Référendum en Nouvelle-Calédonie, entre domination coloniale et impasse nationaliste05/05/20182018Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2018/05/192.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Référendum en Nouvelle-Calédonie, entre domination coloniale et impasse nationaliste

Le 4 novembre prochain aura lieu un nouveau référendum appelant les électeurs de la Nouvelle-Calédonie à se prononcer sur son indépendance. La date choisie illustre à elle seule le problème politique des dirigeants français et calédoniens. L’accord de Nouméa de 1998 prévoyait que ce référendum aurait lieu entre mai 2014 et décembre 2018. L’État français, en accord avec les notables kanaks et caldoches de l’archipel, a donc repoussé le plus loin possible l’échéance.

La Nouvelle-Calédonie est une des quelques colonies entre les mains de l’impérialisme français qui n’ont pas pris leur indépendance dans les années 1940 à 1970. Archipel dont l’île principale, Grande Terre, s’étend sur 400 km de long et 42 km de large, situé à 1 500 km de l’Australie et à 17 000 km de la France, la Nouvelle-Calédonie fut conquise en 1853. Les Mélanésiens (les Kanaks aujourd’hui) qui habitaient ces îles faillirent disparaître. Parquée dans des réserves trop petites, la population mélanésienne, estimée à 60 000 personnes en 1853, tomba aux environs de 20 000 en 1920, décimée par la répression de l’armée française mais aussi par les maladies importées, l’alcool et la sous-alimentation. L’archipel fut pour l’impérialisme français une colonie de peuplement : à la fin du 19e siècle, en plus des colons qui s’y attribuèrent les meilleures terres, volées aux Kanaks, en plus des fonctionnaires, des militaires, l’État français y envoya des milliers de condamnés au bagne, des communards en 1871 et des Kabyles condamnés à la déportation après leur révolte anticoloniale de la même année. Ce sont les descendants de ces colons et bagnards qu’on appelle aujourd’hui les Caldoches. Devenue minoritaire, la population kanake recommença néanmoins à s’accroître après la Deuxième Guerre mondiale. Dans les années 1960, elle fut en passe de redevenir majoritaire, ce qui inquiéta les colons au point que Pierre Messmer, secrétaire d’État aux Dom-Tom, déclara en 1972 que l’État devait s’employer à favoriser une « émigration massive de citoyens français qui devrait permettre d’éviter le danger de revendication indépendantiste en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés ». Durant toutes ces années, l’État français s’employa aussi à faire venir des populations de Wallis-et-Futuna, du Vietnam, de Tahiti, des Philippines plus récemment, pour travailler dans les mines ou dans les champs. Aujourd’hui, parmi les 269 000 habitants de Nouvelle-Calédonie, les statistiques officielles dénombrent 105 000 personnes disant appartenir à la communauté kanake. Avec 73 000 Européens, 20 000 personnes se disant calédoniennes, 38 000 personnes asiatiques ou océaniennes, 23 000 se disant de plusieurs communautés et 10 000 ne se retrouvant pas dans ces catégories statistiques, les Kanaks restent minoritaires.

Les nationalistes à la recherche d’un compromis

Les aspirations à l’indépendance naquirent en Nouvelle-Calédonie dans la foulée de Mai 68. Quelques étudiants kanaks revinrent de Paris avec de nouvelles idées et créèrent une première organisation radicale parlant de nation kanake. Mais c’est à la fin des années 1970, après le constat amer que le boom du nickel n’avait profité qu’à une petite minorité, que l’idée d’indépendance prit de l’ampleur. D’abord Front indépendantiste, puis Front de libération national kanak socialiste (FLNKS) regroupant plusieurs partis nationalistes, le mouvement se développa au début des années 1980.

Dès le début, les dirigeants nationalistes du FLNKS furent à la recherche d’un compromis avec l’impérialisme français. Pour obtenir quelques positions politiques, un bout de pouvoir pour eux-mêmes, ils utilisèrent l’énergie et la révolte légitime des Kanaks en s’imposant comme les représentants exclusifs de leur communauté. Leur politique, consistant à vouloir réserver le droit de vote pour l’indépendance aux seuls Kanaks, contribua en ce sens à creuser le fossé entre pauvres de Nouvelle-Calédonie, à rejeter nombre de petits Blancs qui, avec de nombreux Kanaks, a­dhé­raient par exemple à l’Union calédonienne (l’une des composantes du FLNKS), dans les bras du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) de Lafleur, la droite caldoche. La recherche d’une parcelle de pouvoir pour les nationalistes rendait possible le compromis avec l’impérialisme. Aussi, à partir de 1984, la situation politique évolua en fonction des rapports de force entre les trois acteurs principaux, l’État français, la droite et le FLNKS. La politique de l’État français oscilla en fonction de la mobilisation des uns et des autres, octroyant à la Nouvelle-Calédonie des statuts successifs, avec une autonomie vis-à-vis de la métropole plus ou moins grande et avec un équilibre variable entre les partis. La droite locale, influençant la grande majorité des Caldoches au travers du RPCR, n’était pas opposée à une certaine autonomie de la Nouvelle-Calédonie, à condition que l’essentiel du pouvoir local lui revienne. Entre le RPCR et le FLNKS il n’y avait donc, malgré le passé colonial, malgré tout le mépris subi par les Kanaks de la part des colons, qu’une concurrence pour le pouvoir local. Sur cette base, une entente était possible, une entente dont les modalités dépendaient du rapport de force politique.

Le premier à tenter le compromis fut le secrétaire d’État Lemoine en 1983. Les nationalistes kanaks obtinrent de lui une déclaration reconnaissant l’abolition du « fait colonial », la légitimité du peuple kanak, une possibilité d’autodétermination et la nécessité d’élaborer un statut d’autonomie transitoire et spécifique. Mais, quand il s’agit de passer aux choses sérieuses, le plan Lemoine octroya à la Nouvelle-Calédonie un gouvernement élu et la promesse d’un référendum d’autodétermination pour fin 1989. Le corps électoral étant ce qu’il était, le gouvernement ne pouvait que tomber entre les mains de la droite locale. Quant à l’indépendance, l’État français avait décidé que la question ne pouvait être tranchée qu’au travers d’un scrutin d’autodétermination, avec un corps électoral inchangé, majoritairement hostile à cette perspective, ce qui faisait de toutes les promesses d’autodétermination par voie électorale une escroquerie pure et simple.

Se sentant floués, les indépendantistes regroupés dans le tout nouveau FLNKS décidèrent de boycotter activement les élections territoriales du 18 novembre 1984, en érigeant des barrages pour empêcher les Caldoches isolés de se rendre aux urnes. Le boycott de 1984 ouvrit en fait une nouvelle période d’agitation sociale et politique. L’État français réagit en puissance coloniale. Les colons étaient armés, ils avaient la gendarmerie pour eux, ils firent monter les enchères. Il y eut plusieurs morts. Le 5 décembre, dix Mélanésiens, dont deux frères du leader indépendantiste Tjibaou, furent assassinés dans une embuscade, à Hienghène. Face à une situation qui s’envenimait, Lemoine fut remplacé par Pisani, qui imagina d’abord un projet d’indépendance-association cherchant à satisfaire à la fois la droite locale et les indépendantistes, et permettant à l’impérialisme français de conserver ses intérêts dans la région. Le FLNKS soutint le projet Pisani et c’est la droite locale qui refusa alors d’aller dans cette direction, faisant monter la pression en Nouvelle-Calédonie, en s’appuyant sur les Caldoches en armes et sur la gendarmerie, avec les bonnes vieilles méthodes coloniales. Après l’assassinat du dirigeant indépendantiste Éloi Machoro par la gendarmerie, après l’établissement de l’état d’urgence début 1985, Pisani fut désavoué et l’idée d’indépendance-association enterrée.

Entre 1985 et 1988, l’État français fit plusieurs tentatives pour doter la Nouvelle-Calédonie d’institutions ayant l’agrément des uns et des autres, surtout celui de la droite locale. Celle-ci, en force et mobilisée après la victoire de la droite métropolitaine en 1986, obtint un renforcement des pouvoirs du territoire au détriment des régions, des subdivisions du territoire. En 1988, après que le nouveau statut Pons II eut accordé une assez large autonomie de gestion au territoire, pour donner plus de moyens d’action aux anti-indépendantistes et affaiblir le FLNKS, la pression monta de nouveau dans l’archipel. Les militaires se comportèrent comme une armée d’occupation, l’encadrement retrouvant par la même occasion certaines pratiques de la guerre d’Algérie. À l’approche de l’élection présidentielle, le FLNKS décida d’appeler à un boycott actif. C’est ce qui détermina un groupe d’indépendantistes à prendre d’assaut une gendarmerie, pour l’occuper jusqu’au second tour de l’élection. Il y eut quatre morts chez les militaires. Cette crise se termina par la prise d’otages d’Ouvéa : deux morts chez les militaires et le massacre par l’armée française de 19 Kanaks, dont plusieurs exécutions sommaires.

Une politique pour intégrer la petite bourgeoisie locale

Quelques semaines après la crise d’Ouvéa et la réélection de Mitterrand, l’État français, le RPCR et le FLNKS signèrent les accords de Matignon, puis ceux d’Oudinot. L’indépendance y était reportée, soumise à un référendum prévu en 1998, avec un corps électoral à peine modifié, gelé depuis 1988. Toutes les demandes du FLNKS étaient rejetées. La droite locale obtenait, elle, une réduction du nombre de régions de quatre à trois, qui prennent alors le nom de provinces. Malgré tout, la direction du FLNKS, entre les mains de Jean-Marie Tjibaou, se fit la promotrice de cet accord dans l’archipel et, comme le RPCR, elle fit voter son approbation des accords dans un référendum qui ne fut boycotté ni passivement ni activement. Au travers de ce compromis avec l’État français et les Caldoches, le FLNKS pensait avoir trouvé une voie vers le pouvoir au moins dans les deux provinces qui lui étaient promises et dont les compétences, notamment celles de droit commun, étaient renforcées.

En 1998, le référendum prévu fut purement et simplement annulé, et un nouvel accord fut signé entre toutes les parties. Le corps électoral étant globalement identique à celui des années 1980, il était en fait devenu évident que le non à l’indépendance allait l’emporter. Aucune des parties, FLNKS, droite calédonienne et État français, ne voulut prendre le risque que les Kanaks, écœurés par l’impasse dans laquelle ils se retrouvaient, se mobilisent de nouveau. Les braises des événements de 1988 étaient encore trop chaudes.

Ils décidèrent donc, tous ensemble, de prendre leur temps, tout en se partageant pour l’immédiat le pouvoir local, ce que le FLNKS appela la souveraineté partagée. Signé par les représentants du FLNKS et du RPCR, l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 dota les institutions calédoniennes de tous les pouvoirs, à l’exception de ce qu’ils appellent les pouvoirs régaliens : la justice, la police, l’armée et la monnaie, qui restaient entre les mains de l’État français. Enfin, il était décidé d’une consultation entre 2014 et 2019 portant sur le transfert des compétences régaliennes à la Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire l’indépendance étatique.

Cet accord permettait de faire émerger un peu plus une petite bourgeoisie kanake, en laissant aux dirigeants du FLNKS une parcelle de pouvoir tout en garantissant à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie caldoches leurs positions sociales et politiques, et à l’impérialisme sa position dans cette région du monde. À l’exception des compétences dites régaliennes, les autorités locales, dans les provinces, les communes, ont obtenu une autonomie presque complète. La Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui divisée en trois provinces et forme un territoire aux compétences élargies. Deux des provinces, celle du Nord (50 000 habitants) et celle des îles Loyauté (18 000 habitants), sont dirigées par les partis indépendantistes kanaks. La plus riche, celle du Sud (200 000 habitants), qui comprend Nouméa, est entre les mains des Caldoches et de la droite locale. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie, l’assemblée délibérante qui décide du gouvernement, est élu au scrutin proportionnel par un corps électoral officiellement gelé, comprenant les habitants de l’archipel nés sur l’archipel de famille néo-calédonienne ou y résidant depuis 1998. Malgré ces restrictions, qui éliminent les nouveaux arrivants de France, les anti-indépendantistes (29 sièges sur 54) dominent toujours les nationalistes (25 sièges sur 54, dont 20 au FLNKS).

L’État français a aussi cherché à faire émerger et à intégrer la petite bourgeoisie kanake sur le plan économique. Non seulement les provinces ont obtenu un certain nombre de compétences en la matière, mais elles ont aussi pu prendre des participations dans le capital des principales sociétés exploitant le nickel calédonien, la principale richesse de la Nouvelle-Calédonie. Les emplois liés à ce secteur représentent 12 000 salariés, 19 % de l’emploi privé. Outre les nouveaux entrants que sont Glencore et Vale, avec qui les provinces ont aussi passé des accords, le principal opérateur du nickel reste l’opérateur historique, la Société le nickel (SLN), qui représente à elle seule plus de 2 000 emplois directs, sur un total de 92 000 salariés du public et du privé. C’est la famille Duval, une famille bourgeoise française, propriétaire d’Eramet, principal actionnaire de la SLN, qui profite depuis des années du nickel calédonien. Les Duval, par ailleurs propriétaires du sous-traitant aéronautique Aubert et Duval, longtemps classés parmi les plus grandes fortunes de France, tant que le cours du nickel était au plus haut, habitent discrètement le Puy-de-Dôme. Mais ils font une bonne partie de leur fortune en pillant les richesses produites à 17 000 km de là. Et, autonomie ou pas, indépendance ou pas, cela continue et continuera.

Dans les accords de Nouméa, il y avait la cession de 30 % du capital de la SLN et de 4 % de celui d’Eramet aux trois provinces, un transfert financé par l’État et qui laisse le contrôle de la SLN à Eramet et à la famille Duval. En 2012 et 2013, 900 millions d’euros, l’équivalent d’une année du chiffre d’affaires de la SLN, ont été distribués en dividendes. Les actionnaires ont donc vidé les caisses, alors que les cours avaient commencé à chuter, contraignant ultérieurement l’État français à venir au secours de la société en y injectant plusieurs centaines de millions d’euros. Pour les travailleurs, par contre, la crise se traduisit par un plan de réduction des coûts : les effectifs calédoniens furent réduits de 10 %, sous le patronage des dirigeants calédoniens.

Autre fait symptomatique de l’intégration de la petite bourgeoisie kanake à la société bourgeoise calédonienne : la campagne pour les « 400 cadres » décidée dans le cadre des accords de Nouméa de 1998. L’objectif proclamé de ce programme était de promouvoir, au sein de la population mélanésienne, des cadres qui puissent occuper des responsabilités au sein de la société calédonienne, tant dans le domaine économique que dans le domaine politique. Mille six cent cinquante jeunes auraient bénéficié depuis trente ans de ce programme pour aller étudier en France. Sur 100 000 Kanaks, c’est bien peu, mais cela permet d’agiter un hochet devant la jeunesse kanake, lui suggérant qu’il est inutile de se révolter, qu’un avenir lui est accessible. Dans le même registre, en novembre dernier, Eramet se targuait, « à moins d’un an du référendum d’autodétermination », de la nomination à la tête du conseil d’administration de la SLN de Dominique Katrawa, Calédonien d’origine kanake.

Une société toujours profondément inégalitaire

Si les indépendantistes ont obtenu une parcelle de pouvoir et la petite bourgeoisie kanake quelques perspectives d’enrichissement, la société calédonienne reste toujours profondément inégalitaire et largement dominée par la bourgeoisie française et caldoche. En dehors du nickel, l’essentiel de l’économie est entre les mains d’une poignée de grandes familles caldoches qui continuent d’exercer de quasi-monopoles dans certains secteurs d’activité comme l’import-export, la distribution et le commerce de voitures. Les Lafleur (mines, agroalimentaire, produits ménagers), les Ballande et Pentecost (secteur marchand), les Magnin (santé), les Jeandot (imprimerie, papeterie, concessions automobiles) règnent en maîtres, comme au temps colonial.

Si l’État français a intégré une mince couche de Kanaks, ce n’est pas le cas de la grande majorité d’entre eux. Même si une partie des Kanaks a migré vers Nouméa, à la recherche d’un travail, beaucoup sont restés sur leurs terres, dans la province du Nord et dans les îles Loyauté. La société ne réserve pas le même sort selon qu’on est kanak ou caldoche. Une étude a fait état en 2017 de la hausse des inégalités sur l’archipel. Elle disait que, si depuis 1991 le niveau de vie moyen a augmenté, le taux de pauvreté n’a pas reculé. À Nouméa, le taux de pauvreté est de 7 %, tandis qu’il est de 35 % au Nord et de 52 % dans les îles Loyauté. De même, le taux de chômage est de moins de 11 % (en 2014) dans la province Sud, celle de Nouméa-la-blanche, tandis qu’il atteint 24 % dans celle du Nord et 34 % dans celle des îles. Quant aux salaires, ceux des Kanaks sont largement inférieurs à ceux des Calédoniens d’origine européenne résidant dans la province Sud.

La discrimination à l’égard des Kanaks se mesure aussi dans l’enseignement. 36 % des Kanaks âgés de 15 à 64 ans n’ont pas de diplôme, contre 17 % des non-Kanaks. Les enseignants, des métropolitains pour la plupart, de par les préjugés qu’ils véhiculent, orientent plus facilement les jeunes Kanaks vers les filières techniques. Partout, à l’école, dans l’emploi et le logement, les Kanaks sont des citoyens de seconde zone. Certes, depuis 1989, l’État français a construit dans les terres kanakes des infrastructures de transport et de santé, des écoles, des collèges. Mais les écarts entre Kanaks et non-Kanaks, après s’être réduits jusqu’en 2009, ne se comblent plus. Les inégalités ethniques persistent. Ainsi, les filières générales du prestigieux lycée de Nouméa, fréquenté par les enfants des milieux aisés de la capitale, restent massivement composées d’élèves d’origine européenne.

La discrimination, l’oppression ethnique et le racisme restent sensibles et viennent s’ajouter à l’oppression sociale, à l’exploitation capitaliste. La jeunesse kanake prend tout cela en pleine figure. Elle peut considérer qu’elle n’a pas d’avenir, qu’elle est condamnée à la pauvreté, au chômage, et qu’en plus elle se fait refuser, à la tête du client, un logement à Nouméa, comme elle s’y fait refuser l’entrée des boîtes de nuit. Aujourd’hui, cette oppression ne se traduit pas par une radicalisation politique, mais par l’alcoolisme et la délinquance. La prison pour mineurs est peuplée à 90 % de jeunes Kanaks. Mais tout cela est bel et bien le résultat de la même oppression à la fois sociale et ethnique, une oppression liée à la domination de la bourgeoisie. Les réactions de la jeunesse à cette oppression, voilà le sujet d’inquiétude de bien des politiques, à Nouméa comme à Paris.

Le problème politique du référendum

Selon le Premier ministre Édouard Philippe, le référendum d’accession à la pleine souveraineté en Nouvelle-Calédonie est un défi, le risque essentiel étant pour lui la réaction de la population kanake, en particulier de la jeunesse, à un non prévisible. Il faut noter que, si le oui avait une chance de l’emporter, l’État aurait le même problème vis-à-vis de toute une frange des Caldoches qui n’accepteraient pas un tel résultat.

Pour les partis indépendantistes kanaks, le temps des boycotts est loin. Ils ont même négocié et accepté la liste électorale spéciale pour le référendum, certes des plus restrictive et des plus favorable aux Kanaks (ne pourront voter que ceux qui sont sur l’archipel depuis 1998 et qui y attestent d’une réelle présence) mais qui laisse malgré tout prévoir le rejet de l’indépendance, ce qu’indiquent par ailleurs les rares sondages qui existent.

La question qui sera posée lors du référendum du 4 novembre fut l’objet d’âpres discussions, le 27 mars dernier à Paris. Ce sera finalement : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Le FLNKS aurait préféré que la question de l’indépendance ne soit pas ouvertement posée, car limiter le référendum à la seule pleine souveraineté, comme il le demandait, était moins clivant et lui aurait sans doute permis d’élargir sa base électorale en rassurant une partie des électeurs anti-indépendantistes ou d’autres communautés que les Kanaks. La droite s’est quant à elle battue pour que l’indépendance soit mentionnée dans la question, afin de ne laisser planer aucune ambiguïté et de faire le plein de ses voix. Elle a visiblement obtenu satisfaction.

L’enjeu pour ces forces politiques est simplement de savoir laquelle va sortir vainqueur du scrutin, celle qui sera l’interlocuteur privilégié de l’impérialisme. Pour celle qui perdra, il s’agira de continuer à peser quand même, en faisant le maximum de voix. Le rapport des forces qui se dégagera du référendum influera sur la répartition des postes et des positions, mais toujours sous l’égide de l’État français. Ainsi Paul Néaoutyine, président de la province Nord, dirigeant du Palika, une des organisations du FLNKS, se dit prêt à des discussions pour la création d’un État indépendant disposant d’un « nouveau partenariat avec la France ». Élie Poigoune, Kanak, membre du comité des sages supervisant le référendum, un des fondateurs du Palika, affirme lui que, « quelle que soit l’issue du référendum, nous devons garder ce lien avec la France. […] Pour aller plus loin, peut-être faut-il envisager une association avec la France. » Il reprend à sa manière les plans d’indépendance-association de Pisani en 1985, à l’image du statut de la principauté de Monaco ou de celle d’Andorre. En cas de victoire de l’indépendance, la petite bourgeoisie kanake aura simplement un peu plus de marge de manœuvre vis-à-vis de Paris pour renégocier de nouvelles positions, comme d’être majoritaire au sein de l’actionnariat de la SLN, revendication récurrente des indépendantistes. Mais elle s’entendra, comme elle le fait depuis plus de trente ans, avec la bourgeoisie et la petite bourgeoisie caldoches, dans le cadre d’une coopération avec l’impérialisme français.

Alors, le seul problème réel pour tous ces politiciens, indépendantistes comme non-indépendantistes, est comme en 1998 l’éventuelle réaction de ceux qui vont avoir le sentiment de perdre, et probablement, en l’occurrence, la colère d’une frange des Kanaks. Un des responsables de la SLN le dit à sa manière : « Nous ne faisons pas de politique, notre souci est qu’il y ait de la stabilité et du calme social et institutionnel en Nouvelle-Calédonie. » Mais Élie Poigoune ne dit pas autre chose : « L’enjeu réside moins dans le résultat que dans la préoccupation qui est la mienne que la société n’éclate pas. »

L’une des précautions pour éviter cela, imaginée en 1998 par les indépendantistes et les non-indépendantistes, est que la réponse des urnes, si elle est négative, ne sera pas définitive. Afin de ne pas donner l’impression aux Kanaks qu’après le référendum il n’y a plus de solution sur le terrain électoral, l’accord de 1998 prévoit la possibilité, en cas de victoire du non à l’indépendance, de pouvoir poser encore deux fois la question.

Quelles perspectives pour la classe ouvrière ?

Que la Nouvelle-Calédonie puisse devenir indépendante, rien de plus normal. Mais, on l’a vu, ce référendum ne sera qu’une comédie électorale de plus. Le rejet de l’indépendance par la voie électorale, avec la participation de tous les partis nationalistes, est une manière de faire accepter aux Kanaks la poursuite de la domination de l’impérialisme français, au nom de la majorité. Mais, même si l’indépendance était votée, les travailleurs ne seraient pas libérés de quoi que ce soit : certainement pas de l’exploitation, et même pas des discriminations en tant que Kanaks. Ce que sont devenues les anciennes colonies est là pour le prouver. En Nouvelle-Calédonie, le pouvoir restera entre les mains de la bourgeoisie, française, caldoche, avec la collaboration de la petite bourgeoisie kanake qui aspire à prendre sa part.

L’avenir dira si la comédie référendaire suffira pour empêcher que la colère populaire explose. Mais, pour que les couches populaires voient leur sort changer, il faudra que leur colère s’appuie sur la classe ouvrière, au-delà des communautés. En Nouvelle-Calédonie aussi, la lutte de classe existe et la classe ouvrière est la classe sociale qui peut s’affronter aux responsables des inégalités et de la pauvreté, la bourgeoisie. La classe ouvrière, c’est dans l’archipel 27 000 ouvriers et 33 000 employés, un tiers de la population adulte, avec quelques bastions autour du secteur minier. C’est une classe ouvrière moderne, faite d’Européens, de Kanaks, ceux qui ont migré à Nouméa comme ceux qui ont quitté la terre au Nord pour se faire embaucher dans les mines ou la métallurgie, mais aussi de générations de travailleurs immigrés, des Philippines, du Japon comme des îles de l’océan Pacifique. Cette classe ouvrière se bat régulièrement, contre la vie chère, contre les licenciements, elle dispose même de syndicats radicaux, comme l’USTKE (Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités). Il lui manque par contre un parti communiste révolutionnaire, un parti qui mette en avant la nécessité pour elle de se battre sur ses intérêts de classe contre les responsables de la misère et du chômage, la bourgeoisie française et caldoche, mais aussi la petite bourgeoisie kanake qui veut devenir grande, un parti qui mette en avant la nécessité pour elle de leur prendre le pouvoir. Avec une telle perspective, elle serait en mesure d’unir les prolétaires des différentes communautés dans un même combat de classe. Au travers de ce combat, les travailleurs seraient en mesure d’en finir avec l’oppression subie par les Kanaks. La classe ouvrière de Nouvelle-Calédonie serait alors un exemple pour tous les travailleurs et les pauvres de cette région du monde.

30 avril 2018

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