France : l'automne tiède01/12/19881988Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1988/12/21_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

France : l'automne tiède

Depuis septembre la France a connu une succession de mouvements de grève, trois mois déjà d'agitation sociale comme elle n'en avait plus vu depuis plusieurs années (et au moment où nous écrivons elle est loin d'être terminée). Certes à la fin du printemps et au début de l'été, les manifestations du mécontentement des travailleurs étaient assez visibles pour que certains se soient posés la question avec un peu plus d'anxiété que d'habitude : « allons-nous avoir un automne chaud ? ». Cependant la question était un peu rituelle car il est de tradition dans ce pays qui connaît chaque année une longue pause dans la vie sociale aux mois de juillet et août, de s'interroger afin de savoir si à la rentrée les travailleurs, ayant à faire face à des conditions de plus en plus dégradées de vie et de travail, ne vont pas s'élever contre. Les spéculations journalistiques vont d'autant plus que l'interruption estivale est généralement mise à profit par les dirigeants des confédérations syndicales pour faire parler d'eux par quelques prédictions ambiguës.

Mais depuis trois mois maintenant les grèves sont effectivement à la une des journaux sans désemparer. Cela a commencé par les infirmières, les postiers ont pris le relais puis les employés des métros et bus parisiens. Et si ce sont là les mouvements les plus marquants, il y en a eu des dizaines d'autres attirant plus ou moins l'attention, dans les transports en commun de plusieurs grandes villes, dans des centres de Sécurité Sociale, dans de nombreuses usines, sans parler des journées d'action de la SNCF et de bien d'autres corporations.

Le secteur public a certainement été le plus touché. C'est là, il est vrai, que les arrêts de travail ont les conséquences les plus spectaculaires et sont immédiatement ressentis par toute la population. Mais il y a eu des grèves aussi dans de nombreuses usines petites ou moyennes du secteur privé, bien que peu dans les plus importantes, celles qui peuvent plus facilement attirer l'attention de l'opinion publique (mais en France il n'y a pas beaucoup de très grosses entreprises du secteur privé comparables par la taille à celles du secteur public).

Le parti communiste en accusation

Depuis la réélection de François Mitterrand à la présidence de la République et les élections législatives qui ont eu lieu dans la foulée, le Parti Socialiste est revenu au gouvernement. Mais le Parti Communiste est resté dans l'opposition comme dans les deux dernières années (1984 à 1986) du précédent gouvernement socialiste. Comme il était considérablement affaibli sur le plan électoral, ses dirigeants ont sans doute fait le calcul que, dans ces conditions, rejoindre à nouveau la majorité gouvernementale, si toutefois il l'avait pu, risquait de lui porter un nouveau coup plutôt que de l'aider à se renflouer. Ils en ont déjà fait l'expérience entre 1981 et 1984. Redonner des forces à leur parti, lui regagner des électeurs, ce qui est leur premier objectif aujourd'hui, a plus de chance de se faire dans l'opposition qu'en acceptant de s'asseoir sur quelques strapontins au Conseil des ministres et ainsi se lier les mains. Il faut sans doute ajouter que si le Parti Communiste avait fait l'autre choix, il est peu probable que les socialistes l'aient accepté.

La politique - d'opposition - du Parti Communiste a donné lieu depuis quelques semaines à une thèse reprise par toute la classe politique, de la droite à la gauche. Le gouvernement et le Premier ministre, Michel Rocard lui-même, s'en sont emparés comme d'une arme pour tenter de réduire le mouvement de grève dans les transports de la région parisienne. Selon cette thèse, l'offensive de la CGT, qui a incontestablement poussé non pas à toutes ces grèves mais à certaines d'entre elles, serait due à la volonté du Parti Communiste de porter des coups au gouvernement socialiste et de l'affaiblir. Elle serait même plus précisément destinée à forcer le Parti Socialiste à négocier une alliance lors des prochaines élections municipales qui fasse la part belle au Parti Communiste, en tout cas une part plus importante que ne lui donnerait son strict poids dans l'électorat, tel qu'il est apparu au printemps dernier.

En clamant que ces grèves n'étaient qu'une manipulation de la CGT et du Parti Communiste pour leurs propres buts politiciens, Rocard n'avait lui-même pour but que de dresser les usagers contre la grève. Ou encore de faire reculer une partie des grévistes eux-mêmes, l'idée de servir de masse de manoeuvre à un parti politique déplaisant généralement aux travailleurs. En fait c'est la manoeuvre de Rocard elle-même qui a fait long feu. Elle n'a fait ni monter la colère des usagers dont la majorité étaient certes bien gênés par les grèves mais qui comprenaient aussi leur raison d'être, ni reculer les grévistes qui connaissaient leurs propres raisons de faire grève.

Le complot trotskyste

Le drôle de l'histoire, et qui illustre combien politiciens et journalistes bourgeois ont la mémoire courte, est qu'il y a deux mois à peine le choer des mêmes montait en épingle la faiblesse des syndicats y compris de la CGT. Ils soulignaient à plaisir que pas plus celle-ci que les autres syndicats n'étaient à l'origine ni n'avaient pris la direction de la grève des infirmières. Certains, plus ou moins hypocritement, faisaient mine de déplorer cette faiblesse. Certains aussi croyaient discerner derrière la grève des infirmières ou celles des postiers un « complot troskyste », le terme a été utilisé et pas toujours pour rire.

Et il est vrai que le mouvement des infirmières n'a été ni voulu, ni lancé, ni dirigé par la CGT ni par d'autres syndicats. C'est pourtant cette grève qui de toutes celles de ces trois derniers mois fut la plus importante. Elle a été le premier mouvement de la rentrée. Elle a mis en mouvement, proportionnellement et en valeur absolue, le plus grand nombre de travailleurs ensemble et de la manière la plus déterminée. C'est elle qui a incontestablement encouragé et poussé d'autres travailleurs à faire grève à leur tour. Il est même apparu un moment qu'elle avait en partie obtenu satisfaction, en tout cas qu'elle avait arraché des concessions au gouvernement qu'aucune des grèves des deux ans précédents, cheminots, Chausson, SNECMA, n'avaient pu obtenir jusque-là.

Or ce mouvement des infirmières a été lancé et dirigé par une coordination constituée à côté et en dehors des syndicats, et en bonne partie dirigée par les trotskystes de la LCR. Au début comme au cours du mouvement les syndicats, y compris la CGT, se sont trouvés opposés à la coordination et à la majorité des infirmières. Aujourd'hui d'ailleurs, la CFDT expulse de ses rangs les dirigeants de cette coordination. La CGT, elle, a bien essayé, devant le succès de la coordination de faire ami avec celle-ci. Au grand étonnement de bien des militants CGT eux-mêmes, elle qui s'était ouvertement et violemment opposée aux coordinations des grèves précédentes des cheminots ou de la SNECMA a tressé publiquement, par la bouche de son secrétaire général Krasucki, des couronnes à celle des infirmières. Cela n'a suffi à amadouer ni les infirmières ni leur coordination et la CGT continua à se traîner à la queue des manifestations, symbole de son rôle dans le mouvement. En tout cas personne n'a pu dire que la grève des infirmières pouvait faire la preuve d'une volonté arrêtée de la CGT et du PCF de fomenter des grèves pour nuire au gouvernement socialiste.

La tactique du « harcelement »...

Le mouvement des infirmières est resté très corporatiste. La volonté de limiter le mouvement aux seules infirmières et le refus d'une action commune avec d'autres catégories, y compris les catégories les plus proches, les autres travailleurs des hôpitaux, fut le fait non seulement d'une partie de la coordination mais d'une bonne partie des infirmières elles-mêmes. Leur opposition aux syndicats était nourrie aussi, il faut bien le dire, par ce sentiment corporatiste, ceux-ci étant soupçonnés entre autres de tenir trop compte des intérêts d'autres catégories de travailleurs et non pas de ceux des seules infirmières.

Ce corporatisme a sans doute contribué à doucher les autres travailleurs des hôpitaux. Ils étaient ceux qui pouvaient le constater le plus facilement en même temps qu'ils en étaient les victimes immédiates. Il n'a pas empêché que d'autres travailleurs soient encouragés à la lutte et réconfortés par la puissance du mouvement des infirmières, sa détermination et même ses premiers succès. On a alors senti qu'une minorité au moins de travailleurs, dans bien des secteurs, envisageaient sérieusement d'entrer en grève à leur tour.

C'est à ces sentiments que la CGT a alors répondu au moment où les directions des autres confédérations syndicales, et notamment la CFDT, adoptaient au contraire de plus en plus ouvertement une attitude hostile aux grèves. Pour ces directions, le plus souvent liées au Parti Socialiste, il s'agissait de complaire au gouvernement même s'il fallait s'opposer à leurs propres militants de base qui eux ont souvent pris parti pour la lutte... et le paient aujourd'hui parfois par leur exclusion du syndicat. On appréciera en passant que ce soit la seule CGT qui soit accusée... de porter les manoeuvres d'un parti politique.

La CGT, à l'encontre des autres confédérations syndicales, a donc tenté de donner suite à la volonté de lutte qui se dessinait ici ou là, mais à sa manière. Elle a abondamment parlé du mécontentement général des travailleurs qui grandissait et de la riposte générale qui se préparait. Mais ce à quoi elle a poussé certains travailleurs prêts à entrer en grève c'est à des formes d'actions qui n'allaient nullement dans le sens de préparer un mouvement général, ce qu'elle a baptisé le « harcèlement ».

Que ce soit à Air France, aux PTT ou à la RATP ce que la CGT a préconisé et organisé ce sont des grèves tournantes d'une ou deux heures par jour ou par semaine, ou des grèves-bouchons dans les secteurs-clés ou des blocages de la production par l'occupation d'un point névralgique de l'entreprise. Le mélange de ces différentes formes d'action a quelquefois eu des résultats visibles voire spectaculaires. Le blocage des camions distributeurs du courrier par des camionneurs en grève une heure par jour et se relayant pour assurer ce blocage a paralysé la distribution du courrier parisien pendant plusieurs semaines. L'occupation des faisceaux de sortie des rames des ateliers de réparation du métro par des ouvriers en grève une heure par jour a eu rapidement raison du trafic du RER. La grève d'une ou de deux dizaines de travailleurs d'un atelier qui en compte plusieurs centaines - l'énorme majorité se contentant de verser une petite somme journalière à la petite minorité de grévistes - a fini par paralyser certaines lignes du métro. On pourrait sans doute trouver d'autres exemples du « harcèlement ». La CGT, il faut le reconnaître, est assez ingénieuse pour imaginer des formes d'actions qui tiennent compte du type de l'entreprise, du travail, de la production ou du service. Mais partout elle a proposé, très explicitement, de trouver des formes d'actions qui tout en demandant peu aux travailleurs, arrêts de travail les plus courts possibles et mettant en jeu le moins de travailleurs possible à la fois, paralysent quand même tout ou partie de la production ou du trafic.

...et ses limites

La tactique proposée par la CGT a été, semble-t-il, bien acceptée par les minorités de travailleurs qui avaient envie de se battre. D'abord l'idée d'être efficace sans perdre trop d'argent est a priori séduisante. La classe ouvrière de ce pays a certes maintes expériences des grèves tournantes ou des grèves bouchons, au point que ces expressions font maintenant partie du vocabulaire classique du syndicalisme français. Elle a donc expérimenté maintes fois aussi les limites de leur efficacité, mais il y avait quelque temps que les syndicats ne les avaient pas préconisées à cette échelle, peut-être le temps qu'elles puissent sembler une idée neuve et intéressante à nombre de travailleurs.

D'autre part dans les secteurs, en général les services, où elles s'appliquèrent, ces formes d'actions semblèrent efficaces : le courrier a pratiquement été arrêté pour des millions d'habitants de la région parisienne, le métro s'est fait de plus en plus rare et certaines lignes ont dû être fermées.

Cela correspondait aussi probablement au sentiment de ce qui était possible actuellement parmi les travailleurs. Les plus combatifs avaient conscience que la détermination n'était pas encore très grande dans la majorité autour d'eux ou dans les secteurs voisins. Il leur semblait que mieux valait alors trouver des formes d'actions plus limitées donc prétendument plus accessibles.

Enfin cela flattait les sentiments corporatistes. Sans avoir à tenir compte de personne d'autre ces formes d'actions permettaient à une catégorie même réduite, à une minorité parfois d'un petit secteur, de frapper un grand coup toute seule : aux camionneurs PTT d'arrêter le courrier sans avoir besoin des autres postiers, aux travailleurs des ateliers d'arrêter le métro sans se soucier de ce que pouvaient faire les conducteurs.

Le résultat fut relativement spectaculaire, en effet. On a le sentiment depuis trois mois d'une agitation permanente et un peu tous azimuts. La menace d'une explosion sociale a même semblé parfois inquiéter la bourgeoisie. Les représentants du patronat ont eux-mêmes conseillé au gouvernement de relâcher un peu la politique de blocage des salaires pour les travailleurs qui dépendent de lui, fonctionnaires et secteurs publics. Et dans l'industrie privée les patrons ont souvent accepté quelques petites concessions sur les salaires soit devant un mouvement de grève soit même pour prévenir celui-ci.

Le gouvernement est donc ennuyé, d'autant plus que la droite en profite pour souligner son incapacité à faire régner l'ordre ; le recours à un mélange de menaces et de promesses vis-à-vis des grévistes et des travailleurs des services publics en témoigne. Mais jusqu'ici il ne s'est pas senti obligé de céder autre chose que des broutilles.

Le déblocage des salaires est le véritable enjeu de tous ces mouvements. Ce qui a été mis en avant un peu partout c'est la revendication d'une augmentation substantielle des salaires entre 1000 et 2000 F par mois, ce qui correspond plus ou moins à ce que les salariés estiment avoir perdu depuis cinq ou six ans. Mais pour mettre en cause une politique qui a permis à la bourgeoisie française d'être florissante ces dernières années (comme toutes les bourgeoisies des pays impérialistes elle pourrait satisfaire ces revendications mais elle n'acceptera de réduire ses profits que contrainte) il faudra une poussée de la lutte de classe, un mouvement d'ensemble, la mobilisation de toutes les forces de la classe ouvrière ou du moins qu'elle menace.

Or l'orientation de la CGT pousse les travailleurs dans une autre direction. En proposant ces formes d'actions limitées, ce « harcèlement », elle met l'accent sur le résultat spectaculaire à moindre prix plutôt que sur le développement du réel rapport de forces, alors que c'est celui-ci seul qui peut un jour permettre à la classe ouvrière de changer son sort. En fractionnant les luttes elle engage les travailleurs à se replier sur leur seul secteur, leur seule entreprise, leur seule catégorie. En poussant les secteurs les plus déterminés aujourd'hui à la lutte immédiate certes mais cloisonnée dès le départ, elle les détourne de chercher l'alliance avec le reste de la classe ouvrière et de la possibilité de gagner celle-ci. Elle entretient l'illusion qu'ils peuvent gagner seuls. Et cela finit parfois même par les dresser contre les autres lorsqu'il s'avère que le résultat au bout du compte n'est pas à la hauteur des espérances entretenues (car paradoxalement les grévistes qui n'ont pas cherché à s'adresser aux autres travailleurs peuvent souvent reprocher à ceux-ci de n'avoir pas fait grève, quand leur mouvement aboutit à un échec). Ainsi la multiplication des grèves, même partielles, même limitées, a entretenu un climat qui encourage de nouveaux secteurs à entrer en lutte à leur tour, mais la forme de ces mouvements sous la direction de la CGT va dans le sens opposé à la préparation d'un mouvement général.

Ce que veulent la CGT et le parti communiste

C'est que le but de la CGT et du Parti Communiste n'est pas de préparer un mouvement général de la classe ouvrière, n'est pas de faire en sorte que la lutte de classe se hausse à un niveau supérieur. Le Parti Communiste a choisi certes il y a quatre ans puis à nouveau il y a six mois, de rester dans l'opposition. Des grèves, des luttes sociales ne le gênent donc pas. Il est même prêt à en prendre la tête. Mais le but de la CGT et du PCF en se montrant radicaux n'est pas l'approfondissement des luttes ouvrières, il est simplement de concurrencer les autres syndicats pour la première, le Parti Socialiste pour le second, de regagner un plus grand crédit et une plus grande audience dans une partie de la population ouvrière.

Les directions CFDT ou Force Ouvrière, liées d'une manière ou d'une autre au Parti Socialiste, sont aujourd'hui ouvertement opposées aux grèves. On les a vu signer des accords sur les salaires en pleine grève, au mépris complet des travailleurs en grève et des revendications de ceux-ci. On a vu aussi la CFDT exclure ceux de ses militants des Postes ou de la Santé qui avaient pris la tête des mouvements. La CGT n'a donc pas énormément à faire pour apparaître radicale et comme représentant les travailleurs combatifs. Il lui suffit de refuser de signer les accords de salaires paraphés par les autres syndicats et de lancer ses militants ici ou là dans des actions, quelles qu'elles soient, même limitées et désordonnées. Ce n'est peut-être pas la manière dont les travailleurs peuvent obtenir satisfaction, mais qu'importe ! La CGT peut espérer, elle, regagner ainsi la confiance d'une fraction des travailleurs écoeurés des autres syndicats et qui attribuent l'échec de leur lutte aux trahisons de ces syndicats.

Dans le même temps le Parti Communiste peut espérer, lui, récupérer des électeurs aux prochaines élections, municipales ou autres.

Espère-t-il plus précisément qu'en montrant son poids dans les luttes il va pouvoir imposer un accord au Parti Socialiste pour les municipales ? Pense-t-il pouvoir exercer sur celui-ci une sorte de chantage et lui proposer un marché qui en gros consisterait à stopper les luttes contre des garanties pour des postes dans les municipalités ? C'est le calcul que lui prête toute la classe politique. Nous verrons peut-être dans les semaines qui viennent si cela est fondé ou non. Mais l'attitude du Parti Communiste n'a pas besoin de ce calcul à court terme pour s'expliquer. Le Parti Communiste doit regagner son poids électoral. Il a besoin non seulement de conserver quelques mairies aux prochaines municipales grâce à une faveur du Parti Socialiste, mais surtout de regagner un poids électoral propre pour maintenir à long terme sa place dans la vie politique du pays.

Que le Parti Communiste exerce une pression sur le gouvernement socialiste à l'aide de la lutte de classe n'a évidemment rien de choquant du point de vue des travailleurs. Ce qui serait choquant ce serait au contraire qu'un parti qui se veut le représentant des intérêts de la classe ouvrière accepte de ménager un gouvernement, sous le prétexte que celui-ci se prétend de gauche, au détriment de ces intérêts. Et ce que les travailleurs peuvent aujourd'hui reprocher au Parti Communiste ce n'est pas de faire fi des intérêts du Parti Socialiste, redevenu au gouvernement le défenseur des seuls intérêts de la bourgeoisie ; c'est de ne viser qu'à créer une agitation sociale mineure et inefficace et non pas à préparer une véritable offensive sociale susceptible de renforcer les travailleurs ; c'est de ne viser qu'à faire pression sur le gouvernement socialiste, non à s'y attaquer.

Vers l'offensive generale ?

Dans les mouvements de cet automne nulle part l'extrême gauche n'a joué un rôle à l'exception de la grève des infirmières. Celle-ci a été dirigée au moins partiellement par les militants de la LCR. Mais malgré cela, pour ne pas dire à cause de cela, la politique de la LCR épousant là le corporatisme, le mouvement est resté dans des limites étroitement corporatistes. Dans les autres secteurs les militants révolutionnaires n'ont même pas pu jouer le rôle qu'ils avaient joué lors de certains mouvements des mois précédents, lors de la grève des cheminots ou de celle de Chausson ou de la SNECMA par exemple.

La situation objective leur était sans doute encore moins favorable. Avec une détermination des travailleurs faible ou en tout cas très variable, avec une bureaucratie syndicale CGT prête à prendre la tête des mouvements et donc à répondre aux voex des plus combatifs, les militants révolutionnaires se sont le plus souvent trouvés en porte-à-faux, eux qui proposent une tout autre perspective, celle d'aller vers ou de préparer un mouvement qui pourrait s'étendre à la classe ouvrière tout entière.

Il est impossible d'affirmer qu'il n'y avait pas chez les postiers ou encore dans la RATP des secteurs ou des fractions de travailleurs qui auraient été prêts à engager leur lutte dans cette direction. Mais il aurait fallu que ceux des militants en qui ils avaient confiance sachent le leur proposer et les en convaincre. Cela dit, quelle que soit la raison, trop faible détermination des travailleurs ou faiblesse numérique ou politique du courant révolutionnaire, la lutte est restée au niveau où la CGT le voulait. Et pourtant il ne fait pas de doute qu'un mouvement général naîtra bien d'un secteur qui sera suffisamment déterminé pour entrer en lutte mais aussi s'adresser aux autres, leur donner confiance et les entraîner à sa suite.

Il n'est pas possible de savoir si l'agitation de ces trois mois va avoir servi à lâcher la vapeur, décourager momentanément les secteurs déterminés et finalement faire retomber la tension. Ou au contraire à encourager d'autres à entrer à leur tour dans la lutte (ne serait-ce qu'à cause des infimes concessions du gouvernement sur les salaires, presque rien mais qui peuvent tout de même apparaître comme l'indication qu'il est possible de contraindre les patrons à reculer). Les semaines qui viennent nous le diront.

Mais même si l'agitation sociale décroissait dans ces prochains temps, ce ne pourrait être que momentané. Les causes réelles en sont toujours là : le blocage des salaires, le chômage qui demeure, les conditions de travail qui ont empiré. Des secteurs de la classe ouvrière manifesteront forcément leur volonté de reprendre la lutte à un moment ou à un autre. Le problème pour les révolutionnaires reste donc posé de la même façon : faire en sorte d'être présents dans les secteurs les plus déterminés et savoir gagner leur confiance, à défaut de l'avoir gagnée avant. Et alors savoir entraîner ces secteurs à entraîner eux-mêmes d'autres travailleurs, ceux des secteurs proches ou de la même corporation d'abord sans doute, le reste de la classe ouvrière ensuite. L'agitation de cet automne a été cantonnée avec l'aide des bureaucraties syndicales dans d'étroites limites, mais son extension prouve bien qu'après des années de recul de toute la classe ouvrière sans qu'elle riposte, c'est une offensive générale qui est à l'ordre du jour de la lutte de classe.

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