abobo. La situation sécuritaire qui y prévaut laisse pourtant à désirer. Les forces pro-Ouattara, pompeusement nommées Forces Républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), qu'on voit à chaque coin de rue, s'apparentent plus à des bandes ou à des milices ethniques et échappent certainement au contrôle de toute hiérarchie. Ces FRCI ne rassurent guère personne.

À Yopougon par contre, ce sont les Malinkés et les ethnies favorables au RHDP qui fuient les brimades et exactions des milices proches du LMP. Là-bas, c'est encore le règne de l'article 125, c'est-à-dire pétrole 100 F et allumette 25 F pour brûler vifs les individus leur paraissant suspects. Bien d'autres atrocités sont commises à l'encontre de ceux qui ne cadrent pas avec leurs critères.

Jusqu'où ira encore cette escalade ? Ce sont les populations pauvres qui en font les frais. Si les riches et les possédants peuvent choisir où ils veulent habiter, ce n'est pas le cas pour les pauvres. Ils sont condamnés à toujours se côtoyer dans les mêmes quartiers surpeuplés. Et plus loin ira cette politique de la xénophobie et de l'ethnisme, plus difficile sera la cohabitation dans les quartiers populaires.

Haïti - Après l'élection présidentielle

La dernière élection présidentielle en Haïti a porté à la présidence Michel Martelly, un chanteur populaire sous le nom de Sweet Micky.

Les conditions dans lesquelles il a été élu dans ce pays pauvre portant en plus les stigmates du tremblement de terre de janvier 2010 et frappé par le choléra sont significatives de la dérisoire comédie que les grandes puissances tutélaires appellent « élection » et « démocratie ».

À l'issue du premier tour de l'élection qui a opposé plusieurs candidats, le CEP (Conseil électoral provisoire) avait prétendu que les deux premiers arrivés en tête étaient Mirlande Manigat et Jude Célestin. La première est l'épouse d'un ancien président de la République, installé sur le fauteuil présidentiel par les militaires alors au pouvoir, puis écarté peu après par les mêmes. Le second était patronné par le président sortant René Préval dont il était un des séides. Ce dernier était donné d'autant plus gagnant qu'il disposait de fonds lui permettant de mener une campagne coûteuse, se payant notamment le service d'un petit avion, promenant une banderole portant son nom au-dessus des ruines de Port-au-Prince, la capitale toujours pas reconstruite, et jetant des tracts sur différentes agglomérations de province.

Le dégoût à l'égard du président sortant et de son protégé était tel qu'il était évident pour tous que le résultat annoncé par le CEP était truqué. Des manifestations se sont succédé pour réclamer l'annulation du scrutin jusqu'à ce que le CEP, « en toute objectivité », revoie sa copie et annonce que, tout compte fait, les deux vainqueurs du premier tour étaient Manigat et Martelly.

Et au deuxième tour, le chanteur l'a emporté « haut-la-voix », avec 67,57 % des suffrages.

L'ex-Sweet Micky doit manifestement son élection à la partie pauvre de l'électorat qui, en votant pour lui, a fait un pied-de-nez à la caste politique. Cela dit, le nouveau président n'a jamais caché ses sympathies pour l'ex-dictateur Duvalier, et une fois élu, il s'est entouré de conseillers issus des milieux de l'extrême droite macoutique.

Le fait de se rabattre sur cet ancien chanteur, après s'être réfugié derrière l'ancien curé Aristide, montre à quel point la population pauvre est démoralisée et sans perspectives. Mais les classes pauvres de ce pays ont montré bien des fois dans le passé leur capacité de sursaut, parfois d'une violence irrésistible, comme peut en témoigner l'ancien dictateur Duvalier, chassé du pays il y a un quart de siècle. Aujourd'hui, aussi bien Duvalier qu'Aristide sont de retour au pays.

Pour parler de la situation créée par l'élection de Michel Martelly, nous reproduisons ci-après l'éditorial du n° 190, du 27 avril 2011, de La Voix des Travailleurs, périodique édité par nos camarades de l'Organisation des travailleurs révolutionnaires.

Michel Martelly élu président : les classes pauvres obtiendront ce qu'elles seront capables d'imposer

La victoire de Michel Martelly au deuxième tour des élections présidentielles avec 67,57 % des suffrages exprimés a été accueillie par des manifestations populaires spontanées tant à Port-au-Prince que dans la majorité des villes de province où le scrutin du 20 mars dernier s'était transformé en quasi-plébiscite de Michel Martelly alias Sweet Micky. Dans les quartiers pauvres de Port-au-Prince d'où partaient simultanément des cris de joie au moment où le nom de Michel Martelly a été cité comme vainqueur des élections, c'était la fête toute la nuit du 4 avril, date de la proclamation des résultats. L'euphorie était telle que beaucoup de travailleurs de la zone industrielle ne se sont pas présentés au travail le lendemain, au risque de perdre leurs emplois.

D'aucuns disent qu'il s'agit d'un vote-sanction contre la classe politique traditionnelle et surtout contre Préval et consorts, honnis par les couches pauvres de la population qui l'avaient pourtant voté massivement en 2006. En effet, d'Aristide à Préval en passant par le tandem Latortue-Boniface, les conditions de vie des masses se sont dégradées à une vitesse vertigineuse. Le tremblement de terre du 12 janvier ainsi que l'épidémie de choléra ont montré à nu et de manière dramatique la décomposition de l'État, l'inertie et la nullité de ces dirigeants qui s'enrichissent au détriment du Trésor public et au mépris des revendications des couches pauvres de la population. Ils affichent leur incapacité sinon leur refus d'utiliser les ressources de l'État pour venir en aide à la population même quand celle-ci est en danger. C'est une bande de crapules.

Les élections présidentielles et législatives ont été une occasion pour les masses d'exprimer leur ras-le-bol, de dire à Préval qu'elles en ont assez de lui, qu'elles aspirent à un changement.

Aux yeux des masses, c'est Martelly qui incarne ce changement et leurs aspirations à une vie meilleure. Parmi les 19 candidats qui briguaient la présidence, les classes pauvres ont choisi de jeter leur dévolu sur le chanteur populaire mué en politicien le temps d'une élection. Une bonne partie de cette population pauvre croit que Martelly va apporter un changement dans ses conditions de vie. Mais leur espoir est à la mesure des promesses fallacieuses et illusoires faites par le chanteur pendant toute sa campagne électorale jusqu'à son élection. Il s'était présenté comme « le candidat du changement », « le candidat de la rupture » capable de « changer le système », principale cause de la misère de la population.

Il a tiré à boulets rouges sur Préval et son gouvernement qui n'ont rien fait pour changer le sort de la population, ressassait-il dans ses interventions publiques. L'éducation gratuite, la réforme agraire, la création massive d'emplois, la relocalisation des sinistrés du 12 janvier figurent parmi les nombreuses promesses électorales du nouveau président adulé en tant que chanteur populaire.

Si les masses pauvres se croisent les bras sous prétexte que les élections sont finies, qu'il faut donner le temps au nouveau gouvernement, leurs aspirations à un travail, à un salaire, à un logement, à l'éducation gratuite, bref leurs rêves se transformeront à coup sûr en cauchemar comme cela a été le cas avec Aristide et Préval.

La pire des choses pour les classes pauvres, serait, justement, qu'elles croient, avec l'installation de Martelly au pouvoir, il suffira d'attendre et d'espérer pour que les choses changent pour elles. La pire des choses, ce serait qu'elles se taisent sous prétexte de laisser travailler le gouvernement pour elles, alors que les riches continueront à se faire entendre dans les allées du pouvoir, alors qu'elles continueront à se servir de la puissance que leur procurent leur argent, leurs richesses, leur mainmise sur l'économie pour faire prévaloir leurs intérêts.

Si l'écrasante majorité de la population est aussi pauvre, c'est parce qu'il y a cette infime minorité qui s'est accaparée la part du lion des richesses du pays, concentre entre ses mains tous les moyens de production et s'enrichit chaque jour davantage par toutes sortes de trafics, par l'exploitation éhontée des travailleurs, par la hausse exponentielle des prix des produits de consommation courante, du coût de la vie en général quitte à affamer les familles pauvres.

Quand ça va de mal en pis pour la population pauvre en général, ça va de mieux en mieux pour cette poignée d'affairistes qui s'appellent Mevz, Brandt, Biggio, Madsen, Boulos, Apaid, Backer, etc.

Ce sont ces requins qui sucent le sang de la population pauvre, qui démolissent l'État avec l'aide des politiciens qui se relaient au pouvoir.

On ne peut donc apporter de changement notable dans les conditions de vie de la population, ni « au système » remis en question par Martelly, sans toucher aux richesses de cette poignée d'individus. Or le nouveau président est déjà l'otage et sous le contrôle de ces derniers. Ce sont eux qui ont financé sa campagne électorale, ce sont eux qui lui apportent conseils et consultants pour sa prochaine équipe gouvernementale, c'est avec eux qu'il se réunit avant et après sa victoire.

Les bourgeois de ce pays sont donc maîtres du nouveau président, Michel Martelly, et des décisions de ce dernier qui n'osera pas égratigner leurs richesses. Qui finance, commande. Pendant toute sa campagne électorale, Martelly n'a jamais fait allusion aux riches, les vrais responsables et les profiteurs de « ce système » que le nouveau président dit vouloir changer. Comment changer un système sans s'attaquer aux tenants et aux bénéficiaires directs du système en question, c'est-à-dire les classes possédantes ?

Martelly a déjà annoncé clairement la couleur dans sa conférence de presse du 27 avril au cours de laquelle il a affirmé que son gouvernement prélèvera des taxes notamment sur la borlette et les transferts pour financer son projet d'éducation gratuite. Pas sur les propriétaires des banques de borlette et des grandes agences de transferts, mais sur les clients, c'est-à-dire sur les pauvres parce que ce sont ces derniers qui espèrent en vain améliorer leur situation en jouant à la borlette et ce sont essentiellement les couches pauvres de la population qui reçoivent des transferts de leurs parents, leurs proches qui sont contraints de faire deux jusqu'à trois emplois par jour - lorsqu'ils en trouvent - pour arriver à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille en Haïti.

Le nouveau président, tout en reconnaissant qu'il n'est pas une lumière, se targue d'être entouré d'experts de toutes sortes qui ne faisaient pas partie de l'équipe du président sortant, René Préval. Mais la majorité de ces experts, sinon tous, avaient servi sous la dictature des Duvalier : de Daniel Supplice qui a occupé de hautes fonctions sous Duvalier de 1977 à 1986 à Gervais Charles, avocat de Jean-Claude Duvalier en passant par Calixte Delatour, avocat et militant duvaliériste présent sur la scène politique depuis 1946.Qu'est-ce que la population pauvre peut attendre de ces vieux roublards de la politique noués par un tas de liens familiaux, personnels ou d'intérêts à la classe des possédants et n'ayant d'autre ambition que de se remplir les poches au plus vite avant la fin du mandat présidentiel ou avant d'être virés ?

Le restaurant aura beau changer de nom, il continuera à servir les plats indigestes. Le changement de visages à la tête du gouvernement a toujours été une farce pour tromper les pauvres. La taxation de la borlette et des transferts, voilà ce que les experts de Martelly peuvent pondre au mieux.

Ce qui est sûr, c'est que le gouvernement de Michel Martelly génèrera une nouvelle classe de grands mangeurs - pas si nouvelle que ça d'ailleurs - qui viendront siphonner ce qui reste et ce qui va entrer dans les caisses publiques pendant que la population pauvre continuera à crever de faim et de misère. Les riches, de leur côté, continueront de mener leurs juteuses affaires dans l'océan de misère avec la certitude que Martelly, grâce à sa popularité, saura faire tenir tranquilles les classes pauvres par des promesses, des mensonges, des discours pour les endormir et les berner. Mais jusqu'à quand ? Préval se targuait d'être le seul président à réaliser deux mandats d'affilée sans problème et pensait en sortir grandi, jusqu'à la claque que lui a infligée la population pauvre aux deux tours des dernières élections présidentielles. Il est aujourd'hui au plus bas de sa popularité et ne risquerait pas de marcher ou de conduire seul dans la rue, comme il l'a souhaité, quand il ne sera plus président, donc dans quelques jours.

C'est grâce à la mobilisation des couches pauvres de la population que Martelly a été repêché pour participer au deuxième tour des élections à la place de Jude Célestin. C'est encore le vote et la pression populaires qui ont porté Martelly à la présidence du pays contre la volonté et les magouilles du gouvernement Préval-Bellerive.

Par conséquent, pour que les promesses électorales de Martelly aient même un début de réalisation, les classes pauvres ont donc intérêt à continuer la mobilisation, à amplifier la pression sur les riches de ce pays et leurs valets au prochain gouvernement.

Elles n'obtiendront que ce qu'elles seront capables d'imposer par la force et la pression. C'est d'ailleurs le seul langage que comprennent les dirigeants politiques et économiques de ce pays.

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