Textes de la conférence nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale - L'Union soviétique et les pays de l'Est01/12/19881988Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1988/12/21_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Textes de la conférence nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale - L'Union soviétique et les pays de l'Est

En Union Soviétique, la politique dite de « restructuration » (perestroïka) et de « transparence » (glasnost) engagée par Gorbatchev, a connu au cours de l'année des développements voulus et contrôlés par ses initiateurs, mais aussi des conséquences dont ils se seraient sans doute volontiers passé.

Côté « voulu », l'aspect le plus tangible de la restructuration est le renouvellement de l'appareil par le remplacement de ses cadres moyens et supérieurs, à raison de 60% ou 80%, d'après les chiffres avancés par Gorbatchev lui-même. Ce mouvement de remplacement de cadres est souvent cité comme l'illustration des difficultés rencontrées par la politique de réformes de Gorbatchev au sein de la bureaucratie elle-même. C'est déjà une interprétation très orientée. Les simples nécessités de la succession au Secrétariat général, et à plus forte raison, la succession d'un homme relativement jeune, à une génération de septuagénaires, avec leurs clientèles solidement établies parfois depuis près d'un quart de siècle, exigeaient un grand mouvement de remplacement pour permettre à la nouvelle direction de mettre, de haut en bas, ses propres hommes à la place des hommes de l'équipe précédente. En son temps, Staline n'avait même pas besoin d'une phase de succession pour mériter le titre de grand « réformateur », tant était grande sa propension à nettoyer périodiquement son appareil par l'élimination, de la façon la plus radicale qui soit, d'une grande partie des cadres dirigeants.

C'est sans doute avec l'accord de la haute bureaucratie - et à coup sûr, dans son intérêt - que Gorbatchev a engagé la politique qu'il a engagée. Si le remue-ménage dont il est l'initiateur fait certainement des mécontents parmi ces quelque dix-huit millions de bureaucrates - le chiffre est donné, là encore, par Gorbatchev - ne fût-ce qu'auprès de ceux qu'il écarte des postes et des prébendes, il doit tout de même faire aussi nombre d'heureux auprès de ceux qui prennent les places... Même si, paraît-il, il a l'intention de réduire quelque peu les effectifs.

Ce qui n'empêche évidemment pas qu'il peut être débarqué si sa politique a des conséquences dommageables, y compris par ceux-là même qu'il aura mis en place.

Les problèmes auxquels Gorbatchev affirme vouloir porter remède, ne sont pas nouveaux. Pour une grande partie, ils découlent du développement insuffisant de l'Union Soviétique, impossible àsurmonter dans le cadre du « socialisme dans un seul pays ».

Les plus graves problèmes économiques de l'URSS sont donc inhérents à l'existence même de la bureaucratie, car ils ont les mêmes fondements. Mais la gestion bureaucratique de cette situation l'aggrave encore, avec ce que cette gestion implique d'absence de contrôle par le bas alors même que les appareils de contrôle par le haut sont inefficaces, tout en étant lourds et coûteux, avec ses fausses statistiques, sa gabegie, l'incapacité, quand ce n'est pas la corruption, des responsables devenus de surcroît inamovibles sous l'immobilisme de la fin de règne de Brejnev et de ses deux successeurs, déjà moribonds en accédant au pouvoir.

Il y a plus d'un demi-siècle déjà, dans « La révolution trahie » , Trotsky affirmait que « La lutte pour l'augmentation du rendement du travail, jointe au souci de la défense, constitue le contenu essentiel de l'activité du gouvernement soviétique » . Malgré l'immense élan donné au départ au développement économique par l'expropriation radicale des classes privilégiées réalisée par le prolétariat révolutionnaire, l'économie de l'Union Soviétique de la bureaucratie n'a toujours pas rattrapé celle des pays capitalistes développés du point de vue de la rentabilité du travail. Ce qu'un des responsables de l'économie soviétique a formulé récemment, en manifestant son incompréhension devant le fait qu'on fabrique plus de tracteurs en Union Soviétique qu'aux USA, et que pourtant, on produit bien plus sur une même surface aux États-Unis qu'en Union Soviétique. Mais ce n'est pas qu'une question de nombre de tracteurs. C'est aussi une question de qualité, d'approvisionnement en pièces de rechange, d'organisation du travail, etc. En outre, aux États-Unis, on ne se contente plus de tracteurs ! Le responsable soviétique en question avait des raisons de citer l'agriculture, car c'est dans ce secteur vital au sens plein du terme, que le retard dans la rentabilité du travail se traduit par une dépendance directe : l'URSS est obligée d'importer périodiquement du blé américain pour nourrir sa population. Mais le retard, ce n'est pas simplement celui de l'agriculture, c'est celui de l'industrie et de l'économie dans son ensemble.

Pendant les dernières années, il y a eu un ralentissement de la progression de l'économie soviétique qui, par ailleurs, a subi tout de même aussi les contre-coups de la crise de l'économie capitaliste mondiale.

Gorbatchev, devenu représentant suprême de la bureaucratie, se trouve donc à son tour confronté au problème de « la lutte pour l'augmentation du rendement du travail », dont parlait Trotsky. Le problème est ancien. Mais il est devenu encore plus complexe avec la diversification de l'économie moderne.

Gorbatchev essaie de répondre à ces problèmes de la même façon empirique que ses prédécesseurs, en retombant parfois d'ailleurs sur des médications déjà administrées. C'est ainsi que, depuis le 1er janvier de cette année, est entrée en application la loi qui donne plus d'autonomie aux entreprises par rapport aux organismes de planification et qui introduit dans leur gestion la notion de rentabilité et de bénéfice. Les dirigeants, financièrement intéressés aux bénéfices - par ailleurs purement comptables - de leur entreprise, ont en conséquence la possibilité théorique de prendre toutes mesures susceptibles d'augmenter la rentabilité : augmenter les cadences, resserrer la discipline, supprimer des primes et même, licencier. La menace existe désormais de fermer complètement les entreprises non rentables. Une bonne partie de ces mesures ont déjà été expérimentées sous Khrouchtchev. La question de savoir si la bureaucratie est prête cette fois à pousser l'expérience plus loin ne dépend pas seulement de son efficacité économique, mais aussi, des conséquences politiques qu'elle entraîne, et notamment, des réactions de la classe ouvrière.

Quant à l'encouragement donné au secteur privé, en autorisant des individus - ou des associations, des coopératives - à ouvrir des restaurants voire des élevages privés, à faire fonctionner des taxis particuliers etc., s'il conduit à l'enrichissement rapide de quelques-uns, il s'agit pour l'instant de phénomènes limités (et dans une certaine mesure, de la simple officialisation de pratiques déjà existantes).

La politique de « transparence » qui vaut à Gorbatchev un label de démocrate est, dans une certaine mesure, le complément de ce qui précède. L'absence complète de libertés, notamment celle de s'exprimer, de discuter, se retourne finalement contre la bureaucratie elle-même qui ne peut même pas poser les problèmes et à plus forte raison, engager une discussion pour tenter de trouver des solutions, se forger une opinion commune ne serait-ce qu'au niveau de la haute bureaucratie. Gorbatchev tente de desserrer ce carcan, de haut en bas, en autorisant dans la presse l'expression d'opinions contradictoires, en essayant, par l'intermédiaire de cette presse qui demeure très contrôlée d'en haut, d'orienter le débat dans la direction qui intéresse la bureaucratie.

Tout le problème de Gorbatchev et, au-delà, de la bureaucratie, est de savoir jusqu'où ne pas aller trop loin. Car l'absence de libertés et la dictature ne reposent pas sur du vide ; elles ne résultent pas seulement des choix personnels d'un dictateur mort il y a 35 ans et dont les pratiques se seraient perpétuées par une sorte d'inertie collective.

C'est l'expérience concrète qui enseignera à Gorbatchev - si toutefois ses pairs lui laissent le temps de s'instruire - et en tous les cas à la bureaucratie dans son ensemble, jusqu'où il est possible de desserrer le carcan sans que cela entraîne de graves menaces contre elle-même.

La génération de bureaucrates d'entre les deux guerres a appris, à travers les affrontements d'une lutte de classes aiguë, contre le prolétariat dont la bureaucratie était issue mais qu'il lui fallait briser pour consolider son pouvoir, aussi bien que contre la bourgeoisie sans cesse renaissante à l'intérieur et la bourgeoisie impérialiste bien vivante de l'extérieur, que la liberté était un luxe dont elle devait se passer même pour elle-même. La dictature personnelle de Staline a émergé de la dictature sociale de la bureaucratie qui, sans cette dictature, n'aurait pas pu usurper le pouvoir de la classe ouvrière.

Les temps ont certes changé. Les assises de la bureaucratie aussi, comme bien des aspects de ses relations avec les bourgeoisies impérialistes. Mais jusqu'à quel point ? La bureaucratie reste toujours une bureaucratie, c'est-à-dire une couche dont les privilèges ne s'enracinent toujours pas dans la propriété privée des moyens de production, mais dans la mainmise sur l'appareil d'État. Tout ce que Trotsky disait en son temps sur la fragilité fondamentale de cette couche privilégiée reste pour l'essentiel inchangé. Mais cela n'indique pas encore quel degré de liberté la bureaucratie peut s'accorder à elle-même, et donc tolérer dans la société, sans que cette liberté permette à des forces hostiles de se développer au point de menacer le pouvoir de la bureaucratie - ou tout au moins, son pouvoir sur telle ou telle portion du territoire sous son règne. C'est l'évolution des choses, le rapport et peut-être l'affrontement de forces vivantes qui en décidera. Et les vagues et fades réformes politiques de Gorbatchev, car pour l'instant elles sont ridiculement dérisoires, ont peut-être déjà libéré des forces dont le développement est incompatible avec les intérêts de la bureaucratie, et qu'il lui faudra peut-être affronter.

En dehors des débats, des prises de positions contradictoires - voulus et contrôlés d'en haut - de la presse officielle, il n'y a pas eu grand'chose en guise de « réformes politiques ». Ce n'est sûrement pas le fait que Gorbatchev puisse ajouter officiellement à son titre de secrétaire général du parti, celui de chef de l'État, qui va bouleverser le cours des choses en Union Soviétique. Ce n'est même pas l'autorisation de plusieurs candidats officiels aux élections dans les soviets. Et le règne de la bureaucratie peut tout à fait s'accommoder de la « réhabilitation », voire de l'introduction dans le panthéon officiel du régime, de Boukharine, de Zinoviev et de quelques autres... qui sait, peut-être même de Trotsky. Staline s'est parfaitement accommodé de la momie de Lénine à deux pas du Kremlin - c'est même lui qui inventa pour la bureaucratie l'art et la manière d'utiliser un mort.

La simple expression d'opinions contradictoires dans la presse officielle a cependant entraîné l'expression croissante d'opinions contradictoires dans la population elle-même. Le « dégel » du temps de Khrouchtchev - qui n'a d'ailleurs pas duré longtemps - se limita à une petite fraction de l'intelligentsia. La masse de la population, sans doute trop encore sous l'effet de la terreur stalinienne, ne s'en empara pas. C'est peut-être le contraire qui se passe maintenant. Il y a aujourd'hui des discussions en Union Soviétique, des affrontements d'idées. Il y a même des milliers, voire des dizaines de milliers de clubs « informels » discutant de tous les domaines de la vie sociale et, pour certains d'entre eux, du domaine politique. Dans la majeure partie du pays, cette liberté-là, est pour ainsi dire exclusivement saisie par l'intelligentsia. Mais c'est déjà un phénomène de masse.

Ce phénomène-là ne gêne pas par tous ses aspects la bureaucratie. Certains de ses aspects ont été volontairement recherchés par l'équipe au pouvoir. D'autres, même non souhaités, sont pour l'instant canalisés, contrôlés par le pouvoir. Mais apparaît, déjà, la menace qu'ils ne puissent plus l'être.

Même les mouvements nationalistes, en Arménie, dans les pays baltes, ont été tolérables pour le pouvoir à leur début sinon, évidemment, souhaités. D'autant que dans les premières manifestations en Arménie, les manifestants arboraient encore le portrait de Gorbatchev. Mais les mouvements de masse ont leur dynamique qui n'obéit pas aux « Halte là » des bureaucrates, surtout lorsque les bureaucrates ne sont pas en situation de faire accompagner le cri par la menace des fusils ou des chars. Et à partir d'un certain moment, la simple menace elle-même ne suffit plus. La bureaucratie sera alors devant le choix de jeter par dessus bord les discours sur la « glasnost » - en jetant ou pas Gorbatchev avec - ou d'accepter d'abdiquer.

La bureaucratie n'en est pour l'instant pas encore là, ni en Arménie, ni dans les pays baltes. En Arménie, pour l'instant Gorbatchev discute et compose avec le comité Karabakh pourtant officiellement interdit. Dans les pays baltes, il patronne des organisations officiellement non liées au Parti, mais reprenant en compte certaines revendications nationalistes, pour tenter d'éviter d'avoir affaire à des organisations nationalistes ouvertement hostiles et revendiquant la sécession. La crainte que réduire des mouvements de masse par la violence ait des conséquences plus graves que composer y est probablement pour autant que la crainte que, en brisant par la violence des mouvements nationalistes - dans les pays baltes par exemple - qui risquent fort de prendre une allure pro-occidentale, cela compromette la détente difficilement acquise avec les États-Unis.

L'exemple de l'Arménie et des pays baltes montre que la bureaucratie est loin d'avoir résolu les problèmes nationaux en Union Soviétique. Une « faiblesse » de sa part dans l'un ou l'autre des cas, est susceptible d'entraîner des réactions en chaîne dans un pays où plus d'une centaine de nations coexistent, dont au moins quelques-unes avec de solides traditions nationales, et d'autres, avec des liens culturels, linguistiques, avec des nations disposant d'États indépendants, aux frontières mêmes de l'Union Soviétique. D'autant que la renaissance de mouvements nationalistes peut être le levier sur lequel la bourgeoisie impérialiste pourrait s'appuyer, à l'intérieur même des frontières étatiques, pour contester le régime.

La classe ouvrière soviétique semble pour l'instant observer avec un certain scepticisme la « démocratisation » à la Gorbatchev. Elle paraît en revanche consciente que les « réformes économiques » de Gorbatchev, si elles devaient se réaliser, se réaliseraient contre elle. L'annonce qu'il peut désormais y avoir des licenciements massifs dans un pays où le chômage n'existait pas jusqu'à présent, le fait que soient ouvertement envisagées des hausses importantes de prix comme des baisses de salaires, ne peuvent évidemment qu'inquiéter les travailleurs. D'autant que si le resserrement de la discipline et la chasse aux temps morts ont déjà commencé dans les entreprises, les travailleurs n'en ont nullement constaté la contrepartie promise : une amélioration de l'approvisionnement. Les choses ont même tendance à aller plutôt plus mal dans ce domaine.

Ce qui se passera dans les prochains mois dépend de la rapidité avec laquelle la bureaucratie aura des raisons de penser que son représentant en chef du moment a ouvert la boîte de Pandore et libéré des forces qu'il vaut mieux ne pas laisser s'échapper. Cela dépend de l'évolution objective des choses - comme de l'idée que la haute bureaucratie et ses représentants politiques s'en feront, comme le laissent penser certains signes, comme les lois sur la presse par exemple qui visent moins à assurer le contrôle sur la presse officielle - ce contrôle n'a jamais été abandonné, malgré la liberté de ton - qu'à d'empêcher qu'elle cesse d'être officielle ou qu'apparaisse et se développe une autre presse.

Mais cela dépend surtout des forces qui se mettront en mouvement et de leurs rapports.

La classe ouvrière sera-t-elle capable de saisir les possibilités qu'offre la période ? Voilà la principale question qui se pose du point de vue révolutionnaire. Elle aura de toute façon à se défendre, même si les « réformes » de Gorbatchev restent ce que leurs initiateurs de la bureaucratie veulent qu'elle restent, car de toute façon, les « réformes » envisagées de l'économie ne peuvent se faire qu'au détriment de la classe ouvrière.

A l'occasion d'épreuves de force ponctuelles, les travailleurs soviétiques ont montré qu'ils sont capables de se défendre. La presse officielle elle-même fait état de grèves. Pour affirmer en général que liberté - à la Gorbatchev - ne signifie pas licence de faire grève. Mais pour montrer, de fait, que dans la plupart des grèves dont parle la presse, les bureaucrates ont choisi de reculer.

Mais s'il se révèle que la bureaucratie aura libéré des forces sociales, il est indispensable que la classe ouvrière soit capable d'intervenir, politiquement, en affirmant sa volonté de retrouver la direction de la société que la bureaucratie lui a ôtée. Elle en a la force objective. Elle est aujourd'hui la classe ouvrière la plus nombreuse du globe, à l'intérieur de mêmes frontières nationales. Elle est concentrée dans d'immenses entreprises que l'économie planifiée a fait pousser sur le sol soviétique. Grâce à ce qui reste, encore, de la révolution de l917, elle n'a pas face à elle une classe de bourgeois, grands et petits, numériquement aussi forts que dans des pays occidentaux à développement comparable.

Etant donné son poids social, sa présence et sa répartition dans le pays, la classe ouvrière ne pourra en aucun cas rester en dehors de vastes mouvements sociaux, si de tels mouvements doivent se développer. Mais l'exemple de l'Arménie montre qu'elle peut, tout en fournissant le gros des troupes, tout en retrouvant même des formes d'organisation de classe au niveau des entreprises - au niveau des entreprises les travailleurs semblent avoir obéi, dans les mouvements des mois passés, à des comités de grèves réellement élus et très bien organisés - rester, au niveau politique, le jouet de forces nationalistes qui défendent des perspectives politiques fondamentalement opposées aux perspectives de la révolution prolétarienne.

Pour ne pas être réduits à appuyer telle faction de la bureaucratie contre telle autre ou des forces nationalistes contre le régime bureaucratique en général, pour ne pas être en fin de compte simplement parmi les artisans d'un mouvement de régression (l'éclatement de l'URSS entre plusieurs États indépendants en serait certainement un, même si les révolutionnaires prolétariens reconnaissent le droit de chacune des nations qui composent l'URSS à la séparation), il est indispensable que la classe ouvrière se batte au nom de la révolution prolétarienne internationale, au nom du véritable communisme. Mais cela exige que, dans l'effervescence actuelle, surgisse un parti qui défende ces perspectives-là, qu'il trouve l'oreille des masses ouvrières et qu'il soit capable, au nom de la classe ouvrière, de proposer une politique devant toute la société, tant dans le domaine économique, que dans le domaine politique et dans celui des relations entre les peuples qui composent l'Union Soviétique.

Plusieurs des Démocraties Populaires ont connu cette année, de leur côté, les unes, des grèves, des manifestations populaires ou de véritables révoltes ; les autres, des changements ou des crises d'adaptation au sommet. Et dans ce deuxième cas, cela n'était dans aucun des cas le reflet de ce qui se passait en Union Soviétique, même si la crise de succession au sommet de la bureaucratie soviétique a encore accru la liberté de manoeuvre des dirigeants des Démocraties Populaires par rapport à Moscou - liberté qui est, dans les faits, assez grande déjà, pour peu que les dits dirigeants ne mettent pas en cause la condition minimale de l'appartenance au bloc militaire dirigé par l'URSS.

Les Démocraties Populaires ont toutes été touchées par la crise de l'économie capitaliste à laquelle leur économie est liée par de nombreux liens. Celles d'entre elles qui ont choisi de développer leur économie en liaison avec le marché occidental - et toutes l'ont fait à des degrés divers - ont subi les contre-coups de la stagnation des marchés occidentaux sur lesquels elles ne peuvent pas vendre selon leurs prévisions et plans. Elles se sont toutes endettées auprès des banques occidentales, pour développer de surcroît des productions devant lesquelles, justement, les marchés occidentaux se sont fermés entre temps. Il leur faut maintenant rembourser leurs dettes et payer des intérêts difficiles à supporter du fait de la hausse générale des taux d'intérêt.

Les dirigeants de certaines Démocraties Populaires (comme ceux de la Roumanie) ont choisi de rembourser leurs dettes au plus vite, quitte à affamer leur population. D'autres ont choisi, au contraire, la fuite en avant et d'emprunter encore plus, pour accroître l'intégration coûte que coûte au marché occidental (la Hongrie). La plupart essaient de faire un peu les deux. Mais sur un marché international en stagnation, le seul « atout » de ces pays qui, pour la plupart des produits, n'ont pas le niveau de développement des pays occidentaux, est le bas niveau des salaires. La fuite en avant de l'intégration à l'Ouest signifie donc, abaisser encore le niveau de vie de la classe ouvrière. Quelles que soient les différences entre les démarches des dirigeants de ces pays, elles ont partout en commun une dégradation rapide des conditions d'existence de la classe ouvrière.

C'est cette dégradation rapide des conditions d'existence de la classe ouvrière qui a conduit aux émeutes ouvrières de Brasov en Roumanie, à la vague de grèves en Yougoslavie. C'est elle qui alimente l'extraordinaire combativité des travailleurs polonais depuis plusieurs années, illustrée cette année encore par le début de grève générale de la fin de l'été, ouvertement sabotée par Walesa et la direction du syndicat nationaliste Solidarnosc. Et il y a eu également des grèves, sporadiques il est vrai, en Hongrie.

Mais la crise, la détérioration de la situation économique et la colère qu'elle engendre, conduisent également à la renaissance, à l'étalage du nationalisme, du chauvinisme, d'idées réactionnaires de toutes sortes, dont l'accroissement de l'influence religieuse sur la société. D'autant qu'il y a parmi les dirigeants de ces pays des hommes et des forces politiques pour s'appuyer dessus. En Yougoslavie, en utilisant et en attisant par la même occasion les oppositions entre différentes nationalités d'une République de moins en moins fédérale. En Roumanie ou en Hongrie, en développant des sentiments chauvins, pour tenter de détourner vers cette voie barbare la colère montante des classes pauvres. En Pologne, pour donner un caractère exacerbé aux sentiments anti-russes.

Déjà, certains de ces pays dits « socialistes » accueillent officiellement des réfugiés fuyant un autre « pays socialiste » « frère » et son oppression nationale - et en profitent pour mener chez eux une propagande ouvertement nationaliste. Il n'est même plus possible d'exclure, pour demain, l'hypothèse d'une guerre locale entre deux pays « socialistes ». Il y a déjà bien des affrontements, voire des progromes, encouragés en sous-main par des dirigeants, dans le cadre de la même « République socialiste » yougoslave.

Malgré le prétendu « socialisme » des régimes, c'est la tendance au retour à la même barbarie que cette région du monde a connue entre les deux guerres, vers les « balkans » et pour les mêmes raisons. Si le prolétariat des Démocraties Populaires, là encore parmi les plus puissants, et par ailleurs parmi les plus combatifs au cours des dernières années, n'est pas capable de relever le gant, de trouver d'autres dirigeants que des nationalistes pro-occidentaux, les pays de l'Est s'acheminent vers une catastrophe, qui serait une catastrophe pour l'ensemble du prolétariat d'Europe et du monde.

 

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