L’entrisme dans le Parti Travailliste01/11/19871987Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1987/11/13_0.jpg.484x700_q85_box-0%2C49%2C2355%2C3455_crop_detail.jpg

L’entrisme dans le Parti Travailliste

 

Discussion entre Socialist Organiser, Grande-Bretagne, et l'Union Communiste Internationaliste

 

TEXTE DE SOCIALIST ORGANISER

 

Dans le numéro 7 de Lutte de Classe, Lutte Ouvrière expose ses objections à l'activité des marxistes révolutionnaires dans le Parti Travailliste britannique, en analysant la politique de trois groupes : Militant, International et Socialist Action - ces deux derniers étant liés au Secrétariat Unifié. Il n'est pas juste de les appeler "les principaux groupes" marxistes militant dans le Parti Travailliste, car notre propre tendance, Socialist Organiser, est au moins aussi importante et probablement même plus que les deux groupes proches du SU. Quoi qu'il en soit, nous pensons que les arguments de fond développés par Lutte Ouvrière sont erronés.

Lutte Ouvrière explique en quoi la politique de ces groupes est fausse selon elle, et affirme que le problème de ces groupes est qu'ils sont "piégés" à l'intérieur du Parti Travailliste. Il est vrai que les trois groupes en question se sont profondément adaptés au milieu dans lequel ils évoluent. Mais le problème fondamental posé par leur démarche est un problème de méthode politique, tout à fait indépendant de leur appartenance ou non au Labour Party, et il est tout à fait erroné de tenter d'expliquer leurs erreurs comme l'article de Lutte Ouvrière le fait.

Nous essaierons ici d'expliquer un peu en détail comment il est possible de militer autrement à l'intérieur du Parti Travailliste et comment une telle activité peut contribuer à la tâche plus générale de construction d'un mouvement marxiste.

Le Parti Travailliste et les syndicats sont les frères siamois du mouvement ouvrier britannique. Pour reprendre les mots de Trotsky, il y a entre eux une "division technique du travail". Le Parti Travailliste est le parti des syndicats : il a été créé par les syndicats, et à tous les niveaux, il existe des liens organisationnels profonds entre les deux - depuis la présence de délégués syndicaux dans les sections locales du parti, au niveau du "quartier" ou de la circonscription, jusqu'au "vote bloqué" des syndicats au congrès national du Parti Travailliste. Bien sûr, comme les syndicats sont bureaucratisés et réformistes, le Parti Travailliste l'est également. Politiquement, c'est un parti bourgeois, mais un parti bourgeois avec des liens organiques avec les syndicats et, par conséquent, d'un point de vue historique, avec la classe ouvrière.

En tant que telle, la question du Parti Travailliste est un des problèmes centraux auxquels se trouvent confrontés les marxistes en Grande-Bretagne. Et les réponses traditionnellement mises en avant par les marxistes britanniques ont toujours été erronées. Il y a deux erreurs traditionnelles : la première consiste à se dissoudre politiquement dans la gauche travailliste; la deuxième, à opposer le petit "parti révolutionnaire" au Parti Travailliste. Mais l'expérience a montré qu'il ne suffit pas de proclamer "le parti révolutionnaire", et que "le parti révolutionnaire" ne peut pas être créé par un simple effort de volonté.

Le futur mouvement ouvrier révolutionnaire ne se construira qu'à partir de l'actuel mouvement ouvrier réformiste. En Grande-Bretagne, il existe un mouvement ouvrier très puissant, qui reste puissant malgré tous ses reculs et ses défaites. Il n'est pas possible de construire un "nouveau" mouvement ouvrier de A à Z en ignorant le mouvement existant. Il est nécessaire de révolutionner le mouvement ouvrier actuel.

Bien sûr, cela ne signifie pas que les marxistes peuvent simplement "s'emparer" du Parti Travailliste - ou d'ailleurs des syndicats. Il y aura des cassures, des scissions et toutes sortes d'évolutions qu'on ne peut pas prévoir. Mais cela signifie que les marxistes doivent tenir compte des développements réels à l'intérieur du mouvement ouvrier existant et qu'ils doivent essayer de construire une organisation marxiste qui y soit bien implantée.

Actuellement, la direction travailliste est en train de mener une épuration dans le parti, qui peut fort bien devenir pire encore. Mais une épuration complète, menée avec succès contre les groupes dits marxistes et également contre tous les militants ouvriers du Parti Travailliste, constituerait un revers de taille pour le mouvement ouvrier. Cela fermerait les canaux existants par où passent actuellement la discussion, le débat et la bataille des idées politiques. Cela fermerait aux travailleurs un champ d'action politique (qui ne se limite nullement à l'action parlementaire). Ce serait folie de croire que de telles circonstances seraient favorables à la construction d'une alternative au Parti Travailliste : c'est comme si on disait qu'un contrôle absolu des bureaucrates sur les syndicats serait à l'avantage des révolutionnaires. Ce serait, au contraire, une défaite pour les militants ouvriers.

Mais jusqu'à présent, en dépit des épurations, le Parti Travailliste n'est pas une organisation rigoureusement contrôlée par sa direction. Il est encore possible de défendre une politique marxiste en son sein. Et dès lors que c'est possible, c'est nécessaire. Les marxistes seront peut-être exclus du Parti Travailliste. Mais ils doivent se battre contre leur exclusion et ne pas s'exclure délibérément eux-mêmes. Et la politique préconisée par Lutte Ouvrière semble justement consister à s'en exclure délibérément.

En pratique, la lutte pour la démocratie et pour des politiques précises de lutte de classe au sein du Parti Travailliste se répercute par la force des choses à l'intérieur des syndicats, et l'inverse est aussi vrai dans une certaine mesure. Un des problèmes de la campagne de la gauche travailliste pour la démocratie dans le parti au début des années 80, était qu'elle n'avait pas été bien menée dans les syndicats (dont la plupart sont affiliés au Parti Travailliste). Un autre problème était la faiblesse de la campagne au niveau politique et idéologique : elle n'était pas liée à la défense d'une stratégie marxiste qui puisse être une alternative pour le mouvement ouvrier.

Il y a, bien sûr, de bonnes et de mauvaises façons de militer dans le Parti Travailliste - des erreurs tactiques et des erreurs de principe. Lutte Ouvrière a raison de critiquer les groupes mentionnés plus haut, mais a tort de considérer que c'est l'activité dans le Parti Travailliste en tant que telle qui pose problème.

 

L'expérience de l'administration locale

Il y avait des foyers de résistance possible au gouvernement Thatcher dans les administrations locales. Dans la plupart des grandes villes, le Parti Travailliste contrôle les conseils municipaux qui ont vu leurs subventions réduites par le gouvernement. Comme ces réductions touchaient l'ensemble des travailleurs au niveau de l'emploi, du logement, de l'éducation, etc., l'organisation d'une riposte était (et est toujours) un point essentiel dans la défense du niveau de vie de la classe ouvrière. Un des résultats de la campagne pour la démocratie dans le Parti Travailliste fut de favoriser les tentatives de nombreux groupes à l'intérieur de la gauche réformiste (souvent d'anciens révolutionnaires) en vue de, comme ils disaient, "prendre le pouvoir" dans les administrations locales. Ils parlaient de lutte, mais il n'y eut de lutte que dans quelques régions, sans conviction, puis tout est retombé. Et ainsi la "gauche de l'administration locale" fut défaite. En partie à cause de cet échec (qui se transforma ensuite en déroute), il y eut dans la gauche une soudaine éruption d'une sorte de populisme radical analogue à celui de la "coalition Arc-en-Ciel" préconisé par certains secteurs du Parti Démocrate américain.

Il était évidemment prévisible qu'une campagne qui ne s'inscrivait pas dans une stratégie marxiste solide échouerait. Socialist Organiser l'avait effectivement prévu. Mais il fallait également expliquer en quoi consistait une stratégie marxiste.

Nous avons mis en avant une politique d'opposition générale à toute diminution des subventions, à tout licenciement, à toute augmentation des loyers et des impôts locaux (qui servent à financer une grande partie des dépenses au niveau municipal). Nous avons préconisé la préparation systématique d'actions grévistes, en particulier parmi les employés municipaux. Nous avons proposé que les conseils municipaux cessent de verser des intérêts énormes aux banques. Et nous avons lancé un appel à la lutte au plan national contre les conservateurs.

Il serait possible de ne proposer cette politique qu'à l'intérieur des syndicats. Mais il vaut mieux amener les conseils élus à adopter eux-mêmes une politique de résistance totale, et ensuite veiller à ce qu'ils s'y tiennent. Une conduite de cette nature de la part de conseils municipaux travaillistes créerait un mouvement d'opposition au gouvernement beaucoup plus puissant qu'une lutte purement syndicale (dont l'une des principales cibles est toujours le conseil municipal lui-même). Bien sûr, les marxistes se doivent de combattre toute action anti-ouvrière de la part des conseils municipaux et de mettre les gens en garde contre les reniements possibles même de la part de conseils municipaux ayant formellement promis d'engager la lutte contre le gouvernement. Tout cela, Socialist Organiser l'a fait.

Mais il y avait aussi des canaux démocratiques, ceux du Parti Travailliste, par où nous-mêmes ainsi que d'autres militants ouvriers pouvions faire adopter une politique de lutte de classe par des conseils municipaux travaillistes et nous organiser pour les contraindre à la mener vraiment. Ne pas utiliser ces canaux aurait réduit l'alternative socialiste à n'être qu'un soutien de type purement syndicaliste aux luttes pour la défense de l'emploi.

Nous avions aussi à défendre l'idée d'une politique marxiste et d'une organisation marxiste - mais comme corollaire indispensable d'une lutte d'ensemble, pas comme alternative à celle-ci. En l'occurrence nous étions trop petits et trop faibles pour jouer un rôle dans les événements. Mais nous pensons que notre attitude était juste.

 

Liverpool

La lutte menée à Liverpool a constitué un cas limite par rapport à l'essentiel des expériences menées ici et là dans les conseils municipaux, parce qu'elle a été dirigée politiquement par une faction prétendument trotskyste, la tendance Militant.

Liverpool est d'abord apparu comme un exemple : il y a eu une grève générale d'une journée, début 1984. Le conseil municipal (où Militant était numériquement minoritaire, mais politiquement dominant) bénéficiait d'un large soutien. Il semblait qu'une lutte véritable allait être engagée.

Liverpool s'est finalement achevé en fiasco extrêmement démoralisant. Le conseil municipal avait minimisé l'importance de l'action de masse dans sa campagne dès mai 1984, à l'époque des élections locales. En juillet, il a conclu un accord avec le gouvernement qui ne résolvait en rien les problèmes financiers de la ville (cela repoussait simplement la lutte d'une année), et qui retirait Liverpool de la bataille au moment même où la grève des mineurs atteignait son point culminant. Par rapport à ses responsabilités du moment, au sens large du mot, Militant a commis une erreur grave, qu'il a accentuée encore en présentant son accord dérisoire comme une "victoire à 95%". Au cours de l'année suivante, Militant repoussa la confrontation finale de semaine en semaine.

Finalement, après avoir échoué de peu dans sa tentative d'obtenir un soutien majoritaire lors de la grève municipale de septembre 1985, le conseil municipal dirigé par Militant a expédié 30 000 préavis de licenciement à ses propres employés pour éviter d'être condamné à une amende par le gouvernement. Il devait plus tard annuler les préavis de licenciement, un prêt important lui ayant été consenti par une banque suisse, mais le mouvement ouvrier était d'ores et déjà profondément divisé sur ce problème et la confusion la plus totale régnait. L'expérience de Liverpool s'achevait dans un gâchis bien encombrant.

En toile de fond, il y avait le fait que le conseil municipal s'était aliéné la sympathie de beaucoup de gens par ses méthodes bureaucratiques. Tout un secteur de la communauté noire, en particulier, était en révolte ouverte contre la décision d'accorder un poste à un sympathisant de Militant dans une commission municipale sur la discrimination raciale. Plutôt que d'arranger les choses, Militant les envenima, accusant les leaders du Black Caucus ("Regroupement Noir") d'être "des maquereaux et des gangsters".

Ce fut une triste affaire. Mais fut-elle causée par l'appartenance de Militant au Parti Travailliste ?

Les dirigeants de la tendance Militant, aujourd'hui exclus du Parti Travailliste, viennent en droite ligne de la direction du Revolutionary Communist Party (RCP), section britannique de la Quatrième Internationale pendant et peu après la Deuxième Guerre mondiale. Plusieurs des idées qu'ils défendent aujourd'hui ont été élaborées à la fin des années 40.

Leur conception du monde tourne autour d'une sorte de "gradualisme" poussé à l'absurde. Ils considèrent l'histoire comme un processus menant graduellement et inexorablement vers le socialisme. Ils sont en permanence optimistes quant aux événements à venir et, au fond, réduisent le rôle des marxistes à celui de propagandistes du "programme" autour duquel les masses se rallieront inévitablement.

Puisque l'avenir ne peut qu'être favorable, il n'y a aucune raison de risquer si peu que ce soit aujourd'hui. A Liverpool, ils ont fait passer leurs propres intérêts d'organisation avant les nécessités de la lutte, et se sont contentés, pour justifier leur attitude, de mettre en avant leur espoir passif en des développements "de plus en plus favorables".

Dans le cas d'un ou deux de leurs dirigeants, la cupidité a probablement aussi joué un rôle. A Liverpool ils sont devenus dans une très large mesure partie intégrante de la bureaucratie du Parti Travailliste. Mais réduire le problème à leur appartenance au Parti Travailliste, c'est traiter la réalité de manière un peu sommaire et c'est laisser de côté l'essentiel de ce qu'il faut connaître pour comprendre le groupe Militant. Militant est une secte qui se porte assez bien (bien qu'elle soit aujourd'hui en crise), une secte comme il y en a toujours eu dans ce pays.

Ce qui distingue Militant de plusieurs autres sectes qui mettent en avant leur "programme" comme un symbole magique, c'est que le "programme" que Militant défend a peu de choses à voir avec le programme marxiste et est carrément réformiste. Ils réclament un gouvernement travailliste qui nationaliserait les monopoles par l'intermédiaire du Parlement et affirment placidement (chaque semaine dans leur journal, sous le titre "Ce que nous voulons") qu'il suffirait de faire passer une loi spéciale dite "d'habilitation" pour paralyser la bourgeoisie... Ils soutiennent ouvertement qu'une révolution pacifique est possible. Mais tout ceci n'est pas nouveau. Militant a élaboré les bases de sa vision du monde il y a longtemps déjà. Son adaptation au réformisme (et sa chute dans l'idéologie réformiste) est une vieille histoire.

Il reste néanmoins que Militant a réussi à occuper une place importante dans le mouvement ouvrier. Son développement n'est pas dû au hasard : il était "là où il fallait être" (même s'il est maintenant confronté à une crise sévère après sa défaite de Liverpool).

L'impasse bureaucratique de sa politique doit être combattue y compris à l'intérieur du Parti Travailliste. A Liverpool, par exemple, les leçons de la récente débâcle devront nécessairement être tirées avec les militants actifs dans les syndicats et le Parti Travailliste. Il est clair que l'une des leçons à tirer se rapporte à ce qui aurait pu se passer s'il y avait eu à Liverpool une direction réelle ment marxiste. Cependant, sans la présence d'une direction marxiste à l'intérieur du Parti Travailliste de Liverpool, il n'y aurait pas eu une autre lutte, couronnée de succès : il n'y aurait pas eu de lutte du tout.

 

Les objections de Lutte Ouvrière

Dans l'article précité, la ligne politique de Lutte Ouvrière n'apparaît pas clairement, bien qu'il soit évident à la lecture d'autres articles que Lutte Ouvrière est hostile au travail à l'intérieur du Parti Travailliste. Lutte Ouvrière dit beaucoup de choses justes sur ce sujet. Par exemple que "à maintes reprises dans le passé, le Parti Travailliste a démontré qu'il était prêt à aller au gouvernement défendre les intérêts de la bourgeoisie contre la classe ouvrière..." et à "étouffer tout mouvement social susceptible de dépasser les limites de ce qui est acceptable pour les capitalistes" (page 34). Et Lutte Ouvrière affirme que le rôle des marxistes est de dire la vérité, "de préparer la classe ouvrière à ce qui l'attend, même si cela signifie (...) être à contre-courant" (page 37). Ce qui l'attend, c'est un possible gouvernement Kinnock qui poursuivra la politique de Thatcher.

Lutte Ouvrière critique aussi à juste titre les groupes proches du Secrétariat Unifié. Lutte Ouvrière écrit : "Prêter à la gauche travailliste une politique de "lutte de classe" ou "anti-capitaliste" revient à lui prêter des capacités dont elle ne veut pas et dont elle ne voudra jamais" (page 42). Bien que cette affirmation ait un relent de sectarisme (Lutte Ouvrière ne prétendra sûrement pas qu'il n'y a pas de "lutte des classes" "anticapitaliste" en dehors d'une politique marxiste pure et dure ?), il n'en reste pas moins que Lutte Ouvrière a raison en général. Mais Lutte Ouvrière sait aussi que la méthode du Secrétariat Unifié consiste à fusionner partout où c'est possible avec telle ou telle force de gauche et que cela ne découle pas de leur orientation actuelle en direction du Parti Travailliste. (Une chose a échappé à Lutte Ouvrière. Socialism Action a capitulé non pas tant devant le travaillisme de type traditionnel que devant le stalinisme, et devant l'idée d'une "coalition Arc-en-Ciel" de type populiste évoquée plus haut. Elle s'est ainsi rapprochée de l'aile du Secrétariat Unifié autour de Barnes).

Sur un point, cependant, Lutte Ouvrière se trompe lourdement. Dans la circonscription de Knowsley North, la direction travailliste a imposé, lors d'une élection partielle récente, son candidat à la section locale, invalidant le candidat choisi par les membres du parti. Lutte Ouvrière commente :

"Tous (les groupes au sein du Parti Travailliste) ont condamné le coup de force de Kinnock. Mais tous ont également condamné par avance toute politique susceptible de le mettre en échec, y compris la tentative des militants de Knowsley d'obtenir des tribunaux l'invalidation du candidat officiel" (page 44).

Pour notre part, nous nous opposons en effet à toute tentative de faire régler les affaires du mouvement ouvrier par des tribunaux bourgeois et défendons le principe de l'indépendance des organisations ouvrières. Un des aspects particulièrement sordides du mouvement de résistance aux expulsions organisé par Militant a été la facilité avec laquelle il en appelait aux tribunaux. Nous nous opposons à de telles pratiques, même quand elles sont le fait de la gauche.

La question de savoir comment il était possible de s'opposer au choix unilatéral d'un candidat par le Parti Travailliste était une question tactique, nous semble-t-il, et les conditions n'étaient pas réunies pour un assaut général contre la direction travailliste, non pas "pour ne pas compromettre les chances électorales du Parti Travailliste aux prochaines élections" (page 44), mais parce qu'il était impossible de gagner cette bataille-là. Nous avons, bien sûr, préconisé des protestations, des motions de condamnation, etc. Mais Lutte Ouvrière pense-t-elle sérieusement que des marxistes devaient par principe préconiser que les membres de la section locale présentent leur propre candidat, sachant que dans les conditions du moment, cela équivalait à un suicide et aurait aidé la direction travailliste dans l'épuration du parti qu'elle s'efforce de réaliser ?

 

Conclusions

Répétons-le : Lutte Ouvrière n'offre ni politique détaillée, ni orientation par rapport au Parti Travailliste. Ailleurs, cependant, Lutte Ouvrière écrit :

"Le choix politique qu'ont fait les dirigeants de Militant en construisant leur organisation au sein d'un parti réformiste est contestable. Et ce n'est pas le nôtre." (Lutte de Classe numéro 2, page 40).

"Si l'exemple de Liverpool montre quelque chose, c'est justement l'impossibilité de construire une organisation révolutionnaire au sein d'un parti réformiste". (Ibid. page 54).

Mais Lutte Ouvrière ne propose aucune perspective claire pour la construction d'un mouvement révolutionnaire, à part le recrutement un par un de militants (qui reste bien sûr nécessaire). Nous pensons pour notre part qu'il y a des leçons à tirer de l'expérience de Liverpool - sur l'impossibilité de mener une lutte à la victoire avec les méthodes bureaucratiques du groupe Militant.

Nous pensons qu'il est nécessaire d'opposer une autre stratégie politique à celle de Militant, dans le cadre de la lutte pour les revendications de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier au sens large.

Ce qui nous semble le plus important dans tout ceci, ainsi que dans les questions qui se posent aux révolutionnaires de manière générale, c'est la bataille des idées politiques. Lutte Ouvrière minimise en réalité le problème des idées politiques et réduit le marxisme à une simple question de technique courante.

Bien sûr, la question du Parti Travailliste ne constitue pas la fin des fins. Mais il y a d'autres problèmes, plus importants, qui lui sont liés. Notre attitude envers le Parti Travailliste découle d'une analyse plus générale, qui est que les marxistes doivent proposer une politique et une ligne générale à tout le mouvement ouvrier ; qu'ils doivent organiser les travailleurs du rang, là où c'est possible ; et qu'ils doivent s'efforcer de construire un pôle idéologique à l'intérieur du mouvement de masse. Pour l'Afrique du Sud, par exemple, nous défendons l'idée de la création d'un parti ouvrier large - en tant qu'objectif pour l'ensemble du mouvement - à l'intérieur duquel toutes les organisations marxistes devraient militer.

C'est pourquoi il nous semble que les pratiques des groupes mis en cause par Lutte Ouvrière ne découlent pas de leur activité dans le Parti Travailliste en tant que telle, mais de caractéristiques plus fondamentales. Nous pensons que l'activité au sein du Parti Travailliste peut être menée de manière révolutionnaire, et qu'à long terme, c'est une tâche nécessaire pour rendre la construction d'un mouvement marxiste possible.

 

Socialist Organiser, avril 1987

 

 

RÉPONSE DE L'UNION COMMUNISTE INTERNATIONALISTE

 

Malgré l'insistance que met Socialist Organiser à réaffirmer son accord avec le gros des critiques que nous portons aux groupes entristes au sein du parti travailliste, la lettre de ces camarades montre bien qu'ils n'ont pas vu l'aspect fondamental de ces critiques : le fait qu'au lieu de définir leur politique par rapport à la classe ouvrière elle-même, les entristes la définissent d'abord et avant tout par rapport aux organisations réformistes.

SO se targue d'avoir une perspective totalement différente de celle des autres groupes entristes. Et ces camarades notent, à juste raison, que le vrai problème avec Militant et les groupes du Secrétariat Unifié tient à une méthode politique qui est indépendante de leur appartenance au parti travailliste.

Mais dès qu'ils entreprennent de développer leur propre méthode politique, la différence à laquelle ils prétendent se trouve réduite au néant. Ils n'aboutissent qu'à nous démontrer que leur méthode politique ne diffère en rien de celle des autres groupes entristes.

Aussi nous faut-il plaider coupables de n'avoir pas mentionné le nom de SO parmi les « principaux groupes « entristes britanniques dans notre article de La Lutte de classe n° 7. Dans la mesure où l'essentiel des critiques contenues dans cet article pouvaient s'appliquer tout aussi bien à SO, nous vous présentons toutes nos excuses, camarades !

 

Les nécessaires affrontements a venir...

Votre point de départ tient dans le postulat suivant : « le futur mouvement ouvrier révolutionnaire ne sera construit qu'à partir du mouvement ouvrier réformiste d'aujourd'hui, au travers de ruptures, de scissions et de toutes sortes de développements que nous ne pouvons pas prévoir » .

Si vous voulez dire par là qu'il n'y aura pas de parti révolutionnaire en Grande-Bretagne - ni d'ailleurs dans aucun pays capitaliste industrialisé - sans que des pans entiers de la classe ouvrière rompent avec les organisations réformistes, nous sommes certainement en accord avec vous.

Néanmoins, partant de prémisses correctes - et passablement évidentes - vous sautez d'un bond à une conclusion bien moins évidente : « Il faut révolutionner le mouvement existant » . Autrement dit, si nous vous comprenons bien, pour provoquer ces ruptures et ces scissions dans les organisations réformistes les révolutionnaires doivent militer dans leurs rangs, en particulier en Grande-Bretagne dans ceux du parti travailliste.

Votre lettre est censée expliquer comment « l'entrisme » - celui qui utilise les méthodes correctes, bien sûr - peut seul permettre en Grande-Bretagne de construire à terme le parti révolutionnaire, puisque, selon vos propres termes, elle vise à « développer une conception différente du travail au sein du parti travailliste et les liens entre ce travail et la tâche plus générale de construire un mouvement marxiste » . Malheureusement elle ne répond pas au tout premier problème qui se pose en ce domaine, pire elle ne le mentionne même pas.

Car quelle est la différence fondamentale entre les groupes révolutionnaires d'aujourd'hui et le parti révolutionnaire ? Evidemment il y a une question de taille. Mais la taille nécessaire pour un réel parti révolutionnaire dépend des conditions politiques et de la dynamique de la lutte de classe dans la période considérée. En revanche, il ne peut être question de prétendre former un parti révolutionnaire sans qu'une fraction au moins de la classe ouvrière le reconnaisse et le considère comme sa direction.

On ne peut gagner une telle influence qu'en participant aux luttes de la classe ouvrière et en se battant pour prendre la direction des travailleurs en lutte sur la base d'une politique révolutionnaire pour ces luttes. Cela ne peut se faire qu'en arrachant la direction des travailleurs des mains de la bureaucratie réformiste, c'est-à-dire au travers d'affrontements ouverts avec la bureaucratie sous les yeux de la classe ouvrière et avec la participation et aux côtés de la fraction des travailleurs en lutte. Qu'ils soient à l'intérieur du parti travailliste ou à l'extérieur, les révolutionnaires devront en passer par de tels affrontements s'ils doivent un jour construire le parti révolutionnaire.

Comment voyez-vous votre propre rôle par rapport à ces affrontements ? Surtout en quoi votre appartenance au parti travailliste vous aide-t-elle à vous préparer à jouer un rôle dans de tels affrontements - sans même parler de les diriger. Autant de questions auxquelles vous ne prenez même pas la peine de répondre !

 

...et comment Socialist Organiser préfère regarder ailleurs

Au contraire, tout dans votre lettre pointe à l'opposé, et souligne votre volonté d'éviter tout affrontement avec la bureaucratie travailliste.

Les deux exemples que vous prenez illustrent parfaitement votre approche en la matière.

Tout d'abord Liverpool. La leçon que vous tirez de Liverpool est qu' « il faut répondre à Militant en leur opposant une stratégie politique différente » . Très bien ! Mais quelle était selon vous la stratégie marxiste à adopter ? Dans votre lettre cette stratégie se ramène à une longue série de « nous avons défendu l'idée que et nous avons appelé à » . Alors que vous tournez Militant en ridicule sur la façon dont « ils mettent en avant le programme comme un symbole magique » , ce que vous appelez être une stratégie marxiste se révèle n'être qu'une collection de revendications et de slogans...qui ne nous semblent pas moins magiques !

Comme si une stratégie pour la classe ouvrière pouvait se limiter à une collection de slogans et de revendications. Dans le cas de Liverpool une telle stratégie aurait dû fournir le moyen aux travailleurs de Liverpool qui étaient déterminés à lutter, de s'adresser au reste de la classe ouvrière britannique en lui offrant une perspective commune pour un combat commun, surtout au moment de la grève des mineurs. Une telle stratégie aurait dû fournir le moyen de donner confiance à la classe ouvrière, d'unifier tous les travailleurs qui appelaient une riposte de leurs voeux et de briser toutes les divisions et illusions que la bureaucratie s'efforçait de maintenir à tous les niveaux. Voilà ce qu'aurait dû être une stratégie marxiste à Liverpool. (Nous pouvons très bien comprendre que mener une telle politique, ou mêmes simplement la proposer à la classe ouvrière britannique, était hors de portée de SO. Ce n'est pas Lutte Ouvrière, un petit groupe encore bien limité dans ses possibilités d'intervention politique, qui reprochera cela à un autre petit groupe. Mais, par contre, ce que nous reprochons ici, c'est de se payer de mots, et derrière les termes grandioses de « stratégie marxiste » ne mettre, comme tant de groupes trotskystes ou gauchistes ont la désastreuse habitude de le faire, qu'une pauvre querelle sur des slogans qui, pris en soi et sans relations avec la réelle lutte de classe, sont vides de sens).

Une fois de plus ceci nous ramène au problème principal en ce qui concerne votre lettre : que ce soit de l'intérieur du parti travailliste ou de l'extérieur, une telle stratégie ne pouvait être mise en oeuvre que malgré et contre les dirigeants travaillistes et syndicaux. Elle nécessitait la volonté de s'engager dans un affrontement direct avec la bureaucratie réformiste devant l'ensemble de la classe ouvrière. Et c'est justement cela que les groupes entristes, comme Militant à Liverpool, n'ont jamais fait, tout en justifiant leur politique par les contraintes que leur imposait la nécessité de conserver leurs positions au sein du parti travailliste.

C'est cela que nous critiquons chez les groupes entristes : le fait qu'ils n'affrontent pas la direction du parti travailliste losque les intérêts des travailleurs en lutte l'exigent. Nous ne les critiquons pas parce qu'ils sont dans le parti travailliste, mais parce que leur préoccupation essentielle est de conserver leurs positions au sein du parti travailliste et ceci àn'importe quel prix en particulier au prix de tourner le dos aux intérêts des travailleurs.

De ce point de vue, les critiques que vous portez à la politique de Militant à Liverpool, ne soulèvent pas les vrais problèmes. Vous visez les méthodes et les techniques employées par Militant, et non la politique qui était derrière. Vous dénoncez « l'impasse bureaucratique » qu'a constitué la politique de Militant, mais vous n'arrivez pas à comprendre comment Militant en est venu à ce comportement bureaucratique : justement parce qu'à chaque affrontement avec la bureaucratie, Militant a choisi de reculer afin de préserver ses positions, refusant ainsi de choisir le camp de ceux qui voulaient se battre et se retrouvant d'une façon ou d'une autre dans le camp des bureaucrates.

Parce que vous ne voyez pas où sont les problèmes de fond, vous ne pouvez qu'en arriver à préconiser une autre variété de la même politique.

Et cela devient absolument clair et explicite lorsque vous abordez la question - bien plus secondaire - de l'élection partielle de Knowsley.

Pour justifier votre inaction face au coup de force de Kinnock contre les militants locaux, et le fait qu'en fin de compte vous ayiez soutenu le candidat travailliste officiel dans cette élection partielle, vous avancez cet argument définitif (tout au moins le croyez-vous) : « Lo pense-t-il sérieusement que des marxistes devaient, par principe, préconiser que les membres de la section locale présentent leur propre candidat, sachant que dans les conditions du moment cela équivalait à un suicide et aurait aidé la direction travailliste dans l'épuration du parti qu'elle s'efforce de réaliser ? » .

Sérieusement, camarades, il s'agit exactement de la façon la plus explicite de la même excuse dont s'est servi Militant à Liverpool et qui fut la cause de leur défaite sans réel combat. Le fait qu'il y ait eu ou pas un certain nombre de militants travaillistes - à Knowsley et ailleurs - prêts à se battre sur cette question, ne vaut même pas à vos yeux d'être pris en considération.

Bien sûr ce qui s'est passé à Knowsley n'était pas décisif, bien moins qu'à Liverpool. Mais en prenant la tête des militants qui voulaient se battre contre la direction travailliste dans ce contexte précis, vous auriez pu porter le différent devant l'ensemble des travailleurs. Au lieu de cela, vous avez délibérément choisi de renoncer à cette possibilité et de condamner ceux qui ne le faisaient pas, afin de protéger votre propre position au sein du parti travailliste.

 

Être ou ne pas être au parti travailliste ? là n'est pas la question

« LO est hostile au travail à l'intérieur du parti travailliste, LO a tort de considérer que c'est l'activité dans le parti travailliste en tant que telle qui pose problème » . Il semble, camarades, que vous cherchiez quel est le péché originel de Lutte de classe (du point de vue de la politique britannique), et que vous l'avez trouvé : LO doit être par principe contre toute activité entriste au sein du parti travailliste, et par conséquent la discussion est réglée et ses arguments à écarter.

Non, camarades, nous ne sommes pas opposés par principe à ce que des militants révolutionnaires travaillent au sein du parti travailliste. Néanmoins, conformément à la tradition révolutionnaire, nous considérons l'entrisme comme une tactique et de plus une tactique à court terme. Que cette tactique puisse être utilisable et profitable dans une situation donnée, ou non, dépend de la situation, des relations entre la classe ouvrière et les organisations réformistes, et de l'organisation révolutionnaire concernée.

Aujourd'hui un certain nombre d'organisations révolutionnaires militent au sein du parti travailliste et certaines depuis de nombreuses années. Mais aucune d'elles, pas même celle qui a connu le plus de succès en matière de recrutement, n'a fait le moindre pas vers la solution de ce qui est le problème fondamental pour les militants révolutionnaires : gagner de l'influence dans la classe ouvrière en s'affrontant à la bureaucratie réformiste. Ce fait à lui seul constitue une base sur laquelle juger les tactiques entristes dans la période actuelle. Et c'est pour cela que nous mettons en question l'entrisme aujourd'hui en Grande-Bretagne, et que nous pensons que les militants et les groupes révolutionnaires britanniques devraient peut-être se reposer le problème de redéfinir une politique qui pourrait déboucher sur la création d'un véritable parti révolutionnaire implanté dans la classe ouvrière.

Ceci dit, on peut imaginer une autre situation dans laquelle le fait de militer au sein du parti travailliste permettrait aux révolutionnaires d'intervenir dans les luttes de la classe ouvrière au lieu de servir d'excuse pour regarder ailleurs comme le fait SO aujourd'hui.

Néanmoins, quelle que puisse être la situation, le fait de militer dans une organisation bureaucratique comme le parti travailliste qui défend des intérêts autres que ceux de la classe ouvrière, implique qu'à un moment ou un autre il faut faire des choix. Et nous pensons effectivement que, dans chaque cas, les révolutionnaires doivent choisir le camp de la classe ouvrière contre la bureaucratie, pas seulement en paroles mais aussi en actes, même si cela signifie se faire jeter dehors.

A vrai dire, la seule chose qui justifie à nos yeux d'en passer par tous les petits compromis quotidiens et la perte de temps qu'impliquent tout travail entriste, est justement la possibilité d'engager d'autres militants à affronter la bureaucratie réformiste. Si les révolutionnaires eux-mêmes n'ont pas cette volonté, à quoi bon l'entrisme ?

Les exemples de Liverpool et de Knowsley montrent qu'au moment crucial, les groupes entristes ont choisi le camp de la bureaucratie, soit en ne faisant rien, soit en adoptant des tactiques de compromis. Comment ne pas voir qu'ils continueront à faire les mêmes choix à l'avenir et qu'ils trouveront toujours de bonnes raisons à cela, comme « nous étions trop petits et trop faibles ou bien il n'y avait aucune chance de gagner ? » . Le genre d'excuses auxquelles ont recours les groupes entristes ne peuvent que les conduire à ne jamais choisir le camp de la classe ouvrière et à renoncer ainsi à gagner toute influence dans la classe ouvrière.

Mais la taille et le succès - c'est-à-dire l'influence - ne peuvent se gagner qu'au travers de luttes résolues contre la bourgeoisie, ce qui implique nécessairement également contre la bureaucratie. C'est seulement au cours de telles luttes que la classe ouvrière pourra juger de nos idées et de nos organisation.

 

Union Communiste Internationaliste, novembre 1987

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