Sur la situation actuelle du mouvement trotskyste01/07/19861986Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1986/07/1_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Sur la situation actuelle du mouvement trotskyste

Nous reproduisons ici l'intervention du camarade représentant notre courant international (Combat Ouvrier - Lutte Ouvrière - Spark et UATCI) qui ouvrit le débat qui s'est déroulé le 18 mai 1986, lors de la fête de Lutte Ouvrière, entre notre courant, le Secrétariat Unifié et la Ligue Internationale des Travailleurs.

Contrairement au SU et à la LIT, nous ne nous sommes jamais proclamés une direction internationale et encore moins la IVe Internationale. Nous sommes cependant une tendance internationale trotskyste exactement au même titre que les tendances représentées ici par ces camarades. ( ... )

Malgré une longue existence séparée, nous nous sommes développés en restant toujours sur le terrain du trotskysme et nous nous sommes toujours revendiqués de la IVe Internationale. Et nous avons toujours formé nos camarades, nos militants en ayant pour objectif de militer pour la IVe Internationale, c'est-à-dire pour un parti mondial de la révolution socialiste.

C'est dire que le débat autour de la construction de la IVe Internationale nous concerne autant que toutes les autres tendances du mouvement trotskyste, et quand je parle de débat, je ne parle évidemment pas du débat ici ce soir, mais du débat virtuel qui existe en permanence entre les différents courants de la IVe Internationale et du mouvement trotskyste. ( ... )

Le mouvement trotskyste, et le mouvement trotskyste dans son ensemble, malgré ses faiblesses, a au moins une qualité, c'est celle de durer. Depuis la fondation de la IVe Internationale, il y a toujours un peu partout dans le monde des militants qui continuent à militer en se revendiquant du trotskysme c'est-à-dire des idées communistes révolutionnaires que bien d'autres tendances ont abandonnées depuis longtemps, lorsque ce ne sont pas ces tendances elles-mêmes qui ont disparu.

Mais le problème politique majeur, c'est qu'aucun groupe trotskyste, dans aucun pays, n'a pu ou n'a su, jouer un rôle politique dirigeant au nom précisément de ces idées communistes révolutionnaires. ( ... )

Or cela n'a été réalisé nulle part, cela n'a même pas été approché, pendant ces 40 ans d'existence du mouvement trotskyste. Il y a eu bien des soulèvements, bien des vagues révolutionnaires, où les travailleurs, ( ... ) étaient en général physiquement présents. Et dans bien des circonstances, les travailleurs constituaient même la majorité des combattants. Mais chaque fois, leurs luttes ont dé dirigées par des organisations se plaçant sous une forme ou sous une autre, sur le terrain de la bourgeoisie, pour la plupart des organisations nationalistes. ( ... )

Mais ce que nous discutons aujourd'hui, se situe malheureusement à un niveau bien inférieur. Parce que, pour notre part, nous ne considérons pas qu'il existe aujourd'hui de IVe Internationale, ni politiquement, ni organisationnellement, pas même au niveau où il en existait une au temps de Trotsky, où il existait au moins une direction politique dont l'autorité était incontestable. ( ... )

Sur le plan politique sur le plan de sa compétence, de sa capacité à orienter l'activité des militants trotskystes, la IVe Internationale à notre avis, a cessé d'exister durant et après la Seconde Guerre mondiale. Et à notre avis, c'est précisément ses erreurs politiques, cette incapacité d'avoir une direction politique valable, qui ont fini par se traduire sur le plan organisationnel, par l'éclatement des organisations de la IVe Internationale en une multitude de fractions.

Bien entendu, cette analyse est la nôtre, et nous savons qu'elle n'est pas partagée par une bonne partie, sinon la majorité du mouvement trotskyste. Mais nous sommes convaincus que c'est une des choses qui doit se discuter au sein du mouvement trotskyste.

Mais indépendamment de cette analyse, ce qui est incontestable, c'est que le mouvement trotskyste est aujourd'hui éparpillé, divisé, dispersé en un grand nombre de tendances plus ou moins importantes, plus ou moins militantes et plus ou moins sérieuses sur le plan politique. A notre avis, la raison principale de cette division du mouvement trotskyste international, c'est que depuis quatre décennies, aucune direction internationale digne de ce nom n'a su se sélectionner, se former et se faire admettre par la majorité, sinon par la totalité des militants trotskystes de par le monde. Et que, au lieu de trouver les voies et les moyens d'en sélectionner une, la politique et la pratique des directions internationales auto-proclamées en ferment au contraire la voie et la possibilité.

De toutes ces tendances, c'est sans doute celle représentée par le SU qui est numériquement la plus importante. C'est le SU qui a hérité de l'organisation internationale laissée par Trotsky, du moins ce qui en est resté après un certain nombre de scissions. Cela lui vaut une sorte de représentativité internationale, et nous reconnaissons volontiers que c'est grâce à lui qu'un certain nombre d'organisations de par le monde se sont maintenues en se réclamant du trotskysme.

Mai les scissions qui ont secoué régulièrement et à de nombreuses reprises depuis 40 ans, d'abord l'organisation de la IVe Internationale alors unique puis le SU, confirment que même en son propre sein, le SU n'est pas reconnu comme une direction internationale valable, c'est-à-dire une direction à qui on fait confiance, à qui chaque section nationale fait plus confiance sur le plan politique qu'à elle-même ou à sa propre direction.

Eh bien, depuis 40 ans, à chaque fois qu'une organisation nationale a pris un peu de force et s'est montrée capable de faire surgir en son sein une direction tant soit peu capable à son niveau, cette direction ne reconnaît pas la prétendue direction internationale, et entre en conflit et finalement en lutte avec elle. Et ces fractions qui ont scissionné du SU finissent par se déclarer elles-mêmes une direction internationale, ou franchement de nouveau, une IVe Internationale, « la » IVe Internationale, et vont chacune, à notre avis de façon irresponsable, raccoler des militants trotskystes de par le monde pour créer artificiellement de prétendues sections bien incapables souvent d'exister de façon autonome sur le plan strictement militant.

Aujourd'hui, il existe à l'échelle mondiale moins d'une dizaine d'organisations trotskystes dépassant sensiblement un millier de militants, et un millier de militants, c'est vraiment petit et c'est vraiment peu. Pour ces organisations, en l'occurence, la LCR, le PCI, LO, ici en France, le MAS en Argentine, le groupe Militant en Angleterre ou le SWP aux États-Unis, chacune en réalité constitue sa propre tendance internationale qui ne reconnaît l'autorité d'aucune autre direction que la sienne propre. C'est vrai même pour le SWP qui fait formellement partie du SU, mais qui mène une politique indépendante.

Voilà les faits.

Alors on peut choisir de les ignorer, comme l'a fait pendant longtemps très clairement le SU, en se proclamant la seule IVe Internationale, ou comme il continue à le faire de façon plus enveloppée aujourd'hui, mais c'est une réalité indéniable.

Une des difficultés dans la tâche de construire la IVe Internationale a toujourss été la prétention affirmée ou non des regroupements existants d'être a priori la direction internationale - alors que tout le problème est que celle-ci reste à forger - et de vouloir en plus imposer aux autres l'entrée dans le cadre de leur regroupement et l'observation de la discipline de celui-ci comme condition de relations et de coopération. Et c'est bien ça le problème, et c'est précisément cette tendance des directions internationales à. s'autoproclamer ou alors pour le SU, à maintenir la fiction que c'est lui la seule direction internationale, qui finalement bloque la possibilité d'une évolution des choses. Parce que l'attitude de tous les regroupements internationaux consiste à dire à tous ceux qui n'en font pas partie: c'est, ou vous entrez chez nous, ou nous vous ignorons.

Et l'expérience montre depuis 40 ans que les groupes qui font partie des regroupement internationaux, préfèrent en sortir. Et on recommence tout. Alors donc, le problème est d'avoir sur ce plan-là une attitude responsable, et nous avons toujours considéré que l'attitude du SU n'est pas une attitude responsable, et nous avons aussi considéré que l'attitude des regroupements internationaux qui en sont issus par voie de scission, et qui se sont à leur tour proclamés direction internationale avec moins de raisons encore souvent que le SU, n'étaient pas responsables non plus.

Parce que pour reconstruire la IVe Internationale, il faut une politique. Et cette politique ne peut certainement pas consister à considérer le problème résolu avant même de l'avoir posé. C'est-à-dire se proclamer comme IVe Internationale soi-même en déclarant que tous les autres ne sont pas trotskystes, ou alors quand on leur reconnaît la qualité de trotskystes, on proclame qu'ils ne sont pas internationalistes.

Pour notre part, nous, nous militons, oui, pour une Internationale centralisée et disciplinée. Et nous pensons d'ailleurs qu'il ne peut pas y avoir d'autre Internationale que celle-là. Une Internationale, ça commence lorsqu'il existe entre les différentes sections des relations de confiance, des relations politiques telles que l'ensemble puisse fonctionner comme le parti mondial de la révolution. C'était cela le projet de Trotsky. Mais pour créer un parti mondial de la révolution socialiste, cela implique d'abord un accord programmatique, et nous n'entendons pas par accord programmatique une simple référence polie au Programme de Transition, avec autant de lectures et autant d'interprétations qu'il y a de tendances, et nous n'appelons pas non plus accord programmatique un texte de compromis qui masque les divergences sans les résoudre.

Il nous suffit d'avoir vu vivre les Internationales autoproclamées pour être convaincus que ce genre d'accord formel ne conduit qu'à la scission ultérieure ou alors, lorsqu'il n'y a pas scission, c'est que l'Internationale ne joue aucun rôle, elle laisse les sections vivre complètement leur vie, c'est-à-dire qu'elle n'est pas la direction internationale dont elle se revendique.

En ce qui nous concerne, nous n'avons d'accord programmatique suffisant avec aucune autre des principales tendances trotskystes, qui permette d'imaginer à une échéance prévisible que nous puissions fonctionner sur la base du centralisme démocratique, sans éclater à la première difficulté.

Alors, en ce qui concerne nos divergences, nous allons commencer en disant quelques mots de nos divergences avec le SU. En résumé, et nous avons eu l'occasion de le dire bien souvent, et de le redire au SU, c'est que nous pensons qu'il avait trop souvent dans le passé, abandonné même formellement, toute politique visant l'organisation indépendante du prolétariat par rapport aux autres classes sociales. Nous reprochons politiquement au SU d'avoir trop souvent dans le passé cherché des substituts au rôle du prolétariat conscient et organisé, et nous lui reprochons de s'être aligné sur des forces étrangères, voire ouvertement et clairement hostiles au prolétariat. Nous considérons comme une erreur, et une erreur grave, le fait que le SU et ses prédécesseurs se soient identifiés, successivement ou simultanément, au titisme, au FLN algérien, au FNL vietnamien, au castrisme et aujourd'hui au sandinisme. C'est-à-dire, à toutes sortes de courants radicaux sans doute, révolutionnaires parfois, mais dont aucun ne se plaçait sur le terrain de la révolution prolétarienne et a fortiori de la révolution prolétarienne mondiale. Alors bien sûr, Algérie, la Yougoslavie, c'est le passé. Mais chaque fois que l'occasion se présente, on recommence la même attitude, et il se passe la même chose aujourd'hui, vis-à-vis du Nicaragua.

Nous avons eu l'occasion de préciser bien des fois qu'il ne s'agît pas du tout de la solidarité nécessaire, normale vis-à-vis du peuple du Nicaragua. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit mais il s'agit d'attribuer à la direction sandiniste des vertus prolétariennes qu'elle n'a pas, et d'ailleurs qu'elle ne prétend même pas avoir. Et nous ne rentrons pas dans le détail de la discussion sur ce plan là, et nous pouvons toujours ergoter sur ce que la direction sandiniste aurait pu faire ou ne pas faire, mais le simple fait qu'elle ne se prétende pas internationaliste, qu'elle ne se revendique pas de l'internationalisme prolétarien, suffit pour dire qu'il est nécessaire qu'il y ait des organisations qui représentent ce point de vue-là, qui combattent au nom de ce point de vue-là aussi bien au Nicaragua que dans les pays alentour.

Bien que nous soyons en accord avec elle sur ce point précis, nous avons également des divergences avec la LIT. La LIT partage un long passé avec le SU, et ce passé commun a profondément marqué ses analyses et sa démarche, même aujourd'hui. C'est en effet pendant cette période de vie commune que, dans la quasi totalité des tendances trotskystes actuellement existantes, hormis la nôtre, s'est élaborée l'analyse de la nature de classe des États du glacis soviétique, celle de l'État chinois, et nos désaccords sur ces questions ne sont pas qu'une simple question d'étiquette.

Le problème, c'est qu'en introduisant à propos des Démocraties Populaires et à propos de la Chine la notion d'État ouvrier déformé, cela impliquait qu'on attribuait à l'Armée rouge, ou encore à une révolte paysanne, c'est-à-dire à d'autres. forces que le prolétariat révolutionnaire, la capacité de créer un État ouvrier. Bien des divergences ultérieures sont en germe dans cette divergence-là.

Nous avons aussi des divergences avec le SU et avec la LIT même sur nos démarches, sur notre façon de nous adresser au prolétariat, sur notre façon de nous implanter. Et je dirai qu'il y a même des divergences que, tout en les ressentant, nous avons du mal à mesurer, parce que des pratiques politiques différentes, une longue existence séparée, ont fait que bien souvent, nous ne mettons pas le même contenu dans les mots que nous utilisons. Nous ne nous posons pas en donneurs de leçons. Mais nous avons l'intention de vérifier notre politique sur la base de nos analyses, et de la vérifier jusqu'au bout.

Alors bien sûr, chaque regroupement international mène la politique qu'il veut. Mais ce que nous proposons, c'est d'avoir une attitude qui permette aux différentes tendances internationales de coopérer, compte-tenu de ces divergences qui rendent un fonctionnement centraliste impossible ou alors tout à fait formel, ce qui revient absolument au même.

Les désaccords, même importants, ne doivent pas à notre avis empêcher la collaboration. Pendant de longues années, les tendances bolchévique et menchévique ont coopéré très étroitement, tout en menant des politiques très différentes. Une coopération permettant des confrontations vivantes entre nos analyses et nos expériences politiques respectives, nos perspectives, nos réussites et nos échecs, serait, nous le pensons, utile à tous. Parce que je ne voudrais vexer personne, mais même ceux qui se prétendent une Internationale, ne sont que des groupuscules. Et ce n'est pas méprisant, parce qu'un groupuscule, nous en sommes un aussi, mais cela ne nous gêne pas de le dire.

Il est extrêmement difficile de former et de sélectionner des cadres et des dirigeants à partir de l'expérience d'un seul groupe, avec la quantité limitée et peu diversifiée des expériences que cela suppose. On peut toujours parler de révolution, mais diriger des luttes, cela suppose une expérience, des habitudes, des pratiques justes, avant d'être à même de diriger ces luttes. Dés pratiques, des idées qui doivent être confrontées à une multitude d'expériences, avant d'être certains d'en avoir fait le tour. Eh bien, cela, malheureusement, dans le cadre des petits groupes que nous sommes les uns et les autres, y compris les petits groupes qui se baptisent « Internationale » il n'y a pas de base pour cette expérience-là.

Il y en aura peut-être un jour, mais en attendant, nous pourrions au moins faire en sorte que les expériences diverses que l'on peut réaliser dans les différents groupes, puissent au moins être confrontées et comparées. Et pour nous, l'internationalisme, c'est d'abord cela. Nous devrions avoir le sérieux de mettre en commun le peu que nous avons, et faire en sorte que le maximum de cadres des uns et des autres, puissent se former au travers des expériences des organisations réellement existantes.

Nous sommes prêts à collaborer avec toutes les organisations trotskystes, appartenant à un regroupement international ou non. Nous ne leur demandons pas de changer leurs idées politiques et leurs démarches, comme nous n'acceptons pas de changer les nôtres, mais nous sommes prêts, avec toutes ces organisations, à former nos militants à leur contact, et à permettre de former les leurs au nôtre. Nous voulons échanger avec eux nos façons de mener nos politiques afin que nos militants respectifs bénéficient d'un peu d'expérience, d'un peu d'air, d'un peu d'ouverture sur d'autres pays et sur d'autres démarches. Et nous sommes partisans que nos politiques respectives puissent se mener librement, indépendamment les unes des autres, tout en se confrontant fraternellement. Et à notre avis, c'est le seul moyen de permettre de sélectionner à l'échelle internationale, des cadres d'un niveau suffisant pour former une direction internationale reconnue par tous. Il n'est d'ailleurs même pas certain que même sur la base du nombre de militants trotskystes existant dans le monde, il y ait une base humaine et une expérience politique suffisantes pour sélectionner et former de tels cadres nationaux et internationaux.

Cela signifie donc que nous proposons aussi bien au SU qu'à la LIT, que d'ailleurs à d'autres tendances qui le veulent bien, de mettre fin à l'isolement et à la rivalité entre sectes, de confronter nos propres expériences, et pour cela de créer un cadre où la discipline pourrait n'être que librement acceptée, mais où elle pourrait évoluer au fur et à mesure que les différents groupes font connaissance, et commencent à se respecter mutuellement.

Et à notre avis, et je vais conclure là-dessus, c'est le seul moyen à notre portée dans l'immédiat, pour travailler, pour oeuvrer dans le sens de la construction de la IVe Internationale. A moins évidemment que l'une des organisations débouche au moins dans un pays.

Alors bien sûr, on peut penser qu'il faut attendre cette situation, et qu'une Internationale se constituera lorsqu'une direction émergera simplement parce qu'une section dans un pays, ou dans plusieurs pays, aura réussi à diriger des luttes valables, et en tirera une compétence, une autorité reconnues partout le monde. C'est ce qu'évidemment chacune des tendances espère, mais c'est ce qui ne s'est pas fait jusqu'à maintenant.

C'est pourquoi nous pensons aussi qu'en attendant que quelqu'un fasse réellement ses preuves, eh bien, l'attitude la plus sérieuse, l'attitude la plus correcte, consiste à ne pas jouer à l'Internationale lorsqu'on ne l'est pas. Et à chercher la coopération avec les autres tendances trotskystes, à chercher à confronter ses expériences avec elles, à chercher à trouver un cadre où bénéficier de ce que nous avons les uns et les autres de richesses politiques, de richesses militantes, et c'est cela que nous proposons aux autres tendances qui sont présentes ici.

Partager