Italie : de la "Refondation communiste" à une participation gouvernementale ?01/02/19941994Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1994/02/5.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Italie : de la "Refondation communiste" à une participation gouvernementale ?

A la veille des élections législatives italiennes de mars 1994, un regroupement dit "progressiste" s'est constitué. Il pourrait être le vainqueur du prochain scrutin. Si l'installation de cette coalition au gouvernement n'est encore qu'une des hypothèses, elle a déjà eu une conséquence concrète pour tous ceux qui, en Italie, se réclament des idées communistes et de la classe ouvrière : le tournant opéré par le "Parti de la refondation communiste" (PRC) en faveur d'une politique de participation gouvernementale.

Ce tournant, entériné le 23 janvier dernier par le congrès de ce parti, était dans l'air depuis quelques mois, en particulier depuis que, au cours des élections municipales partielles de juin, puis de novembre-décembre 1993, la direction du PRC avait marqué nettement sa préférence pour une politique de soutien aux alliances électorales dites "progressistes" constituées autour du PDS, le "Parti démocratique de la gauche" d'Achille Occhetto. Le PRC était ainsi déjà mis en position subordonnée à l'égard de ce parti, qui n'est autre que l'ex-Parti communiste, celui-là même dont les adhérents du PRC s'étaient séparés parce qu'ils refusaient d'abandonner l'étiquette communiste comme Occhetto les y conviait. Et nombre de ceux-ci ont sans doute été surpris de la rapidité avec laquelle on s'est mis à leur faire entériner une politique de participation gouvernementale dont la condamnation avait été pourtant une des raisons de la formation du PRC.

Trois ans de "Refondation communiste"

Il faut rappeler en effet que le Parti de la refondation communiste s'est créé il y a à peine trois ans, en 1991, alors que le congrès de Rimini du Parti communiste italien, sur proposition d'Occhetto, décidait d'abandonner l'appellation "communiste" pour devenir le PDS (Partito democratico della sinistra). Cette proposition était dans le droit fil de la politique de l'ancien PCI, dont les dirigeants, depuis des décennies, clament leur volonté d'aller au gouvernement et donnent gage sur gage de leur rupture totale avec le lointain passé communiste du parti. Le changement de nom devait, pour Occhetto, marquer une sorte de point de non-retour. Mais il a suscité de nombreuses oppositions à la base. Une partie des opposants a choisi, derrière Pietro Ingrao, de se maintenir comme minorité au sein du PDS. Une autre partie, derrière Cossutta et Garavini, a choisi la scission et la création du PRC.

Cette "Refondation communiste" eut son succès qui surprit bon nombre de commentateurs ayant un peu trop vite, comme il est de mode aujourd'hui, "enterré le communisme". On vit affluer vers le PRC une partie de la base ouvrière de l'ancien PCI, mais aussi des militants qui, devant l'affirmation toujours plus social-démocrate de celui-ci, l'avaient délaissé au fil des années. Il s'y ajouta bon nombre de militants et de courants d'extrême gauche dont le principal, "Democrazia proletaria", choisit d'entrer et de se dissoudre dans le PRC.

Cependant, dès le début, la direction qui se mit en place à la tête du PRC ne laissait guère d'ambiguïté quant à ses intentions. On y trouvait de vieux routiers des milieux dirigeants de l'ancien PC, qui dans le passé ne s'étaient guère distingués du cours réformiste et collaborationniste de celui-ci. Ainsi le président du parti, Armando Cossutta, ne s'était révélé un opposant - tardif - au secrétaire général du PCI, Enrico Berlinguer, que lorsque celui-ci avait proclamé le divorce définitif entre le PC italien et l'Union soviétique, et cela seulement au nom d'une politique qu'il aurait certes souhaitée plus prosoviétique, mais pas plus révolutionnaire. De même Sergio Garavini, secrétaire général du PRC jusqu'à il y a quelques mois, n'était connu jusqu'à la scission de 1991 que comme un bureaucrate syndical de la CGIL - la CGT italienne - même pas particulièrement combatif ou plus attentif que les autres au respect des volontés de la base ouvrière. Enfin, Lucio Magri, qui ne rejoignit d'ailleurs la "Refondation communiste" que plusieurs mois après la scission et après avoir constaté qu'il y avait bien là une place à prendre, était issu de l'ancien groupe du Manifesto qui, s'il fit longtemps figure de "dissident" à l'égard du PC italien, peut surtout être considéré comme un spécialiste de la phrase creuse et des théories ronflantes... surtout destinées à maquiller des conceptions réformistes de la plus belle eau.

Un groupe dirigeant cultivant la confusion politique

Ce groupe se plaça à la tête du nouveau parti sans grand souci de vérifier si ses conceptions correspondaient vraiment aux aspirations de la base, et évita soigneusement de donner un contenu trop précis au "communisme" dont il continuait donc de se réclamer. Ou plutôt, lorsqu'il le précisa, ce fut dans le sens d'un vague retour à une pratique inspirée du temps de Berlinguer, voire du temps de Togliatti, mélange de références confuses à un Parti communiste qui serait à la fois défenseur des intérêts des travailleurs, du peuple, de la Constitution de la république italienne de 1946, un peu tiers-mondiste et partisan d'un "dépassement du capitalisme", mais qui ne serait pas "étatiste" (?) et pas sûr vraiment d'être marxiste...

Sur le plan des luttes ouvrières, on vit de même le PRC organiser des manifestations, dont certaines avec succès, qui avaient pour objectif de le faire apparaître comme le seul parti défenseur des travailleurs, mais pas du tout de donner à ces luttes une perspective propre, de permettre à la classe ouvrière de s'organiser sur son terrain et de faire échec aux offensives répétées de la bourgeoisie. Au sein de la CGIL, il s'abstint même d'organiser une véritable opposition à la politique ultra-collaborationniste de la direction alors que celle-ci, sous l'impulsion de Bruno Trentin, signait avec les gouvernements successifs d'Amato et de Ciampi une série d'accords anti-ouvriers suscitant bien des résistances.

Le groupe dirigeant du PRC s'installa ainsi dans une politique qui peut se résumer à la simple gestion électoraliste du fonds de militants et sympathisants que l'évolution à droite de l'ancien PC laissait à découvert, et que des hommes continuant à se proclamer "Parti communiste" pouvaient tranquillement s'approprier. Il n'en accepta pas moins la présence de militants d'extrême gauche, dans la mesure où cela pouvait être un appoint et une caution sans être vraiment une gêne politique. Ainsi, plus qu'à un véritable parti, le PRC ressemblait souvent à une nébuleuse politique, simplement chapeautée par un groupe de députés, de sénateurs, de journalistes, pouvant parler en son nom sans grand risque d'être contestés.

Les choix électoraux ou le début des choses sérieuses pour les dirigeants du PRC...

Les dirigeants du PRC auraient sans doute cultivé plus longtemps les ambiguïtés si la situation politique n'avait pas rapproché les échéances. Mais la fixation d'élections législatives anticipées pour la fin mars 1994 contraignait à des choix plus clairs. L'adoption du système électoral majoritaire pour les élections municipales, puis législatives, opérait sur toutes les formations politiques une pression pour la création de regroupements électoraux en vue d'une sorte de bipolarisme politique à l'anglaise ou à l'américaine. Le PDS d'Occhetto pouvait ainsi se placer au centre d'une opération de regroupement du pôle dit "progressiste" allant du PRC aux Verts, en passant par le Parti socialiste, ou ses restes, et par des groupes issus de la Démocratie chrétienne.

Si le PRC ne s'était pas plié à de telles alliances, la sanction pouvait être la perte d'une grande partie de sa représentation, au niveau municipal et au niveau parlementaire. Cela n'aurait certes pu faire peur à un parti avant tout attaché à une perspective de lutte de classe, mais était déterminant pour un parti n'ayant d'autre perspective qu'électorale.

Le succès des regroupements dits "progressistes" dans les élections municipales de juin, puis de novembre-décembre, face à une droite divisée et désormais dominée par les néo-fascistes et la Ligue du Nord, en rendant envisageable la victoire d'une coalition du même type aux élections législatives de mars prochain, obligeait à répondre sans plus tarder à une série de questions : le Parti de la refondation communiste serait-il membre d'une telle coalition ? Ferait-il partie, en cas de victoire de celle-ci, de la majorité gouvernementale ? Serait-il prêt en ce cas à une participation gouvernementale alors qu'Occhetto a déjà précisé que la politique d'un éventuel gouvernement "progressiste" consisterait pour l'essentiel à poursuivre la politique d'austérité de l'actuel gouvernement Ciampi ?

Le choix des dirigeants du PRC a été tout simplement de répondre "oui" à ces trois questions. On a vu le nouveau secrétaire du PRC issu du congrès, le syndicaliste CGIL Fausto Bertinotti, déclarer que s'il y avait succès de la gauche, le PRC aurait "le devoir de respecter le mandat donné pour gouverner", et Lucio Magri déclarer : "le peuple de gauche attend depuis trop longtemps une occasion de victoire et ne pourrait pas nous comprendre si nous renoncions". Et d'ajouter que des sacrifices seraient "inévitables", et de critiquer les militants trop attachés à "l'étatisme" (lire : au communisme ou au socialisme...).

On peut passer sur le verbiage qui a accompagné ce virage : grandes phrases sur le "changement d'époque" auquel on assisterait ou sur la "gauche d'alternative" que le PRC aurait l'intention d'inspirer. Il n'a pas empêché, heureusement, qu'une forte minorité du congrès, plus forte que prévu semble-t-il, se prononce contre la politique proposée. L'une des motions contraires a recueilli les voix de 10 % des délégués : proposée par Luigi Vinci et Ersilia Salvato, (l'un ex "Democrazia proletaria", la seconde issue du PCI), elle approuvait la recherche d'un accord électoral à gauche mais prenait quelque distance avec la perspective d'une participation gouvernementale. La seconde a recueilli 20 % des voix : proposée par des militants venus de "Democrazia proletaria" (Paolo Ferrero), du courant minoritaire de la section italienne du Secrétariat unifié (Marco Ferrando) mais aussi par d'ex-membres du courant "cossuttien" du PCI (Giovanni Bacciardi), elle se prononçait en revanche à la fois contre la confluence dans l'"Alliance progressiste" et contre le soutien au gouvernement qui pourrait en sortir - même si les termes dans lesquels elle le faisait ne sont eux-mêmes pas exempts d'ambiguïté quant aux perspectives politiques que ses promoteurs pourraient éventuellement offrir au PRC.

Il faut rappeler à ce propos que la section italienne du Secrétariat unifié - à laquelle correspond en France la Ligue communiste révolutionnaire - après s'être fondue dans "Democrazia proletaria", a rejoint ensuite le PRC en même temps que cette dernière ; d'où la présence de ses militants au sein du PRC, et par exemple d'un représentant connu du Secrétariat unifié, comme Livio Maitan, à la direction nationale de ce parti. Cela était certes concevable si l'objectif était de gagner les militants ouvriers sincèrement communistes du PRC, à supposer qu'il eût été impossible de le faire de l'extérieur. Mais la condition aurait été alors de mettre clairement en garde, dès le début, tous les militants du PRC contre ce groupe dirigeant dont les intentions et les calculs n'étaient que trop visibles. Or, cela n'a nullement été le souci de la section italienne du Secrétariat unifié.

Aujourd'hui, ses militants ont été de ceux qui ont mis en avant et voté la seconde motion citée, et c'est bien le moins que l'on pouvait attendre de militants trotskystes. Le relatif succès des motions d'opposition témoigne au moins que l'orientation prise par la direction du PRC ne passe pas si facilement auprès de ses adhérents. Mais cela laisse entier le problème de l'avenir pour tous les militants qui, au sein du PRC, se trouvent maintenant confrontés à cette affirmation participationniste de leur direction.

Construction de partis révolutionnaires... ou de regroupements "alternatifs" ?

Car l'évolution du PRC italien montre que ce type de regroupement cultivant la confusion politique ne peut éviter longtemps d'affirmer clairement ses perspectives réformistes. Et pourtant, c'était sans doute une des situations les plus favorables possibles puisqu'un regroupement comme le PRC s'appuyait au moins, au départ, sur une réaction réelle et saine de la base communiste contre l'orientation social-démocrate de la direction du PCI, pour s'opposer au moins en paroles à celle-ci. Ce n'est même pas le cas, par exemple, des "refondateurs" communistes français qui, eux, poussent à une social-démocratisation plus rapide encore que celle proposée par la direction du PCF...

C'est pourquoi, même et surtout dans le cas où un tel regroupement remporte quelque succès auprès d'une fraction de militants ouvriers, il est important qu'existe une tendance révolutionnaire prolétarienne organisée, préparée, affirmant une politique claire, qui puisse offrir une perspective réelle aux militants restés sincèrement communistes que, tôt ou tard, les choix réformistes de leurs dirigeants risquent de laisser désorientés.

On peut sans doute se réjouir qu'au moins une opposition à l'orientation prise par la direction du PRC se soit manifestée. Mais la question n'est pas seulement l'existence d'une telle opposition proposant une motion, le temps d'un congrès. Elle est de gagner les militants ouvriers communistes à la perspective de construire un véritable parti révolutionnaire. Et c'est maintenant, justement, qu'une organisation ayant clairement cette perspective et le crédit nécessaire pour la proposer risque de faire cruellement défaut en Italie.

Partager