Crise climatique : renverser le capitalisme pour offrir un avenir à l’humanité

Les mobilisations mettant sur le devant de la scène les dangers que le réchauffement climatique fait peser sur l’humanité se multiplient dans les pays d’Europe occidentale, ainsi qu’en Australie. Le 15 mars dernier a vu une partie de la jeunesse scolarisée se mobiliser, inquiète pour l’avenir d’un monde où les menaces sur l’environnement se font plus pressantes et plus nombreuses, la veille d’une journée de manifestations en France sur le même thème.

Si le changement climatique focalise la préoccupation de cette jeunesse, d’autres problèmes environnementaux sont aussi des sujets d’inquiétude : l’extinction des espèces sous l’effet des pesticides utilisés dans l’agriculture, les « continents de plastique » qui dérivent sur les océans, etc.

Les communistes révolutionnaires que nous sommes se réjouissent que ces jeunes aient la volonté de ne pas être passifs face à l’évolution dramatique de la société, ne se satisfassent pas de l’ordre établi et considèrent qu’il est de leur responsabilité de se mêler de politique. Le caractère international de la grève scolaire, une des formes de ces mobilisations, est positif, car le réchauffement climatique est un défi que l’humanité ne peut pas surmonter tant qu’elle est morcelée et emprisonnée par des frontières dépassées qui ne préservent que des États rivaux.

Un autre aspect positif des initiatives récentes sur le climat est de mettre l’accent sur la nécessité d’agir sur le fonctionnement général de l’économie et de la société.

Une contestation qui ne vise pas le système capitaliste

Mais à ces initiatives se mêlent des idées en contradiction avec le but visé, selon lesquelles un changement de comportement individuel, comme couper l’eau quand on se lave les dents ou le chauffage au-delà de 17 °C, arrêtera le réchauffement climatique mondial. Certains pensent que la solution est de convaincre chacun ne pas manger de viande. Mettre les comportements individuels en accusation dédouane la bourgeoisie de sa responsabilité dans l’organisation de la société et lui permet de se défausser sur le plus grand nombre à coups de leçons de morale.

En effet les forces politiques qui inspirent ces mobilisations ou se mettent à leur tête ne contestent pas la propriété privée des moyens de production par la grande bourgeoisie. Or cette classe sociale possède quasiment tout et décide pratiquement de tout. Son monopole sur l’économie est l’obstacle majeur sur la voie du changement global de société, nécessaire pour permettre à l’humanité un développement évitant les catastrophes environnementales et autres.

Les problèmes environnementaux ont comme point commun qu’ils sont insolubles tant que l’économie mondiale sera dirigée par des capitalistes qui recherchent avant tout leur profit individuel. Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre tant que l’industrie, notamment celle des transports et de l’énergie, est aux mains par exemple des actionnaires de Peugeot ou de Total ? C’est ce qui explique que des conférences internationales sur l’état de la planète ne peuvent au mieux que proclamer année après année – on en est à la préparation de la 25e COP – la nécessité de baisser les émissions de ces gaz. Ce qui devient à chaque fois d’autant plus urgent que les précédentes COP n’ont eu au mieux que des effets très limités, parce que la priorité de la grande bourgeoisie, qui décide ce qui est produit et comment les travailleurs le produisent, est ailleurs et que les États sont à son service.

Ce qui est dénoncé dans ces mobilisations peut l’être sur un ton radical, et le capitalisme lui-même est parfois mis en accusation. Ainsi Extinction Rebellion, mouvement initié par des scientifiques britanniques à l’automne dernier et qui inspire des manifestations de rue, déclare : « Si le capitalisme mondialisé des grandes entreprises continue de diriger la planète, la catastrophe mondiale est inévitable. » C’est vrai. Mais tout de suite après vient cette exhortation : « Nous devons faire ce qui est nécessaire collectivement et de façon non-violente pour persuader les dirigeants politiques et les businessmen de renoncer à leur complaisance et leur déni. » Pourtant ces dirigeants politiques et ces capitalistes n’ignorent pas la réalité : ils dirigent tout à fait sciemment un monde où les guerres et les injustices font des ravages, où l’exploitation des hommes et de la nature n’a de limites que lorsque les exploités en mettent par leurs luttes. Persuader les grands de ce monde d’être autre chose que ce qu’ils sont – des profiteurs et des défenseurs d’un ordre social qui mène au chaos – serait naïf, si ce n’était pas une façon de ramener ceux qui se mobilisent vers une contestation somme toute inoffensive, car implorant les capitalistes de trouver la solution à des problèmes dont ils sont la cause.

Extinction Rebellion ajoute une touche décroissante à ses déclarations : « Chacun d’entre nous, particulièrement dans le monde développé, doit s’engager à vivre de moins, à consommer bien moins. » Ce qui, dans une société divisée en classes entre une minorité d’exploiteurs et une immense majorité d’exploités, revient à une injonction, à destination de la foule de ceux qui vivent mal de leur travail, de se contenter d’encore moins. Car qui peut sérieusement croire que les milliardaires peuvent être convaincus de vivre frugalement ?

Ces idées, même si elles entraînent une partie de la jeunesse bien intentionnée vis-à-vis de la planète, ne peuvent que servir les gouvernements qui imposent aux travailleurs de se serrer la ceinture pendant que la bourgeoisie s’enrichit sans limites.

Il n’est pas étonnant que deux jeunes secrétaires d’État, Brune Poirson qui est à la Transition écologique et Gabriel Attal à l’Éducation et à la jeunesse, aient pu se joindre à la manifestation du 15 mars et tenter une récupération politique. Dans le ton général de cette protestation, rien ne gênait vraiment ces membres d’un gouvernement entièrement dévoué à perpétuer la domination des capitalistes sur la société. La bonne place de Pascal Canfin, ancien d’Europe Écologie-Les Verts et ancien directeur du WWF, sur la liste macroniste aux élections européennes illustre aussi cette écologie politique entièrement compatible avec le règne de la bourgeoisie et totalement impuissante à sauver l’environnement.

En France, la pétition en ligne intitulée l’Affaire du siècle a recueilli plus de deux millions de signatures. Ses initiateurs pointent le décalage entre l’autosatisfaction affichée par le gouvernement français fin 2015 à l’occasion de la COP 21 et de la signature de l’accord de Paris pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et la triste réalité trois ans après. En effet, sur les 157 pays ayant pris des engagements, 90 % ne les ont pas tenus. C’est le cas de la France et des grands pays industriels. Pourtant les organisations à l’origine de l’Affaire du siècle, dont Oxfam France dirigé par Cécile Duflot, ancienne ministre écologiste de Hollande, et la fondation Nicolas-Hulot, du nom de l’ancien ministre de Macron, ne cherchent pas à expliquer pourquoi.

Au contraire, ne voulant en aucun cas pousser le public inquiet de l’avenir du climat à se méfier de cet État qui ne contraint jamais les capitalistes, elles cherchent à renforcer les illusions dans son rôle en l’implorant : « L’État a obligation d’agir [pour empêcher la dégradation du climat] tout en garantissant la justice sociale. » C’est faire croire que l’État représenterait l’intérêt général et aurait comme mission la justice sociale, ce que la réalité dément jour après jour.

La pétition de l’Affaire du siècle a débouché sur une plainte en justice contre l’État pour « inaction climatique ». Quand bien même un juge condamnerait l’État à réduire les émissions de gaz à effet de serre, quel impact réel cela aurait-il ? L’État français a déjà été condamné à plusieurs reprises pour contrôles de police au faciès : ont-ils cessé pour autant ? Et si l’État, ainsi poussé de mauvaise grâce, promulguait tout de même des lois intimant aux entreprises de réorganiser leur production pour freiner le réchauffement climatique, rien ne garantit qu’elles obtempéreraient. Il existe bien une douzaine de lois prônant l’égalité entre les femmes et les hommes. Elles s’empilent, mais le patronat refuse obstinément d’augmenter les salaires des femmes pour les mettre au niveau de celui des hommes. La justice ne peut pas contraindre l’État à agir contre sa nature profonde : soutenir les capitalistes dans leur course au profit, et tant pis si cela veut dire exploitation, pauvreté et gâchis de l’environnement pour le reste de la population.

La démission de Nicolas Hulot du gouvernement, en septembre dernier, a semble-t-il été un des facteurs de la réussite des mobilisations de rue pour la préservation de l’environnement qui ont eu lieu à plusieurs reprises à l’automne. Hulot, après une carrière lucrative d’animateur vedette à la télévision, a lancé sa fondation « pour la nature et l’homme », financée notamment par de grandes entreprises du CAC 40. Dans les idées défendues par Hulot, il n’y a en effet rien qui gêne les capitalistes. Il peut se vanter d’avoir inspiré l’intégration d’une charte de l’environnement dans la Constitution française, offrant à Chirac l’occasion d’un coup politique, et d’avoir fait signer un pacte sur l’environnement aux candidats des principaux partis bourgeois à l’élection présidentielle de 2007, dont Sarkozy qui a été élu. Deux « succès » de Hulot qui n’ont rien amené du point de vue de l’environnement et du climat, à peine de beaux discours, pas plus que sa nomination comme ministre d’État par Macron en 2017.

Après sa démission, les manifestions ont mobilisé des gens qui ont eu à cœur de mener dans la rue le combat qu’Hulot – si on lui accorde la bonne foi – a perdu dans les institutions gouvernementales. Or, bien que l’ex-ministre ait avoué son impuissance politique (« Je n’ai pas de pouvoir. Je n’ai pas les moyens. […] On sait très bien à l’avance que les objectifs qu’on se fixe, on ne pourra pas les réaliser. »), les dirigeants de ces mobilisations ont toujours donné aux manifestations le même but : influencer des institutions qui ont mille fois prouvé que leur rôle était de faire en sorte que les structures sociales, et non le climat, ne changent pas.

Les mobilisations climatiques devant un choix politique

La jeunesse qui se mobilise ressent ces contradictions et cherche une voie pour éviter l’avenir sombre que promet le capitalisme. La jeune Suédoise Greta Thunberg est elle-même un concentré de ces contradictions. D’un côté elle réclame que le Parlement suédois ou Macron, qui l’a reçue à l’Élysée, agissent, comme le réclamerait n’importe quel politicien encourageant les illusions sur le rôle de l’État. D’un autre, tout en faisant un discours à la COP 24 en décembre dernier, elle se montre consciente des limites de ces pressions : « Notre biosphère est sacrifiée pour que les riches des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. Ce sont les souffrances du plus grand nombre qui paient pour le luxe du plus petit nombre. Et si les solutions au sein du système sont impossibles à trouver, nous devrions peut-être changer le système lui-même. »

Cette jeunesse se trouve devant un choix politique. Soit elle marche dans les pas des Hulot, Duflot et autres, en restreignant les buts de sa mobilisation à ce qui ne remet absolument pas en cause le système capitaliste. Elle se placerait alors sur le terrain de la lutte contre le « productivisme » et la « surconsommation » en général, donnant ainsi aux dirigeants des États des justifications pour s’en prendre toujours plus au niveau de vie des classes populaires appelées à subir des restrictions, alors que rien ne limite la croissance des profits de la grande bourgeoisie. Elle ignorerait le gâchis inhérent au capitalisme, basé sur la guerre économique permanente entre entreprises et États, débouchant sur l’anarchie et les crises dans la production. Elle chercherait à s’appuyer sur les institutions étatiques sans tenir compte des innombrables déconvenues passées, en cherchant tout au plus à faire pression sur elles et en écartant toute idée de les renverser. Elle limiterait ainsi son combat à une défense de l’environnement qui apparaît consensuelle, mais est en fait impuissante, se cachant à elle-même la nature incontrôlable du capitalisme et l’avidité sans fin de la bourgeoise. Elle ne mettrait même pas en cause l’impérialisme et son militarisme, responsables de l’immense gaspillage de ressources que représentent les guerres et la production d’armement, ou les frontières des États nationaux obsolètes depuis longtemps qui entravent toute solution sérieuse aux problèmes se posant à l’échelle mondiale, comme le changement climatique.

Soit une partie de cette jeunesse révoltée, cherchant la direction à emprunter pour éviter à l’humanité, qui souffre déjà de l’exploitation, des guerres et des dictatures, d’affronter en plus les répercussions climatiques de l’inconséquence, de l’irrationalité et du chaos du capitalisme, réalise qu’il n’y a pas d’autre solution que de contester le pouvoir de la bourgeoisie.

Il s’agit de prendre conscience que, puisque le capitalisme, malgré les progrès techniques époustouflants dont l’humanité est capable, s’avère incapable de résoudre des problèmes de base tels que l’accès de chaque être humain sur Terre à l’alimentation, à l’eau potable, au logement, à l’éducation, etc., cette société sera incapable d’affronter des défis comme le réchauffement climatique tant qu’elle restera enfermée dans ce système économique absurde. Seule l’expropriation de la grande bourgeoisie, pour mettre au service de l’ensemble de la population les moyens de production concentrés aujourd’hui dans les mains des multinationales, peut offrir à l’humanité l’occasion de réorganiser les forces productives mondiales en vue de satisfaire les besoins des 7,5 milliards d’humains d’aujourd’hui sans mettre en danger la vie des 10 milliards de demain.

Il est impossible d’agir pour empêcher la catastrophe climatique sans rien bouleverser du reste de la société. Et bouleverser l’ordre social ne peut être envisagé qu’à l’échelle à laquelle ces grandes firmes capitalistes ont porté l’économie : au niveau mondial. Briser les frontières nationales et permettre la coopération des différentes parties de l’humanité est une nécessité. Le capitalisme a porté l’humanité au seuil de cette révolution, mais n’est plus capable depuis longtemps de faire un seul pas dans le sens du progrès : la grande bourgeoisie aurait à y perdre ses privilèges de classe. Au contraire, avec l’aide des États qui protègent son pouvoir, elle fait régresser la société de catastrophes économiques et guerrières en catastrophes climatiques.

Mais, en développant son économie, la bourgeoisie a créé partout la classe des producteurs qui, selon le mot de Karl Marx, n’ont rien d’autre à perdre que leurs chaînes. Dans tous les pays, tous les continents, la classe des travailleurs, dont l’activité est indispensable au fonctionnement de l’économie et à la vie quotidienne de toute la société, est présente, exploitée et opprimée. Elle semble ne compter pour rien dans les structures sociales actuelles. Mais, quand elle se mettra en branle, la classe ouvrière deviendra tout. En renversant la bourgeoisie, en brisant les États qui sont des freins à l’évolution sociale, la révolution ouvrière sera le point de départ d’une nouvelle phase dans l’histoire de l’humanité. L’économie pourra être maîtrisée rationnellement sans l’anarchie de la concurrence, être planifiée pour une utilisation économe tant de la force de travail que des ressources naturelles, être enfin au service des besoins de chaque être humain.

Les militants communistes s’adressent à ceux qui ont à cœur d’agir pour que l’avenir de l’humanité ne se résume pas aux sombres convulsions de l’aggravation de l’exploitation et des crises multiformes engendrées par le capitalisme. Il est à espérer qu’une partie de la jeunesse mobilisée, raisonnant sur les contradictions insurmontables du capitalisme, pousse jusqu’au bout les idées de changement social.

C’est au cours de leur mobilisation que la conscience politique des jeunes qui participent aux manifestations sur le climat peut évoluer vers les idées communistes révolutionnaires. La recherche de solutions n’aggravant pas les injustices sociales peut être un pas dans cette direction. À condition que le slogan « Changeons le système, pas le climat » trouve sa prolongation dans la conviction que le capitalisme doit être renversé et que le communisme est l’avenir de l’humanité.

2 avril 2019