Chine-États-Unis : une concurrence féroce mais inégale

Entre le boycott diplomatique des Jeux olympiques d’hiver et les mises en garde de Joe Biden à Xi Jinping contre « toute tentative de changer le statut de Taïwan », les tensions entre la Chine et les États-Unis semblent s’intensifier. Où en sont les relations entre les capitalistes chinois et leurs concurrents occidentaux ? La Chine est-elle devenue un pays impérialiste qui menacerait l’hégémonie américaine ? Après la guerre commerciale, une véritable guerre est-elle à l’ordre du jour entre ces deux pays ?

Une nouvelle superpuissance ?

Depuis la réintégration de la Chine dans le marché mondial, démarrée dans les années 1980 à l’initiative des États-Unis et principalement pour le bénéfice de leurs capitalistes, la Chine a connu un développement spectaculaire. Les travailleurs chinois produisent aujourd’hui 25 % de la valeur ajoutée mondiale, contre 5 % dans les années 1990. Ce développement industriel a transformé la Chine. Elle compte aujourd’hui 22 villes de plus de 5 millions d’habitants. Elles sont reliées par quelque 30 000 kilomètres de lignes TGV récentes. La capacité de la Chine à envoyer des satellites et des hommes dans l’espace alimente son image de superpuissance technologique.

En même temps, elle garde de nombreux traits d’un pays sous-développé. S’il y a mille Chinois milliardaires en dollars et trois cents millions de petits bourgeois au niveau de vie proche de leurs homologues occidentaux, 600 millions de prolétaires et de paysans disposent d’un revenu mensuel inférieur à 125 euros.

Si le développement de la Chine reste profondément inégalitaire, il a fait émerger de très grandes entreprises. En 2021, selon le classement Forbes, parmi les 50 premières entreprises mondiales, 13 étaient chinoises, trois dans l’économie du numérique, dont Alibaba et Tencent, une dans le pétrole, Sinopec, toutes les autres étant des banques. Ces chiffres alimentent l’image d’une Chine devenue l’alter ego des États-Unis. Mais c’est une illusion d’optique.

La place des banques chinoises ne reflète pas leur domination sur l’économie mondiale, mais le fait qu’elles financent l’économie d’un pays de 1,4 milliard d’habitants. Contrairement aux grandes banques d’affaires occidentales, les banques chinoises réalisent l’essentiel de leurs investissements à l’intérieur du pays. En 2016, la plus grande banque du pays, ICBC, réalisait plus de 90 % de ses bénéfices en Chine. Ces banques sont directement liées à l’État chinois. Leur taille colossale reflète une autre caractéristique du développement économique chinois : son endettement massif, qui s’est accéléré après la crise de 2008.

La monnaie chinoise, le renminbi, ou yuan, n’est pas une monnaie internationale comme le dollar ou l’euro. Même si le FMI l’a intégré en 2015 dans le panier de monnaies avec lesquelles il effectue ses droits de tirage spéciaux, c’est-à-dire les prêts qu’il accorde à divers pays pauvres, le yuan est très peu utilisé en dehors de la Chine. Son taux de change avec les autres monnaies n’est pas établi sur le marché des devises, mais par le gouvernement chinois, qui cherche à limiter la valeur du yuan par rapport au dollar pour favoriser les exportations chinoises. Moins de 2,5 % des réserves des banques centrales des pays riches sont en yuans contre 60 % en dollars et 20 % en euros.

Depuis janvier 2020, le gouvernement chinois a réduit les obstacles juridiques qui empêchaient les capitaux occidentaux de s’investir dans des entreprises chinoises. Dans l’automobile, le matériel ferroviaire et les banques, les entreprises occidentales n’ont plus besoin de faire des joint-ventures (coentreprises) avec des sociétés chinoises. Dans ces secteurs, des groupes chinois disposent d’une technologie assez compétitive pour faire face à la concurrence occidentale.

Le gouvernement chinois a encouragé les entreprises chinoises à se coter sur des Bourses étrangères pour lever des capitaux. Selon Le Monde diplomatique, « les flux entrants américains en Chine ont totalisé 620 milliards de dollars pendant la présidence de Donald Trump, auxquels il faut ajouter des dizaines d’introductions en Bourse d’entreprises chinoises sur les places américaines. Fin 2019, les investisseurs américains détenaient au moins 813 milliards de dollars d’actions et d’obligations chinoises, contre 368 milliards en 2016. »[1]

Ces chiffres montrent que, malgré les discours protectionnistes de Trump, les capitalistes américains ont augmenté leurs participations dans les entreprises chinoises. Le couplage entre l’économie chinoise et l’économie américaine s’est accentué et cette interdépendance continue de se faire au bénéfice principal des capitalistes américains.

Des relations inégalitaires

La Chine est toujours l’atelier du monde. Du fait de la hausse relative des salaires ouvriers en Chine (13 à 15 % par an depuis 2008, contre 1 à 2 % en France), certains industriels, comme Samsung, ont délocalisé leur production vers le Vietnam ou l’Inde, où ils imposent des salaires encore plus bas. Mais ce mouvement reste marginal car, comme le dit un représentant patronal, « la Chine est encore le meilleur marché pour les multinationales. C’est le seul pays à offrir une main-d’œuvre aussi qualifiée en même temps qu’une chaîne de production complète. » Autrement dit, pour un haut niveau de qualification et de productivité, les salaires restent bas.

En parallèle, la Chine est un marché incontournable. La construction d’infrastructures importantes et l’existence d’une petite bourgeoisie avec un bon niveau de vie font rêver les capitalistes occidentaux. Certes, la concurrence est rude et ils trouvent désormais face à eux des industriels chinois puissants dans plusieurs secteurs. C’est le cas de la construction ferroviaire avec CRRC, qui produit 200 TGV par an contre 35 pour Siemens et Alstom réunis. C’est vrai pour le secteur automobile, pour lequel la Chine est le premier marché au monde mais sur lequel les constructeurs chinois, comme Geely ou Saïc, dépassent désormais les Occidentaux. Malgré tout, Volkswagen vend aujourd’hui la moitié de sa production en Chine et les riches Chinois continuent de rouler en BMW, Tesla et Mercedes.

La Chine reste un marché majeur pour Boeing et Airbus, qui y vendent 20 % de leur production. Selon les termes d’une brochure destinée à promouvoir les investissements français en Chine, des secteurs entiers restent « ouverts » ou « en développement », faute de concurrents chinois de même niveau. Outre l’aéronautique, il s’agit des équipementiers automobiles, de certains secteurs de l’agroalimentaire et bien sûr de l’industrie du luxe. Valeo, Danone, LVMH ou Hermès y réalisent une part non négligeable de leurs profits et ne quitteront pas le marché chinois de sitôt.

Dans la plupart des domaines, les capitalistes occidentaux dominent leurs concurrents chinois. C’est le cas des semi-conducteurs, dont la pénurie actuelle, provoquée avant tout par l’existence de monopoles et l’absence de planification de l’économie, est utilisée par les politiciens pour dénoncer la dépendance de l’Europe à l’égard de l’Asie. Le principal fabricant n’est pas chinois, mais taïwanais. C’est la société TSMC, qui a acquis en vingt ans un quasi-­monopole, avec le Coréen Samsung, pour produire les puces les plus performantes.

TSMC a été fondé en 1987 par Morris Chang, un Chinois émigré aux États-Unis après la victoire de Mao en 1949, longtemps ingénieur chez Texas Instruments, avant d’être débauché par le gouvernement taïwanais. TSMC vend ses semi-conducteurs au monde entier. La Chine lui en achète chaque année pour 11 milliards d’euros, car les fabricants chinois de semi-conducteurs ne peuvent produire des puces de même qualité. Les industriels chinois sont à la merci d’un embargo comme celui qui a été imposé à Huawei depuis 2019.

Mais TSMC, malgré sa taille immense et ses investissements par dizaines de milliards d’euros, reste un sous-traitant dont les produits sont entièrement conçus en Californie par Apple, Qualcomm ou Nvidia. Quant aux machines utilisées pour graver les semi-­conducteurs les plus récents, avec une précision de cinq nanomètres, elles sont produites par la société néerlandaise ASML, fondée par Philips. Ces bijoux technologiques sont vendus 120 millions d’euros l’unité. En position de monopole, ASML a vu sa capitalisation boursière s’envoler depuis deux ans, dépassant même celle de Volkswagen. À ce jour, le gouvernement néerlandais interdit à ASML de vendre ses machines aux fabricants chinois de semi-conducteurs.

Cet exemple illustre plusieurs aspects de la mondialisation. D’abord, que l’amélioration de la productivité et les progrès techniques sont indissociables de la division internationale du travail. La relocalisation de la production vantée par tant de politiciens est absurde et serait catastrophique. Ensuite, cette mondialisation continue de profiter d’abord aux capitalistes des vieux pays impérialistes, qui gardent des longueurs d’avance au niveau technologique et accaparent la part du lion de la plus-value.

Un nouvel impérialisme ?

Cela n’empêche pas que de grands groupes chinois, Huawei, Cosco, Alibaba, Geely, Sinopec et quelques autres, liés à l’État, ont émergé dans différents domaines.

La presse annonce régulièrement la prise de participation de groupes chinois dans les entreprises occidentales. Les dirigeants politiques désignent ces groupes comme des prédateurs qui menaceraient les industriels occidentaux et donc les emplois. C’est ainsi que l’échec de la fusion entre Alstom et Siemens en 2019 a été présenté par Bruno Le Maire comme un boulevard pour le constructeur ferroviaire chinois CRRC. Or à ce jour, aucun TGV chinois n’a été acheté par les opérateurs européens.

Cette propagande vise à faire serrer les rangs des travailleurs derrière leurs exploiteurs. Comme si les capitalistes français, allemands ou américains n’étaient pas les premiers responsables des suppressions d’emplois, des fermetures d’usines et des attaques contre les conditions d’existence des travailleurs !

Au-delà de la propagande, il y a cependant une réalité. Comme tous les capitalistes du monde, ceux de Chine cherchent à rafler des parts de marché à leurs concurrents, et si possible à prendre le contrôle de ces derniers. Parmi les groupes chinois qui cherchent à conquérir le vaste monde, il y a Huawei, créé en 1987 par un ancien colonel de l’armée chinoise pour produire du matériel et des réseaux pour les opérateurs téléphoniques. Huawei est devenu un temps le deuxième fabricant mondial de téléphones portables, derrière Samsung mais devant Apple. C’est son avance dans les réseaux et la technologie de la 5G qui fait de Huawei un concurrent menaçant.

En 2010, Geely a racheté la branche automobile de Volvo puis, en 2013, les taxis londoniens. Depuis 2018, il détient presque 10 % des actions de Daimler. Cosco Shipping, premier armateur chinois et troisième mondial, s’est fait remarquer en rachetant le port du Pirée, près d’Athènes, en 2016. Il possède des installations portuaires en Afrique. Jusqu’en décembre dernier, Cosco était cité parmi les candidats au rachat des installations portuaires de Bolloré en Afrique. Certains en tiraient la conclusion que la Chine allait remplacer la France dans ses anciennes colonies africaines, jusqu’à ce que Bolloré annonce qu’il revendait sa filiale logistique au groupe italo-suisse MSC.

La présence économique de la Chine en Afrique alimente l’idée qu’elle serait devenue une puissance impérialiste. Rachat de mines de cuivre ou de cobalt en République du Congo longtemps exploitées par des Américains ou des Canadiens ; exploitation pétrolière par Sinopec au Soudan, au Gabon ou en Angola ; achats de terres agricoles ou de forêts du Mozambique au Cameroun ; chantiers de construction dans des divers pays : la Chine multiplie les contrats commerciaux en Afrique. Selon le journal sénégalais Le Soleil, de janvier à septembre 2021 le commerce Chine-Afrique a atteint 164 milliards d’euros, faisant de la Chine le premier partenaire commercial de l’Afrique.

Détenant 62 % des prêts directs d’État à État en 2020, la Chine finance ainsi des routes, des hôpitaux, etc. Le Kenya lui a emprunté 3,5 milliards de dollars pour construire la nouvelle ligne ferroviaire Nairobi-Mombasa, bâtie et exploitée par la société chinoise CRBC. Ces prêts étant souvent indexés sur le cours des matières premières, ses fluctuations rendent de nombreux États incapables de rembourser leur dette, même en pressurant leur population. Ils doivent alors demander, comme l’Angola et le Kenya, un moratoire à la Chine.

De ce point de vue, malgré les discours sur la coopération entre les pays, malgré sa posture anti-impérialiste, la Chine se comporte en Afrique comme les vieilles puissances coloniales. Elle entretient les mêmes échanges inégaux. Ce constat a donné à Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères de Macron, l’occasion de condamner la Chine qui « met les pays sous tutelle après avoir réalisé des investissements et poussé à l’endettement »[2]. C’est vraiment l’hommage du vice à la vertu ! Car, en matière de mise sous tutelle et de développement inégal, la Chine ne joue pas dans la même division que les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France. La Chine ne possède que 7,5 % de la dette totale africaine. Les secteurs que les entreprises chinoises investissent sont ceux que l’impérialisme a délaissés.

Ces puissances défendent bec et ongles leurs prérogatives, les mines, installations pétrolières, réserves de minerais, auxquelles elles tiennent. Pour les défendre, la France ou les États-Unis renversent des régimes et mènent des guerres en permanence, comme la sale guerre du Sahel. La Chine n’est que le cinquième fournisseur d’armes en Afrique, très loin derrière la France.

L’impérialisme, c’est la mobilisation des forces armées, de la diplomatie et des services secrets pour défendre les intérêts économiques des grands groupes nationaux. En Afrique, la France dispose de quatre bases militaires permanentes et a des troupes dans cinq autres pays. Les États-Unis ont 14 bases permanentes et 20 camps temporaires. La Chine, elle, n’a qu’une seule base militaire, à Djibouti. D’après le Wall Street Journal, elle serait en pourparlers avec la Guinée équatoriale pour en ouvrir une seconde, ce qui provoque l’hostilité et le veto des États-Unis. La comparaison est éloquente.

Le « rêve chinois » de Xi Jinping

Depuis son arrivée au sommet du pouvoir en 2012, Xi Jinping a affiché sa détermination à restaurer la grandeur de la Chine. Avec le programme dit des « nouvelles routes de la soie », il promeut le financement d’infrastructures destinées à faciliter les exportations chinoises et la prise de participation dans des entreprises occidentales. En parallèle, il a multiplié les investissements militaires. Le budget militaire chinois, très loin derrière celui des États-Unis (250 milliards de dollars en 2021, contre 750) est désormais le deuxième au monde.

Cette intervention systématique de l’État chinois, qui fait hurler les dirigeants occidentaux, n’a rien d’original. C’est l’attitude de tous les États depuis la naissance du capitalisme. C’est pour servir leurs bourgeoisies respectives que la Grande-Bretagne et la France ont mis en coupe réglée les trois quarts de la planète au 19e siècle, dont la Chine. Sans remonter si loin, quand Macron part en tournée dans le golfe Persique, c’est pour vendre les Rafale de Dassault.

La bourgeoisie chinoise s’est développée un siècle après son homologue occidentale, en position de faiblesse, dans une économie déjà dominée par les puissances impérialistes. À chaque étape, elle n’a pu le faire qu’avec la protection de l’État chinois. Après le « siècle de la honte » de domination et de pillage par les puissances capitalistes européennes, l’armée et le parti dirigés par Mao Zedong, un parti nationaliste et non pas communiste, s’appuyant sur une révolution paysanne, ont chassé les seigneurs de guerre pro-occidentaux, annulé les traités inégaux et restauré un appareil d’État centralisé et autoritaire. Jusqu’aux années 1970, du fait de l’isolement économique imposé par les États-Unis, de l’arriération du pays, de la faiblesse et du caractère parasitaire de la bourgeoisie chinoise, l’État a mis en place une planification, pour tenter de développer les industries de base et quelques infrastructures.

Quand les dirigeants américains, sous Nixon, ont accepté de desserrer l’étau sur la Chine pour profiter de sa main-d’œuvre, Deng Xiaoping, artisan de cette réinsertion dans l’économie capitaliste, a veillé à ce qu’elle reste contrôlée et que les investissements occidentaux en Chine s’accompagnent de transferts de technologie. Pour permettre à la bourgeoisie chinoise de s’enrichir sans vergogne, Deng a mis fin au « bol de riz en fer » pour les ouvriers chinois, privatisé des entreprises publiques et poussé des millions de paysans à venir se faire embaucher dans les nouveaux bagnes industriels modernes. Depuis 40 ans, cet enrichissement s’est fait à l’ombre et sous la tutelle de l’État, qui a veillé à ce que la réintégration de la Chine ne se transforme pas en nouvel asservissement complet.

Xi Jinping est arrivé au pouvoir après la crise de 2008, une période où la concurrence entre les capitalistes s’est tendue. Dans chaque pays, les gouvernements ont multiplié les interventions de toute nature en faveur de leur bourgeoisie. Dans ce contexte, pour continuer de défendre les intérêts de la bourgeoisie chinoise, Xi Jinping doit montrer ses muscles. Mais l’agressivité n’est pas du côté chinois.

Guerre économique : le raidissement des États-Unis

Dans la jungle du capitalisme, la suprématie n’est jamais acquise et doit être sans cesse défendue. C’est ce qui explique les mesures protectionnistes et les postures guerrières, non pas de la Chine, mais des États-Unis.

Il y a cinq ans, l’arrivée de Trump au pouvoir, avec son style et ses propos brutaux, a marqué une accélération dans les tensions entre les deux pays. En réalité, déjà sous Obama (2009-2017) l’attitude des États-Unis vis-à-vis de la Chine était un mélange d’ouverture et de fermeté : ouverture pour les intérêts américains en Chine, et fermeté pour les concurrents chinois à l’extérieur. En signant le « partenariat transpacifique », Obama avait renforcé les relations avec le Japon, le Vietnam et l’Inde, pour cerner la Chine, exclue de ce traité.

En 2018, Trump a décrété une série de mesures protectionnistes dans divers domaines : l’acier, l’aluminium, l’électroménager, suivis par des produits technologiques et de télécommunication. La décision la plus spectaculaire a été la mise à l’index de Huawei, interdit de toute exportation sur le territoire américain et, par ricochet, dans des pays alliés des États-Unis, dont l’Australie ou la Grande-Bretagne. Il a été privé de l’accès à ses fournisseurs indispensables, à commencer par les semi-conducteurs produits par le taïwanais TSMC.

Joe Biden a succédé à Trump et a changé de style. Mais son administration poursuit la même politique dans ses relations avec la Chine. Ainsi, le 3 juin dernier, Biden a renouvelé et étendu un décret destiné à faire face à la « menace posée par le complexe militaro-industriel de la République populaire de Chine » en criminalisant des personnes et des entreprises liées à ce complexe. La Maison-Blanche a ciblé six secteurs qu’elle veut soustraire aux importations chinoises.

Les provocations occidentales

Tous les reportages présentent la Chine comme menaçante. Elle préparerait l’invasion de Taïwan et voudrait transformer la mer de Chine méridionale en chasse gardée, au détriment des intérêts des pays riverains, le Vietnam, la Malaisie et les Philippines. La réalité est différente !

En mer de Chine méridionale, la Chine revendique divers îlots inhabités pour étendre ses eaux territoriales. Elle y a installé des pistes d’atterrissage et fait naviguer à proximité bateaux de pêche et navires de guerre. Pour la contrer, les États-Unis et leurs alliés envoient des patrouilles maritimes prétendant vérifier, au nom du respect du droit international, que la route est libre et ouverte à tous. Ces opérations consistent à faire manœuvrer des navires de guerre dans les 12 milles nautiques des îles artificielles aux mains de la Chine, les considérant ainsi comme des eaux internationales.

Les Chinois répliquent à ces provocations en envoyant à leur tour des avions et des bâtiments de guerre ou en tirant des missiles. Jusqu’ici, les manœuvres ont été de part et d’autre minutieusement calibrées pour éviter tout dérapage. Mais régulièrement les destroyers chinois s’approchent à quelques mètres des navires américains, et un dérapage est possible. Sans discuter de la légitimité des revendications chinoises sur cette mer, il faut imaginer ce que serait la réaction des États-Unis si des navires de guerre chinois patrouillaient en formation à quelques kilomètres des côtes de la Floride ou de la Californie !

Xi Jinping organise régulièrement des exercices militaires dont la cible est la marine américaine. Mais, ce faisant, l’État chinois ne fait rien d’autre que marquer son territoire et résister aux pressions occidentales.

Taïwan, une île peuplée de 23 millions d’habitants, chinois par leur langue et leur culture, avait été occupé par le Japon jusqu’à sa défaite en 1945. C’est sur cette île que Tchang Kaï-chek s’était réfugié en 1949, avec les débris de son armée et près de deux millions de réfugiés chinois anticommunistes. Pendant près de 40 ans, le Kuomintang a exercé une dictature féroce sur Taïwan et revendiqué sa souveraineté sur la Chine continentale. La loi martiale n’a été levée qu’en 1987. Jusqu’au rétablissement des relations entre la Chine maoïste et les États-Unis, ces derniers considéraient Taïwan comme le seul État chinois ! Eux, qui prétendent aujourd’hui protéger la « démocratie » taïwanaise, n’ont jamais été gênés par la dictature de Tchang Kaï-chek et de ses héritiers.

Aux yeux de Pékin, Taïwan est une province chinoise. Des avions chinois font régulièrement des incursions, non pas au-dessus de Taïwan, mais à la marge de ses eaux territoriales. Les dirigeants américains, pour qui Taïwan est une tête de pont tant du point de vue économique que militaire, à quelques centaines de kilomètres de la Chine, entretiennent l’image d’une Chine belliciste. Ils dénoncent, comme Joe Biden en novembre, « la pression militaire, diplomatique et économique continue de la République populaire de Chine contre Taïwan ». Des auteurs multiplient les scénarios d’une invasion de Taïwan par la Chine mais, pour l’instant, une telle invasion relève de la science-fiction et les revendications chinoises restent rhétoriques.

La guerre, une menace toujours plus proche

Par contre, les États-Unis et leurs alliés, eux, augmentent mois après mois la pression militaire sur la Chine. Le français Naval Group en a fait les frais en septembre dernier, perdant brutalement le contrat des sous-marins vendus à l’Australie. Sous le nom d’Aukus, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont bâti une nouvelle alliance militaire contre la Chine. L’Australie va acheter des sous-marins à propulsion nucléaire, plus puissants. Le gouvernement australien a programmé 354 milliards d’euros de dépenses militaires pour les dix prochaines années.

Le Japon, autre pays voisin de la Chine, subit les pressions américaines pour augmenter son budget militaire. La Constitution japonaise de 1947 affirme pourtant que le Japon « renonce à la guerre ». Depuis 1976, les dépenses militaires de ce pays sont restées plafonnées à 1 % du PIB. En mai dernier, le ministre de la Défense déclarait : « Nous devons augmenter nos capacités à un rythme radicalement différent de celui du passé. »[3] Fin novembre, invoquant « la sévérité de l’environnement sécuritaire autour du Japon »[4], le Premier ministre a décidé une rallonge de 6 milliards d’euros pour le budget 2021, qui atteindra 47,2 milliards d’euros, autant que la France… qui n’a pas renoncé à la guerre. Il envisage de doubler ce budget militaire dans les prochaines années. Clairement, le Japon se donne les moyens de faire la guerre. La pression américaine et de ses alliés contre la Chine prend de multiples autres formes, mélange d’actions économiques, douanières, diplomatiques et militaires.

Malgré ces pressions et ces tensions, les relations économiques entre la Chine et le reste du monde continuent de s’approfondir. Il n’y a pas un découplage entre l’économie chinoise et celle des États-Unis, mais au contraire un couplage, une interdépendance toujours plus profonde et inéluctable. Mais cette interdépendance économique se fait dans le cadre du marché capitaliste. Elle est conduite, non pas de façon rationnelle et planifiée, mais par des rapports de force brutaux, par une lutte à mort entre des groupes capitalistes concurrents. Dans cette concurrence, les capitalistes, occidentaux comme chinois, peuvent compter sur le soutien inconditionnel de leurs États, prêts à mobiliser tous leurs moyens, y compris militaires.

Dans cette guerre, aujourd’hui encore principalement commerciale mais qui peut devenir bientôt une guerre tout court, la Chine et les puissances impérialistes ne sont pas à égalité. La Chine est en position défensive, tandis que les États-Unis, pour maintenir la suprématie de leurs capitalistes et empêcher l’émergence de concurrents trop puissants, sont à l’offensive.

À ce jour, aucun mécanisme précis de guerre n’est enclenché, mais chaque puissance s’y prépare méticuleusement en se dotant d’un arsenal militaire et en préparant ses alliances. Cette guerre en préparation n’est pas celle des travailleurs. C’est la guerre de ceux qui les exploitent partout sur la planète, en France comme en Chine, aux États-Unis comme en Afrique, pour accaparer la plus grande part de profits, au détriment de leurs concurrents. Au fur et à mesure que les tensions vont s’aggraver, la propagande visant à présenter les dirigeants chinois comme des fauteurs de guerre et de dangereux dictateurs qu’il faut empêcher de nuire va s’intensifier. Et elle viendra de tous les partis. Pour certains, ce sera au nom de la compétitivité, pour d’autres au nom de l’emploi, au nom du réchauffement climatique ou encore au nom de la défense des Ouïghours. Tout cela ne sera qu’habillage et hypocrisie car, si le régime chinois est incontestablement une dictature féroce, et avant tout contre les ouvriers chinois, ce n’est sûrement pas cela qui dérange Macron, Biden ou Johnson.

N’oublions pas le mot d’ordre lancé en pleine Première Guerre mondiale par le révolutionnaire allemand Karl Liebknecht : « L’ennemi principal est dans notre propre pays ! »

9 janvier 2022.

 

[1]              Le Monde diplomatique de novembre 2021.

 

[2]              Interview de Jean-Yves Le Drian, Le Monde du 19 novembre 2021.

 

[3]              Le Monde du 26 novembre 2022.

 

[4]              Idem.