Après le congrès de la CGT : le « syndicalisme de participation » ne va pas sans contestation21/01/20102010Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2010/01/125.png.484x700_q85_box-6%2C0%2C591%2C846_crop_detail.jpg

Après le congrès de la CGT : le « syndicalisme de participation » ne va pas sans contestation

À l'issue du congrès de la CGT, qui s'est tenu à Nantes du 7 au 10 décembre 2009, le secrétaire général de la confédération, Bernard Thibault, s'est auto-félicité de l'adoption du rapport d'activité de la direction par 77,3 % des voix, jugeant qu'il s'agissait là d'un « très bon résultat ». « Je considère que la direction confédérale a un bilan d'activité tout à fait honorable, dans un contexte où on a laissé entendre, en long, en large et en travers, qu'il y avait un gros problème de relations entre le sommet et la base », a-t-il déclaré lors d'un point de presse. Et tous les commentateurs de la grande presse écrite, parlée ou télévisée lui ont emboîté le pas, comme si la politique de la CGT avait été démocratiquement approuvée par les trois quarts de sa base.

Mais discuter du résultat des votes comme s'ils représentaient véritablement les opinions de cette base est un non-sens, car la désignation des délégués s'est faite - et ce n'est pas une nouveauté de ce congrès - avec des méthodes qui ont peu de chose à voir avec ce que devrait être le fonctionnement démocratique d'un syndicat. Dans la grande majorité des cas, ce ne sont pas des assemblées de syndiqués qui ont élu leurs représentants, ce sont les instances supérieures qui les ont désignés. La grande majorité des délégués (76 %) participaient pour la première fois à un congrès de la confédération. La direction confédérale se félicite de ce chiffre témoignant, d'après elle, d'une volonté de faire une large place aux jeunes générations de syndiqués. Mais cela reflète surtout le fait que des militants considérés comme contestataires ont été écartés du congrès. Seulement 24 % des délégués du congrès de 2006 étaient donc encore présents en 2009. Le congrès de 2006 lui-même avait été renouvelé à 72 %. Ce qui signifie que moins de 70 sur les mille délégués de 2009 avaient assisté à celui de 2003. Bien sûr, durant ces six années, un certain nombre (impossible à préciser) des délégués de 2003 avaient abandonné l'activité, étaient partis en retraite, avaient été touchés par la maladie ou étaient décédés. Mais cela ne peut pas suffire à expliquer ce taux de renouvellement massif.

Cette politique de la passoire s'est progressivement développée au fil des récents congrès de la CGT. D'après Bernard Thibault, au 46e congrès, en 1999, plus de la moitié des délégués étaient des militants qui n'avaient pas assisté au congrès précédent.

En revanche, la composition de la direction confédérale, pourtant plus âgée, est nettement plus stable que celle du congrès, puisque la moitié des membres du Comité confédéral national y avait déjà été élue il y a trois ans.

Pourtant, malgré tous les efforts du Bureau confédéral pour éliminer d'éventuels contestataires connus comme tels et les remplacer par de plus jeunes délégués, ayant moins d'expérience syndicale, plus susceptibles d'accepter sans broncher l'orientation du Bureau confédéral, bon nombre de ces nouveaux venus ne se sont pas montrés satisfaits de cette orientation, lui reprochant sa « mollesse » et de n'avoir pas su mettre à profit le rapport de forces né des manifestations réussies du début de l'année 2009.

Ces contestataires ont d'autant plus facilement pu se faire entendre que l'appareil tenait à ce que ce congrès ait malgré tout les apparences d'un débat démocratique, nécessaires pour en légitimer les résultats.

Le document d'orientation soumis au congrès a ainsi été copieusement amendé, sur proposition de la commission des amendements... mais sans que l'ensemble des congressistes ait eu son mot à dire sur le choix des amendements retenus. Ces amendements allaient parfois dans le sens d'une certaine radicalité, comme celui qui affirmait « le caractère de masse et de classe » de la CGT, mais sans rien changer évidemment sur le fond de l'orientation proposée.

Les débats ont aussi permis une certaine liberté d'expression. Si un délégué déposait une demande d'intervention sur un point précis, il avait droit à quatre minutes de temps de parole... à condition que cette demande ait été retenue. Mais il y avait aussi des temps prévus pour des interventions de deux minutes, qui ont permis à des opinions variées de se faire entendre, des partisans de la ligne confédérale bien sûr, et des plus corporatistes encore, mais aussi des militants qui critiquaient le fait que les journées réussies du premier semestre 2009 étaient restées sans suite, que le Bureau n'avait pas répondu aux congressistes qui demandaient que la revendication du retour aux 37,5 annuités pour avoir droit à une retraite à taux plein ne soit pas abandonnée, qui critiquaient la nouvelle loi promulguée avec l'accord de la confédération sur la représentativité syndicale (vue à juste titre comme un obstacle à la création de sections syndicales dans de nouvelles entreprises), ou encore la recherche de l'unité avec les autres confédérations syndicales sur la base du moins-disant revendicatif.

Ces voix discordantes ont été suffisamment nombreuses pour qu'au cours même du congrès la direction confédérale ait jugé bon d'annuler l'invitation faite au secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, de venir prendre la parole devant les congressistes, de peur qu'il reçoive un accueil mouvementé.

Mais la contestation qui s'est exprimée au cours de ce congrès ne provient pas seulement de l'insatisfaction de militants qui voudraient que leur syndicat se montre plus combatif, elle est aussi le reflet des luttes d'appareils qui se déroulent au sein de la CGT, et qu'a par exemple illustrées la candidature de Jean-Pierre Delannoy, secrétaire des métallurgistes du Nord, au secrétariat général de la CGT, contre celle de Bernard Thibault. Une candidature qui n'a pas été soumise au vote sous des prétextes de forme, mais qui constituait une nouveauté sans précédent, au moins depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Le monolithisme a perdu ses raisons d'être

Évidemment, pareille situation aurait été absolument impensable dans la CGT d'avant 1970, où régnait un complet monolithisme, conséquence de celui qui régissait la vie du Parti communiste français, pour lequel la CGT n'était qu'une simple courroie de transmission de sa politique au sein de la classe ouvrière. Ce mode de fonctionnement était aussi celui de la CGT contrôlée par le PCF. En effet, l'URSS stalinienne avait fait des partis communistes et des syndicats qu'ils contrôlaient des instruments de défense de sa politique extérieure, et elle avait besoin qu'ils soient capables de marier sans discussion un langage révolutionnaire avec une pratique qui ne l'était absolument pas, de prendre comme un seul homme les virages qu'elle était susceptible de leur imposer, comme par exemple d'applaudir l'amitié américano-soviétique jusqu'en 1947, et de mener la campagne du « US go home » dans la foulée, de chanter les louanges de Tito jusqu'en 1948 et de le dénoncer comme fasciste quelques jours plus tard.

En outre, depuis le virage politique de 1935, l'adoption de la politique de Front populaire, le PCF s'était intégré dans le système politique de la bourgeoisie française, du moins autant que celle-ci le lui permettait. Et le contrôle de sa politique par le Kremlin exigeait un monolithisme sans faille.

Cependant les liens du PCF avec l'Union soviétique se sont progressivement distendus après la mort de Staline, à cause des crises de succession de 1953-56, qui amenèrent Khrouchtchev au pouvoir, avant qu'il soit contraint de céder la place en 1964 à Brejnev. Ces problèmes de succession permirent aux Démocraties populaires comme aux partis communistes occidentaux de s'émanciper un peu du contrôle de l'URSS. Les nouvelles générations de bureaucrates au pouvoir à Moscou attachaient d'ailleurs sans doute moins de prix à la sujétion des partis communistes que leurs prédécesseurs, car ce n'est pas la bureaucratie soviétique qui avait créé le mouvement communiste international. C'était l'Internationale communiste, dont cette bureaucratie avait usurpé l'héritage.

Le Parti communiste français aspirait à redevenir le « parti de gouvernement » qu'il avait été de 1944 à 1947. Dans cet espoir, il tendait la main aux « démocrates sincères », et en 1967 il mit toute son influence sur la classe ouvrière au service de Mitterrand, promu « candidat unique de la gauche ». Mais évidemment, l'invasion par les troupes soviétiques de la Tchécoslovaquie, en août 1968, était gênante pour l'image qu'il voulait donner de lui. Et, pour la première fois depuis les années trente, il exprima sa « désapprobation » de la politique soviétique.

La prise de distance avec l'Union soviétique ne se développa pas de manière linéaire. Les liens du PCF avec l'URSS étaient aussi des liens matériels, financiers, qui valaient bien de considérer le bilan de l'URSS comme « globalement positif », suivant la formule de Georges Marchais. Celui-ci approuva l'intervention soviétique en Afghanistan de 1979, tout en se présentant comme un partisan de « l'euro-communisme », cette invention des partis communistes italien, espagnol et français qui exprimait justement en ces années-là leur envie de prendre leurs distances de Moscou.

Le PCF redevint un « parti de gouvernement » en 1981, par la grâce de Mitterrand. Et en quelques années on vit apparaître en son sein des courants divers, ceux des « rénovateurs » et autres « reconstructeurs ». Les quatre ex-ministres communistes qui avaient figuré dans le gouvernement Mauroy furent les premiers à manifester leurs désaccords quand la direction de leur parti, devant la chute de ses résultats électoraux, décida en 1984 de ne pas reconduire sa participation au gouvernement. Charles Fiterman, qui avait longtemps été considéré comme le dauphin de Georges Marchais, finit même par entrer au Parti socialiste en 1998.

Mais bien évidemment, ce fut l'éclatement du bloc de l'Est en 1989, puis celui de l'URSS elle-même en 1991, qui accélérèrent la social-démocratisation d'un PCF qui visait une place déjà occupée par le PS.

La social-démocratisation de la CGT

Cette évolution du PCF ne pouvait pas ne pas avoir d'influence sur la CGT qu'il avait si jalousement contrôlée pendant des années. Au sein de celle-ci se développa, au plus haut niveau, la volonté de prendre des distances par rapport à la politique, de faire de la CGT une confédération syndicale aussi respectable aux yeux de la bourgeoisie que la CFDT, sa rivale.

Malgré ses références à la lutte de classe, il y avait certes longtemps que la direction de la CGT était passée du côté de la défense de l'ordre capitaliste. De 1944 à 1947 elle avait utilisé toute son influence sur la classe ouvrière pour faire accepter à celle-ci la politique du « produire d'abord, revendiquer ensuite », qui avait permis à la bourgeoisie de remettre en route, pour le seul profit des possédants, la machine économique. En 1968, loin de permettre à la classe ouvrière d'aller jusqu'au bout des possibilités de la grève générale, elle avait bradé celle-ci avec les accords de Grenelle, et mis tout son poids dans la balance pour accélérer la reprise du travail. Mais aux yeux de la bourgeoisie et de ses hommes politiques, elle portait la tare de ses liens avec le Parti communiste, et par son intermédiaire de ses attaches passées avec l'URSS.

Ce fut sous le règne de Louis Viannet, secrétaire général de la CGT de 1992 à 1999, que la centrale rejeta peu à peu ses vieux habits. En 1995 la CGT quitta la Fédération syndicale mondiale qui avait regroupé tous les syndicats qui se situaient dans l'orbite de l'URSS. Lorsqu'il prit la direction de la CGT, Viannet était, comme l'avaient été ses prédécesseurs Frachon, Séguy, Krasucki, membre du Bureau politique du Parti communiste. Mais en 1996, il s'en retira. En janvier 1999, au congrès de Strasbourg, la CGT officialisa son adhésion à la Confédération européenne des syndicats où elle se retrouvait aux côtés de la CFDT et de FO. D'ailleurs la direction de la CGT invita aimablement Nicole Notat, la secrétaire générale de la CFDT, qui s'était distinguée par son soutien au plan Juppé, à prendre la parole à ce congrès de Strasbourg, qui vit Bernard Thibault succéder à Louis Viannet.

Thibault, qui était jusque-là membre du Comité national du PCF, s'en retira à cette occasion. Et pour bien montrer qu'il n'était plus question de confondre syndicalisme et politique, la CGT refusa de participer à la manifestation sur l'emploi à laquelle le PCF avait appelé le 16 octobre de cette même année.

Cette politique avait bien sûr le soutien, dans tout l'appareil, de ceux qui n'avaient aucune envie de lier leur sort à un Parti communiste qui accumulait les déboires électoraux, comme de nombreux militants de base qui avaient été élevés depuis des années hors de toute culture de lutte de classe, pour qui la négociation avec le patronat, la concertation, étaient l'alpha et l'oméga du syndicalisme. Mais elle était adoptée dans un contexte - une offensive déterminée du patronat et du gouvernement pour accroître les profits capitalistes aux dépens des travailleurs - où ce « syndicalisme de participation » ne pouvait pas amener la moindre concession aux travailleurs de la part du patronat.

La CGT « de lutte de classe » : une illusion née d'autres conditions politiques

En fait, la réputation de syndicat combatif de la CGT était bien plus due aux conditions politiques qu'elle traversa dans les années d'après-guerre, qu'à une réelle volonté de défendre les intérêts de la classe ouvrière.

Passée la période qui, de 1944 à 1947, la vit se mettre ouvertement au service de la bourgeoisie française, la CGT eut à traverser une période difficile. À l'automne 1947, elle prit la tête de grèves dures, qui visaient bien moins à arracher des revendications pour la classe ouvrière qu'à démontrer à la bourgeoisie française qu'elle aurait plus à gagner en menant une politique moins atlantiste, c'est-à-dire moins soumise aux impératifs de l'impérialisme américain et plus favorable à l'URSS. Mais ce virage politique entraîna des mesures de rétorsion. Durant ces années-là la CGT fut exclue de nombreux conseils d'administration d'entreprises publiques, écartée de nombreuses négociations. Mais cette marginalisation, qu'elle contestait, lui conférait une auréole de syndicat combatif.

Puis, pendant les années de plein emploi (c'est-à-dire jusqu'au milieu des années soixante-dix), le patronat était moins réticent à céder sur un certain nombre de revendications économiques qui ne lui coûtaient pas trop cher. Les syndicats avaient alors un peu de « grain à moudre », pour reprendre l'expression d'André Bergeron, secrétaire général de la très réformiste CGT-FO.

Mais tous les efforts de la CGT d'aujourd'hui pour rivaliser avec la CFDT sur le terrain du « syndicalisme de participation » se déroulent dans un contexte où le patronat et son gouvernement n'entendent rien céder de tangible aux travailleurs. Il y a déjà longtemps que le réformisme est incapable d'aboutir à quelque réforme favorable au monde du travail que ce soit. Mais aujourd'hui, et à plus forte raison depuis le déclenchement de la crise économique, il n'est même plus capable d'obtenir ne serait-ce que l'apparence d'une telle réforme.

La direction de la confédération en est parfaitement consciente. Elle a vu ses organisations se vider d'une grande partie de leurs adhérents, découragés ou démoralisés. Elle peut toujours, face aux militants contestataires, leur reprocher de ne pas recruter assez, elle ne se préoccupe pas de leur en donner les moyens, car ce n'est certainement pas avec l'objectif d'une « autre politique industrielle » qu'elle peut les armer pour réussir en ce sens.

La direction de la CGT n'équilibre ses finances que grâce aux aides de l'État, qui représentent plus de la moitié de ses rentrées. Elle n'aspire qu'à être reconnue par lui et par le patronat comme un interlocuteur valable, et elle attend d'eux des mesures qui lui permettront de faire vivre son appareil.

La signature qu'elle a donnée à l'accord sur la représentativité syndicale ayant servi de base à la loi de janvier 2008, illustre bien cette politique. Cette loi accroît le poids de la CGT et de la CFDT aux dépens des confédérations minoritaires, mais en revanche elle rend bien plus difficile que par le passé la création de nouvelles sections syndicales au sein des entreprises dont les patrons n'ont aucune envie d'avoir affaire à des travailleurs organisés.

Bernard Thibault aura sans doute été heureux d'entendre au soir du 31 décembre Nicolas Sarkozy « rendre un hommage particulier aux partenaires sociaux qui ont fait preuve d'un grand sens des responsabilités ». Mais il n'est pas sûr que tous les militants de la CGT aient partagé ce bonheur !

La grogne qui s'est exprimée au congrès de Nantes était le reflet du mécontentement d'une partie des militants de base, qui sont déçus par le manque de combativité de leur syndicat. Mais elle traduit aussi les craintes d'une partie de l'appareil qui estime qu'il ne faudrait pas aller si loin dans la complaisance envers le pouvoir politique, qu'il y a plus à perdre qu'à gagner à faire preuve de tant de servilité devant le patronat et son État. De ceux aussi qui se verraient bien calife à la place du calife.

La CGT d'aujourd'hui est bien plus hétérogène que celle des quarante années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. Il y existe, à tous les niveaux, des gens résolument antipolitiques, et qui considèrent que les organisations politiques n'ont pas à intervenir dans les problèmes qui se posent au sein des entreprises, que ceux-ci doivent rester du domaine exclusif des syndicats. Mais il y existe aussi des militants mécontents de l'attitude de leur confédération, et qui vivent plus ou moins consciemment une leçon de choses sur le rôle que jouent les directions des organisations syndicales. Ils ne sont pas dans leur immense majorité, loin de là, gagnés pour autant aux idées des communistes révolutionnaires, dont ils ignorent tout le plus souvent. Mais ils méritent toute leur attention, car ils ont plus d'importance pour l'avenir que des dizaines de motions de congrès.

5 janvier 2010

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