États-Unis - Jesse Jackson à la présidence ? En réserve au cas où01/10/19881988Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1988/10/19_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

États-Unis - Jesse Jackson à la présidence ? En réserve au cas où

 

La campagne en vue de l'élection présidentielle américaine de novembre 1988 se traîne péniblement dans la dernière ligne droite. Malgré sa longueur et son coût exceptionnels, la course entre Bush et Dukakis n'a guère plus de chances de passionner les foules que les précédentes élections présidentielles, où la moitié de la population en âge de voter s'était abstenue.

Si cette campagne a quand même été un peu différente, c'est à cause du déroulement des primaires du Parti Démocrate qui ont vu un pasteur noir, Jesse Jackson, catapulté au second rang de la course à l'investiture. Avec des fonds bien moins importants et une équipe bien moins nombreuse que ses adversaires, Jackson a quand même remporté la palme dans dix États, recueillant 6,7 millions de votes. Il est ainsi arrivé en tête dans la plupart des grandes villes et dans de nombreuses villes de moindre importance. Dans le nord, il a gagné les primaires de New York, Chicago, Philadelphie, Détroit; dans le sud celles de Houston, Dallas, Washington, Baltimore, Saint Louis, Atlanta, Birmingham et de la Nouvelle-Orléans ; et, dans l'ouest, celles de Denver, San Francisco et Oakland.

Pendant quelques semaines, à mi-course, Jackson s'est retrouvé en tête à la fois en nombre de votes et en nombre de délégués, et il menaçait sérieusement de remporter la course à l'investiture. Ces résultats inattendus ont surpris les responsables du Parti Démocrate et leur ont posé des problèmes

 

La popularité de Jackson auprès des travailleurs

 

La popularité de Jackson tenait d'abord à un style très différent de celui des autres candidats.

Jackson disait qu'il connaissait bien la vie des travailleurs parce qu'il est l'un d'entre eux. Il expliquait à ses auditoires que sa mère était encore une adolescente quand il est né et qu'il a su très tôt ce que c'était que « la dèche ». Sa façon de faire a été décrite par un reporter du Washington Post qui a suivi une partie de sa campagne. Dans les autres meetings politiques, écrit ce reporter, le candidat se fait habituellement précéder de tous les responsables locaux du parti. Jackson, lui, présente le personnel de service et d'entretien qui se trouve dans la salle et demande au public de les applaudir. Puis, il leur consacre une bonne partie de son intervention : « La plupart des gens pauvres ne vivent pas de l'aide sociale. Ils travaillent très dur tous les jours. Je le sais. Je vis parmi eux. Ils prennent les premiers bus. Ils travaillent tous les jours. Ils élèvent les enfants des autres. Tous les jours. Ils nettoient les rues. Tous les jours. Ils travaillent dans les hôpitaux. Ils lavent le corps des malades et de ceux qui souffrent, rangent leurs affaires, vident les cuvettes. Aucun travail n'est trop ingrat pour eux, et pourtant, quand ils sont malades à leur tour, ils ne peuvent occuper les lits qu'ils ont faits jour après jour. »

Jackson se présentait comme le porte-parole de ceux qui travaillent, comme celui qui sait exprimer leurs préoccupations avec brio. Et il n'avait pas peur non plus d'exprimer leur méfiance vis-à-vis de l'establishment, vis-à-vis de tous ceux qui méprisent et exploitent les travailleurs.

Et contrairement aux autres candidats du Parti Démocrate, Jackson n'a pas hésité à aller plus loin que la simple condamnation de Reagan et des Républicains pour tous les problèmes auxquels les travailleurs ont à faire face. L'axe de sa campagne était la lutte contre ce qu'il appelle « la violence économique » . Voici un exemple caractéristique du genre de choses que Jackson répétait à ceux qui venaient l'écouter :

« Je continue la tradition de ceux qui se battent ensemble pour le travail, la paix et la justice. Dans les années 1960, nous avons manifesté pour les droits civiques. Dans les années 1980, nous manifestons pour les droits des travailleurs. Dans les années 1960, nous avons manifesté contre la violence raciale. Aujourd'hui nous manifestons contre la violence économique.

Il est injuste que, d'un côté, les propriétaires des grosses sociétés fassent des profits exorbitants pendant que, de l'autre, des travailleurs perdent leur emploi ; que les uns sautent en parachute doré dans l'herbe grasse pendant que les autres roulent en skateboards anciens modèles.

Le 19 octobre, la Bourse s'est effondrée. Mais, avant que les cours de la Bourse ne tombent, ce sont six cent mille agriculteurs et leurs familles qui sont tombés. Les travailleurs de l'Automobile sont tombés. Ceux de l'Acier, de la Construction navale, du Bâtiment aussi sont tombés... Il n'est pas juste d'investir dans des richesses de papier et de ne pas investir dans les hommes et l'industrie. »

En parlant des vrais problèmes qui se posent aux gens et des causes de ces problèmes, Jackson s'est fait le porte-parole des préoccupations des travailleurs.

Jackson a fait entendre son message « là où le défi devait être relevé » , comme il disait. Il a tenu des meetings devant des usines qui allaient fermer, comme, par exemple, l'usine de montage Chrysler de Kenosha, dans le Wisconsin, où 5500 licenciements étaient annoncés. Il a pris la parole devant des assemblées de grévistes, comme à l'usine International Paper de Jay, dans le Maine, ou aux abattoirs de Cudahy, dans le Wisconsin. Là, comme souvent d'ailleurs, les auditeurs de Jackson étaient en majorité des travailleurs blancs.

Jackson n'avait pas peur de parler des sujets brûlants qui étaient posés par les grévistes. Dans un discours, Jackson a raconté une conversation qu'il avait eue avec les grévistes blancs de l'usine de Cudahy :

« Ecoute, lui ont-ils dit, il y a des briseurs de grève qui font notre boulot.

- Les briseurs de grèves, ça sert à ça.

- Et tu viens quand même nous voir ?

- Oui, je viens quand même vous voir.

- Mais alors, tu n'as peut-être pas bien compris. Les briseurs de grève sont des Noirs.

- Eh bien, je viens quand même vous voir. Je veux discuter avec les briseurs de grève et je veux discuter avec vous. »

Et Jackson d'expliquer : « Devenir briseur de grève, ça n'a rien à voir avec la couleur ou le sexe ; c'est une fonction sociale. La fonction sociale des briseurs de grève c'est d'aider à faire descendre le niveau de vie. Quand un homme est acculé au désespoir, il tombe dans ce genre de panneau... « .

Ce type d'interventions a permis à Jackson d'avoir un soutien et un respect qu'aucun autre candidat ne pouvait acquérir. Et cela s'est traduit dans ses résultats aux primaires. Après le meeting de Jackson à Kenosha, le président du syndicat local s'est mis à faire campagne activement en faveur de Jackson dans l'État proche de l'Iowa. Et, quand on lui a demandé ce que sa base, presque entièrement composée de Blancs, pensait du fait qu'il soutenait un Noir, Steagal a répondu que, bien sûr, Jackson était noir, mais que la direction blanche de Chrysler, elle, fermait les usines.

Beaucoup de travailleurs et d'agriculteurs blancs qui ont voté pour Jackson l'ont fait par dégoût des politiciens traditionnels. C'est pourquoi Jackson a pu attirer sur son nom des gens qui, dans le passé, avaient voté à droite. Dans une petite ville du Wisconsin, un certain Carter Brooks, installateur de téléphones de son métier, expliquait par exemple qu'en 1972 il était au Vietnam et avait voté George Wallace, qui faisait campagne sur un programme raciste, parce qu'il apparaissait comme le seul candidat anti-establishment. En 1980, il avait voté Reagan et expliquait son vote en disant qu'il avait fini par être exaspéré, lors des deux élections précédentes, par tout le bruit fait autour de programmes de type social qui ne lui avaient jamais rien apporté. « J'en avais assez de tous ces présidents qui se servaient de mes impôts pour faire plein de cadeaux dont je ne profitais jamais. Mais cela a été encore pire avec Reagan « . L'axe de campagne de Jackson sur la justice économique était ce qui l'avait le plus touché : « Dans mon entreprise, la direction se distribue des primes alors qu'aux ouvriers on distribue des bons d'alimentation. Il faut que ça s'arrête » .

Jackson parlait des préoccupations des travailleurs, ce qui, ajouté à ses talents d'orateur, a donné à sa campagne un grand impact. Tous ceux qui ont suivi sa campagne en ont témoigné. Ainsi que le rapportait le journaliste du Washington Post cité plus haut, à la fin d'un meeting de Jackson, tout le monde était debout, applaudissant à tout rompre et criant son enthousiasme à chaque phrase de Jackson.

 

L'ascension de Jackson au début de la campagne des primaires

 

Début mars, Jackson avait déjà commencé à percer et, pour la première fois, on se mit à dire qu'il avait peut-être une chance de l'emporter. Dans la campagne des primaires, le jour appelé « Super mardi », parce qu'on votait pour choisir les délégués de dix États, Jackson est arrivé en tête au nombre de voix et n'était devancé que de peu par Dukakis en nombre de délégués.

On s'attendait à un bon score de Jackson ce jour-là, parce que cela concernait de nombreux États du sud où se trouvent les plus fortes concentrations de Noirs. Et, d'autant plus qu'un mouvement politique noir existe depuis une vingtaine d'années dans de nombreuses grandes villes comme Atlanta, Birmingham, la Nouvelle-Orléans, ainsi que dans des villes de moindre importance. Une bonne partie de ce mouvement, ainsi que les églises noires, avaient appelé à voter pour Jackson. Cet apport de forces organisées compensait un peu l'infériorité des fonds dont disposait Jackson par rapport à Dukakis et qui était de l'ordre de un à dix.

Mais la victoire de Jackson dans des États comme la Virginie, la Géorgie, l'Alabama, la Louisiane et le Mississipi, ainsi que sa place de bon second au Texas, ne peut être entièrement attribuée au vote des Noirs en sa faveur. Après tout, les Noirs ne représentent qu'une minorité de ceux qui ont voté. Les bons résultats de Jackson montraient en fait qu'il mordait sur le vote blanc, en attirant sur son nom les voix de travailleurs et d'agriculteurs blancs frappés par la crise économique qui touche de vastes régions du sud. La récession touche l'agriculture depuis un moment déjà et la baisse de la production de pétrole se fait durement sentir au Texas et en Louisiane. Il restait cependant le problème de savoir si Jackson pouvait retrouver le même soutien dans les grands États industriels du nord.

L'autre candidat qui s'était fait remarquer lors de ces primaires était Michael Dukakis. Mais, dans les semaines qui ont suivi, ses résultats furent moins bons. Une semaine plus tard, dans l'Illinois, Jackson arrivait second derrière Paul Simon, sénateur de cet État ; Dukakis était troisième, loin derrière, avec seulement la moitié des voix de Jackson. Jackson menait la course, et Dukakis se trouvait en difficulté.

Puis la campagne s'est déplacée dans le Michigan. Dans cet État, disaient les sondages, la lutte serait chaude. Ni l'un, ni l'autre des deux candidats n'avait d'avantage décisif, contrairement à ce qui s'était passé dans le sud - dont Jackson est originaire - ou dans l'Illinois - où il vit depuis la fin des années 1960. Bien que la ville la plus importante de l'État, Détroit, ait une population noire importante, les Noirs ne représentent que 12% de la population de l'État dans son ensemble.

Dans le Michigan, la direction du Parti Démocrate se mit en branle pour barrer la route à Jackson. Coleman Young, maire noir de Détroit depuis de nombreuses années et patron local du Parti Démocrate, avait fait savoir très tôt qu'il soutenait Dukakis et il n'avait visiblement pas l'intention de revenir là-dessus. L'UAW, le syndicat de l'Automobile, qui représente la principale force organisée du Parti Démocrate du Michigan, ne soutenait officiellement aucun candidat. Les préférences du syndicat allaient cependant à Richard Gephardt qui avait présenté un important texte de loi sur le commerce extérieur au Congrés et qui faisait du commerce extérieur l'axe de sa campagne de style populiste. Mais Gephardt n'avait fait que de piètres scores dans le sud et dans l'Illinois, et il était en bout de course. Une autre fraction de l'appareil de l'UAW soutenait Dukakis, comme l'a montré le soutien que lui a apporté Doug Fraser, ex-président de l'UAW. Vis-à-vis de Jackson, l'attitude du syndicat se résumait à la déclaration faite par son porte-parole politique, Joe Mangone : « Les travailleurs apprécient le discours de Jackson. Mais ils sont assez intelligents pour savoir qu'en 1988 il est impossible qu'un Noir soit élu président des États-Unis. Voilà les faits » . Le syndicat se contentait là de faire écho à l'opinion des dirigeants du Parti Démocrate.

Et pourtant, il était évident que le Michigan était un terrain fertile pour le discours de Jackson contre la « violence économique » . Sur fond de fermetures d'usines, licenciements et dégradations des conditions de vie dans l'Automobile, l'Acier, l'Electro-ménager, les sympathies des travailleurs d'abord, puis celles des directions locales de l'UAW et d'autres syndicats, allaient à Jackson. De plus, à l'exception du maire Young, les organisations noires de Détroit étaient presque toutes du côté de Jackson qui, pendant ce temps-là, attirait des foules enthousiastes à chacune de ses apparitions.

Le résultat fut que, dans le Michigan, Jackson obtint deux fois plus de voix que Dukakis. Gephardt ne put jouer aucun rôle. A Détroit, Jackson l'emporta haut la main. Il remporta aussi les primaires du reste de l'État, en particulier dans les villes ouvrières de Lansing, Flint, Kalamazoo, Saginaw, Bay City et Battle Creek, dont beaucoup n'ont qu'une faible population noire. Cela signifiait que Jackson mordait sur l'électorat ouvrier blanc, arrivant même souvent en tête, ainsi que sur une partie non négligeable des agriculteurs.

En fait, la victoire de Jackson au Michigan était bien une indication du niveau de mécontentement existant parmi de larges fractions non seulement de travailleurs noirs, mais aussi parmi les travailleurs et les agriculteurs blancs.

 

Le Parti démocrate hausse le ton

 

Jusqu'à sa victoire dans le Michigan, l'appareil permanent du parti ne s'était pas ouvertement opposé à la campagne de Jackson. Les dirigeants démocrates y voyaient un moyen de ramener des millions de votes supplémentaires au parti, lui donnant ainsi l'avance dont il avait besoin pour l'emporter en novembre. Mais avec sa victoire du Michigan, Jackson prenait sans conteste la tête de la course à l'investiture, en nombre de voix comme en délégués. Et la possibilité que Jackson soit choisi comme le candidat démocrate devenait une menace sérieuse. Comme le déclarait à l'époque David Garth, longtemps conseiller des politiciens démocrates : « Jamais on n'a vu dans les rangs du parti une panique comme celle qui le secoue depuis quelques jours » . Les mots de « crise » , « désastre » , « consternation » , « pagaille » , « folie » revenaient sur les lèvres des dirigeants du parti pour caractériser la situation.

La raison de cette panique, c'était évidemment que l'appareil du parti pensait que Jackson n'avait aucune chance, étant noir, d'être élu président. Biens sûr, les dirigeants démocrates avaient dès le départ sous-estimé le nombre de voix ouvrières que Jackson était susceptible d'attirer sur son nom. Et surtout ils n'étaient certainement pas prêts à mener le genre de campagne qui aurait pu transformer encore plus d'abstentionnistes en électeurs du Parti Démocrate. Alors ils devaient craindre qu'avec Jackson comme candidat à la présidence, le parti ne connaisse une défaite retentissante, à tous les échelons.

L'appareil du parti se tourna donc contre Jackson, au risque de perdre les nombreux votes que Jackson amenait au Parti Démocrate. La grande primaire de l'État de New York approchait. Ed Koch, maire de New York, un Démocrate, conduisit l'assaut, en lançant chaque jour une nouvelle attaque contre Jackson. Et immédiatement Jackson s'est incliné devant cette offensive. Il a modifié sa campagne, renonçant à viser les votes des travailleurs et des couches inférieures de la petite bourgeoisie. Il a abandonné sa campagne sur la violence économique qui frappe tous les travailleurs. A la place, la campagne menée par Jackson à New York s'est mise à ressembler à celle de l'ex-coalition Arc-en-Ciel, s'adressant aux minorités, aux femmes, aux homosexuels et à l'intelligentsia libérale petite-bourgeoise. Jackson s'est mis à parler des « droits à l'aide sociale » , un sujet qui a peu à voir avec les préoccupations de nombre de travailleurs et dont, en fait, ils ne veulent souvent même pas entendre parler.

Le jour du vote, Jackson est quand même arrivé en tête à New York, aussi bien à Manhattan, que dans le Bronx et Brooklyn. Mais compte tenu des voix venues des banlieues et du reste de l'État, et donc certainement de la majorité de l'électorat blanc, ouvrier et petit-bourgeois blanc, Dukakis l'a emporté haut la main.

Les primaires de New York n'ont pas seulement marqué un changement de rapport de forces en faveur de Dukakis. C'est aussi à partir de là que Jackson a modifié ses thèmes de campagne. On en a eu confirmation au cours des dernières semaines de la campagne des primaires. En Californie, par exemple, Jackson a principalement fait campagne sur les thèmes de la drogue et des gangs. Tous les autres aspects de la violence économique dont sont victimes les travailleurs étaient complètement gommés.

En conséquence, de nombreux travailleurs se sont désintéressés de Jackson parce qu'il ne leur parlait plus de ce qui les concernait. Et même dans une région minière en crise, à l'ouest de la Virginie, le nouveau style de Jackson s'est retourné contre lui. Jackson ne parlait plus que des pauvres et de la pauvreté. Il finit par exaspérer les gens venus l'écouter et qui voyaient d'un mauvais oeil cet orateur qui faisait savoir au monde entier qu'ils étaient pauvres et misérables. Ils avaient le sentiment d'être utilisés à des fins politiciennes et ce sentiment s'est transformé à l'occasion en réactions racistes à l'endroit de Jackson.

La manière dont Jackson a mis une sourdine aux thèmes de sa campagne qui s'adressaient spécifiquement aux travailleurs, puis les a abandonnés, montre qu'il avait fait son choix. Le Parti Démocrate n'a eu qu'à hausser le ton et Jackson s'est mis à marcher au pas.

 

Jackson et le Parti démocrate

 

Une fois les primaires terminées, le Parti Démocrate a essayé de remettre Jackson à sa place, sans pour autant perdre les voix qu'il avait attirées au parti. Ce n'était pas une tâche facile et elle ne pouvait être menée à bien sans l'aide de Jackson. Le principal problème qui restait à régler était celui du choix du candidat à la vice-présidence. Jackson disait clairement qu'il voulait le poste. Non seulement il ne l'a pas eu, mais il a été publiquement désavoué par Dukakis qui ne l'a même pas informé après avoir porté son choix sur Bentsen. C'est un journaliste qui apprit la nouvelle à Jackson. De même, le programme du parti n'a pas repris une seule des propositions faites par Jackson pendant sa campagne, même sous une forme symbolique. Le parti avait bel et bien choisi d'enterrer la campagne de Jackson.

Mais même après avoir été écarté de la course à la présidence, puis éliminé comme candidat à la vice-présidence, Jackson est resté fidèle à son parti. Il s'est incliné devant toutes les attaques. Il a choisi de régler tous ses différends dans les coulisses, alors qu'il était suffisamment fort pour les porter devant l'ensemble du congrès et même au-dehors, devant le peuple américain. Evidemment, cela aurait ruiné sa carrière à l'intérieur du Parti Démocrate, mais il aurait peut-être ainsi pu impulser vraiment la lutte contre la « violence économique » .

On voit par là qui est réellement Jackson. Tous ses discours aux agriculteurs qui ont perdu leurs terres, aux ouvriers qui ont perdu leur emploi, tous ses appels à la lutte pour la « justice économique » contre les grandes sociétés et les banques se sont traduits finalement par un appel à voter pour deux millionnaires, Dukakis et Bentsen. Jackson était tout à fait prêt à aider le Parti Démocrate à enterrer ses propres thèmes de campagne en échange de la promesse qu'il jouerait plus tard un rôle plus important dans le Parti Démocrate. Sous des dehors de militant frondeur, Jackson est un politicien.

On l'a vu clairement en juillet, lors du congrès du Parti Démocrate, avec le discours fait par Jackson et le rôle qu'il a accepté d'y jouer. A ce congrès, le parti a poussé Jackson sur le devant de la scène. Son discours a été le plus écouté, plus que celui du candidat officiel Michael Dukakis. Mais Jackson s'est contenté de dépeindre le Parti Démocrate comme le parti des pauvres et des opprimés, comme le parti qu'ils doivent soutenir pour obtenir satisfaction. Faut-il s'en étonner, après la façon dont le parti a étouffé ses thèmes de campagne ? Son discours fut vraiment le point culminant d'une campagne démagogique mêlant habilement évocations des difficultés des travailleurs et références à des héros tels que Jimmy Carter, Lyndon Johnson, John F. Kennedy, Harry Truman et, bien sûr, Michael Dukakis lui-même : « Un type doué qui abat du bon boulot » .

Tout au long du congrès, Jackson est resté sous les projecteurs et, le dernier soir, il est même monté à la tribune avec les deux candidats choisis par le parti. Le Parti Démocrate essayait évidemment de garder le beurre et l'argent du beurre, éliminant Jackson mais faisant tout pour garder les voix qui s'étaient portés sur son nom. C'était cependant aussi une reconnaissance du rôle important joué par Jackson pendant la campagne et, comme tel, cela a sans doute renforcé son prestige.

Ainsi, à l'issue de cette campagne, l'image de Jackson auprès de ses supporters est restée pratiquement intacte, même s'il a cédé sans combattre aux injonctions des hautes sphères du parti. Le Parti Démocrate a ainsi éliminé le risque qu'il y avait pour lui de présenter un candidat noir à l'élection présidentielle, tout en se réservant la possibilité d'avoir recours à Jackson dans l'avenir.

Dans une période où il n'y a pas de mouvement profond de contestation, la campagne de Jackson n'aura été qu'une opération de démagogie électorale de plus. Mais si un tel mouvement se développait demain, il pourrait utiliser le crédit qui est encore le sien pour le dévoyer.

Car comme il l'a montré, Jackson, malgré ses belles phrases à l'adresse des travailleurs, n'est rien d'autre qu'un politicien démocrate comme les autres - un peu plus habile peut-être - et, à ce titre, il reste au service de la bourgeoisie.

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