Moyen Orient : La révolte palestinienne et ses possibilités01/04/19881988Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1988/04/16_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Moyen Orient : La révolte palestinienne et ses possibilités

Depuis près de quatre mois, les territoires occupés par Israël sont secoués par une révolte sans précédent.

Partie au début du mois de décembre 1987 de l'affrontement, dans la bande de Gaza, entre quelques jeunes Palestiniens et une patrouille de l'armée à la suite d'un accident de la route, elle s'est élargie rapidement. C'est d'abord la population des camps de réfugiés de Gaza qui a affronté à mains nues l'armée israélienne. Les balles de celle-ci, loin de faire peur, ont contribué à élargir la révolte. Le mouvement a rapidement gagné les camps de réfugiés et les principales villes de Cisjordanie, puis Jérusalem-Est. Les Arabes citoyens israéliens, notamment ceux de Nazareth et de Galilée, ont manifesté leur solidarité. Puis les Druzes du Golan ont, à leur tour, manifesté violemment contre la présence israélienne dans cette région syrienne annexée depuis 1981 par l'État hébreu.

Que le mouvement soit profond, sa durée à elle seule l'atteste. La répression a fait en trois mois près d'une centaine de morts, et la liste s'allonge un peu chaque jour. Il faut y ajouter les innombrables arrestations, les expulsions, les bastonnades données avec l'objectif avoué de briser les membres des manifestants tombés entre les mains des soldats, les mesures de représailles comme la destruction des maisons de ceux qui se sont faits les complices des manifestants, les pressions économiques en tout genre par lesquelles les autorités d'occupation cherchent de toute évidence à affamer la population des territoires. Rien n'y a fait : la répression n'a fait que pousser le mouvement à s'élargir et s'approfondir. Il n'est aujourd'hui pas un village de Cisjordanie, si petit soit-il, où la population n'ait affronté l'armée, barré la route aux véhicules militaires et bravé le feu des soldats. Et, si la jeunesse palestinienne est restée le fer de lance du mouvement, toutes les couches de la population palestinienne sont touchées. Les femmes sont sorties dans la rue, aux côtés de leurs enfants, pour arroser de pierres les soldats d'Israël. Les ouvriers palestiniens travaillant en Israël sont restés chez eux. La grève des commerçants, avec leurs rideaux de fer fermés, fait désormais partie du paysage quotidien des villes palestiniennes.

Les dirigeants israéliens peuvent s'obstiner à déclarer que la révolte est le fait de quelques meneurs, la réalité est évidente aux yeux de tous, en Israël comme dans le monde entier. Il s'agit d'une véritable insurrection de toute la population des territoires occupés. La presse lui a trouvé un nom : c'est la « révolution des pierres « , du nom de la principale arme utilisée par les manifestants contre les soldats.

La révolte palestinienne, noyée dans le sang en Jordanie en septembre 1970, matée au Liban durant la guerre civile qui a commencé en 1975, surgit donc encore une fois face à Israël. Avec les jeunes manifestants de Gaza, de Ramallah ou de Naplouse, c'est toute une nouvelle génération qui s'éveille à la révolte, là où les dirigeants israéliens ne l'attendaient pas. Et, encore une fois, c'est tout le problème des perspectives politiques de cette révolte qui se trouve posé. Car elle pourrait en avoir beaucoup, à condition que surgisse une direction politique en mesure de les saisir.

La principale organisation du peuple palestinien, l'Organisation de Libération de la Palestine, l'OLP, s'est montrée à plusieurs reprises, dans le passé, incapable d'offrir une perspective à la révolte des Palestiniens. Il y a à cela des raisons de fond, qui tiennent à ses perspectives purement nationalistes et bourgeoises. Plus que jamais, pour la nouvelle génération de combattants qui se lève aujourd'hui au sein du peuple palestinien, il n'y a d'issue que dans une politique internationaliste et prolétarienne.

Un ennemi : l'etat d'israel

La question palestinienne concentre en elle, d'une certaine façon, toutes les contradictions du monde arabe et du Moyen-Orient face à l'oppression impérialiste. Cela tient au rôle particulier qu'a joué l'État d'Israël dans la politique de l'impérialisme et aux conditions historiques de sa création. Mais cela tient aussi à l'attitude des États arabes, à leurs propres conditions de création, à leurs propres relations avec l'impérialisme.

Lorsque, à la fin du siècle dernier, Théodore Herzl formula le premier le projet sioniste du retour des communautés juives d'Europe vers la Palestine et de la création sur cette terre d'un État juif, cela ne pouvait apparaître aux marxistes d'alors que comme un projet réactionnaire, dont la seule excuse était d'avoir toutes les caractéristiques de l'utopie. Ils ne se firent pas faute de le dire. Mais si la suite a démontré largement le caractère réactionnaire du sionisme, elle s'est aussi chargée de faire de l'utopie une réalité.

Car, de la déclaration Balfour de 1917 à la politique du « diviser pour régner « appliquée avec persévérance par les autorités britanniques dans la Palestine du mandat et à l'appui sans faille accordé par les dirigeants américains à l'État d'Israël depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les dirigeants de l'impérialisme ont compris tout le parti qu'ils pouvaient tirer de l'entreprise sioniste. Celle-ci leur a fourni le moyen d'implanter, au coeur d'un monde arabe dont l'éveil national se heurtait aux visées d'implantation occidentale, une population d'origine européenne et un État qui s'apparentent, par bien des côtés, à une colonie de l'impérialisme.

Cela ne signifie certes pas qu'Israël puisse être réduit à une simple créature de l'impérialisme. Les pionniers juifs partis d'Europe pour jeter les premières bases du « Yishouv « - nom hébreu de la communauté juive de Palestine sous le mandat britannique - ,les rescapés des camps de la mort hitlériens et tous les juifs que l'horreur de l'holocauste nazi a amenés à émigrer vers la Palestine étaient portés par un autre idéal, par l'envie de vivre dans un pays où ils ne seraient plus menacés par les pogroms et les massacres, ou simplement en butte à l'antisémitisme, en bref par une forme particulière de conscience nationale, mâtinée d'ailleurs de vagues aspirations socialistes. Et c'est justement ce qui a fait la force de l'État d'Israël.

Car les dirigeants de cet État ont ainsi pu bénéficier, depuis sa création en 1948, d'un degré de consensus national rarement atteint. Ils ont pu jeter sans grand problème leurs soldats dans des entreprises guerrières répétées, simplement parce que ceux-ci étaient persuadés qu'ils étaient un peuple assiégé, échoué là du fait de l'égoïsme et de la haine antisémite de l'Europe, voire de l'Amérique, entouré de la haine des Arabes, et qui n'avait donc de chance de survie que dans le combat. Le fait que ces entreprises guerrières n'aient été en réalité que des expéditions militaires d'intimidation pour le compte des dirigeants impérialistes était ignoré ou, lorsqu'il ne l'était pas, paraissait de peu d'importance aux soldats et à la population d'Israël qui pensaient que l'essentiel était de combattre pour leur propre survie.

Sans doute, cette politique de l'impérialisme consistant à s'appuyer sur les affrontements nationaux entre peuples pour se servir de l'un contre l'autre, voire pour faire de l'un d'eux la chair à canon de ses guerres contre l'autre, n'est pas exceptionnelle. Elle est même d'un bout à l'autre du monde la règle. Mais elle a rarement atteint la systématicité, la profondeur, creusé entre les peuples un tel fossé de haines nationales et surtout revêtu une telle importance stratégique que ce qu'elle a atteint dans le cas de l'affrontement israélo-arabe.

L'État d'Israël est devenu un instrument de pression, politique et militaire, au service des objectifs stratégiques de l'impérialisme. Celui-ci se sert de la menace permanente d'une entreprise militaire israélienne pour imposer sa domination économique et politique sur toute la région moyen-orientale. Mais le sionisme a ajouté à cette oppression sa propre contribution. Les chantres du sionisme voulaient un « État juif « , un « travail juif « , une « agriculture juive « . Dans ce but, ils ont chassé de leurs terres les paysans palestiniens, par diverses entreprises frauduleuses. Puis les guerres de 1948, puis de 1967, ont été pour eux l'occasion de chasser des centaines de milliers de Palestiniens de leurs villes et de leurs villages pour en faire des réfugiés, des parias qui vivent une vie sans espoir dans des camps, de Gaza à Amman et à Beyrouth et qui sont devenus pour les peuples arabes le symbole même de leur humiliation par l'impérialisme.

D'autres ennemis : les etats arabes

C'est pourquoi les dirigeants des États arabes se sont servis de la question palestinienne comme d'un thème commode de démagogie nationaliste. Bien que les guerres successives aient démontré que les armées arabes, malgré leurs prétentions, étaient bien incapables d'assurer la défense des Palestiniens face aux entreprises sionistes et impérialistes, c'est, régulièrement, autour du thème de la solidarité avec les Palestiniens que les chefs d'État arabes parviennent, le temps d'un sommet, à une unanimité de façade. C'est tout aussi régulièrement autour de ce thème qu'ils se livrent entre eux à toutes les surenchères. Les régimes les plus réactionnaires et les plus liés à l'impérialisme, du roi d'Arabie Saoudite à celui de Jordanie ou du Maroc, mais aussi les dirigeants égyptiens, syriens et libyens, ont su être prodigues en déclarations d'appui à la cause palestinienne et restaurer ainsi, à bon compte, leur popularité.

Mais cela ne les empêche pas de contrôler étroitement les organisations palestiniennes, voire de procéder parmi elles à de véritables massacres, comme ce fut le cas en Jordanie durant le « septembre noir « de 1970.

Car en fait, la présence palestinienne est devenue un facteur d'explosion sociale qui menace au moins autant les États arabes que l'État d'Israël. On l'a vu en Jordanie en 1970, mais aussi durant la guerre civile du Liban. Les réfugiés palestiniens, regroupés dans des camps, vivant dans une misère sans espoir, y étaient organisés en milices, mobilisés autour de leur revendication nationale contre Israël. Ils constituaient de fait un exemple, une incitation à l'organisation et à la lutte pour les peuples au sein desquels ils vivaient, et qui partageaient avec eux la même misère et avec qui, parlant la même langue, ils pouvaient se sentir un même peuple, une fraction d'un même prolétariat arabe victime de la même exploitation. Et cela représentait, de fait, une menace directe contre les régimes pro-impérialistes de Jordanie et du Liban, avant même d'en être une contre le régime israélien lui-même. C'est pourquoi l'armée de Hussein d'abord, puis les milices de la droite phalangiste libanaise, enfin l'armée syrienne venue à la rescousse de celles-ci, n'eurent de cesse d'écraser les Palestiniens.

Les atouts des palestiniens et la politique de l'olp

En fait, leur situation de réfugiés disséminés dans tout le monde arabe, qui est le drame même du peuple palestinien, peut lui ouvrir en même temps un énorme avantage ; elle le place au coeur d'autres peuples parlant la même langue et partageant à peu de choses près la même situation, qui sont autant d'alliés potentiels. Elle le met en situation d'entraîner dans une même lutte des dizaines de millions de prolétaires et de sous-prolétaires de tous les pays arabes. Mais cela impliquerait de considérer la lutte des Palestiniens, non plus comme un règlement de compte avec le seul Israël sur la question de l'avenir des territoires situés entre la Méditerranée et le Jourdain, mais comme une bataille bien plus générale : celle de tout le monde arabe contre l'impérialisme et contre les États, israélien mais aussi arabes, qui s'en sont fait les instruments dans la région.

Là n'est justement pas l'objectif de l'OLP. L'Organisation de Libération de la Palestine, mise en place au départ sous l'égide de la Ligue Arabe, a bien pris par la suite à son égard une certaine autonomie, sous la direction de Yasser Arafat et de son organisation, le Fatah. L'OLP n'en a pas moins continué à rechercher avant tout la caution, le soutien et les subsides des États arabes, dans le cadre d'objectifs étroitement nationalistes visant seulement à établir sa souveraineté sur au moins une fraction de l'ancienne Palestine.

Entre l'alliance des chefs d'État et l'alliance des peuples, il fallait choisir. L'OLP sut choisir, toujours, la solidarité avec les États. Lorsque la situation, en Jordanie et au Liban, plaça les Palestiniens au coeur d'un affrontement avec les dirigeants arabes, ce fut bien contre la volonté de l'OLP. Et celle-ci préféra démissionner politiquement, temporiser, et finalement livrer les Palestiniens à des armées ou des milices qui, elles, savaient ce qu'elles voulaient et étaient déterminées à les écraser.

Les dirigeants arabes ont toujours su, de ce point de vue, quelle utilité pouvait avoir pour eux l'OLP. Tout en la combattant souvent, pour modérer son désir d'autonomie, ils savent que cette organisation, dans laquelle le peuple palestinien se reconnaît majoritairement, est aussi un moyen de l'encadrer, de le contrôler et de limiter ses aspirations au cadre étroitement délimité du contentieux territorial avec Israël. Elle est pour eux une assurance contre les aspirations révolutionnaires qui pourraient venir des rangs palestiniens. Et, si les dirigeants arabes ne font rien pour aider l'OLP à vaincre Israël, ils font tout juste ce qu'il faut pour lui permettre de continuer d'exister ou au moins de survivre, même lorsque ses échecs politiques semblent la condamner. Ils sont assez conscients pour savoir que les situations changent et que l'OLP peut avoir, de nouveau, à jouer son rôle pour contrôler les réactions du peuple palestinien.

Jusqu'à un certain point d'ailleurs, les dirigeants de l'impérialisme partagent cette attitude avec les dirigeants arabes : l'OLP a été admise officiellement à l'ONU et, si personne n'a vraiment cherché à lui donner une terre où exercer sa souveraineté, pratiquement tous les États, sauf Israël bien sûr, se sont retrouvés d'accord pour la légitimer comme représentante officielle des Palestiniens.

Les craintes des dirigeants arabes et de ceux de l'imperialisme

Avec la révolte qui secoue les territoires occupés, les Palestiniens sont de nouveau le coeur d'un mouvement de masse qui pourrait avoir bien des implications dans tout le Moyen-Orient. On le mesure d'ailleurs, ne serait-ce qu'au ballet diplomatique qu'il a rapidement entraîné.

Le roi Hussein de Jordanie, le président égyptien Moubarak ont fait connaître leur inquiétude et sont rapidement partis en visite dans les capitales occidentales pour alerter les dirigeants impérialistes et leur demander de débloquer la situation. D'autres dirigeants arabes ont joint leurs voix aux leurs. Mais surtout, les dirigeants américains se sont soudain aperçu qu'il fallait régler rapidement ce problème palestinien. Le secrétaire d'État américain Shultz s'est précipité à son tour dans les capitales du Moyen-Orient et a élaboré, en quelques jours, un « plan de règlement « que les dirigeants des USA n'avaient pas réussi à concevoir depuis plus de dix ans que, après les accords de Camp David, un processus de paix est censé avoir été ouvert entre Israël et les Palestiniens.

Ce plan vise en fait surtout à donner l'impression qu'une négociation est possible, mais ne se prononce sur aucune solution et, de toute façon, les dirigeants américains semblent bien en peine de l'imposer à Israël. Mais, indépendamment de son contenu, cette agitation diplomatique témoigne de l'inquiétude sourde qui saisit les dirigeants arabes d'abord, les dirigeants impérialistes ensuite, pour ne pas parler de ceux d'Israël, devant le surgissement du mouvement de masse dans les territoires occupés. Et, alors que les dirigeants israéliens s'arc-boutent dans une position d'immobilisme, ne sachant répondre à la révolte que par une répression croissante, les dirigeants impérialistes et ceux des États arabes craignent, eux, que cet immobilisme n'ait pour effet de radicaliser la révolte palestinienne, et de déstabiliser la situation dans tout le Moyen-Orient.

Ces craintes sont fondées. La révolte des Palestiniens des territoires occupés soulève sans nul doute un écho parmi les Palestiniens réfugiés en Jordanie ou au Liban. Mais elle peut aussi en soulever au sein des peuples arabes voisins et mettre une nouvelle fois en lumière les contradictions entre les déclarations de solidarité avec les Palestiniens dont les dirigeants arabes sont prodigues, et leur inaction complète sur ce terrain. Elle peut une nouvelle fois donner un coup de fouet aux sentiments nationalistes et anti-impérialistes dans les pays arabes, créer une vague qui se heurterait nécessairement, à un moment ou à un autre, aux régimes en place.

C'est en tout cas ce que craignent ces régimes. Et ils redoutent sans doute qu'une telle vague ne renforce rapidement les oppositions politiques auxquelles ils ont à faire face, et notamment les plus radicales. Et cela suffit à indiquer quelles possibilités pourrait avoir le mouvement palestinien aujourd'hui, s'il menait une politique visant consciemment à s'adresser aux peuples arabes voisins, et non à ménager leurs dirigeants.

Les consequences politiques en israel

Mais c'est d'abord en Israël que le mouvement a, d'ores et déjà, des conséquences politiques mesurables. C'est en effet pratiquement la première fois, depuis la création de cet État en 1948, que l'armée israélienne doit affronter directement le mouvement de masse palestinien. Elle ne peut plus se contenter d'assister avec satisfaction à son écrasement, comme ce fut le cas lors des événements de Jordanie et du Liban. Ce sont des soldats israéliens qui doivent, jour après jour, se charger du « maintien de l'ordre « dans les territoires occupés. Et cela ne va pas sans problème.

Car dans un État comme Israël où existent, pour la population juive au moins, une liberté d'expression et d'information et un certain nombre de traditions démocratiques, la répression en Cisjordanie et à Gaza ne peut passer dans le silence. La presse nationale et internationale, écrite et télévisuelle, relate les faits. Les soldats eux-mêmes peuvent s'exprimer, raconter ce qu'on leur fait faire et protester.

Ce sont autant de canaux qui peuvent permettre à une opposition à la guerre de se former, de s'exprimer et de se répandre. Or, cette opposition existe ; on a déja pu le constater, en 1982, lors de l'invasion israélienne au Liban. Elle n'avait d'ailleurs pas été pour rien, alors, dans l'évacuation du Liban à laquelle le gouvernement israélien avait finalement dû se résoudre.

Cette fois-ci encore, on a pu voir une fraction de l'opinion israélienne s'indigner de la politique menée, en son nom, par le gouvernement Shamir-Peres. Des manifestations ont eu lieu, réclamant notamment que celui-ci accepte le « plan Shultz « et échange « la paix contre les territoires. « Il est vrai que d'autres manifestations d'ampleur comparable ont eu lieu, au même moment, pour approuver la politique gouvernementale de répression. Il est vrai aussi que ces manifestations se limitent à approuver le « plan Shultz « , qui ne prévoit même pas explicitement de mettre fin à la présence israélienne dans les territoires. Mais elles témoignent tout de même de la sensibilité d'une fraction de la population israélienne qui est lasse de la politique jusqu'au boutiste de ses dirigeants et qui perçoit les dangers qu'elle comporte, y compris pour la population israélienne elle-même.

Car l'occupation israélienne dans les territoires, sa politique de guerre, au Liban notamment, ont des conséquences politiques en Israël. Elles ont entraîné un glissement à droite du régime, le renforcement des tendances d'extrême-droite, de l'obscurantisme religieux et raciste appuyé notamment sur les colons installés dans les territoires occupés, une militarisation croissante de la société. Autant de choses qu'une large fraction de la population perçoit, avec raison, comme une menace contre elle-même, menace à laquelle elle se montre prête à réagir.

Reste bien sûr à savoir comment. Cette fraction de l'opinion, certainement plus présente dans les milieux de la jeunesse et de l'intelligentsia que dans la classe ouvrière, ne fait qu'exprimer un certain pacifisme, une inquiétude diffuse devant la politique gouvernementale que reflète bien le mouvement Chalom Archav (La Paix Maintenant). Loin de s'opposer à l'ensemble de la politique sioniste, elle se borne, au moins en partie, à approuver les positions des dirigeants du parti travailliste qui s'affirment, par exemple, en faveur d'une approbation du « plan Shultz « .

Or, les dirigeants travaillistes sont membres de la coalition gouvernementale. Ils ne se sont jamais distingués réellement, en ce qui concerne la politique d'occupation, de celle menée par le Likoud de Shamir. Ils ont gouverné Israël seuls pendant trente ans, jusqu'à 1977, et portent ainsi une large part de responsabilité dans la politique guerrière de l'État. Pendant les dix ans qui ont suivi la guerre de 1967 notamment, loin de faire des concessions aux Palestiniens, ils ont jeté les bases de la politique d'occupation et d'implantation dans les territoires. Ils semblent tout au plus prêts à quelques déclarations visant à obtenir le soutien - et les votes aux prochaines élections - de la fraction « pacifiste « de l'opinion israélienne. Leur approbation du plan Shultz elle-même procède sans doute de l'arrière-pensée selon laquelle Israël n'aurait rien à perdre à accepter ce plan car celui-ci n'a guère de chances d'être appliqué.

C'est dire que, pour trouver une véritable issue, l'opposition à la politique de guerre qui se fait jour en Israël même aurait besoin d'une autre direction politique, devrait aller plus loin que la simple critique des « excès « de la politique sioniste et rompre avec celle-ci.

Et c'est bien sûr, d'abord, de la responsabilité des militants israéliens qui impulsent ce mouvement d'opposition.

La necessite d'une politique en direction de la population israelienne

Mais il pourrait aussi dépendre des Palestiniens, justement, qu'une telle politique soit mise en avant. Et elle pourrait l'être avec bien plus de forces, justement, parce que le mouvement palestinien est un mouvement de masse. Or, pas plus que les organisations palestiniennes n'ont eu, jusqu'à présent, une politique en direction des populations des pays arabes voisins, elle n'en ont eu une en direction de la population israélienne elle-même. Et cela n'a pas peu contribué à rejeter celle-ci du côté de ses dirigeants et de la politique sioniste.

Car leur politique, purement nationaliste, a contribué à convaincre la population israélienne que les organisations palestiniennes ne s'opposaient pas seulement à la politique sioniste, mais à sa propre existence et voulaient effectivement rejeter « les Juifs à la mer « . Les organisations palestiniennes ont ainsi contribué, à leur façon, à façonner en Israël un sentiment de peuple assiégé. Et celui-ci, à son tour, a cimenté cette union nationale qui a fait la force de l'armée, dans ses guerres successives contre les voisins arabes d'Israël.

Qu'il soit possible de s'adresser aux soldats israéliens, les réactions de ceux-ci à la politique menée dans les territoires occupés l'attestent. Si une partie d'entre eux ont accepté sans réticence, voire avec zèle, d'exercer la répression, d'autres ont exprimé leur répugnance. Un certain nombre de réservistes ont annoncé publiquement qu'ils refuseraient de servir dans les territoires occupés. Preuve en tous cas que les jeunes Israéliens ne sont certainement pas tous prêts à se transformer, peut-être pour des années, en policiers chargés de mater la révolte d'un peuple opprimé et ne tiennent pas à vivre ce qu'ont vécu, avant eux, les soldats français en Algérie ou les soldats américains au Vietnam.

Mais on ne peut avoir une politique en direction des soldats si l'on n'en a pas une en direction de la population israélienne elle-même. Et c'est bien la question qui se pose aujourd'hui aux militants palestiniens.

Les masses palestiniennes sont confrontées, directement, aux forces militaires de l'État sioniste. Mais les vaincre est un problème politique, bien avant d'être un problème militaire.

Les Palestiniens ne sont armés que de pierres. Mais leur lutte, en trois mois, parce que c'est un mouvement de masse, a marqué sans doute bien plus de points que les actions de commando ou les détournements d'avions organisés par un certain nombre d'organisations palestiniennes ne leur en ont fait gagner en vingt ans. Car elle a mis l'armée et le gouvernement israélien lui-même dans une situation bien plus difficile, pour justifier leur action aux yeux de leur population, que lorsqu'ils pouvaient invoquer tout simplement les nécessités de la lutte contre « le terrorisme « .

Or, si le peuple palestinien ne peut vaincre militairement l'armée israélienne, il peut, et c'est même sa seule possibilité, la vaincre politiquement. A condition de réussir à détacher la population israélienne de la politique de répression que le gouvernement mène en son nom, dans les territoires.

Que cela soit possible, cela est attesté par les réactions actuelles d'une fraction de la population israélienne et celles des soldats eux-mêmes, qui ne sont pas isolés des réactions de la population. Mais aller plus loin n'est pas possible sans une politique consciente pour s'adresser à la population israélienne.

Cela impliquerait justement que les organisations palestiniennes ne se placent pas sur le terrain du nationalisme. Car il leur faudrait dire aux masses israéliennes, et en premier lieu au prolétariat, qu'elles ne combattent pas pour le chasser du sol où il vit aujourd'hui, ni pour l'empêcher de parler sa langue, ni d'avoir son propre État et sa propre existence nationale s'il le désire. Il faudrait lui dire qu'il y a place, en Palestine, pour que Juifs et Arabes coexistent fraternellement, y compris en ayant leur propre existence nationale. Car ce qui creuse un fossé entre les deux peuples, ce n'est pas en réalité les langues, les religions ou les traditions différentes, qui d'ailleurs sont souvent communes : c'est la politique sioniste et pro-impérialiste qui nie les droits de tout un peuple, ce sont les bases sionistes de l'État d'Israël qui font qu'un Juif de New York qui n'a jamais traversé l'Atlantique peut s'il le désire bénéficier de tous les droits politiques en Israël alors qu'un Palestinien de Naplouse, de Gaza ou même de Nazareth ne le peut pas.

Pour une politique revolutionnaire proletarienne a l'echelle du moyen-orient

Seuls, des révolutionnaires militant sur des bases prolétariennes et internationalistes pourraient tenir un tel langage, qu'ils soient palestiniens ou israéliens d'ailleurs. Car il implique de dépasser la logique de l'affrontement national entre Juifs israéliens et Arabes palestiniens, ce piège mortel dans lequel les deux peuples sont pris depuis plus de quarante ans. Il implique de dégager des perspectives communes, qui ne peuvent être que celles du prolétariat, à l'échelle du Moyen-Orient. Mais il n'y a pas d'autre issue à la situation inextricable que connaît aujourd'hui cette région du fait de la politique impérialiste qui y a exacerbé les conflits nationaux, micro-nationaux ou confessionnels.

Sans doute, il n'est pas exclu que, à un moment donné, l'impérialisme tente de trouver une solution partielle au problème palestinien. La création d'un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza, voire dans une portion de ces territoires, est une solution à laquelle les dirigeants impérialistes et les dirigeants arabes sont prêts et dont ils ont tenté à plusieurs reprises de se rapprocher par les différents plans de règlement dont le plan Shultz n'est que le plus récent avatar. Cette solution présenterait pour eux l'avantage de désamorcer, au moins en partie, l'explosive question palestinienne. C'est pourquoi ils la gardent en réserve, ne serait-ce qu'en permettant à l'OLP d'exister.

Cette solution butte, bien sûr, sur l'opposition obstinée des dirigeants d'Israël. Mais si la lutte des Palestiniens se prolonge, si la situation se dégrade encore dans les territoires occupés et avec elle la capacité de l'armée israélienne à l'affronter, on ne peut exclure la possibilité que les dirigeants israéliens soient forcés, finalement, d'accepter cette solution, en partie sous la pression de l'impérialisme américain. Car celui-ci pourrait préférer forcer un peu la main de son allié que de prendre le risque de voir celui-ci provoquer, par son obstination, une déstabilisation de la situation dans tout le Moyen-Orient.

Si c'était le cas, l'OLP fournirait alors les cadres tout prêts pour former un tel État, et finalement pour contrôler les masses palestiniennes, au moins en Cisjordanie et à Gaza. Cela satisferait les revendications de cette petite-bourgeoisie palestinienne dont l'OLP est l'expression, qui veut avoir son propre État, son propre gouvernement et les avantages qui en découlent. Mais cela serait sans doute bien loin de satisfaire les aspirations des masses palestiniennes qui se soulèvent aujourd'hui en Cisjordanie et à Gaza, comme elles se sont soulevées hier au Liban ou en Jordanie.

Car un tel État ne pourrait pas sortir le peuple palestinien de la situation de misère et de sous-développement dans laquelle il se trouve. Il ne pourrait sans doute même pas accueillir, d'ailleurs, tous les Palestiniens aujourd'hui disséminés du Liban à la Jordanie et même dans les pays du Golfe. Et de toute façon le problème pour les masses palestiniennes n'est pas seulement d'avoir le droit à l'existence nationale que l'État d'Israël leur nie. Il est d'en finir avec l'existence de misère, avec la vie de parias auxquelles elles sont condamnées aujourd'hui ; pas du fait de la seule politique d'Israël, mais du fait de la domination impérialiste sur toute la région. Et c'est cette domination impérialiste qu'il faut mettre en cause.

C'est une lutte d'envergure sans doute, mais elle ne demanderait certainement pas plus de sacrifices que ceux que le peuple palestinien doit consentir, depuis des années, dans une perspective étroitement nationale. Elle lui donnerait beaucoup d'alliés, au sein des peuples des pays arabes et même au sein du peuple israélien, qui pourraient faire crouler tout l'édifice de la domination impérialiste au Moyen-Orient. Elle lui ouvrirait sans doute, finalement, plus de possibilités de victoire que la politique nationaliste de l'OLP ne lui en a ouvert depuis vingt ans. Et elle lui ouvrirait bien d'autres perspectives : celles de la révolution sociale dans tout le Moyen-Orient, la perspective d'en finir avec l'impérialisme et de construire une fédération socialiste des peuples de la région au sein de laquelle tous les peuples, de toutes les langues, de toutes les confessions, pourraient trouver sans problème le moyen d'une coexistence fraternelle.

Le peuple palestinien, parce qu'il s'est trouvé pris au coeur même des contradictions entraînées par la politique impérialiste dans la région, a payé celle-ci très cher. Mais c'est aussi cette situation qui peut lui donner d'énormes possibilités politiques si, au sein de la génération de combattants qui se lèvent, une direction révolutionnaire prolétarienne sait se forger, et se donner les moyens d'une politique.

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