Australie : un impérialisme de second rang aux avant-postes contre la Chine

Appendice durant des décennies de la domination britannique dans le Pacifique sud et en Asie, l’Australie est devenue à la faveur de la Deuxième Guerre mondiale puis de la guerre froide une tête de pont, au sens figuré comme militaire du terme, de l’impérialisme américain, en Océanie. Au-delà de sa propre zone d’influence, elle a soutenu et participé à toutes ses sales guerres, du Vietnam à l’Afghanistan en passant par le Moyen-Orient. Devenue une puissance économique à part entière, elle tient aujourd’hui une place grandissante dans la politique d’endiguement de la Chine.

Deux faits sont venus rappeler ces derniers mois le rôle de plus en plus dévolu à l’Australie dans le maintien de l’ordre impérialiste. En premier lieu, la signature, le 17 novembre dernier, d’un nouveau pacte de défense pour la région indo­pacifique entre le Japon et l’Australie : un accord devant permettre aux militaires des deux pays d’organiser des manœuvres sur leur territoire respectif, de renforcer l’inter­opérabilité de leurs forces et, au besoin, de poster des troupes sur le territoire de l’autre. Ce texte vient compléter l’alliance militaire orchestrée par les États-Unis dans cette partie du monde entre ces deux alliés de longue date et avec l’Inde, contre la Chine. En second lieu, hasard du calendrier, il y a eu deux jours plus tard la reconnaissance par le général Angus Campbell, le chef de l’armée australienne, des exactions meurtrières commises durant des années par ses forces spéciales en Afghanistan, scandale dont les médias du pays s’étaient fait l’écho depuis des mois mais que le pouvoir avait voulu étouffer, et qui met en lumière la position de supplétif de l’impérialisme américain tenue par la puissance australienne jusque dans ses basses œuvres.

Depuis une vingtaine d’années, les États-Unis ont explicitement reconnu à cette dernière, sixième État du monde pour sa superficie, mais peuplé seulement de 26 millions d’habitants, le statut de police locale de ses intérêts dans cette partie du monde. En 1999, Jon Howard (Premier ministre de 1996 à 2007) avait même fièrement revendiqué pour son pays le titre de « shérif adjoint » face à un « arc d’instabilité » désignant explicitement la Chine, au-delà des circonlocutions diplomatiques. Ce qui lui permettait de justifier les interventions passées et futures de ses forces armées dans un large périmètre.

Cette propagande et cette mission parachèvent en quelque sorte une évolution amorcée dès la naissance de cette ancienne colonie britannique.

Une colonisation marquée par la violence et les déportations

Tardivement découverts par les Européens (1606), les territoires de l’Océanie sont restés longtemps à l’abri des pillages et des conquêtes coloniales. Une première colonie pénitentiaire fut établie en 1788 en Nouvelle-Galles du Sud. La fête nationale du 26 janvier (Australia Day) en rappelle encore la fondation. Mais, quatorze fois grande comme la France, l’Australie ne devint un enjeu important pour la puissance britannique, qui se l’était attribuée, qu’à partir du milieu du 19e siècle, après la découverte d’immenses gisements aurifères. Une ruée vers l’or s’ensuivit, qui attira également des travailleurs venus de Chine : ils durent rapidement faire face à la violence et au racisme des Britanniques. Mais il fallut aussi employer les moyens les plus brutaux pour fournir la force de travail indispensable à l’exploitation de ce vaste territoire des antipodes. On eut de nouveau recours à la déportation. Plus de 160 000 condamnés, de droit commun, militants politiques, syndicalistes furent ainsi déportés par le Royaume-Uni vers l’Australie, jusqu’en 1868.

L’essor des plantations de canne à sucre et de coton dans l’État actuel du Queensland entraîna également dans un premier temps la déportation de dizaines de milliers de travailleurs, mélanésiens ou indiens notamment, que les propriétaires, dont la CSR (Colonial Sugar Refining Company, compagnie coloniale de raffinage de sucre), soumirent à un quasi-esclavage. Celui-ci fut imposé également sur plusieurs îles, dont les Fidji. À l’instar du mouvement qui poussa des millions d’Européens à tenter leur chance vers le continent américain, l’Australie attira, dans des proportions bien moindres, des vagues successives de migrants. Mais, fidèles à l’idéologie coloniale et impériale qui prévalait alors dans les colonies européennes, les autorités locales, au nom de la politique de l’Australie blanche (White Australia Policy) refusèrent dès 1901 d’accueillir des populations non blanches. Et ce d’ailleurs avec l’assentiment du mouvement travailliste australien, un des premiers à accéder au pouvoir dans le monde, qui prétendait ainsi protéger les travailleurs de l’île de la concurrence étrangère et des bas salaires.

L’ancienne métropole britannique pourvut enfin en partie aux besoins de main-d’œuvre en déportant près d’un demi-million d’enfants âgés d’un à seize ans, orphelins ou arrachés à certaines familles parmi les plus pauvres, de 1918 jusqu’au début des années 1970.

La population aborigène fut quant à elle chassée, reléguée dans des réserves, sans droits ni accès à l’éducation ou à la santé, et fut l’objet durant des décennies d’un racisme institutionnel, véritable apartheid qui ne disait pas son nom. De 350 000 à l’arrivée des premiers Européens, le nombre des membres de ces communautés, qui avaient peuplé l’île depuis des dizaines de milliers d’années, diminua de moitié en un peu plus d’un siècle.

Une excroissance de l’impérialisme britannique

En 1901, les six colonies originelles se constituèrent en État fédéral. En l’absence d’une véritable armée nationale à même de faire face aux appétits des puissances à l’œuvre dans la région, à commencer par la France, l’Allemagne (qui possédait un certain nombre d’îles et notamment une partie de la Nouvelle-Guinée) et le Japon, la puissance britannique demeura toutefois une assurance indispensable. D’autant que la bourgeoisie australienne dépendait alors très largement des marchés et des débouchés de l’Empire. Mais les classes dirigeantes affichèrent très vite leurs propres ambitions politiques et territoriales.

Elles envoyèrent des troupes, de façon symbolique car sans portée militaire significative, participer à plusieurs interventions armées de l’impérialisme britannique. C’est ainsi que des soldats australiens combattirent en Afrique du Sud lors de la guerre des Boers (de 1899 à 1902) ou en Chine, lors de la répression de la révolte nationaliste des Boxers (de 1900 à 1901). Dans le même temps, la Nouvelle-Guinée fut conquise par l’impérialisme britannique en quelque sorte pour le compte des grands propriétaires des plantations de canne australiens, qui en furent les principaux bénéficiaires. Les dirigeants se réclamèrent d’un équivalent austral de la politique exprimée dans la doctrine Monroe menée par l’impérialisme américain dans son arrière-cour : aucun territoire au sud de l’équateur ne devait échapper à l’emprise, ou du moins au contrôle, de l’Australie, forte de son « droit naturel » à dominer ses voisins, en tant que poste avancé de la civilisation européenne.

La participation d’un important contingent australien aux combats de la Première Guerre mondiale (près de 14 % de sa population fut alors mobilisée), qui causèrent la mort de 60 000 jeunes, permit à l’Australie de figurer parmi les puissances victorieuses du conflit et d’exiger sa part des dépouilles de l’empire allemand. Elle servit aussi à la classe politique pour imposer le mythe de la naissance, dans le sang, d’une nation australienne.

Présent au congrès de Versailles, au cours duquel les grandes puissances impérialistes organisèrent le nouveau partage de l’Europe et d’une partie du monde, le Premier ministre australien ne manqua pas de réclamer et d’obtenir la mainmise sur les possessions allemandes dans le Pacifique sud ni de s’opposer à certaines prétentions japonaises. Dès 1914, les compagnies australiennes s’étaient d’ailleurs implantées en Nouvelle-Guinée et sur l’île de Nauru, dont elles exploitèrent la population, pour y extraire le phosphate. Les conditions d’expropriation et de travail imposées aux habitants furent si brutales et les liens avec la classe politique australienne si poussés qu’ils déclenchèrent même un scandale de première classe en Australie au début des années 1920. Analysant la situation en Orient et les perspectives pour les révolutionnaires lors de son quatrième congrès, l’Internationale communiste rangeait sans conteste l’Australie parmi les puissances impérialistes.

Durant l’entre-deux-guerres, le capitalisme australien se renforça, le plaçant de facto sur la route de l’impérialisme japonais. Dès 1933, le journal Sydney Daily Telegraph expliquait : « La guerre avec le Japon est inévitable. » L’entrée du Japon dans la guerre contre les États-Unis, marquée par le bombardement spectaculaire de leur base navale de Pearl Harbor, allait installer l’Australie au cœur du conflit impérialiste dans cette région du monde.

un allié fidèle de l’impérialisme américain

Après la défaite de l’armée britannique, à Singapour en février 1942 les États-Unis devinrent la nouvelle puissance tutélaire de l’Australie, un allié d’un poids bien plus conséquent pour faire valoir ses propres ambitions dans le Pacifique sud et dans une partie de l’Asie.

De gigantesques bases militaires furent alors installées sur le territoire australien, qui servit durant plusieurs années de zone d’approvisionnement, d’entraînement, de transit pour l’armée américaine et de base de décollage pour ses bombardiers.

Les troupes australiennes combattirent sous le commandement du général MacArthur, notamment en Nouvelle-Guinée, tandis que les industries du pays alimentèrent la machine de guerre.

Ce rôle dévolu à l’Australie se renforça encore après le déclenchement de la guerre froide et surtout l’arrivée au pouvoir de Mao en Chine, lui donnant une coloration ouvertement anticommuniste. Le champion de cette politique d’alignement, ou de suivisme, derrière les États-Unis fut pour près de deux décennies Robert Menzies, qui remporta, contre les travaillistes, les élections de 1949 pour le compte d’un parti alliant conservateurs et libéraux. Défendant l’idée d’une politique de « défense avancée », Percy Spender, alors ministre des Affaires étrangères, expliquait : « L’Australie est à la porte de l’Asie et notre destinée en tant que nation est irrévocablement conditionnée par les événements qui se déroulent là-bas. » C’était lier les ambitions de la bourgeoisie australienne aux victoires de l’impérialisme américain. Et il se faisait fort pour cela d’« arracher les dents à l’impérialisme communiste ».

C’est dans ce cadre, et en position en quelque sorte de mercenaire au service de l’impérialisme, que l’Australie participa à la guerre de Corée, ainsi qu’aux combats livrés contre une guérilla communiste par l’impérialisme britannique en Malaisie entre 1948 et 1960.

Dès 1951, l’Australie, ainsi que la Nouvelle-Zélande, signa avec les États-Unis le pacte de l’Anzus (acronyme renvoyant au traité de sécurité entre ces trois puissances), qui intégrait le pays dans le dispositif américain d’« endiguement du communisme ».

De nouvelles bases militaires furent créées ou étendues, notamment dans le domaine du renseignement à Pine Gap, Nurrungar et Nortwest Cape.

Cet alignement eut sa traduction militaire tout au long de la guerre du Vietnam, au service de laquelle l’Australie mit ses installations et 60 000 hommes, malgré l’opposition d’une importante fraction de la jeunesse, opposée à la conscription et à cette sale guerre.

Poste avancé de l’impérialisme, l’Australie a donc également été placée en première ligne dans le soutien politique et militaire à la dictature de Suharto en Indonésie à partir de 1965. Complice et fournisseur d’armements de ce régime responsable de centaines de milliers d’assassinats au nom de la lutte contre le danger communiste, l’Australie en tira avantage sur le plan économique, en s’octroyant notamment jusqu’à aujourd’hui la majeure partie d’importants gisements gaziers et pétrolifères aux dépens du Timor oriental.

Lorsque le Fretilin (Front révolutionnaire pour l’indépendance du Timor oriental) proclama en 1975 l’indépendance de cette ancienne colonie portugaise, à la faveur de la chute du régime de Salazar et de la révolution des Œillets, l’Australie soutint l’invasion de ce territoire par l’armée indonésienne. Les 160 firmes adhérant au Comité de coopération ­inter-­entreprises ­australo-indonésien n’étaient pas étrangères à cet appui. L’usage massif du napalm, la famine, la terreur et les quelque 200 000 morts que cette intervention causa jusqu’à la fin des années 1980 peuvent donc être mis également sur le compte de l’appui dont l’Indonésie bénéficia de la part des États-Unis et de leur allié australien.

Depuis une vingtaine d’années, c’est face à la Chine, et suivant en cela de nouveau les mouvements de l’impérialisme américain, que l’Australie entend désormais disposer de ses propres moyens d’intervention militaire dans l’ensemble du Pacifique, qu’elle considère de plus en plus ouvertement comme son domaine réservé.

Les migrants, otages de la politique australienne

Une autre expression de cette politique, et un autre avertissement lancé aux populations de l’Asie, a été le renforcement de la politique des gouvernements successifs envers les migrants dans la même période. Alors que le pays avait abandonné, en 1973, la politique de l’Australie blanche et accueilli des centaines de milliers de boat people et de réfugiés de diverses origines, il s’est de nouveau refermé de la façon la plus brutale.

Baptisée cyniquement « solution du Pacifique », cette politique s’appuie sur un certain nombre d’accords passés par l’Australie avec des États pauvres de sa zone d’influence directe, comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée et Nauru, et de 2014 à 2018, avec le Cambodge. Elle vise à fermer totalement l’accès du territoire australien. Des milliers de demandeurs d’asile arrivés clandestinement, quand ils n’ont pas été simplement refoulés en mer, ont ainsi été déportés puis détenus durant des années dans des conditions maintes fois dénoncées par les ONG et par les rares témoins, dans des camps extraterritoriaux construits par l’Australie et gérés à prix d’or par des sociétés privées sous contrat avec le gouvernement. Le sort de ces réfugiés offshore a ému une partie de la population australienne, au point d’être à l’origine d’une série Netflix (Stateless) qui en décrit en détail les mécanismes. L’Union européenne a d’une certaine façon suivi cet exemple depuis quelques années, en sous-­traitant à la Turquie d’Erdogan, également contre rétribution, la mission du maintien de plusieurs centaines de milliers de réfugiés syriens ou irakiens hors des frontières européennes.

Le Parti travailliste, qui lors de son retour aux affaires en 2008 avait suspendu, mais non annulé, la « solution du Pacifique », s’y est depuis pleinement rallié. Il suit en cela une longue tradition de ce parti, principal fourrier des idées nationalistes et racistes dans une partie de la classe ouvrière d’Australie. Dans les années 1950 et 1960, un de ses principaux dirigeants, Arthur Caldwell, s’était même fait le champion de l’Australie blanche, déclarant ainsi à propos de travailleurs chinois : « Deux Wongs ne font pas un blanc », s’opposant même à la présence sur le sol australien de soldats noirs américains et traitant les communistes d’« écume humaine », de « paranoïaques, dégénérés, crétins », de « paquet de dingos » et « de lépreux politiques ».

La place grandissante de l’impérialisme australien en Asie

Depuis une dizaine d’années, la politique de l’État australien s’inscrit dans les pas de celle des États-Unis dans la région dite indopacifique, quand elle ne la précède pas. Non contente de participer une fois encore aux interventions armées de l’impérialisme américain (envoi de soldats en Irak en 1991 et 2003, en Afghanistan en 2003 notamment), l’Australie a poursuivi ses propres opérations dans sa zone d’influence. Ainsi que l’analysait un spécialiste des questions de défense et ancien agent des services de renseignements, dans la presse patronale australienne, à propos de l’intervention armée australienne au Timor : « Nous payons notre contribution maintenant au cas où nous ayons besoin de l’assistance américaine plus tard »[1].

Et ce d’autant plus que la chute de Suharto en 1998 avait ouvert une situation d’instabilité qui pouvait être dommageable aux intérêts de ses capitalistes. L’armée australienne, sous couvert d’une mission d’interposition internationale, laissa les troupes indonésiennes ravager le Timor de 1999 à 2002, tuant plus de 10 000 personnes et détruisant 75 % des infrastructures de cet État qui venait d’obtenir son indépendance. Un journal australien, résumant l’analyse prévalant à Washington, cita alors un de ses représentants : « Nous avons un important chien en compétition, appelé Australie, et nous devons l’appuyer. »[2] Fortes de l’aval de l’administration Clinton, les compagnies australiennes qui lorgnaient sur le gisement gazier de Bayu-­Undan, comme sur celui de Greater Sunrise, purent imposer leurs conditions au Timor oriental et préserver leurs intérêts sur les gisements pétroliers de Laminaria/Corallina, situés à l’ouest, qu’elles exploitaient de longue date.

Dans sa zone d’influence la plus proche, l’Australie a poursuivi ses interventions : aux îles Salomon en 2003, aux îles Tonga en 2006, qualifiant nombre de ses voisins d’États faillis, voire en voie d’« africanisation ». La mort de 98 Australiens lors d’un attentat à Bali en 2002 lui servit pour couvrir ses ambitions et ses opérations de police du prétexte de la lutte contre le terrorisme. Après avoir défendu la dictature de Suharto durant des décennies, l’Australie se pose désormais en garante de l’intégrité du territoire indonésien, allié de poids des États-Unis, au mépris de la situation dans ce pays et des droits de certaines populations qu’il opprime (en Papouasie occidentale notamment). Son attitude est liée d’une part à la sécurisation de ses routes maritimes, une part croissante de son commerce transitant par les détroits indonésiens, et d’autre part à la stratégie à plus long terme de l’impérialisme américain.

Celui-ci ne fait pas mystère en effet de vouloir renforcer considérablement sa présence dans cette zone du globe. Obama avait lui-même annoncé devant le Parlement australien en 2011 l’accroissement de la flotte américaine en Asie-­Pacifique de 50 % à 60 % d’ici à 2020. L’aviation des États-Unis devait y baser 60 % de ses forces établies à l’étranger, y compris celles consacrées au domaine de l’espace et du cyberespace. Cette intensification de la coopération militaire s’est également traduite par la participation de l’Australie à un système américain coordonné de défense antimissiles balistiques. Officiellement dirigé contre des missiles nord-coréens, il pourrait être utilisé contre la Chine et permettre de tirer des missiles depuis des navires australiens.

Une militarisation croissante

Dans un contexte international de montée des tensions en tout genre, et pour faire suite aux exigences de l’impérialisme américain, le budget australien de la Défense ne fait pas exception à la course générale aux armements, bien au contraire. Le pays a commencé à combler son retard dans ce domaine à marche forcée depuis deux décennies.

En 2000, un Livre blanc sur la défense prévoyait déjà des investissements massifs (87 milliards d’euros de projets dans les secteurs aérien et naval), et de porter les effectifs des armées à 54 000 hommes. L’Australie affirmait qu’elle avait « des intérêts et des objectifs stratégiques aux niveaux mondial et régional », mais qu’elle continuerait simultanément « à soutenir les États-Unis dans le rôle majeur qu’ils jouent dans le maintien et le renforcement de l’ordre de sécurité mondial »[3], autrement dit à leur faire allégeance.

En 2016, un nouveau Livre blanc préconisa de faire passer le budget de la Défense de 13,2 à plus de 36,6 milliards d’euros (presque le budget militaire de la France à l’heure actuelle)en 2025-2026, et les effectifs à 62 400 soldats.

L’Australie a également passé cette année-là un contrat dit « du siècle » d’une trentaine de milliards d’euros portant sur l’achat auprès du groupe français Naval Group de 12 sous-marins de type Barracuda, assemblés à Osborne, dans l’État d’Australie-Méridionale, et dont la livraison devrait s’échelonner entre 2030 et 2050.

À l’été 2020, le Premier ministre Scott Morrison, qui se dit convaincu des conséquences inéluctables sur le plan politique et militaire de la crise actuelle, a encore poussé plus loin ces objectifs[4]. Ainsi, sur les dix prochaines années, 354 milliards d’euros de dépenses militaires sont programmés ! La moitié environ serviront à l’acquisition de moyens de frappe aérienne, terrestre et maritime de longue portée. Deux accords bilatéraux ont également été signés avec l’Inde en juin de cette même année.

Lors de la signature d’un énième accord de coopération militaire entre son pays et l’Australie, le chef de la diplomatie américaine n’a pas manqué d’évoquer « les activités néfastes du Parti communiste chinois dans la région indopacifique » et l’« alliance indestructible »[5] des USA et de l’Australie face à la Chine.

L’impérialisme américain resserre chaque année un peu plus son dispositif autour des bases permanentes qu’il occupe depuis des décennies, et par la multiplication d’autres, comparées à des nénuphars, plus réduites, mais plus interchangeables. L’objectif non dissimulé est d’être en mesure d’imposer un embargo à la Chine, avec l’appui des forces japonaises et australiennes. Il s’agit aussi de préparer progressivement les opinions publiques à un éventuel affrontement militaire.

De la guerre commerciale avec la Chine… à un véritable conflit armé ?

Les tensions politiques, le resserrement des alliances militaires et la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, singulièrement depuis deux ans, ont immédiatement affecté les relations de cette dernière avec l’Australie, qui apparaît de plus en plus comme un poste avancé de l’impérialisme contre les intérêts chinois en Asie et dans le Pacifique.

Au fil des décennies, la Chine était devenue le premier partenaire commercial de l’Australie. Il s’agit donc pour celle-ci d’un enjeu de premier plan. S’étant alignée sur la stratégie de la tension américaine dont Trump s’était fait le tribun, en excluant par exemple elle aussi les géants chinois Huawei et ZTE de son marché de la téléphonie 5G, l’Australie a vu à son tour ses exportations fortement taxées, à commencer par celles de charbon, de fer ou de cuivre, mais aussi celles de viande, de vin ou de céréales. Courant décembre 2020, le quotidien chinois Global Times, proche du régime, titrait : « Le charbon australien n’est plus le bienvenu dans les ports chinois »[6]. En rétorsion à l’alignement de l’Australie derrière les États-Unis, Pékin déconseille également à ses jeunes de se rendre en Australie, alors que ce pays est la deuxième destination des étudiants chinois.

Il y a évidemment une part de poker menteur dans cette évolution et ce climat de nouveau «péril jaune» entretenu par l’Australie. Mais on aurait tort de ne pas voir les dangers représentés par l’escalade actuelle, d’autant que la puissance australienne ne se contente plus du rôle de mercenaire pour le compte de l’impérialisme dominant qui a été longtemps le sien. Jim Molan, ancien major-­général de l’armée australienne (adjoint au chef des armées), aujourd’hui sénateur, a lancé récemment un appel « à mettre en place une stratégie de sécurité nationale », affirmant qu’un conflit militaire avec la Chine « devient de plus en plus probable »[7]. Et d’ajouter : « Ce sera sans doute une guerre qui nécessitera que la nation tout entière défende le pays. »

L’Australie n’est plus ce pays désigné ironiquement par l’expression « quelque part en bas » sur les cartes du monde. Elle est devenue, par sa situation géopolitique et par son poids économique et militaire, un allié indispensable aux États-Unis pour maintenir l’ordre impérialiste.

La bourgeoisie australienne est l’une des plus repues de la planète. La seule ville de Sydney compterait, selon l’index Bloomberg, 95 000 millionnaires. L’année 2020 a été plus que profitable aux milliardaires du pays, puisque leur fortune s’est accrue de 52,4 %, totalisant plus de 1 500 milliards [8]! Gorgés d’aides publiques et bénéficiant d’exemptions fiscales colossales, des trusts miniers et de la métallurgie comme BHP Hilton ou Rio Tinto comptent parmi les plus puissants de la planète.

Cela rend d’autant plus vitale la renaissance d’un parti représentant les intérêts du prolétariat, c’est-à-dire d’un parti communiste révolutionnaire, seul à même d’offrir une perspective commune aux travailleurs et aux peuples de la région. Il existe dans ce pays une longue tradition de lutte contre l’impérialisme, depuis le rejet de la conscription durant la Première Guerre mondiale jusqu’aux manifestations de masse contre la guerre du Vietnam. Mais le pacifisme ou l’antiaméricanisme ne sauraient jeter les bases d’une politique authentiquement émancipatrice, car ils ne remettent pas en cause la domination de la bourgeoisie ni son système d’exploitation.

20 janvier 2021

 

[1]     Paul Dibb, cité dans le journal Financial Review, numéro des 14-15 février 1998

 

[2]     Australian Financial Review, Sydney, du 13 septembre 1999.

 

[3]     Département de la Défense, « Defence 2000 : Our Future Defence Force », Commonwealth of Australia, Canberra, décembre 2000.

 

[4]     « 2020 Defence Strategic Update », publication du ministère australien de la Défense.

 

[5]     Les Échos, 29 juillet 2020.

 

[6]     Cité par Les Échos du 20 décembre 2020.

 

[7]     Cité par Courrier international du 29 décembre 2020.

 

[8]     Bloomberg Billionaires Index.