Socialist Action, le scargillisme et la grève des mineurs01/04/19851985Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1985/04/117.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Socialist Action, le scargillisme et la grève des mineurs

Nous publions ci-après quasiment in-extenso, dans ce numéro de Lutte de Classe, un article paru dans Socialist Action, l'organe de la section britannique du Secrétariat Unifié, le 15 février 1985, sous la signature de Pat Hickey.

Cet article concerne la grève des mineurs britanniques qui s'est terminée il y a quelques semaines. Comme on le verra, l'auteur polémique avec ce qu'il appelle « les critiques de gauche » de Scargill, en affirmant que « ce qui a distingué Socialist Action de tout le reste de la gauche, c'est justement que nous nous considérons comme un journal scargilliste » .

Si nous publions aujourd'hui cet article, c'est parce qu'il nous paraît révélateur d'une stratégie qui est au centre du comportement politique des différentes sections du Secrétariat Unifié (et de bien d'autres organisations du mouvement révolutionnaire).

Socialist action ne méconnaît pas ce qu'est scargill, qui d'après ses propres termes « a été et est toujours un bureaucrate de gauche ». mais cela ne l'empêche pas de proclamer, à propos du « scargillisme », que « c'est une chose à laquelle nous devons complètement nous identifier » .

Et c'est bien dans ce mot « identifier » que réside tout le problème. Bien que la grève des mineurs se soit terminée sur un échec, Scargill sort peut-être de cette épreuve avec un prestige intact, voire renforcé, par rapport à ses troupes. Il en a peut-être gagné auprès de la fraction la plus combative de la classe ouvrière britannique. Il en a incontestablement auprès de la petite bourgeoisie intellectuelle qui a applaudi à la lutte des mineurs. Et ce qui sous-tend le raisonnement de Socialist Action, c'est manifestement l'idée que pour profiter de cette influence, de ce prestige, les révolutionnaires doivent « s'identifier » au scargillisme (comme les camarades du SU « s'identifient » ou se sont « identifiés » dans le passé, au sandinisme, au castrisme, au FLN, au titisme, etc.). Le « bureaucrate de gauche » Scargill ne fera sans doute rien pour rassembler, organiser, tous ceux aux yeux de qui il a ce prestige. Les révolutionnaires, en « s'identifiant » à lui, en paraissant agir en son nom, peuvent y parvenir, pense Socialist Action.

Mais à supposer même que Scargill jouisse d'un prestige aussi grand et aussi large que celui que lui prête Socialist Action, ce qui est loin d'être prouvé, le calcul politique de ces camarades consiste à spéculer sur les illusions des travailleurs, et non à s'appuyer sur leur conscience. Et cela, pour des révolutionnaires, c'est toujours un faux calcul.

Nous n'avons pas, ici, l'intention de revenir dans le détail sur la grève des mineurs anglais. Disons seulement que les mineurs britanniques ont témoigné d'une combativité et d'une détermination exceptionnelles. Cette combativité et cette détermination ne sont pas l'oeuvre ni de Scargill ni de Benn. Elles ne constituent certainement pas une raison pour justifier et encore moins pour glorifier la politique des chefs. Au contraire même, pourrait-on dire. Qu'ont-ils donc fait, ces chefs officiels, des espoirs, de l'esprit de sacrifice, de la volonté de vaincre des mineurs ? Ont-ils donc proposé aux cent mille mineurs qui ont montré, eux, leur énergie et leur résolution, la politique la plus apte à rendre cette énergie efficace, dans une épreuve de force qui, manifestement, fut déclenchée par Thatcher non contre les seuls mineurs, mais contre l'ensemble de la classe ouvrière britannique ?

La question n'intéresse pas assez les camarades de Socialist Action pour qu'ils s'y arrêtent sérieusement. Ils se contentent de ressasser que Scargill, c'est « une direction qui fait front et qui se bat. » Contrairement aux chefs syndicalistes des autres corporations, contrairement aussi aux principaux dirigeants du TUC. Oui, Scargill est resté jusqu'au bout à la tête des mineurs en lutte. Socialist Action en voit la raison dans les vertus politiques immanentes de Scargill. Il aurait fait en 1984-1985 ce qu'il avait promis en 1981, lorsqu'il s'est présenté à la présidence du NUM. Cela se peut. Comme il se peut aussi que Scargill se soit battu plus simplement parce que les mineurs, eux, se sont battus. Avoir entraîné un chef syndical réformiste dans la lutte, c'était sans doute, d'une certaine façon, la manifestation de la force de la grève. Mais n'avoir eu qu'une telle direction était, en même temps, le signe de sa faiblesse.

Le rédacteur de Socialist Action s'évertue à donner au fait que Scargill ait dirigé la grève jusqu'au bout, un caractère exceptionnel. Mais ce n'est tout de même pas la première fois qu'un dirigeant réformiste accepte d'aller jusqu'au bout d'une grève contenue dans un cadre corporatiste, sans cesser pour autant d'être un réformiste ; sans inciter pour autant les révolutionnaires à parler de « développement considérable et totalement positif dans la lutte des classes ». L'histoire du mouvement ouvrier des États-Unis fourmille même de dirigeants syndicaux pour certains desquels le qualificatif de réformiste lui-même est trop honorable, mais qui ont su pourtant préparer et diriger des grèves dures et longues. Mais personne n'a vu pour autant en Jim Hoffa « la première approximation d'une direction de lutte de classe » , ni dans le syndicat des camionneurs l'expression d'un « courant lutte de classe » ...

Pourtant, les dits chefs corporatistes américains ont su, en prime, bien souvent, obtenir une victoire sur le plan des revendications matérielles, pour les travailleurs de leur corporation. Dans le cas de la grève des mineurs, comme le dit Socialist Action avec un humour noir involontaire, « l'acquis essentiel de la grève » aura été... le « scargillisme » lui-même...

Evidemment, il était infiniment plus difficile, pour ne pas dire impossible, pour les mineurs, dans le cadre d'un capitalisme britannique en crise, d'empêcher les fermetures de puits envisagées. Mais c'est bien là le fond du problème, justement. Aucune grève ne peut changer la situation de l'industrie houillère britannique sur le marché mondial. Limiter les perspectives des mineurs à une réorganisation différente, plus favorable aux travailleurs, de l'industrie houillère, c'était les enfermer dans une perspective sans issue.

Par l'intermédiaire de Thatcher, le camp des bourgeois avait déclenché une attaque contre les travailleurs, dont l'enjeu n'était certainement pas la réorganisation de l'industrie houillère. Les dirigeants politiques de la bourgeoisie ont pris, au contraire, consciemment le risque que cette industrie soit complètement désorganisée, comme elle l'a été pendant près d'un an, pour gagner une épreuve de force politique contre toute la classe ouvrière. La seule réaction correspondant aux intérêts de la classe ouvrière britannique, eut été de proposer aux mineurs en grève de se servir de leur énergie collective, pour entraîner la classe ouvrière de Grande-Bretagne dans une grève politique, c'est-à-dire dans une grève contre les institutions, contre l'État.

Les mineurs en grève ne constituaient qu'une petite fraction de la classe ouvrière britannique. Ils représentaient néanmoins une force considérable. S'ils avaient entrepris de se rendre par milliers devant les entreprises d'autres secteurs, de se répandre dans les quartiers ouvriers, d'expliquer aux travailleurs des autres branches en quoi l'épreuve de force engagée était aussi la leur, en quoi la seule façon de faire peur à la bourgeoisie au point de la faire reculer sur sa politique d'austérité contre la classe ouvrière était de s'attaquer aux fondements de son pouvoir, à son État, par une grève générale politique, en paralysant son appareil d'administration et d'oppression, ils auraient peut-être pu mettre toute la classe ouvrière britannique en mouvement, et vaincre.

Bien sûr, personne ne peut prétendre que si cette politique avait été proposée aux mineurs, ils l'auraient forcément adoptée. Ni que s'ils avaient essayé d'entraîner avec eux les autres secteurs de la classe ouvrière, ils y seraient forcément parvenus. Mais le fait est que personne ne leur a proposé, que personne n'a essayé de la mettre en pratique.

Que Scargill ne l'ait pas tenté, il n'y a certainement pas à s'en étonner. parce que, justement, scargill est un chef réformiste, qui respecte les institutions et qui se méfie profondément des masses ouvrières, même s'il est capable de s'appuyer dessus, et de canaliser leur combativité au service d'une mauvaise politique. d'une politique qui ne vise pas à se servir de la combativité des mineurs pour entraîner les secteurs encore non combatifs de la classe ouvrière afin de paralyser l'etat ; mais qui se sert, au contraire de la non-combativité des autres secteurs, et de la puissance de l'etat, pour paralyser le seul développement possible de la grève des mineurs.

Oh, Scargill savait très bien envoyer ce qu'on a appelé des piquets massifs pour entraîner, et même parfois contraindre physiquement à la grève, des mineurs récalcitrants. Ce qui est sans doute « radical », mais ne constitue pas forcément pour autant la plus juste des politiques.

Mais Scargill ne s'adressait qu'aux mineurs et sur la base d'une politique et de revendications corporatistes. Aux autres, à certains autres, il demandait d'être solidaires des mineurs, c'est-à-dire en fait d'être solidaires de sa politique corporatiste. Plus précisément d'ailleurs, il faisait mine de s'adresser aux autres chefs des TUC, pour qu'ils veuillent bien prendre la tête de ceux de « leurs » troupes dont l'activité était liée à celle des charbonnages : les travailleurs des centrales électriques, les sidérurgistes, les dockers, afin que ces travailleurs aident les mineurs à gagner « leur grève ». Solidarité que les autres chefs avaient refusé. Sur quoi Scargill levait les bras en s'écriant en direction des mineurs : vous voyez, comme ils ne sont pas bien, les autres chefs syndicaux ! Voyez, comme les ouvriers des autres corporations sont égoïstes ! C'est parce que leur solidarité nous a fait défaut, que nous n'avons pas pu interdire la substitution, au charbon anglais, du charbon importé ou d'autres sources d'énergie. Comme si c'est cela, qui aurait pu faire peur à la bourgeoisie et à Thatcher ! S'étant ainsi lavé les mains de toute responsabilité dans l'isolement des mineurs, puis dans leur défaite, Scargill pouvait s'en retourner à soigner l'image de marque du « scargillisme » sous les yeux admiratifs de Socialist Action.

Encore une fois, il ne s'agit nullement de s'étonner de ce qu'est Scargill, et de sa façon de conduire la grève. Mais il s'agit au moins de comprendre et de dire. Scargill d'un côté, Kinnock, Wilson et les dirigeants du TUC de l'autre, ont certes incarné pendant la grève, des attitudes politiques différentes. Mais ces deux attitudes étaient en même temps complémentaires.

L'une s'adressait à la fraction combative de la classe ouvrière. L'autre à celle qui ne l'était pas, ou pas encore. Mais elles avaient en commun d'isoler les uns des autres ; les combatifs de ceux qui le seront peut-être dans un mois ou deux ; une corporation, des autres. C'était une politique criminelle, parce qu'elle ne pouvait conduire qu'à la défaite, quelle qu'ait été la combativité des mineurs anglais, et elle était grande.

« Les militants et les adhérents du NUM, contrairement à ce qui se passe dans presque toutes les autres grèves, ne reprendront pas le travail avec le sentiment d'avoir été trahis par leur direction syndicale » se félicite Socialist Action. Cela se peut - nous sommes mal placés pour en juger. Mais il n'y a pas de quoi s'en réjouir. Parce que les mineurs ont bel et bien été trahis. Il y a beaucoup de façons de l'être. Et on peut l'être aussi par une direction qui accepte de diriger, jusqu'au bout, mais sur une voie de garage.

Les mineurs anglais les plus combatifs auront sans doute repris, la rage au coeur, avec la conviction qu'ils ont été vaincus par un gouvernement trop fort, trahis par les chefs du TUC, et peut-être, abandonnés par leurs camarades des autres secteurs, voire par les moins combatifs du leur. Et le restant de la classe ouvrière britannique, et même au-delà - par exemple ici en France - de conclure, que même à plus de cent mille, même en faisant grève pendant onze mois, même avec une direction aussi « extraordinaire » que celle de Scargill, on est défait, quand même.

Il ne s'agit pas de demander à un Scargill plus qu'il ne peut donner. Il a, en quelque sorte apporté la démonstration par le négatif que, dans la période de crise actuelle, des directions réformistes même « radicales », au sens du moins qu'on prétend que Scargill l'est, ne peuvent amener les travailleurs qu'à la défaite.

Il ne s'agit sans doute pas non plus de demander aux organisations qui se revendiquent de la révolution prolétarienne de faire plus qu'ils ne peuvent faire. Et nous ne savons pas ce que les camarades de Socialist Action pouvaient faire, en fonction de leurs forces, de leur implantation, et de leurs possibilités, pour intervenir dans la grève, pour essayer de mettre en pratique une autre politique. (Car pour ce faire, les mineurs n'avaient pas besoin des dirigeants des syndicats, pas même de ceux du syndicat des mineurs).

Mais de toute manière, les faiblesses des révolutionnaires, leur incapacité d'intervenir dans les événements, ne peut pas constituer une excuse à une politique de suivisme vis-à-vis des appareils syndicaux.

Même si l'on admettait avec Socialist Action que le « scargillisme » est l'expression d'un premier pas accompli par une fraction de la classe ouvrière britannique sur « la voie qui mettra fin à l'emprise du réformisme et de la collaboration de classe sur le mouvement ouvrier », ce serait tout de même une erreur politique doublée d'un mauvais calcul que de n'avoir d'autre politique que de « s'identifier » - et qui plus est « complètement » - au scargillisme.

La classe ouvrière britannique accédera peut-être à la conscience politique par « approximations » successives. Mais une organisation révolutionnaire ne se développera pas - en tous les cas, pas comme organisation révolutionnaire - par adaptation à chacune de ces « approximations ». Les ouvriers combatifs qui ont aujourd'hui des illusions en Scargill et sa politique, préféreront s'adresser au Saint Scargill plutôt qu'à ses prophètes trotskystes. Et demain, s'il se produit des situations susceptibles de leur faire comprendre le rôle des Scargill, de leur ouvrir les yeux sur eux, ce ne sont pas ceux qui auront contribué à les tromper qui seront les mieux placés pour gagner leur confiance.

Le problème n'est pas de soutenir ou pas scargill « contre les bureaucrates de droite ». bien sûr que cela peut être juste et nécessaire. mais pas en travestissant la vérité, pas en mentant aux travailleurs en présentant scargill pour autre chose qu'il n'est. pas en abandonnant, jusques et y compris en paroles, la défense d'une politique révolutionnaire et en s'alignant sur la politique de scargill, et en la présentant comme la meilleure, sinon la seule possible. et pas en agissant de la sorte de surcroît à une période de lutte, où ceux qui sont entrés en lutte sont capables d'apprendre beaucoup de choses.

C'est au travers des luttes que la grande masse des travailleurs est susceptible de faire son apprentissage, de juger la politique des uns et des' autres, de confronter, de choisir.

Mais à quoi servent les révolutionnaires si, dans le déroulement de telles luttes, ils n'essaient même pas d'aider la classe ouvrière à prendre conscience de ce que sont, de ce que représentent les bureaucrates syndicaux, fussent-ils « de gauche » ? On ne peut à la fois militer pour que la classe ouvrière prenne son sort en mains, assume elle-même la direction de la société, et contribuer à lui farder la vérité.

La vérité seule est révolutionnaire. Et la vérité, les révolutionnaires la doivent avant tout aux travailleurs qui constituent leurs seules troupes possibles, pas seulement aux militants d'avant-garde, mais à l'ensemble de la classe ouvrière.

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