S'en prendre à l'assurance maladie, c'est limiter un peu plus encore l'accès aux soins pour les travailleurs01/07/20032003Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2003/07/74.png.484x700_q85_box-18%2C0%2C577%2C809_crop_detail.png

S'en prendre à l'assurance maladie, c'est limiter un peu plus encore l'accès aux soins pour les travailleurs

Intervenant en juin devant le congrès de la Mutualité Française, en plein conflit sur les retraites, Chirac a donné douze mois au gouvernement Raffarin pour boucler la réforme de la Sécurité sociale. Cumulant les déficits, elle serait au bord de l'implosion. C'est son existence même qui serait en jeu. Comme il prétendait, hier, réformer le système des retraites pour le sauver, Chirac prétend, aujourd'hui, réformer la Sécurité sociale pour la sauver. Avec les mêmes arguments mensongers et les mêmes objectifs réactionnaires : faire payer plus les travailleurs, et réduire leurs droits.

La Sécurité sociale gère l'assurance vieillesse, l'assurance maladie, les allocations familiales et l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles pour le compte des salariés du secteur privé, principalement, et pour le compte d'un certain nombre d'autres régimes, travailleurs agricoles, non salariés, etc.

D'un côté, elle collecte les cotisations des millions de salariés et de leurs employeurs, des retraités, etc. De l'autre, elle verse les pensions de retraite ou d'invalidité, les indemnités journalières d'arrêt-maladie ou d'accident du travail, les allocations familiales, les remboursements de frais médicaux auxquels les assurés ont droit, et prend en charge la plus grosse partie de leurs frais d'hospitalisation.

La Sécurité sociale brasse des sommes considérables. En 2001 dernière année pour laquelle les statistiques sont complètes , son budget annuel dépassait 370 milliards d'euros : bien plus que le budget de l'État qui, la même année, atteignait, lui, 266 milliards d'euros. De quoi attiser bien des convoitises !

Si elle est, aujourd'hui, mise en accusation, c'est parce que, pour la deuxième année consécutive, en 2003 son budget sera déficitaire : le montant de ses dépenses devrait dépasser celui de ses recettes de 8 milliards d'euros.

En fait, une seule des quatre branches de la Sécurité sociale, l'assurance maladie, est déficitaire. La branche accidents du travail équilibre ses comptes. Les branches retraite et allocations familiales, elles, sont bénéficiaires. Mais pas assez pour compenser les pertes enregistrées par l'assurance maladie.

Cela suffit pour que le gouvernement, les politiciens et les journalistes crient à la catastrophe, au scandale, et parlent de mesures d'urgence.

Mais 8 milliards d'euros de déficit sur un an, pour un budget qui doit approcher les 400 milliards, cela fait 2 %. Ce n'est pas beaucoup. Le budget de l'État français fait régulièrement bien pire. Pour 2003, le gouvernement Raffarin a fait voter un budget de 285 milliards d'euros, avec un déficit prévu de 44 milliards d'euros, supérieur donc à 15 %. Personne ne crie pour autant à la faillite.

Et il faut, de la part du gouvernement, un sacré culot pour parler de déficit abyssal en ce qui concerne la Sécurité sociale, qui finance les retraites et la santé de la population, alors qu'au même moment il a prévu, pour 2003, une augmentation de crédits de deux milliards d'euros pour le budget de la Défense, et pour les années 2003 à 2008, un programme de 88 milliards d'euros d'équipements militaires, soit plus de 14 milliards par an pendant six ans ! Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, annonçait en juin dernier, au Salon du Bourget, le financement d'un programme de mise au point d'un prototype d'avion de combat sans pilote, confié à Dassault Aviation, pour 300 millions d'euros : on voit à qui ces crédits vont profiter !

Et là, on ne discute ni de déficit, ni de rentabilité.

Un budget où l'État puise largement

Ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement se sert du déficit de la Sécurité sociale, et de sa mise en scène spectaculaire, pour tenter de faire accepter aux travailleurs une réforme, un "plan" d'économies, contraire à leurs intérêts. La première à le faire, au cours des trente années passées, a été Simone Veil, en 1974. Depuis, bien des ministres, hommes ou femmes, de droite ou de gauche, ont suivi son exemple. Et les plans de redressements ont succédé aux plans d'économies.

La crise de l'économie capitaliste, qui dure, avec des hauts et des bas, depuis presque trente ans, avec le développement du chômage et du travail précaire, le blocage ou la pression à la baisse sur les salaires, pèse, bien sûr, sur le budget de la Sécurité sociale, qui tire l'essentiel de ses ressources des cotisations des salariés. Moins de salaires, moins de salariés, c'est moins de cotisations. La nouvelle remontée du chômage depuis deux ans, alimentée par les plans de licenciements massifs, aurait ainsi représenté, pour le principal régime de la Sécurité sociale, celui des travailleurs salariés (80 % des cotisations), un manque à gagner de 4 milliards d'euros.

Mais ce n'est pourtant ni la crise, ni le chômage, à eux seuls qui expliquent que les comptes de la Sécurité sociale soient régulièrement dans le rouge depuis trente ans.

Passons sur le fait que, depuis pratiquement l'origine de la Sécurité sociale, tous les patrons ne payent pas ou pas complètement leurs cotisations et celles des travailleurs qu'ils ont collectées. Cela peut représenter, d'une année sur l'autre, un à deux milliards d'euros de manque à gagner. C'est peut-être peu par rapport au budget de la Sécurité sociale, mais par rapport aux montants du déficit monté en épingle, ce n'est pas négligeable.

Mais l'État et le patronat pillent les caisses de la Sécurité sociale à une bien plus large échelle. L'État ne s'est jamais privé de puiser dans ces caisses en fonction de ses besoins, comme il ne s'est jamais privé de faire payer par la Sécurité sociale les dépenses dont il voulait se décharger.

Enfin, la Sécurité sociale, a été mise en coupe réglée par un certain nombre de capitalistes, pour qui elle constitue un marché assuré en quelque sorte.

Principale victime de ce pillage public ou privé : l'assurance maladie. Il faut dire que c'est, avec l'assurance vieillesse, et de loin, le plus gros budget de la Sécurité sociale.

Ainsi, depuis 1959, au lieu que ce soit le budget de l'État, c'est celui de l'assurance maladie qui a financé et qui finance, avec l'argent des travailleurs, l'essentiel de la construction, de l'entretien et de l'équipement des hôpitaux, la formation de leur personnel, et même celle des futurs médecins. C'est l'assurance maladie aussi qui finance les trois quarts des recherches médicales et pharmaceutiques. Ce budget formation-recherche transféré, injustement, à l'assurance maladie se montait en 2001 à plus de six milliards d'euros.

Et tous les gouvernements successifs ont cautionné et développé cette politique de transferts de charges. Le gouvernement Raffarin n'est pas en reste. En novembre 2002, Mattéi, ministre de la Santé, annonçait fièrement qu'il lançait un plan d'investissement de 20 milliards d'euros sur cinq ans pour permettre aux hôpitaux de rénover ou moderniser leurs locaux. Mais sur ces 20 milliards, l'État ne verserait en tout et pour tout que 370 millions. Le reste, ce sont les hôpitaux eux-mêmes, c'est-à-dire en fin de compte la Sécurité sociale, qui devraient le financer. Il n'y a vraiment pas de quoi se vanter !

Le gouvernement Raffarin a aussi décidé de faire payer à partir de 2003 le remboursement des IVG (interruption volontaire de grossesse) par l'assurance maladie, alors que, depuis 1982, ce remboursement était à la charge de l'État. Pour la Sécurité sociale, cela représentera, chaque année, 24 millions d'euros de plus à payer. Mais pour l'État, apparemment, il n'y a pas de petites économies.

Mais l'État n'est pas le seul à considérer les caisses de l'assurance maladie comme les siennes.

L'hôpital public parasité par les cliniques privées

Les industriels du matériel médical, les trusts pharmaceutiques, vivent et prospèrent grâce au budget de l'hospitalisation. Comme vivent et prospèrent à ses dépens les propriétaires et actionnaires des cliniques privées, souvent filiales de grands groupes financiers grâce à la prise en charge des soins, profits compris, mais grâce aussi à des subventions directes de la Sécurité sociale. Une structure a même été créée spécialement pour cela, le fonds de modernisation des cliniques privées. En novembre 2001, les représentants des cliniques privées avaient obtenu d'Elizabeth Guigou, ministre de la Santé du gouvernement Jospin, une rallonge de 260 millions pour ce fonds, destinée à leur permettre, disaient-ils, d'ajuster le salaire de leurs infirmières avec ceux de l'hôpital public. Lesdites infirmières n'ont sans doute pas beaucoup vu la couleur de cet argent. Mais il a porté à près de 500 millions les réserves du fonds, "dont la mission", précisa la ministre à cette occasion, "sera élargie à la prise en compte des difficultés économiques et sociales de certains établissements privés".

Mais le plus choquant, dans les rapports entre assurance maladie, hôpitaux publics et cliniques privées, c'est que ces dernières, qui n'ont comme objectif que d'enrichir leurs propriétaires, se sont développées, et se développent, comme des parasites, au détriment des hôpitaux publics, en mettant à profit leurs difficultés. Car le régime d'austérité auquel les hôpitaux publics ont été soumis depuis vingt ans, et qui s'est traduit par une grave pénurie de personnel et de moyens, a provoqué un transfert d'activité vers les cliniques privées qui, elles, n'étaient pas soumises aux mêmes contraintes ni aux mêmes contrôles. Ce fut tout bénéfice pour leurs actionnaires. Depuis 1992, leur activité est en principe plus encadrée : elles sont tenues de négocier, chaque année, le taux de croissance de leur activité. Dans les faits, elles continuent à faire ce qu'elles veulent : du profit, en se spécialisant dans les actes médicaux les plus rentables, laissant aux hôpitaux publics ceux qui sont les plus lourds à gérer.

Un marché scandaleusement profitable pour les trusts

Enfin, la Sécurité sociale constitue, pour les laboratoires et les trusts du médicament, un véritable marché protégé, scandaleusement profitable.

En 2001, le marché français des médicaments a représenté plus de 27 milliards d'euros, soit plus de 21 % des dépenses de biens et de services médicaux. Parce que les dépenses de médicaments pèsent très lourdement sur le budget de l'assurance maladie, depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs ont pris des mesures de contrôle, d'encadrement des prix. En fait, parce qu'ils n'ont pas voulu s'attaquer vraiment aux intérêts, aux profits, des trusts et des laboratoires pharmaceutiques, ils n'ont pas contrôlé ni encadré grand chose. Ils n'ont pas empêché les dépenses de médicaments de continuer à être le poste des dépenses de santé qui continue à croître le plus et le plus vite : de 8 à 9 % par an. Et, surtout, ils n'ont pas empêché l'industrie pharmaceutique de croître au même rythme, et d'afficher les plus forts taux de profit de toute l'industrie.

Si le médicament coûte à la Sécurité sociale, il rapporte, et rapporte beaucoup aux actionnaires des sociétés pharmaceutiques. Ainsi Sanofi-Synthelabo, deuxième groupe pharmaceutique français, avec plus de 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, était classé en juin dernier, par un journal financier, en tête des groupes français pour l'argent qu'il a fait gagner à ses actionnaires. Depuis 1978, l'action a gagné en moyenne plus de 17 % par an : en 25 ans, les actionnaires ont multiplié leur mise par 54 ! Mais ce sont les travailleurs qui ont payé, et qui payent de plus en plus !

Il n'est pas étonnant dans ces conditions que, depuis la création de la Sécurité sociale, de toutes ses branches, ce soit l'assurance maladie qui ait eu le plus de mal à boucler son budget !

Un moyen de transférer l'argent des travailleurs vers les patrons

Si, pour les travailleurs, la Sécurité sociale est aujourd'hui menacée, ce n'est pas par le prétendu déficit qui est monté en épingle aujourd'hui. C'est surtout par la politique des gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans. Une politique qui a consisté, dans un contexte de crise, à faire payer plus les travailleurs, pour faire payer moins les patrons, et à mettre, de toutes les façons possibles, la Sécurité sociale au service de leurs intérêts et de leurs profits.

La Sécurité sociale ne fut jamais, en fait, la conquête ouvrière qu'on nous présente. Au moment de sa création, en 1945, et dans les années d'après-guerre qui ont suivi, elle fut surtout un moyen, pour les patrons, de permettre le redémarrage de la production et donc des profits. Elle fut ensuite un moyen pour eux d'en assurer la continuité. Elle leur permit aussi de s'assurer la paix sociale, à bon compte : car ce système de Sécurité sociale, qui repose sur la solidarité des travailleurs entre eux, est financé par leurs cotisations, par des prélèvements sur leurs salaires : pour les patrons, cela revient beaucoup moins cher que s'ils avaient dû payer chaque mois, à chaque, travailleur un salaire lui permettant de faire face aux risques de la maladie. Mais aujourd'hui, les patrons trouvent que c'est encore trop cher payé.

Avec la crise de leur économie, et le ralentissement de la production, les patrons ne trouvent plus dans son développement de quoi faire suffisamment progresser, voire même de quoi maintenir leurs profits. Alors, l'argent qu'ils ne trouvent plus dans la production, c'est dans la poche des travailleurs qu'ils vont le chercher, en cherchant à imposer, de toutes les façons possibles, une redistribution des revenus en leur faveur.

La Sécurité sociale n'a jamais été un moyen de redistribution entre riches et pauvres, ni même vraiment entre différentes catégories de salariés, mais seulement entre travailleurs : des travailleurs bien portants vers les travailleurs malades. Mais aujourd'hui, elle est en train de devenir un moyen de redistribution de revenus des travailleurs vers les patrons !

Cotisations en hausse, prestations en baisse

D'un plan d'économies à l'autre il y en a eu 19 entre 1974 et 1995 la recette a été toujours la même : augmentation des taux de cotisations et restriction sur les dépenses.

Alors que l'ensemble des cotisations salariales et patronales à la Sécurité sociale et aux Assedic représentait presque 40 % du salaire en 1973, en 1996 il atteignait 55 % du salaire d'un smicard, et 60 % de celui d'un travailleur payé 1,3 fois le SMIC.

Les travailleurs payent de plus en plus cher. Mais en retour, les prestations auxquelles ils ont droit, allocations chômage, allocations familiales, remboursements de soins médicaux, ne cessent de se réduire.

Des millions de travailleurs exclus du système de soins

Dans le domaine des dépenses de santé, le bilan des politiques d'économies est catastrophique pour les travailleurs.

A partir de la création de la Sécurité sociale, en 1945-1946, et jusqu'à la fin des années soixante-dix, la proportion de la population couverte par l'assurance maladie n'a cessé de progresser. Par là même, le gros de la charge financière des soins de santé était, progressivement, transféré des malades à la Sécurité sociale. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, le transfert se fait en sens inverse.

La création du forfait hospitalier, les baisses de taux de remboursement de médicaments, la non-prise en charge de la totalité des frais et honoraires médicaux ont fait que la part des dépenses de santé prises en charge par la Sécurité sociale n'a cessé de régresser tandis que la part remboursée par les mutuelles complémentaires, voire par des assurances privées, pour ceux qui en ont les moyens, et, surtout, la part revenant aux malades eux-mêmes grandissaient régulièrement. Et en raison des dépassements d'honoraires et de la faiblesse des taux de remboursement pour les frais de médecin, de dentiste ou d'opticien, la part non remboursée atteint et dépasse, couramment, les 50 %.

Résultat, la fraction la plus pauvre de la population s'est trouvée en tout ou partie exclue du système de soins. Certaines maladies liées à la pauvreté, comme la tuberculose, ont fait leur réapparition. Et les services d'urgence des hôpitaux publics sont devenus le seul recours de tous ceux qui ne peuvent pas se payer une visite chez le médecin. Les hôpitaux sont redevenus, en ce début du XXIe siècle, ce qu'ils étaient jusqu'au XIXe, le refuge et le recours des plus démunis.

Devant l'ampleur du problème, le gouvernement de Lionel Jospin a mis en place, en 2000, un régime spécial destiné à assurer un accès aux soins sans condition de ressources, la CMU, couverture maladie universelle, pour ceux qui n'ont aucun droit, et la CMU complémentaire, pour ceux qui, tout en étant affiliés à la Sécurité sociale, n'ont pas les moyens de cotiser, en plus, à un régime complémentaire. C'est Jospin qui l'a mis en place, mais c'est Juppé qui, le premier, en avait eu l'idée. En fait, ils n'ont fait qu'unifier un grand nombre de dispositifs d'aides qui existaient déjà, mais arrivaient difficilement à faire face à la situation, au développement massif de la pauvreté, en particulier parmi les jeunes et les personnes âgées. Et si, à la fin de l'année 2002, 1,4 million de personnes ont demandé à bénéficier de la CMU, et 4,5 millions dont 600 000 rien que pour les départements d'Outre-mer de la CMU complémentaire, il n'y a, pour nos gouvernants, vraiment pas de quoi se vanter. Car cela montre à quoi a abouti leur politique : des millions de pauvres réduits, pour se soigner, comme au XIXe siècle, à la charité publique !

Exonérations de charges : des cadeaux aux patrons payés par les travailleurs

C'est d'autant plus choquant que, dans le même temps, à partir de 1977, sous prétexte de favoriser, tour à tour, l'emploi des jeunes, des vieux, des travailleurs non qualifiés, ou des travailleurs de telle ou telle zone ou région particulières, les mesures exonérant les patrons de charges sociales, au détriment des budgets de la Sécurité sociale, se sont accumulées.

Bien que ces mesures aient fait largement la preuve de leur inefficacité à réduire le chômage, le mouvement s'est accéléré dans les années quatre-vingt-dix. Entre 1993 et 2002, sous le gouvernement de Balladur d'abord et celui de Jospin ensuite, avec les exonérations liées aux lois sur les 35 heures, le montant de ces cadeaux faits aux patrons fut multiplié par six. Au 1er janvier 2003, il existait au total 36 dispositifs différents aboutissant à exonérer les patrons de cotisations sociales sous prétexte de favoriser l'emploi.

Pour ne pas être en reste, le gouvernement Raffarin a mis en place en 2003 un nouvel allégement de charges pour un montant de 6,7 milliards d'euros de plus, qui porte à plus de 19 milliards pour l'année le montant total des exonérations de cotisations sociales.

Aujourd'hui, environ 20 % de l'ensemble des cotisations patronales se trouvent ainsi exonérées. Cela représente, pour les patrons, un cadeau de plus de 19 milliards d'euros par an, et autant de cotisations en moins pour la Sécurité sociale. En principe, depuis 1993, l'État est tenu de compenser ces exonérations de charges. En fait, elles ne sont compensées qu'en partie. En 2002, par exemple, 2,2 milliards d'exonérations n'ont pas été compensés.

Mais même quand elles sont compensées, ces exonérations diverses constituent bel et bien un vol ! Car l'argent de ces cotisations exonérées, il appartient aux travailleurs, pas aux patrons !

Les cotisations sociales qui alimentent les caisses de la Sécurité sociale, qu'il s'agisse de la part salariale ou de la part dite, improprement, patronale, ne sont rien d'autre, en fait, qu'un salaire différé, géré collectivement. Les patrons et les économistes à leur service ne s'y trompent pas : quand ils parlent pour se plaindre du "coût trop élevé du travail" ils n'oublient pas d'ajouter aux salaires ces cotisations sociales, salariales et patronales, sans plus faire de distinction !

Ces exonérations de charges sont un des moyens parmi beaucoup d'autres utilisés par les patrons en ces temps de crise pour peser sur les salaires, pour réduire encore la part des richesses produites qui revient aux travailleurs et pour augmenter celle qui leur revient. Elles sont, en fait, des réductions de salaires déguisées.

Et pour remplacer les cotisations exonérées, les gouvernements successifs ont transféré à la Sécurité sociale le produit d'un impôt, la CSG, contribution sociale généralisée créée en 1991 par un gouvernement socialiste, celui de Michel Rocard et les recettes d'un certain nombre de taxes, comme les taxes sur le tabac, sur l'alcool, sur les assurances automobiles, etc.

Présentée comme plus juste que les cotisations parce qu'elle toucherait tous les revenus, y compris ceux du capital, la contribution sociale généralisée n'est pas si généralisée que ça : en fait de capital, elle ne s'applique qu'aux placements et aux revenus de l'épargne, y compris celle des travailleurs et des petites gens, mais pas aux capitaux bien plus considérables investis dans les entreprises et aux revenus soumis à l'impôt sur les sociétés. Résultat, elle tire près de 90 % de ses ressources des prélèvements opérés sur les revenus des travailleurs, des chômeurs et des retraités.

Autrement dit, quelle que soit la technique utilisée, les travailleurs sont perdants. Car ce que les gouvernements donnent aux patrons au détriment de la Sécurité sociale sous forme d'exonérations de charges, ce sont eux qui le compensent, avec leurs impôts.

Réagir, quelle que soit la forme de l'attaque

Mais la rapacité des patrons n'a pas de limite. Et aujourd'hui, après l'assurance vieillesse, c'est l'assurance maladie qui est sur la sellette. Après les retraites, c'est à la possibilité pour les travailleurs de se soigner qu'ils veulent s'en prendre.

Pour l'instant, les mesures annoncées par Chirac ou par Mattéi, n'ont rien d'original : hausse des taxes sur le tabac, déremboursement ou moindre remboursement d'une série de médicaments d'usage courant. Et moindre remboursement des visites de médecin à domicile quand le déplacement n'est pas "justifié". Ce sont les vieilles recettes déjà utilisées abondamment par tous leurs prédécesseurs.

Mais ce n'est, si l'on en croit Chirac et son ministre de la Santé, Mattéi, qu'un début. L'un comme l'autre sont jusqu'à maintenant restés flous sur les mesures précises qu'ils comptent prendre. Le mouvement de protestation contre la réforme des retraites est sans doute pour quelque chose dans cette prudence.

Mais s'ils hésitent, ce n'est pas sur l'objectif : diminuer la part des dépenses prises en charge par la Sécurité sociale, augmenter celle du secteur privé, mutuelles et compagnies d'assurances. C'est-à-dire augmenter encore la part des dépenses payées par les travailleurs, directement ou sous forme de cotisations supplémentaires ou de primes d'assurances.

Atteindront-ils cet objectif en programmant et en annonçant, comme ils l'ont fait pour les retraites, une réforme brutale, spectaculaire, qui risque de dresser contre elle, à nouveau, des millions de grévistes et de manifestants ?

Ils peuvent aussi, choisir d'étaler cette réforme dans le temps, pour arriver, par une accumulation de mesures partielles successives au même résultat. Après tout, c'est ce qu'ils ont commencé à faire. Et c'est ce qu'ont fait avant eux tous les gouvernements qui les ont précédés.

Si le gouvernement choisit d'étaler dans le temps ses attaques contre l'assurance maladie, plutôt que d'affronter brutalement les travailleurs, il sera sans doute plus difficile à ces derniers de prendre conscience de la gravité de l'attaque et de réagir, de se mobiliser. Mais pas moins nécessaire. Alors c'est à cela qu'il faut se préparer. Il n'est pas question d'accepter le moindre sacrifice supplémentaire. Il faut refuser toute remise en cause, qu'elle soit brutale et provocatrice ou qu'elle soit progressive et insidieuse, de la Sécurité sociale.

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