Israël : l’extrême droite, produit du sionisme et de l’oppression des Palestiniens02/04/20232023Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2023/04/231.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Israël : l’extrême droite, produit du sionisme et de l’oppression des Palestiniens

Après trois mois de contestation et de manifestations hebdomadaires, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a reporté l’examen de son projet de réforme du système judiciaire au mois de mai, après les vacances parlementaires de la Pâque juive. La contestation de plus en plus massive avait fini par provoquer des fissures au sein de son propre parti, le Likoud. Netanyahou avait été contraint de limoger son ministre de la Défense après que celui-ci eut lui-même réclamé une « pause ».

Face à l’ampleur de la mobilisation, Netanyahou a donc préféré reculer, prenant le risque de perdre le soutien des organisations ultranationalistes et religieuses d’extrême droite avec lesquelles il gouverne et dont il a besoin pour conserver une majorité à la Knesset, le Parlement israélien. Le principal d’entre eux, le parti Sionisme religieux, passé de 4 à 10 % des voix aux élections législatives de novembre 2022, est devenu la troisième force politique. Son dirigeant, Bezalel Smotrich, partisan du développement de la colonisation juive en Cisjordanie, et vivant lui-même dans une colonie, est devenu ministre des Finances. Il occupe aussi un ministère créé spécialement pour lui, au sein de celui de la Défense, afin de lui permettre d’appuyer la création de colonies juives en Cisjordanie. Partisan de l’annexion de la Cisjordanie dans un Grand Israël, il a déclaré, lors d’un déplacement à Paris, que pour lui « les Palestiniens n’existent pas, parce que le peuple palestinien n’existe pas ». Il ne cache pas son racisme, soutenant la ségrégation des femmes arabes et juives dans les maternités des hôpitaux et il se qualifie lui-même de « fasciste homophobe ».

Le dirigeant du parti d’extrême droite Pouvoir juif, Itamar Ben Gvir, a pris la tête d’un superministère de la Sécurité nationale. Dans le passé, ce militant de la colonisation juive, qui habite lui aussi dans une colonie de Cisjordanie, a été condamné pour incitation au racisme, soutien à des organisations terroristes juives, et se dit partisan du transfert d’une partie de la population arabe d’Israël vers les pays voisins.

Alors que l’extrême droite a vu son audience progresser aux dernières élections législatives, l’ensemble de la gauche a connu, elle, une véritable débâcle. Le Parti travailliste a réuni péniblement un peu plus de 3 % des voix et a failli perdre toute représentation parlementaire. Quant au Meretz, censé incarner un courant à la gauche des travaillistes, il n’a obtenu aucun député pour la première fois de son histoire. Ces deux évolutions sont étroitement liées.

Le poids acquis par l’extrême droite raciste et fascisante a de quoi inquiéter, au-delà des Palestiniens. L’ampleur de la mobilisation de ces derniers mois a montré qu’une partie de la population israélienne est consciente des menaces que ces mouvements font peser sur ses libertés. Nous reviendrons plus loin sur le caractère de ces manifestations. Mais il faut commencer par se demander comment de tels mouvements ont pu arriver au pouvoir, dans ce pays que ses dirigeants présentaient fièrement comme la seule démocratie du Moyen-Orient. L’évolution qui a amené ces mouvements d’extrême droite à acquérir une telle influence découle des conditions de la naissance de l’État d’Israël et tient à l’essence même du sionisme, qui en est le fondement.

Le sionisme, un programme colonial

Né à la fin du 19e siècle, le mouvement sioniste se fixait l’objectif de créer un État juif. Mais sur quel territoire ? La réponse à cette question n’avait rien d’évident, car la population juive avait été dispersée dans de nombreux pays tout au long de son histoire.

Après un débat dans le mouvement sioniste, le congrès de Bâle en 1903 a tranché la question en faveur de la Palestine. Même ceux qui n’étaient pas religieux ont jugé que seul le mythe de la « terre promise » pouvait donner une justification à leurs objectifs politiques. Dès la naissance de ce mouvement, les liens du sionisme et de la religion ont été très étroits.

La Palestine n’était pas une terre sans peuple, contrairement à ce que proclamaient les sionistes : elle était très majoritairement peuplée par des populations arabes et, en 1914, les Juifs y représentaient moins de 10 % des habitants. Cette région constituait une province de l’Empire ottoman, dont les dirigeants se montraient peu susceptibles de favoriser les projets des sionistes.

La création d’un État juif n’était donc possible qu’en obtenant l’appui d’une grande puissance. Pendant longtemps, les dirigeants de l’impérialisme britannique ne témoignèrent aucun intérêt aux objectifs des sionistes. Avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, cherchant un moyen d’affaiblir l’Empire ottoman, allié à l’Allemagne, ils se décidèrent à appuyer ce mouvement. En novembre 1917, lord Balfour, alors ministre des Affaires étrangères, publia une lettre, devenue célèbre sous le nom de déclaration Balfour, dans laquelle il se déclarait favorable à la création d’un foyer national juif en Palestine.

Mais, dans le même temps, les diplomates britanniques promettaient à des tribus arabes la création sur ce même territoire d’un grand royaume, en échange de leur appui militaire. Et en fait ils n’entendaient tenir aucune de ces promesses, comme le montraient les accords Sykes-Picot, du nom des diplomates anglais et français qui les négocièrent, signés dans le plus grand secret en mai 1916 à Moscou sous le patronage du tsar russe et rendus publics par les bolcheviks après leur arrivée au pouvoir. Ces accords organisaient le dépeçage de l’Empire ottoman entre la France, qui avait des vues sur la Syrie et le Liban, et le Royaume-Uni, qui comptait mettre la main sur la Palestine. En appuyant à la fois les Juifs et les Arabes, et en les dressant ainsi les uns contre les autres, les dirigeants britanniques cherchaient à s’imposer comme les arbitres de la situation. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, ils se firent attribuer par la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU, un mandat sur la Palestine, où ils mirent en place leur propre administration.

Le sionisme restait un mouvement ultraminoritaire parmi les Juifs d’Europe, qui n’avaient aucunement l’intention d’aller s’installer dans cette région pauvre où ils n’étaient pas les bienvenus. Il a fallu la barbarie des persécutions nazies et des camps d’extermination pour que des centaines de milliers de Juifs se tournent, en désespoir de cause, vers les organisations sionistes. Celles-ci leur promettaient que la seule façon de ne plus revivre de telles horreurs consistait à créer un État juif, qui les protégerait.

Les organisations sionistes purent ainsi trouver les troupes qui leur permirent de contraindre le Royaume-Uni à mettre fin à sa présence.

Naissance d’Israël et expulsion des Palestiniens en 1948

En 1947, l’ONU vota un plan de partage de la Palestine, prévoyant la création d’un État juif et d’un État arabe, première esquisse de solution à deux États.

Les organisations sionistes n’acceptèrent pas ce partage. Elles se fixèrent l’objectif d’occuper le plus de territoire possible et d’en chasser le maximum d’Arabes, afin de créer ainsi un État au sein duquel les Juifs seraient majoritaires. Pour procéder à ce nettoyage ethnique, un plan fut soigneusement élaboré, le plan Daleth, dont la mise en œuvre commença avant même la proclamation de l’État d’Israël, le 15 mai 1948. À l’issue de la première guerre israélo-arabe, l’État d’Israël, auquel le plan de l’ONU prévoyait d’attribuer 55 % du territoire palestinien, en contrôlait 78 % et 800 000 Palestiniens avaient été expulsés de leur terre, ce que les Palestiniens appellent la Nakba (la Catastrophe). Une grande partie d’entre eux trouvèrent refuge dans les camps où leurs descendants habitent encore aujourd’hui.

Les États arabes ne présentaient pas un front uni face à l’État israélien. Corrompus et représentant une minorité de possédants privilégiés, ils ne se préoccupaient pas de défendre les intérêts des populations palestiniennes. À la tête de la principale force armée, le roi Abdallah Ier de Transjordanie annexa la Cisjordanie en 1948. Quant aux forces égyptiennes, elles prirent possession la même année de la bande de Gaza. Il ne restait rien de l’État arabe dont l’ONU avait voté la création.

Après la guerre des Six-Jours, en 1967, l’armée israélienne occupa la Cisjordanie et Gaza. Ces territoires ne furent pas annexés car leurs habitants, majoritairement arabes, auraient renforcé la proportion de citoyens non juifs au sein d’Israël­. Une administration des Territoires occupés fut mise en place sous la direction de l’armée. Officiellement, cette occupation était temporaire mais, très rapidement, les gouvernements travaillistes de l’époque commencèrent à encourager la création de colonies juives pour pérenniser leur présence.

Depuis la naissance d’Israël en 1948, ses dirigeants ont entretenu un état de guerre permanent avec les États arabes et se sont fait le relais de la politique américaine au Moyen-Orient. En échange, les États-Unis lui assurèrent un appui indéfectible, afin de pouvoir disposer d’un allié sûr dans la région.

Depuis un siècle, pour mieux faire prévaloir leurs intérêts dans cette région hautement stratégique à leurs yeux, les puissances impérialistes n’ont cessé d’alimenter le conflit entre Juifs et Arabes, après avoir contribué à le créer.

Quand le mouvement travailliste était hégémonique

Les organisations qui ont joué un rôle dirigeant durant ces années n’appartenaient pas à l’extrême droite mais se revendiquaient du socialisme.

La gauche a joué un rôle prépondérant au sein du mouvement sioniste à ses débuts, du fait du poids des Juifs issus d’Europe de l’Est, surtout de l’Empire russe, où existait un important mouvement ouvrier. Le Parti travailliste, le Mapaï, a été fondé en 1930, regroupant la grande majorité des courants sionistes se réclamant du socialisme. Il a rapidement été capable de prendre le contrôle des institutions juives de Palestine durant la période du mandat britannique.

Mais son socialisme était limité aux Juifs, excluant totalement les populations arabes. Toute une mythologie a été créée autour du kibboutz, cette forme collective d’exploitation agricole, au sein de laquelle devait régner un esprit égalitaire et qui était censée incarner un idéal socialiste. Mais le véritable objectif de ces kibboutz, c’était la conquête du pays. Ils s’installaient sur des terres achetées à des grands propriétaires absentéistes et en chassaient les paysans arabes qui y vivaient.

La société que ces prétendus socialistes voulaient créer, les Arabes n’y avaient pas leur place. Et il n’y a rien d’étonnant à ce que, au sein de l’État israélien, ils soient restés des citoyens de seconde zone et que le racisme anti-arabe y ait toujours été fortement présent.

Le poids croissant de l’extrême droite religieuse

Les travaillistes occupèrent une position hégémonique pendant trente ans dans la vie politique israélienne. Mais ce sont eux qui ont permis aux mouvements religieux d’occuper une place centrale. Le Premier ministre travailliste David Ben Gourion a cherché à obtenir le soutien des rabbins et des religieux. Il leur a accordé des pouvoirs considérables sur la vie sociale, en leur laissant la gestion de l’état civil, des mariages, des divorces et de toutes les affaires familiales.

Au fil des années, contrôlant une partie du système éducatif, les religieux ont gagné de plus en plus de poids dans la société. Le développement des colonies, au sein desquelles les courants religieux jouaient un rôle dominant, a contribué aussi à renforcer le poids numérique et l’influence de ces courants religieux. Sur le plan politique, les mouvements de colons se situaient clairement à l’extrême droite, prônant l’annexion des territoires occupés et l’expulsion de leurs habitants arabes.

Cette évolution a renforcé la droite, qui a été finalement en mesure d’évincer les travaillistes. En 1977, le principal parti de droite, le Likoud, remporta les élections législatives et son dirigeant, Menahem Begin, qui en 1948 appartenait au groupe terroriste d’extrême droite l’Irgoun, devint Premier ministre.

Les accords d’Oslo et le prétendu « processus de paix »

Après être restés quelques années dans l’opposition, les travaillistes participèrent à plusieurs gouvernements d’union nationale avec la droite. Ainsi, un de leurs principaux dirigeants, Yitzhak Rabin, a été ministre de la Défense entre 1984 et 1990. À ce titre, il a été confronté à l’éclatement de la première intifada, en 1987, cette révolte des jeunes Palestiniens qui affrontaient l’armée israélienne avec seulement des pierres. Rabin donna alors la consigne de leur casser les bras et les jambes. Mais la violence dont firent preuve les soldats ne suffit pas à briser la détermination de la jeunesse palestinienne mobilisée.

Incapables de mettre fin à l’intifada, les dirigeants israéliens furent contraints d’accepter de négocier avec les organisations nationalistes palestiniennes, ce qu’ils refusaient de faire jusque-là.

Cela conduisit à la signature des accords d’Oslo, le 13 septembre 1993, entre Arafat, dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), et Rabin, devenu Premier ministre après avoir remporté les élections un an auparavant. Ce texte prévoyait la mise en place d’une Autorité palestinienne sur des zones autonomes et un calendrier de négociations devant aboutir à la création d’un État palestinien, qui ressuscitait l’État arabe mort-né de 1947. En septembre 1995, les accords d’Oslo II ont défini le statut de la Cisjordanie, découpée en trois zones. Seules les zones A et B étaient gérées par l’Autorité palestinienne, la troisième zone, représentant plus de 60 % des territoires cisjordaniens, dont la totalité des colonies, restant sous le contrôle de l’armée israélienne.

En réalité, les dirigeants israéliens n’envisagèrent jamais d’aller jusqu’à reconnaître un véritable État palestinien. La colonisation de la Cisjordanie ne s’est jamais arrêtée à un seul moment. Pendant cette période, les conditions de vie dans les Territoires occupés ne firent qu’empirer du fait des bouclages des zones autonomes palestiniennes par les autorités israéliennes, empêchant les Palestiniens de se rendre en Israël pour travailler. Le mécontentement et la déception finirent par provoquer l’éclatement de la deuxième intifada à partir de 2000. L’organisation islamiste du Hamas vit son audience augmenter, bénéficiant du fait qu’elle s’était opposée aux accords d’Oslo. Pour renforcer son image de radicalisme auprès des Palestiniens, elle multiplia les attentats suicides meurtriers.

Le dirigeant de droite Ariel Sharon devint Premier ministre en février 2001, en s’appuyant sur le sentiment de peur qui se répandait au sein de la population israélienne. « Oslo, c’est fini », aurait-il dit en arrivant au pouvoir. Revenant à ce qu’avait été la politique des gouvernements israéliens avant la signature des accords d’Oslo, il refusa tout contact avec l’OLP et lança une répression féroce. L’armée israélienne déploya des chars en Cisjordanie, bombarda des villes palestiniennes, allant jusqu’à raser des quartiers entiers avec des bulldozers. Le siège de l’Autorité palestinienne à Ramallah, où se trouvait Arafat, fut assiégé pendant deux ans, le privant à certains moments d’eau et d’électricité.

En revenant à la politique qui prévalait avant 1993, Sharon n’avait pas l’intention d’annexer l’ensemble de la Cisjordanie. Il entreprit la construction d’un mur, appelé « barrière de séparation » par les autorités israéliennes, présenté comme devant mettre fin aux attentats terroristes en séparant définitivement Israéliens et Palestiniens. Son tracé permettait d’intégrer 65 colonies du côté israélien, mais aussi 11 000 Palestiniens et la grande majorité des 250 000 Palestiniens de Jérusalem-Est.

Estimant que la protection des colonies de Gaza aurait été trop difficile et coûteuse, Sharon les fit évacuer, n’hésitant pas à envoyer l’armée déloger les colons qui refusaient de partir. Pour mettre en œuvre cette politique qui l’amena à s’opposer à une partie de l’extrême droite, Sharon rechercha le soutien des travaillistes et leur proposa de participer à son gouvernement. En acceptant, ceux-ci montrèrent clairement qu’ils étaient incapables d’offrir une alternative politique. À l’issue de cette période, le Parti travailliste ne fut plus jamais en mesure de revenir au pouvoir autrement qu’en participant à des gouvernements dirigés par la droite, voire par l’extrême droite.

Netanyahou de plus en plus otage de l’extrême droite

À partir de 2009, Netanyahou, devenu le dirigeant du Likoud, est parvenu à se maintenir douze ans au poste de Premier ministre, battant ainsi le record de longévité détenu jusque-là par Ben Gourion. Mais, pour cela, il lui a fallu trouver des soutiens à l’extrême droite, qu’il a ainsi contribué à renforcer et dont il est devenu de plus en plus dépendant.

Il s’est ainsi allié aux nationalistes religieux du parti Foyer juif, dont l’un des dirigeants, Naftali Bennett, a été le porte-parole des colons de Cisjordanie. Avigdor Lieberman, qui avait appelé à « décapiter à la hache les Arabes israéliens infidèles à Israël », a occupé successivement les postes de ministre des Affaires étrangères puis de la Défense dans les gouvernements de Netanyahou.

En 2018, la droite et l’extrême droite au pouvoir ont imposé le vote d’un texte intitulé Israël en tant qu’État-nation du peuple juif, destiné à remplacer la formule « État juif et démocratique » définissant Israël jusque-là. Un tel changement visait à réduire encore la place accordée aux Arabes israéliens, qui représentent 20 % de la population du pays. Symboliquement, il abolissait le statut officiel que la langue arabe partageait avec l’hébreu depuis 1948. Enfin, un des articles stipulait : « L’État considère le développement de l’implantation juive comme un objectif national et agira en vue d’encourager et de promouvoir ses initiatives et son renforcement. »

Dans ce domaine, les gouvernements de Netanyahou ne se sont pas contentés de déclarations d’intentions. Ils ont autorisé la construction de centaines de logements dans les colonies juives, expulsant des Palestiniens de leurs habitations, déclarées illégales. Aujourd’hui, 475 000 Israéliens résident dans des colonies en Cisjordanie, où vivent 2,9 millions de Palestiniens. À ces colons s’ajoutent les 230 000 installés à Jérusalem-Est, où habitent plus de 360 000 Palestiniens.

En juin 2021, Netanyahou a été écarté du pouvoir par une coalition de huit partis, constituée par les travaillistes, des représentants de l’extrême droite comme Bennett et Lieberman, des politiciens de centre droit comme Yaïr Lapid, un ex-journaliste vedette de la télévision, et même une formation islamiste arabe. Bennett a succédé à Netanyahou au poste de Premier ministre et a poursuivi la politique de son prédécesseur dans tous les domaines, en particulier vis-à-vis des Palestiniens.

Ainsi, face à une multiplication d’actes de résistance, en particulier dans la jeunesse palestinienne, l’armée israélienne a lancé au printemps dernier une opération militaire au nom explicite : Briser la vague. Celle-ci a eu pour résultat de faire de l’année 2022 la plus meurtrière depuis dix-huit ans pour les Palestiniens, avec 144 victimes. Il faut aussi ajouter les arrestations particulièrement nombreuses : au 31 décembre, Israël maintenait 4 658 Palestiniens en détention provisoire pour des infractions liées à la sécurité, selon les chiffres des services carcéraux israéliens. Plus de 900 d’entre eux le sont au titre de la détention administrative, qui peut être arbitrairement prolongée sans aucune limite.

La coalition hétéroclite Bennett-Lapid a fini par éclater au bout d’un an, et Netanyahou est parvenu à revenir au pouvoir à l’issue des élections de novembre 2022.

« Défendre la démocratie »… sans dénoncer l’oppression des Palestiniens !

Le retour au pouvoir de Netanyahou s’est traduit par un durcissement de la répression contre les Palestiniens. L’armée israélienne mène des raids de plus en plus meurtriers, faisant des dizaines de morts, au sein même de villes palestiniennes, comme à Jenine et à Naplouse.

Présentée comme une réponse à des attentats commis par de jeunes Palestiniens, cette politique ne peut qu’alimenter l’escalade. Se sentant protégés, les colons juifs d’extrême droite ont multiplié les agressions à l’encontre de Palestiniens. La ville palestinienne d’Howwarah, située dans le nord de la Cisjordanie, a été attaquée dans la soirée du dimanche 26 février par des groupes de colons, qui ont pu se livrer à un pogrom antipalestinien, faisant un mort et une centaine de blessés, saccageant et incendiant de nombreux bâtiments, devant des militaires israéliens passifs, voire complices.

Les manifestations qui ont lieu depuis des mois, réunissant des dizaines de milliers de personnes dans les principales villes d’Israël, dénoncent l’alliance entre Netanyahou et l’extrême droite au nom de la défense de la démocratie. Mais il est remarquable qu’elles ne mettent pas du tout en cause la politique gouvernementale à l’égard des Palestiniens.

Leur seule cible est le projet de réforme du système judiciaire élaboré par Netanyahou afin de tenir les promesses faites à ses alliés d’extrême droite. Ce texte prévoit en effet de diminuer les pouvoirs de la Cour suprême, pour l’empêcher de remettre en cause une loi votée par les députés. Or la Cour suprême est souvent apparue comme un contre-pouvoir, notamment pour s’être parfois opposée à la création de certaines colonies ou à certains mouvements religieux.

Une partie de la population s’est inquiétée de la volonté du gouvernement d’accroître son pouvoir, d’autant plus que, avec le poids acquis en son sein par l’extrême droite, il y avait toutes les raisons de s’attendre à des attaques contre les droits des femmes, des homosexuels, des Arabes palestiniens, déjà considérés comme des citoyens de second ordre, et d’une façon générale contre les libertés publiques.

Parmi les initiateurs des manifestations figure Yaïr Lapid, qui cherche à revenir au pouvoir en confortant son image d’opposant à Netanyahou. On y trouve aussi de nombreuses personnalités de premier plan, anciens ministres, ex-dirigeants des services de sécurité, généraux à la retraite… Cela explique les limites politiques que les organisateurs de cette mobilisation ne veulent pas dépasser, se refusant à remettre en cause la politique qu’ils ont eux-mêmes mise en œuvre.

Pour ouvrir une perspective différente, mettre en avant la défense d’une démocratie qui n’a jamais existé pour les Palestiniens ne suffira pas. On ne peut combattre l’influence de l’extrême droite en Israël sans remettre en cause la politique de colonisation, sans contester plus généralement l’oppression dont sont victimes les Palestiniens depuis 1948.

Le renforcement de l’extrême droite et l’évolution vers un régime de plus en plus autoritaire sont la conséquence de l’état de guerre dans lequel le pays est obligé de vivre en permanence. S’opposer à cette évolution ne peut se faire sans remettre en cause la politique menée depuis la naissance d’Israël à l’égard des Palestiniens et des populations arabes de la région.

Il n’y aura pas de solution sans lutter contre l’impérialisme

Au Moyen-Orient, comme dans les autres régions du monde, les dirigeants des États impérialistes, à commencer par ceux des États-Unis, se préoccupent exclusivement de conforter des régimes capables de servir leurs intérêts contre les peuples. Depuis sa naissance, l’État israélien joue ce rôle de gendarme de l’ordre impérialiste, ce qui lui permet de bénéficier d’une totale impunité. Mais l’actuelle escalade de violence montre une fois de plus que la population israélienne ne pourra pas vivre en paix tant que les droits des Palestiniens ne seront pas reconnus.

En tant que révolutionnaires, nous sommes inconditionnellement solidaires de la lutte des Palestiniens pour faire reconnaître leurs droits nationaux. Rien ne peut justifier la politique de mépris et de violence des gouvernements israéliens, l’occupation militaire et la colonisation. Mais les organisations nationalistes palestiniennes ont elles-mêmes contribué à conduire leur peuple dans une impasse. Après la guerre des Six-Jours, qui avait entraîné un discrédit des États arabes, la lutte des Palestiniens était devenue un exemple pour les masses arabes. Cela aurait pu leur permettre de prendre la tête d’une révolte des masses populaires arabes à l’échelle de tout le Moyen-Orient, à la fois contre les États arabes en place et contre le système impérialiste qui les maintenait dans le sous-développement et la misère. Mais le seul objectif des dirigeants nationalistes palestiniens se limitait à obtenir la création d’un État dans le cadre de l’ordre impérialiste et à obtenir la reconnaissance diplomatique des grandes puissances.

Aujourd’hui, l’OLP en Cisjordanie et le Hamas à Gaza contrôlent chacun une partie de la fantomatique Autorité palestinienne issue des accords d’Oslo, y exerçant un pouvoir dictatorial. En plus des violences de l’armée israélienne, la population de ces territoires doit subir celles des appareils policiers palestiniens qui protègent les intérêts d’une minorité de privilégiés. La progression du courant islamiste, du Hamas ou d’autres mouvements concurrents et de leurs idées réactionnaires, constitue le pendant de la montée de l’extrême droite en Israël. Les deux évolutions s’alimentent et conduisent les deux peuples dans une même impasse.

La seule issue à ce conflit ne pourra être trouvée que dans une lutte commune menée par les exploités de la région, juifs et arabes, contre leurs propres dirigeants et les couches possédantes dont ils servent les intérêts, et contre l’impérialisme qui a tout fait pour dresser ces peuples les uns contre les autres.

30 mars 2023

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