Union européenne -Pendant la recherche du « plan B », les affaires continuent01/04/20072007Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2007/04/104.png.484x700_q85_box-24%2C0%2C571%2C792_crop_detail.png

Union européenne -Pendant la recherche du « plan B », les affaires continuent

Depuis le double « non » au traité constitutionnel des électeurs français et hollandais en mai-juin 2005, les États membres de l'Union européenne ont déclaré la ratification de la Constitution européenne « dans l'impasse » et les vingt-sept gouvernements qui composent l'Union depuis l'entrée toute récente de la Bulgarie et de la Roumanie ont été invités à chercher un moyen pour sortir l'Europe de cette ornière. Diverses pistes sont à l'étude, dont certains candidats à l'élection présidentielle française se sont fait l'écho, assez discrètement il est vrai, car les ex-partisans du « oui », UMP et UDF, ou la majorité du PS, ne souhaitent pas réveiller chez les électeurs le sentiment de rejet dont ces partis avaient fait les frais lors du référendum.

La plupart des dirigeants européens ont abandonné l'idée d'imposer, tel quel, le traité constitutionnel rejeté en France et aux Pays-Bas, mais la majorité souhaite toujours que son contenu entre en application. Fin janvier, à Madrid, s'est tenue dans ce sens une réunion des ministres des Affaires étrangères des dix-huit États membres de l'Union européenne qui avaient ratifié le traité constitutionnel. S'étaient associés le Portugal et l'Irlande, partisans de la ratification même s'ils n'y ont pas procédé.

Les Dix-Huit se sont baptisés les « Amis de la Constitution » et considèrent que « plus de 270 millions d'Européens ont ratifié cette Constitution ». Ils disent qu'ils ne sont « pas fermés à des modifications » , mais veulent « éviter que la renégociation qui s'annonce se traduise par un « arrière toute » par rapport au projet de Constitution ». Au total, ils se présentent comme partisans d'un « maxi-traité », c'est-à-dire du traité constitutionnel aussi peu révisé que possible.

Pour la première fois, deux pays cofondateurs du Marché commun, la France et les Pays-Bas, ainsi que la Grande-Bretagne, étaient tenus à l'écart. Cependant, les pays non invités n'ont pas apprécié cette initiative au moment où la présidente actuelle de l'Union, l'Allemande Angela Merkel, prépare pour juin prochain une esquisse de compromis pour tenter de sortir l'Union de l'impasse. La Grande-Bretagne, depuis toujours, est surtout intéressée par le marché économique que représente l'Union européenne. Elle se contenterait donc d'un « mini-traité » réduit à quelques réformes institutionnelles et, pour se faire entendre, elle a menacé d'user de son droit de veto. Du coup, les Dix-Huit qui avaient envisagé de se revoir fin février en ont abandonné l'idée.

Ce qui reste acquis pour les bourgeoisies européennes

En fait, pour l'essentiel, le contenu du traité rejeté est déjà en place, car pour une large part il ne faisait que synthétiser les traités antérieurs et donc les arrangements que les bourgeoisies européennes ont péniblement conclus à leur propre usage, au terme d'un demi-siècle de marchandages et de compromis, puisque le traité de Rome, signé en mars 1957, fête cette année ses cinquante ans d'existence.

La construction européenne a ainsi franchi plusieurs étapes : le Marché commun lancé en 1957 ; l'Acte unique européen signé en 1986 qui supprima les barrières douanières en 1987 ; le traité de Maastricht qui a jeté les bases de la monnaie unique en 1992 ; ou le traité d'Amsterdam de 1997 qui réglemente la circulation des personnes (en y intégrant les accords de Schengen de 1985 qui avaient supprimé les contrôles aux frontières intérieures, mais renforcé les frontières extérieures des pays membres de l'« espace » Schengen). Cela a conduit l'Europe au stade actuel : une certaine unification de l'espace économique ; la disparition des barrières protectionnistes les plus importantes et l'atténuation de celles qui restent encore ; la libre circulation des marchandises, des capitaux et, dans une moindre mesure, des personnes ; un début d'homogénéisation des lois et de la fiscalité et l'ébauche d'une monnaie unique, puisqu'elle ne circule que dans treize des vingt-sept États.

Bien sûr, cet ensemble est essentiellement destiné à satisfaire les appétits des groupes capitalistes européens, mais malgré tout cette démarche unificatrice, aussi limitée soit-elle, a eu quelques retombées positives, ne serait-ce qu'une plus grande facilité de déplacement dans les frontières de l'Union.

Sans revenir sur toute l'histoire de cette construction, il faut bien constater que le passage d'une Europe à 6 à une Europe à 27 a pris du temps et ne s'est pas fait sans mal. Il a fallu seize ans, par exemple, pour que l'Europe passe de six à huit États membres. A l'origine, se mettre d'accord à six avait été relativement facile puisque, même si deux États, l'Allemagne et la France, étaient plus puissants que leurs quatre autres partenaires, il n'y avait pas de grosses disparités entre leurs économies et ils avaient déjà pris l'habitude d'échanges économiques communs, par exemple dans le cadre de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) qui, à partir de 1952, contribua à préparer le Marché commun.

Le principal obstacle auquel s'est heurtée dans le passé la construction européenne, et qui demeure encore aujourd'hui, est que cette Union n'est en aucune façon la fusion dans la même entité des États qui y adhèrent, mais reste une simple juxtaposition d'États. A chaque étape de la construction européenne, chaque État a défendu bec et ongles les intérêts de ses capitalistes, de ses industriels, de ses financiers, de ses gros céréaliers. Céder la moindre parcelle de ses prérogatives, de ses instruments fiscaux, par exemple, c'était pour chaque État abandonner autant de moyens de défense au service de sa propre bourgeoisie dans la guerre à laquelle ses capitalistes se livrent dans l'arène économique.

Mais, au bout du compte, les groupes capitalistes européens bénéficient d'un marché plus ou moins commun, un ensemble qui fonctionne dans un certain nombre de domaines, même si à l'occasion des crises les réflexes protectionnistes peuvent ressurgir. En tout cas, les dirigeants européens ont été assez pragmatiques pour accepter des compromis dès lors qu'ils en tirent un avantage économique pour les groupes capitalistes dont ils défendent les intérêts, tout en conservant également l'essentiel de leurs prérogatives d'État souverain.

Un mode de fonctionnement qui reste non démocratique

Autre difficulté, au fil de la construction européenne, les États les plus puissants, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l'Italie, dont les intérêts étaient loin d'être toujours convergents, ont constamment agi pour rester les maîtres du jeu européen, que l'Union compte six États ou vingt-sept.

Les révisions des modes de fonctionnement de l'Union, au fil des traités, ont surtout eu pour objectif de maintenir la suprématie des grandes puissances européennes, d'abord sur l'ensemble de l'Europe occidentale et, depuis les récents élargissements, sur les pays de l'Europe de l'Est, nettement moins développés économiquement. Pendant longtemps, les décisions n'étaient prises, au Conseil, qu'à l'unanimité des représentants des États membres. Puis, avec les élargissements successifs, selon l'importance accordée aux différents domaines, les modes de décision ont été modulés : on a conservé le vote à l'unanimité pour les questions sensibles et on est passé au vote à la majorité simple ou à la majorité qualifiée pour le reste ; cela, relativement récemment tant les États membres tenaient à conserver leurs prérogatives.

Le vote à la majorité qualifiée tient compte du poids des différents pays impliqués. Cette pondération a évolué avec l'élargissement, mais toujours en laissant aux quatre grandes puissances européennes la possibilité de bloquer toute décision qu'elles jugeraient contraire à leurs intérêts.

Dans le dernier compromis auquel les États membres étaient parvenus, le projet de traité constitutionnel, si la ratification n'avait pas échoué, il était prévu, pour l'Europe à 25 et plus, un seuil de majorité qualifiée de 55 % des États membres, représentant au moins 65 % de la population européenne. Les quatre États les plus peuplés, et les plus puissants, de l'Union : l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l'Italie, pouvaient constituer facilement une minorité de blocage ! Les quatre entendent ainsi pouvoir imposer que le Conseil prolonge une discussion sur un sujet avec lequel ils seraient en désaccord, et cela aussi longtemps qu'ils le jugeraient nécessaire.

Pendant vingt-deux ans, le Parlement européen n'était composé que de députés désignés par chaque État. Ce n'est qu'en 1979 que l'Europe s'est avisée que ces députés n'étaient pas élus au suffrage universel. Il a fallu treize ans de plus pour que le Parlement européen devienne un peu plus que ce qu'il était depuis le début, une simple chambre d'enregistrement des décisions du Conseil et de la Commission européenne qui, depuis la naissance de l'Union, veillent aux intérêts des grandes puissances et des grands groupes capitalistes. Le Parlement européen est désormais associé aux décisions du Conseil et de la Commission européenne (on parle de « codécision »), mais il ne peut toujours pas faire de propositions de lois (seule la Commission peut proposer des textes réglementaires) et, s'il dispose d'un droit de veto sur certaines questions, sur d'autres son vote reste consultatif.

L'Union européenne a décidé que le nombre de députés ne doit pas dépasser le nombre de 750 (il est parfois provisoirement supérieur, 785 actuellement, par égard envers les nouveaux pays entrants). 750 députés pour environ 450 millions d'habitants, c'est fort peu. L'élargissement entraîne, donc mécaniquement, une réduction du nombre de députés. Et, bien entendu, les grands États sont mieux lotis que les petits : 99 députés pour l'Allemagne, 78 pour la Grande-Bretagne, l'Italie ou la France, mais seulement six pour Chypre ou l'Estonie.

A ce mode de fonctionnement, où tout est fait pour favoriser les États les plus puissants et préserver les grandes entreprises qu'ils protègent, s'ajoute la pression directe des lobbys des groupes industriels et financiers européens qui pèsent de tout leur poids non seulement sur les orientations proposées par le Conseil et la Commission mais également sur les votes des parlementaires. On en a encore eu une illustration tout récemment lors d'un vote sur les composants chimiques dont le nombre soumis à un contrôle a été finalement beaucoup réduit, pour ne pas importuner les trusts de la chimie.

En attendant, faute d'avoir pu ratifier le traité constitutionnel dans les délais envisagés, l'Union européenne continue de fonctionner selon les principes et les modalités du traité antérieur, celui de Nice, adopté en 2001 et entré en vigueur en 2003, qui avait anticipé le mode de fonctionnement d'une Europe à 27. Et l'Union cherche un moyen politique de rendre effectif, malgré le rejet des électeurs français et hollandais, le compromis auquel étaient parvenus les États membres en 2004.

Retour sur le fiasco de la ratification

Pour les dirigeants politiques de l'Union européenne, tout avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices. Le 29 octobre 2004, les chefs de gouvernement des vingt-cinq États membres avaient signé, à Rome, le « traité établissant une Constitution pour l'Europe », un texte approuvé par ailleurs par deux tiers des parlementaires européens.

Selon la procédure prévue, pour être entériné, ce traité devait toutefois être approuvé et ratifié par tous les États membres à travers les procédures prévues par leurs propres règles constitutionnelles nationales. Il était aussi convenu que le veto d'un gouvernement ou l'incapacité de mener à bien la procédure de ratification pouvait suffire à interrompre le processus. Et ce cas de figure devait être jugé bien improbable, puisque l'Union, en cas de rejet, avait seulement prévu une réunion du Conseil européen.

La plupart des États membres choisirent la voie la plus sûre, la ratification par le parlement national, mais quelques-uns, voulant donner un peu de solennité à la mise en place de la Constitution européenne et en quête d'un succès politique à usage interne, optèrent pour le référendum populaire. L'Allemagne choisit la voie parlementaire et l'Espagne celle du référendum, les deux avec succès. Mais, en France, le 29 mai 2005, et aux Pays-Bas, le 1er juin, les électeurs profitèrent de cette trop rare occasion, qui leur était offerte de donner leur opinion, pour rejeter le traité, ce qui eut pour résultat immédiat d'interrompre le processus de ratification. Le gouvernement de la Grande-Bretagne, craignant que le « non » des Britanniques vienne s'ajouter à celui de la France et des Pays-Bas, ajourna son référendum, bloquant du même coup sa propre ratification du traité. De même, pour le Danemark et l'Irlande, il n'était plus question de se lancer dans un référendum au résultat hasardeux.

Après avoir estimé que les résultats négatifs de deux référendums ne remettaient pas « en cause l'attachement des citoyens à la construction européenne » et admis du bout des lèvres que « les citoyens ont toutefois exprimé des préoccupations et des inquiétudes dont il faut tenir compte », les chefs de gouvernement européens ont ajourné l'échéance initialement fixée pour l'entrée en vigueur de la Constitution (1er novembre 2006) et ouvert une « période de réflexion » qui dure encore...

Depuis l'Union fait du sur-place. Au second semestre 2005, la présidence de l'Union européenne est revenue à la Grande-Bretagne, qui n'a rien entrepris pour relancer la ratification. La présidence autrichienne, qui a suivi, a organisé une conférence qui a surtout souligné l'hostilité de l'Autriche à l'entrée de la Turquie dans l'Union. Au nom de la Commission européenne, la vice-présidente Margot Wallström, lançait à l'automne 2005 le « plan D », comme « Débat, dialogue et démocratie » censé aider les gouvernements de l'Union dans leur réflexion et leur fournir des informations sur le contenu du traité avorté, mais sans susciter d'impulsion réelle. Le Parlement européen, lui, a organisé des « forums parlementaires ». Le premier s'est tenu à Bruxelles en mai 2006. Il en a découlé des « groupes de travail » censés aborder les problèmes épineux.

En ce début d'année 2007, l'Union européenne espère que la période 2007-2009 permettra de résoudre la panne de la ratification. 2007, c'est l'année du cinquantenaire du traité de Rome. 2009, ce sont les prochaines élections européennes. Angela Merkel a insisté sur l'idée qu'il « est dans l'intérêt de l'Europe, de ses États membres et de ses citoyens que d'ici aux prochaines élections au Parlement européen, en 2009, ce processus soit terminé. Un échec serait un échec historique ».

Que sauver du traite avorté ?

Un échec historique ? Mais cela fait cinquante ans que l'Union européenne avance à un train de sénateur ! D' « avancées historiques » en « échecs historiques », pour que la construction européenne vacille suite à un référendum, c'est qu'elle est bien fragile. Cela fait au bas mot un siècle que les grandes nations bourgeoises d'Europe étouffent dans l'étroitesse de leurs frontières nationales. L'idée d'unifier l'Europe est une idée séculaire. Deux guerres mondiales ont constitué la démonstration sanglante qu'aucune des trois nations impérialistes dominant l'Europe, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, ne pouvait repousser ses frontières nationales de façon à dominer une partie majeure du continent et encore moins unifier le continent par la force et à son profit. Il ne restait que la voie de la tractation, et cela a pris du temps.

Les négociations se déroulaient chaque fois entre deux menaces opposées : freiner l'unification du marché alors que cette unification était vitale pour des économies de plus en plus interdépendantes, ou, de la part de chaque État, abandonner une part excessive de sa souveraineté.

Mais, en résultat de tout cela, il y a aujourd'hui un marché plus ou moins unifié sur le plan douanier. Pour la Grande-Bretagne, cela suffit, et au fond elle est tout à fait satisfaite de la situation actuelle. Le marché européen lui est ouvert et, en même temps, elle a gardé en gros le droit de faire ce qu'elle veut dans les domaines qui ne sont pas liés à l'Europe, voire qui sont contradictoires comme les relations avec les États-Unis et leur économie.

Mais il faut se souvenir que la création d'un marché national au temps de la bourgeoisie montante dans un pays comme la France n'a pas été une création spontanée. Il a fallu une révolution pour démolir les obstacles qui s'y opposaient. Et il a fallu un État centralisé s'appuyant sur la bourgeoisie et servant ses intérêts contre les classes exploitées avant tout, mais aussi contre la concurrence des autres bourgeoisies.

Mais il n'y a pas d'État européen. Les dirigeants d'aucun État européen ne s'affirment prêts à dissoudre leur appareil d'État au profit d'une entité européenne. Pas même les petits États (il n'y a qu'à voir comment l'île minuscule de Malte tient à son indépendance ; ou encore comment l'État de Chypre, occupant la majeure partie de l'île du même nom, est incapable de faire les sacrifices nécessaires pour s'unifier avec la partie turque).

Une crise, mais quelle crise ?

Certes, la paralysie du processus de ratification n'a pas empêché l'Union européenne d'avancer sur tout ce qui peut se faire en l'absence de nouveau traité, par exemple en révisant les règles existantes de procédure ou les accords institutionnels. C'est ainsi qu'un accord a été trouvé pour instiller un peu de transparence dans le processus décisionnel au sein du Conseil des ministres. En juin 2006, la Commission européenne a accepté d'envoyer directement ses documents officiels aux parlements nationaux pour faciliter leurs procédures de contrôle et a promis de prendre en considération les commentaires reçus des parlements nationaux. En juillet 2006, les règles de fonctionnement ont été modifiées pour que le Parlement européen soit placé sur le même plan que le Conseil, pour ce qui concerne des mesures « quasi législatives » de mise en oeuvre.

Mais, de toute façon, l'Union est confrontée à diverses difficultés qu'aucun traité, aussi bien tourné soit-il, ne peut par lui-même résoudre, et qui relèvent du rapport de forces entre les grands États de l'Union.

D'ores et déjà, la politique d'élargissement est marquée par le durcissement des conditions d'intégration pour les nouveaux pays candidats, au point qu'il devient plus difficile aujourd'hui de rentrer dans l'Union qu'il y a quarante ans, ce qui fait l'affaire des plus souverainistes, mais pas de ceux pour qui l'Union est d'abord un marché économique qu'ils souhaitent aussi étendu que possible.

Il y a également les conflits budgétaires opposant, par exemple, la Grande-Bretagne, qui jusqu'à présent a bloqué toute discussion sur la réforme des recettes, et la France, qui fait de même mais sur les dépenses, tandis que se profilent à l'horizon de nouvelles dépenses (recherche et développement, sécurité ou défense commune) que l'Union ne pourra financer que si les États membres remettent la main à la poche.

Pour l'instant, la quote-part financière des États européens représente 5 % de leur budget national. C'est une participation relativement faible, mais elle constitue au total une somme importante qui sert à financer la politique de subventions agricoles, la Politique agricole commune, dont ont largement bénéficié les groupes agro-alimentaires français et néerlandais, et les fonds structurels qui financent les infrastructures matérielles, les transports notamment, pour unifier le marché européen au profit des grands groupes capitalistes européens.

Enfin, il existe des rivalités entre les États membres de la zone euro et ceux qui ne le sont pas.

Dans la mesure où le traité rejeté contenait des aménagements concernant les États membres de la zone euro (France, Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Autriche, Portugal, Grèce, Irlande, Finlande et Slovénie), ces derniers restent partisans de faire appliquer l'essentiel du contenu de feu le traité constitutionnel, le « maxi-traité ». En revanche, la Grande-Bretagne, elle, se contenterait de quelques réformes institutionnelles, le « mini-traité ».

Pour les capitalistes, l'important, c'est le marché

Lors du référendum sur le traité constitutionnel, nous avons appelé à voter pour le rejet du projet de Constitution. Nous l'avons fait pour l'essentiel parce que le texte proposé cherchait à régler les problèmes de direction de l'Union au détriment des pays nouvellement arrivés, dans leur totalité des pays moins développés économiquement, soumis déjà à la dictature économique des grands trusts occidentaux.

Il y avait, bien sûr, aussi les aspects sociaux de cette Constitution. Ils étaient cependant secondaires, non pas qu'il s'agisse de problèmes secondaires, mais parce que les inégalités sociales dans l'ensemble de l'Europe ne sont pas dues à un quelconque texte constitutionnel, mais au fonctionnement de l'économie capitaliste. Dans toute la discussion sur les aspects sociaux de la Constitution, il y a une large part d'illusions propagées. Ce n'est donc pas sur les aspects sociaux que buttent les négociations entre États. Suivant le moment, suivant l'étiquette des gouvernements participants, ils peuvent toujours ajouter quelques paragraphes sociaux ou, au contraire, en enlever : cela ne modifie rien à rien.

En revanche, il faut, d'une part, de nouvelles règles de fonctionnement qui permettent tout simplement aux institutions de fonctionner et surtout de fonctionner sans que la contestation d'une petite nation puisse l'en empêcher. Quant à l'opposition venant de la part d'une des grandes puissances impérialistes, de toute façon, Constitution ou pas, les autres sont bien obligées d'en tenir compte. L'Union européenne n'a jamais cherché à imposer, par exemple, l'euro à la Grande-Bretagne. Comment d'ailleurs l'aurait-elle pu ?

Là où ces règles de fonctionnement ont une certaine importance pour les trusts des grandes puissances impérialistes européennes, c'est dans l'utilisation des crédits pour les dépenses budgétaires européennes. Le budget de l'Union européenne a beau être faible en pourcentage par rapport au budget des États, il représente quand même la somme importante de 126,5 milliards d'euros en 2007. Comment affecte-t-on cette somme ? Qui, de Bouygues ou de ses semblables d'autres nations, décrochera la construction de telle autoroute pan-européenne ou de tels grands travaux ? Quel trust de l'armement décrochera l'équipement en avions, hélicoptères ou chars de combat de la future force militaire européenne ? Il vaut mieux, pour chacun de ces trusts, que la décision soit prise par tractations, certes, mais entre les quatre ou cinq plus grands États d'Europe. Les petites puissances sont seulement conviées à apporter leur quote-part financière au nom, bien sûr, de l'idéal européen.

Et même si l'idée d'une armée européenne, et surtout sa réalisation, marquent le pas, il y a des commandes d'armements en perspective et il n'est pas indifférent pour les Dassault, Lagardère et compagnie de savoir qui décide et de quoi.

Par ailleurs, le traité qui, pour le moment, fait loi, le traité de Nice, ne prévoit pas d'élargissement au-delà de 27 pays. Cela peut poser des problèmes pour les bourgeoisies occidentales les plus en faveur de l'entrée de la Turquie (la Grande-Bretagne, par exemple). Mais, en même temps, rien ne les empêche de commercer avec elle sur la base de relations bi-latérales.

Quelle que soit la solution qu'ils finiront par sortir du chapeau, cela ne sera pas une « Europe sociale ». Elle n'a pas été construite pour cela depuis la naissance de la CEE, il y a cinquante ans exactement. Pourtant on ne peut que redire que le morcellement du continent en une multitude d'États est un anachronisme et que l'unification de l'Europe est une nécessité économique, humaine. Mais les différentes bourgeoisies, contraintes de s'acheminer dans cette direction, ne pourront faire au mieux que ce qu'elles sont en train de faire.

A la recherche d'une sortie de crise

Les dirigeants politiques, pour tenter de résoudre leur problème, passent en revue depuis des mois les différentes pistes qui s'offrent à eux pour sortir de la crise de la ratification.

Quelques-uns ont évoqué des solutions utilisées quand le Danemark avait refusé le traité de Maastricht ou l'Irlande celui de Nice, c'est-à-dire imposer, coûte que coûte, ce qui avait été rejeté. Mais, la crainte des réactions de l'opinion publique a, pour l'instant, plutôt conduit à écarter ces propositions.

Pour faire passer la pilule, lors du Conseil européen de décembre 2005, la chancelière allemande Angela Merkel a suggéré d'ajouter un texte rehaussant la dimension sociale du traité rejeté, et censé répondre à ceux des partisans du « non » qui lui reprochaient son faible contenu social. Mais sur le fond, c'est-à-dire les intérêts économiques des groupes capitalistes, rien ne serait modifié.

Comme toujours, quand l'Union bute sur une difficulté, il a été question d'intégration différenciée entre certains États membres qui pourraient choisir d'aller plus loin ou plus rapidement, comme on l'a fait avec la zone euro. Certains ont proposé que les six plus grands pays forment un directoire pour piloter l'Union dans cette période de crise. Le Premier ministre belge Guy Verhofstadt, lui, a soutenu que ce serait aux États membres de la zone euro de le faire. Mais le Parlement européen a rejeté l'établissement de noyaux fondés sur certains États membres liés uniquement par la puissance, la richesse ou des liens particuliers.

D'autres proposent que chaque État procède à une ratification et à une mise en oeuvre par étapes des différentes parties du traité avorté. Les changements institutionnels les plus acceptables seraient ainsi mis en oeuvre, et le reste le serait à un stade ultérieur. Il reste à savoir, dans ces conditions, quel gouvernement tiendrait parole et finirait par adopter le projet dans sa totalité. Personne ne semble se faire d'illusions.

A l'opposé, il existe des partisans d'un « maxi-traité » plus ambitieux qui voudraient imposer aux partenaires européens plus de comportements communs.

Parmi ceux qui souhaitent au moins le maintien de l'essentiel du contenu du traité rejeté, le député Andrew Duff s'est fait le champion d'un « plan B » pour vendre mieux le traité rejeté en améliorant, selon ses écrits, « l'ensemble du produit ».

Pour tirer d'embarras les gouvernements qui ont choisi sans succès la voie référendaire comme ceux qui ont choisi la voie parlementaire, mais sont soumis à des critiques pour ne pas avoir osé le référendum, il propose un nouveau vote populaire au moment des élections européennes de 2009, commun à toute l'Union, où il espère, bien sûr, que les « non » seraient noyés dans les « oui ». Ce nouveau référendum couronnerait, cette fois encore, un vote préalable des parlements nationaux.

Cette formule aurait l'avantage - à condition que le nouveau référendum ne se solde pas par un nouvel échec, un risque soupesé actuellement par les dirigeants européens - de préserver l'essentiel de ce qui est sorti des marchandages qui ont précédé le traité non ratifié, et de passer outre la grogne d'une partie des Européens. Mais la formule ne convainc pas ceux qui, dans le sillage de la Grande-Bretagne, ne sont intéressés que par le marché intérieur européen et ne courent pas forcément après les politiques communes. Une fois de plus, l'Union européenne est à la recherche d'un nouveau compromis, lui permettant en outre de sauver la face après l'échec de la ratification.

Aussi, quelle que soit la manière dont les dirigeants politiques européens parviendront à sortir de la difficulté actuelle, c'est d'abord ce que les États les plus puissants ont en commun, le souci de préserver un marché unique européen, principale raison d'être de l'Union européenne, qui déterminera la solution à laquelle ils aboutiront. Mais cette Union européenne restera ce qu'elle est, celle des industriels et des banquiers, construite sur le dos des travailleurs et des peuples, où règnent en maîtres l'oppression, les inégalités, l'injustice et les obscurantismes de toutes sortes.

22 mars 2007

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