Quand le gouvernement asphyxie les collectivités locales pour servir la finance24/04/20162016Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2016/04/175.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Quand le gouvernement asphyxie les collectivités locales pour servir la finance

Le gouvernement, fin mars, vient encore de confirmer qu’il comptait aller jusqu’au bout de son plan de réduction des dotations aux collectivités territoriales. C’est une des innombrables conséquences de la politique consistant à arroser le patronat avec de l’argent public.

C’est il y a deux ans et demi, en octobre 2014, que le gouvernement a annoncé qu’il engageait une réduction drastique des dotations aux collectivités territoriales, en la baptisant hypocritement « participation des collectivités à l’effort de diminution du déficit public ». Un plan triennal était alors annoncé, avec, pour chacune des trois années 2015, 2016 et 2017, une diminution de 3,67 milliards de la somme que l’État verse forfaitairement aux collectivités, après une première baisse de 1,5 milliard en 2014.

Qui est touché ?

Le terme de collectivités territoriales désigne des réalités très différentes. Si l’on se représente l’ensemble des administrations publiques comme une pyramide, avec l’État au sommet, les collectivités territoriales représentent tous les niveaux qui sont au-dessous : régions, départements, communes. Les intercommunalités (communautés de communes, communautés d’agglomérations, métropoles…) ne sont pas considérées comme des collectivités territoriales.

Ce sont les trois niveaux de collectivités qui sont frappés par la baisse des dotations, bien qu’inégalement : moins 2 milliards par an pour les communes, moins 1,15 milliard pour les départements, et moins 450 millions pour les régions.

Contrairement à ce qui est souvent dit – de façon orientée – ces sommes ne sont pas des « aides » de l’État aux collectivités, pas plus qu’on ne pourrait dire que le budget de l’Éducation nationale est une « aide » de l’État aux enseignants. En réalité, à travers le processus de décentralisation qui s’opère depuis plusieurs décennies, un nombre sans cesse croissant de compétences est confié aux collectivités territoriales. Une partie du budget de l’État est consacrée à payer l’exercice de ces compétences : c’est ce que l’on appelle la DGF (la dotation globale de fonctionnement). Elle représente la somme que l’État verse annuellement aux collectivités pour leur permettre d’exercer leurs compétences : qu’il s’agisse de payer les fonctionnaires territoriaux, de faire fonctionner les transports, les crèches, les écoles, etc. Il s’agit évidemment de sommes importantes : en 2015, par exemple, la DGF s’est élevée (tous niveaux de collectivités confondus) à quelque 36 milliards d’euros. Ces dotations sont ensuite réparties entre toutes les collectivités selon des critères extrêmement complexes, tellement complexes que même les experts n’y comprennent pas grand-chose, selon des équations mathématiques qui prennent en compte la population, le revenu fiscal, et des dizaines de critères de ruralité, de position géographique, d’isolement, de climat, etc.

Les dotations de l’État ne sont bien sûr pas la seule ressource des collectivités territoriales : la deuxième est la fiscalité directe ou indirecte, c’est-à-dire les impôts et taxes locaux payés par les habitants et les entreprises… avec un bémol : depuis le gouvernement Sarkozy et la suppression de la taxe professionnelle, les entreprises contribuent bien moins qu’avant à la fiscalité locale, ce qui a amené, là encore, une baisse importante des ressources des collectivités.

Des chiffres biaisés et des arguments hypocrites

Depuis le début de ce plan triennal, le gouvernement, aussi menteur sur ce sujet que sur tous les autres, cherche à minimiser l’effort que représente la baisse des dotations en expliquant que les élus locaux peuvent bien faire « un petit effort » – l’expression est d’un ministre – eu égard à l’état dramatique des finances publiques. Au-delà du fait, nous y reviendrons, que ce ne sont pas les élus qui vont être victimes de cet « effort » mais la population, la ponction est bien plus importante que le gouvernement voudrait le faire croire.

Le gouvernement utilise un tour de passe-passe bien connu pour camoufler l’ampleur de la baisse, se contentant de parler de 3,7 milliards par an sur une dotation de plus de 30 milliards, ce qui peut paraître indolore. Mais c’est un écran de fumée : en réalité, la baisse de chaque année se cumulant à celle de l’année précédente, si l’on fait le total de tout ce que les collectivités auront perdu fin 2017, on aboutit à la somme de plus de 28 milliards d’euros en cinq ans ! Explication : la DGF était de 41,5 milliards d’euros par an en 2013. S’il n’y avait pas eu de baisse, les collectivités auraient donc touché cinq fois 41,5 milliards d’euros entre 2013 et 2017, soit 207,5 milliards. Au final, avec toutes les baisses cumulées, elles ne toucheront que 179,4 milliards, soit 28,1 milliards de moins.

Au-delà de ces tripatouillages pour tenter de faire passer la pilule, ce sont les arguments de fond utilisés par le gouvernement qui passent bien mal auprès des élus locaux. La baisse des dotations ayant pour objectif de « faire participer les collectivités à l’effort de diminution du déficit public » apparaît d’autant plus aberrante que les collectivités ne peuvent être pour rien dans la hausse du déficit public… puisqu’elles n’en ont tout simplement pas le droit. Alors que le gouvernement et les parlementaires votent année après année un budget de l’État en déficit de 70 ou 80 milliards d’euros, n’importe quel maire ou conseiller municipal sait que la Constitution interdit à une collectivité de voter un budget en déficit ne serait-ce que d’un euro, sous peine de voir la commune passer sous tutelle du préfet.

Par ailleurs, le coup de rabot opéré par le gouvernement depuis plusieurs années sur le budget des collectivités apparaît à bien des élus particulièrement injuste dans la mesure où l’État, ces dernières années, a en même temps augmenté les charges qui pèsent sur les régions, les départements et les communes, en leur transférant des compétences pas toujours compensées ; pendant que de l’autre main il réduisait, en plus, leur capacité à engranger des recettes, notamment avec la suppression de la taxe professionnelle.

Les exemples se sont multipliés, ces dernières années, de telles charges nouvelles imposées sans contreparties suffisantes, notamment aux communes et aux départements. Pour n’en prendre qu’un seul, la réforme des rythmes scolaires à l’école primaire, avec la mise en place des activités périscolaires après la classe, qui sont non à la charge de l’Éducation nationale mais à celle des communes. Embaucher des animateurs, même quelques heures, a un prix ; et le « fonds d’aide » alloué par le gouvernement pour compenser ces dépenses n’atteint pas, selon les calculs des associations d’élus, 40 % des dépenses à couvrir.

La vieille démagogie antifonctionnaires

Pour justifier sa politique, le gouvernement n’hésite pas plus que son prédécesseur à faire usage d’arguments aussi crasseux que réactionnaires. Tout comme la réduction drastique du budget de la Sécurité sociale est imputée aux « fraudeurs » et aux prétendus arrêts de travail abusifs, celle du budget des collectivités serait rendue nécessaire par le train de vie « dépensier » des communes et, naturellement, le « manque de productivité » des fonctionnaires territoriaux, le caractère « pléthorique » de leurs effectifs, leur prétendu absentéisme systématique, sans compter le fait qu’ils ne travailleraient pas assez. Année après année, la Cour des comptes, dont il semble que la tâche soit aujourd’hui uniquement devenue de chercher des arguments pour réduire encore le service public, abreuve l’opinion de chiffres, souvent complaisamment repris par la presse. Et le gouvernement va jusqu’à convoquer en cas de besoin les plus à droite des « think tanks » (groupes de réflexion) pour matraquer sur le sujet, comme la très patronale fondation Ifrap, une annexe du Medef chargée d’« analyser les politiques publiques ». L’une des responsables de cette fondation, Agnès Verdier-Molinié, spécialiste autoproclamée des collectivités locales, est présente sur tous les plateaux de télévision quand il s’agit d’expliquer que les fonctionnaires, le service public, les communes, les départements, coûtent trop cher. Elle ne manque jamais d’y faire la publicité de l’un de ses ouvrages aux titres tous plus prometteurs les uns que les autres : 60 milliards d’économies, oui, mais tous les ans, Les fonctionnaires contre l’État, ou, encore plus direct, 2 millions de jours de grève par an, 36 769 communes, 103 aides sociales… on va dans le mur. Et tout récemment encore, la droite a encore mené campagne pour exiger des collectivités qu’elles fassent travailler leurs agents « au moins 35 heures ».

Les arguments de ces soi-disant experts sont évidemment fantaisistes. Les études de la Dares, organisme de statistiques pourtant gouvernemental, le prouvent chaque année : les fonctionnaires, qu’ils soient territoriaux ou non, travaillent autant que dans le privé, voire plus dans certains secteurs, comme l’hôpital. La dernière étude de la Dares sur le temps de travail des fonctionnaires, menée auprès de 12 000 agents, montre que moins de 20 % des agents publics travaillent moins de 35 heures par semaine, tout simplement parce que ce sont souvent des temps partiels, mais que 52 % travaillent plus de 36 heures.

Il en va de même sur les effectifs prétendument pléthoriques de la fonction publique territoriale. Ne discutons même pas de l’absurdité que représente le fait de pousser des cris d’orfraie lorsque des collectivités embauchent… alors que, paraît-il, la lutte contre le chômage est la priorité du gouvernement. Certes, les effectifs de la fonction publique territoriale croissent chaque année – de 1,5 à 2 % environ, mais ces hausses d’effectif correspondent d’une part à l’augmentation des compétences dévolues aux collectivités, qu’il faut bien exercer ; et d’autre part au fait que la hausse démographique oblige assez naturellement les collectivités à embaucher pour faire face aux besoins. Les associations d’élus soulignent le fait que la population française a augmenté de 10 % ces dix dernières années, et que cela suppose des effectifs en hausse dans les crèches, les cantines, les services sociaux, etc. Ou encore, que le gouvernement, qui ne cesse de prétendre qu’il souhaite un report des usagers de la voiture vers les transports collectifs, devrait dans ce cas se réjouir que les effectifs augmentent dans ce secteur.

Il en va de même, enfin, sur les « dépenses somptuaires » dont, selon la Cour des comptes, les collectivités seraient friandes. De quoi parle-t-on ? Une crèche, une école nouvelle, une piscine ou une salle de sport représentent-elles des dépenses nuisibles ou socialement inutiles ? Et quel symbole plus criant du caractère délirant de cette société, où le gouvernement s’offusque que les communes dépensent de l’argent pour fabriquer des écoles maternelles, mais où l’on sable le champagne quand l’État achète des chars d’assaut ?

Grands et petits élus

Mais là encore, il est évidemment indispensable de faire la différence entre les collectivités, qui ne sont certainement pas une entité homogène – pas plus que les élus locaux eux-mêmes. Parler des maires, des communes, des élus locaux en général, si cela correspond à une facilité de langage, est aussi abusif que de parler des Français en général, sans tenir compte des différences de couches et de classes sociales. Que peut-il bien y avoir en commun, à part une écharpe tricolore, entre la maire de Paris ou le président d’une région, d’un côté, et le maire d’une commune rurale de 400 habitants, de l’autre ? Les premiers bénéficient d’un cabinet pléthorique et d’un chauffeur, règnent sur des effectifs de milliers d’agents, ont un train de vie de chefs d’État et le budget qui va avec. Le second, qui représente l’immense majorité des élus locaux, est en général à peu près tout seul pour tout faire, connaît en général personnellement à peu près tous ses administrés, et se débat avec des difficultés financières que les « grands élus » n’imaginent souvent même pas.

Il ne faut pas oublier que l’écrasante majorité des communes du pays (31 500 sur un peu moins de 35 000) comptent moins de 2 000 habitants. La moitié des communes comptent même moins de 426 habitants, selon la dernière étude de l’Insee. À l’autre bout du prisme, seules 255 communes ont plus de 30 000 habitants, et 11 plus de 200 000.

La très grande majorité des maires du pays est donc composée de maires de très petites communes, la plupart du temps salariés ou retraités, agriculteurs, ouvriers, instituteurs, infirmières, qui non seulement connaissent au travail les mêmes difficultés que le reste du monde du travail, mais y ajoutent, de surcroît, les problèmes liés à la gestion financière de communes en grandes difficultés. Naturellement, les sommes ne sont pas les mêmes quand on parle d’une grande  ville ou d’une petite : ainsi Gérard Collomb, maire de Lyon, a-t-il expliqué le 13 avril que la métropole de Lyon avait perdu « 1,2 milliard d’euros de DGF en quatre ans », ce qui est évidemment considérable. Mais dans les petites communes, où le budget annuel ne dépasse pas parfois les 25 000 euros, perdre ne serait-ce que 3 000 ou 4 000 euros est bien plus grave encore.

Deux exemples tout récents illustrent le fossé qui sépare petits et grands élus. Ainsi, une récente disposition de la loi de réforme territoriale (la loi Notre) oblige les maires à toucher la totalité de leur indemnité même quand ils ne le veulent pas. On parle ici, pour les communes de moins de 500 habitants par exemple, de la somme de 646,25 euros brut par mois. Cette disposition a provoqué une véritable levée de bouclier chez les maires de petites communes, qui estiment qu’à partir du moment où ils sont salariés, ils n’ont pas besoin de cette somme, surtout au moment où le budget communal est mis à mal. Ils veulent donc le laisser à la commune… bien que la loi les en empêche à présent.

À peu près au même moment, Xavier Bertrand, le nouveau président de la région Hauts-de-France (Nord-Pas-de-Calais-Picardie), chevalier blanc du non-cumul des mandats, a démissionné de ses mandats de maire de Saint-Quentin et de député, pour ne garder que celui de président de région et de sa communauté d’agglomération. Sauf que, lorsqu’il s’est aperçu du manque à gagner financier, il s’est discrètement fait voter une augmentation de son indemnité de président d’intercommunalité… de 4 000 euros par mois.

Ces grands pontes des collectivités locales, au train – et souvent au passé – de ministres, ne se gênent pas pour prendre la parole au nom de tous les maires. Mais ils sont souvent responsables, ou l’ont été, comme parlementaires ou membres d’un gouvernement, de la déconfiture actuelle des finances locales. À commencer par le président de l’Association des maires de France, François Baroin, maire de Troyes, grand pourfendeur de la baisse des dotations aujourd’hui, et qui tente comme il peut de faire oublier qu’en son temps, ce fut un certain Baroin François, ministre du Budget, qui le premier décida de geler la DGF des collectivités.

Les maires de petites communes, bien loin de tout cela, racontent qu’ils ne sont souvent rien d’autre que les hommes et les femmes à tout faire de leur commune : dans les petites communes, comme il n’y a personne d’autre pour le faire, ce sont souvent eux qui nettoient la salle des fêtes après un mariage. Tout récemment, on a vu certains d’entre eux raconter qu’à l’occasion du passage à la télévision numérique HD, ce sont eux que les personnes âgées du village appelaient pour régler le nouveau décodeur. Et une enquête menée avant les dernières élections municipales a montré que l’énorme majorité des maires de petites communes, à la question « Quel a été le pire moment de votre mandat ? », répondait : « Aller en pleine nuit sonner chez une famille pour leur apprendre la mort d’un enfant dans un accident de la route ». Et les exemples similaires sont légion.

Ce dévouement, cette disponibilité des maires de petites communes, sont évidemment très appréciés de la population, et rendent d’autant plus choquante la volonté du gouvernement non seulement d’asphyxier financièrement les communes, mais également d’en réduire le plus possible le nombre. Ainsi, un récent rapport du Commissariat général à l’Égalité des territoires (!), une officine qui dépend de Matignon, a proposé tout simplement de dissoudre toutes les communes et de les remplacer par un millier d’intercommunalités. On en est, certes, encore loin, mais de telles perspectives représenteraient, encore, un recul pour la population.

Les conséquences de la baisse des dotations

Car c’est bien la population, au final, qui est et sera victime de la baisse des dotations de l’État aux collectivités. Et ce, de bien des façons. Car face à cette baisse de leurs recettes, les élus n’ont que trois solutions pour maintenir leur budget en équilibre : augmenter les impôts locaux, diminuer les services à la population, ou renoncer à des investissements pourtant parfois indispensables.

Rappelons que, contrairement à l’État, les collectivités n’ont, de par la loi, pas le droit de recourir à l’emprunt pour financer ce que l’on appelle le fonctionnement, c’est-à-dire payer les salaires. Elles ne peuvent emprunter que pour investir. Faute d’argent pour payer les salaires, de nombreuses mairies commencent déjà à fermer certains équipements un ou deux jours supplémentaires par semaine (piscine, mairie), à renoncer à remplacer un départ en retraite, à ne pas renouveler un contrat d’agent, à ne plus financer telle association ou tel événement culturel.

Un certain nombre d’autres ont déjà fait le choix d’augmenter les impôts locaux, pas forcément de gaîté de cœur, et souvent en remerciant le gouvernement, selon l’expression d’un maire, de « transférer l’impopularité fiscale vers les collectivités ».

Mais c’est peut-être la dégringolade de l’investissement qui est la plus grave. Cela signifie à terme moins d’équipements utiles à la population (un exemple récemment mis en avant dans les médias est la dégradation inquiétante de l’état des routes dans le pays). En fait, la baisse des investissements a un impact direct et tangible sur l’activité du secteur du bâtiment et des travaux publics, et donc sur l’emploi.

Cette baisse importante est bien présente dans les chiffres du déficit public publiés par Bercy le 25 mars dernier, même s’ils sont bien camouflés. On ne se doute pas en effet que la ligne « FBCF des APL » signifie en réalité « investissements des collectivités locales » (dans le jargon du ministère des Finances « formation brute de capital fixe des administrations publiques locales »). En 2015, ce poste a connu une diminution de 4,6 milliards d’euros. Quant à l’Insee, elle table également sur une diminution de 10 % par an des investissements des collectivités. C’est autant d’emplois en moins, autant de chômage en plus.

Cela donne une bonne image de ce qu’est la politique du gouvernement. Du chômage, il n’a en réalité que faire. Bien entendu, la baisse des dotations des collectivités est destinée – comme bien d’autres décisions du gouvernement – à dégager de l’argent frais pour le verser directement au grand patronat, par le biais des mille et un dispositifs qui le permettent. Mais si la préoccupation du gouvernement était réellement de lutter contre le chômage, il ouvrirait au contraire les crédits aux collectivités pour qu’elles investissent, et, ce faisant, permettent de créer des emplois !

Bien au contraire, l’argent pris sur le dos des collectivités ne servira à rien d’autre, à terme, qu’à alimenter les profits financiers de capitalistes qui n’en ont jamais assez.

21 avril 2016

Partager