Scission au sein du Secrétariat Unifié25/11/19791979Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1979/11/69.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Scission au sein du Secrétariat Unifié

 

Le Secrétariat Unifié - un des regroupements internationaux d'organisations trotskystes, le plus important sans doute de par le nombre de ses adhérents - vient de scissionner. Cette scission se traduit par la rupture d'un certain nombre de sections nationales, en particulier d'Amérique Latine, d'avec le Secrétariat Unifié et également par une série de scissions à l'intérieur même de sections nationales. (C'est ainsi par exemple qu'en France, environ trois cents de ses militants ont quitté la Ligue Communiste Révolutionnaire pour fonder la Ligue Communiste Internationaliste).

La scission s'est faite autour de deux courants, existant tous les deux de longue date en tant que fraction ou tendance au sein - ou dans les alentours du Secrétariat Unifié. L'un des deux, appelé la « Fraction Bolchevique », majoritaire dans les sections latino-américaines, menait depuis plusieurs années sa propre vie, en affichant son opposition au Secrétariat Unifié. L'autre, la tendance dite « léniniste-trotskyste », défendait au sein du Secrétariat Unifié des positions proches de celles du Comité d'Organisation pour la Reconstruction de la IVe Internationale (CORQI, autre regroupement international, animé essentiellement par l'OCI) et s'affirmait partisan d'un rapprochement, voire d'une d'une unification, entre ces deux regroupements internationaux.

Il semblerait que le départ de ces courants - qualifié de scission par les uns, d'exclusion par les autres - ait fait perdre au Secrétariat Unifié un quart de ses membres, peut-être plus.

Le congrès mondial du Secrétariat Unifié qui vient d'avoir lieu, a dû donc entériner une scission, alors même qu'il devait se faire sous le signe de l'unité. Le Secrétariat Unifié était en effet engagé dans des discussions qu'il qualifie lui-même d'avancées, avec le CORQI, en vue, précisément, d'une éventuelle réunification. Discussions qui ont été brutalement interrompues, car le CORQI était partie prenante dans l'initiative qui, du côté du Secrétariat Unifié, était considérée comme la raison principale, statutaire, de la scission : la décision prise en commun par la Fraction Bolchevique, la Tendance Léniniste-Trotskyste et le CORQI, d'appeler à l'organisation d'une sorte de « contre-congrès mondial », manifestement destiné à faire concurrence au congrès mondial organisé par le Secrétariat Unifié.

Le Secrétariat Unifié a considéré que les dirigeants de ses deux tendances signataires de cet appel se sont mis d'eux-mêmes en dehors du SU. Il a soumis à ses sections une motion, disant en substance que tous ceux qui ne rejettent pas l'acte accompli par la direction des deux courants minoritaires, qui ne rompent pas toute relation avec elle et qui ne reconnaissent pas la légitimité du Congrès mondial du SU, ne peuvent pas rester membres de cette organisation.

La scission du Secrétariat Unifié est donc devenu un fait avant le Congrès mondial de ce regroupement. De leur côté, les deux courants qui ont quitté le Secrétariat Unifié ont constitué, en commun avec le CORQI, un « Comité Paritaire pour la Réorganisation (Reconstruction) de la IVe Internationale » - la parenthèse n'est pas de nous - qui se flatte de regrouper désormais « la majorité des organisations, courants et militants qui peuvent légitimement se réclamer de la IVe Internationale ... »

 

Raisons et prétextes : le Nicaragua

 

La raison politique invoquée par les protagonistes de la scission est la divergence sur l'appréciation de la situation au Nicaragua, et les prises de position du Secrétariat Unifié à l'égard de la direction sandiniste : la Fraction Bolchevique et la Tendance LéninisteTrotskyste reprochaient au Secrétariat Unifié d'imposer à tous les militants trotskystes une politique d'alignement complet derrière le FSLN sandiniste. Elles lui reprochent également d'avoir pris fait et cause pour cette direction sandiniste, y compris lorsqu'elle intervenait contre les militants trotskystes. En l'occurrence, le Secrétariat Unifié avait officiellement approuvé les dirigeants sandinistes lors de l'expulsion de la Brigade Simon Bolivar, brigade formée de militants sud-américains venus combattre aux côtés du FSLN et animée par des trotskystes colombiens ou argentins se réclamant de la Fraction Bolchevique.

C'est également la question du Nicaragua qui est mise en avant par les initiateurs du nouveau « Comité Paritaire », comme exemple patent du révisionnisme du Secrétariat Unifié, comme expression d'une « crise sans précédent » conduisant à la « dislocation » de la IVe Internationale, et justifiant par conséquent la création d'un nouveau regroupement international.

La politique du Secrétariat Unifié est en effet une politique d'alignement complet sur la direction petite-bourgeoise qu'est le Front Sandiniste. Si toutefois on peut même parler d'une politique, car à supposer même que le Secrétariat Unifié ait jamais eu les militants et l'organisation susceptibles de mener réellement une politique au Nicaragua, la décision de demander aux militants trotskystes de s'intégrer au Front Sandiniste, d'en reconnaître la direction, implique que l'on abandonne l'idée même d'avoir une politique indépendante. Peu importe, d'ailleurs, les nuances plus ou moins subtiles entre les différentes tendances qui subsistent au sein du Secrétariat Unifié sur la question, en particulier entre la direction elle-même, qui parle d'entrer au Front Sandiniste en tant que tendance - clandestine, bien entendu - et le SWP qui proclame « s'identifier complètement » à la direction sandiniste. Car en fait, l'optique des deux est la même. Les deux pensent que le Front Sandiniste est susceptible d'être la direction révolutionnaire dont le prolétariat du Nicaragua a besoin pour prendre le pouvoir. Les premiers pensent cependant qu'il faut encore le convaincre, de l'intérieur, de bien vouloir jouer ce rôle. Les seconds considèrent que c'est déjà fait.

Le suivisme du Secrétariat Unifié à l'égard d'une force politique non-prolétarienne est donc patent. Ce n'est même pas une analyse ou une appréciation, c'est une constatation.

Mais plusieurs observations s'imposent par rapport à ceux qui ont pris l'initiative de la création du Comité Paritaire, et qui essaient de faire de la question du Nicaragua une ligne de partage fondamentale au sein du mouvement trotskyste, et la raison des scissions en cours.

La première, c'est que ce n'est certes pas la première fois que le Secrétariat Unifié s'aligne politiquement sur des forces politiques petites-bourgeoises dont le programme politique reste entièrement sur le terrain de la bourgeoisie. On pourrait dire malheureusement que c'est presque la règle. De l'Algérie au Vietnam, en passant par Cuba, le bilan politique du Secrétariat Unifié est une longue liste d'alignements. On ne peut même pas dire que les conséquences en soient plus graves au Nicaragua qu'ailleurs, car là pas plus qu'ailleurs, le Secrétariat Unifié n'a la possibilité de peser sur les événements, ni en bien, ni en mal. Les événements du Nicaragua suivent leur cours sans que les résolutions ou contre-résolutions publiées à son propos en affectent le déroulement le moins du monde. Mais il faut tout de même constater que la Fraction Bolchevique et la tendance Léniniste-Trotskyste, qui appartenaient, jusqu'à ces jours derniers, au Secrétariat Unifié, en partagent tous les errements politiques. Quant au CORQI - c'est-à-dire essentiellement l'OCI - , il a son propre bilan en matière de suivisme politique, de l'alignement sur le MNA algérien en son temps, jusqu'à son suivisme à l'égard de feu l'Union de la gauche en France. Leurs indignations et leur grandiloquence à-propos de l'attitude du Secrétariat Unifié par rapport au Nicaragua méritent donc, au moins, d'être vues de plus près.

La deuxième observation, c'est que même sur la question du Nicaragua, s'il y a sans doute des divergences d'appréciation, il n'y en a guère plus qu'entre les diverses tendances qui continuent à subsister au sein du Secrétariat Unifié. Pour notre part, si nous saisissons des nuances, nous avons plus de mal à voir une opposition politique fondamentale entre le suivisme, qui n'est même, plus critique, du Secrétariat Unifié à l'égard du Front Sandiniste, et le suivisme, critique sans doute, mais suivisme quand même, des organisations regroupées dans le Comité permanent.

Car tout de même, la Brigade Simon Bolivar - le choix du nom est déjà tout un programme... d'alignement - se réclamait également du sandinisme. Quant au CORQI, si on a du mal à trouver quelle est sa position politique tant il était discret jusqu'à présent, voilà le langage qu'il propose à l'égard du FSLN dans le procès-verbal de la dernière réunion de son bureau : « Au FSLN , nous disons, rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir, constituez un gouvernement d'où sera exclu tout représentant de la bourgeoisie. Dans cette voie, nous vous promettons un soutien complet contre la réaction impérialiste ». Le ton comminatoire ne modifie guère le suivisme du fond...

La troisième observation que l'on peut faire - et c'est sans doute le plus important - c'est que toute cette discussion sur le Nicaragua est une discussion fausse, viciée, que les protagonistes eux-mêmes ne prennent pas réellement au sérieux et qui est destinée à donner aux remous, scissions et réalignements internes au mouvement trotskyste une justification politique, mais qui n'en constitue nullement la cause.

C'est évident par exemple pour le CORQI. Cette question du Nicaragua, qui est en passe de devenir sous la plume des uns ou des autres un événement majeur, déchirant le mouvement trotskyste suivant une ligne de clivage décisive, au nom de laquelle aujourd'hui on rompt, on se dénonce, on s'excommunie, ne préoccupait guère le CORQI, à en juger du moins par le peu et par le vague de ce qu'il y avait consacré dans sa presse. Au meeting de l'OCI, organisé le 28 septembre, Stéphane Just déclarait : « Camarades nous ne savons pas sur quelle orientation précise combat la Brigade Simon Bolivar qui est dirigée par des militants trotskystes de la Fraction Bolchevique... Nous ne savons pas d'une manière précise sur quelle ligne politique elle est intervenue au Nicaragua... » C'était seulement quelque trois semaines avant que le même CORQI signe, avec la même Fraction Bolchevique à l'origine de la Brigade Simon Bolivar, un appel parlant d'une « crise sans précédent » à propos de l'appréciation et de l'attitude du Secrétariat Unifié à l'égard de la Brigade Simon Bolivar.

A ce qu'il paraît, un numéro de La Vérité serait en préparation pour expliquer en long et en large l'analyse du CORQI sur la situation au Nicaragua. Bien des antécédents incitent à penser que l'on peut faire confiance à l'OCI sur sa capacité de trouver, dans la situation au Nicaragua, le fondement théorique susceptible de justifier après coup ses démêlés actuels avec le Secrétariat Unifié. Elle trouvera sans doute d'ici là les formulations susceptibles de préserver ses bonnes relations du moment avec l'ex-Fraction Bolchevique. C'est certainement son seul problème « théorique », car quant à connaître « l'orientation précise de la Brigade Simon Bolivar », les dirigeants de l'OCI auraient tout de même quelque mal à faire avaler qu'ils n'ont pas pu se renseigner directement auprès de cette Fraction Bolchevique avec laquelle ils sont en train de constituer ensemble une nouvelle « direction internationale ».

Mais tout cela ne témoigne pas d'un grand intérêt pour le Nicaragua.

Pas plus que n'en témoigne le Secrétariat Unifié, bien que celui-ci ne puisse certes pas être accusé de ne pas avoir noirci beaucoup de papier sur le Nicaragua.

Car tous ces affrontements de tendances autour de fines définitions de la situation au Nicaragua devaient finalement aboutir à la décision d'obliger les militants nicaraguayens, c'est-à-dire précisément ceux pour qui une appréciation juste de ce qui se passe au Nicaragua pouvait servir de base à une politique militante, à suivre le Front Sandiniste.

Mais même pour les dirigeants de la Fraction Bolchevique qui ont été engagés dans l'action de la Brigade Simon Bolivar, la discussion sur la question du Nicaragua est une chose, l'attitude à l'égard des différents regroupements internationaux en est une autre. Dans une interview publiée dans Informations Ouvrières, Nahuel Moreno, principal dirigeant de la Fraction Bolchevique, faisant un bilan critique de ce Secrétariat Unifié qu'il vient juste de quitter, affirme en parlant de la Bolivie du début des années cinquante : « Notre Internationale accomplit un des plus grands crimes politiques dans l'histoire du mouvement ouvrier de ce siècle en donnant un appui critique au gouvernement bourgeois de Bolivie ... »

De par la modestie de son rôle, sinon de par ses positions politiques, ce qui s'appelait alors le Secrétariat International ne mérite certainement pas cet excès de déshonneur. Mais Moreno est devenu par la suite un des principaux dirigeants de cette organisation coupable « d'un des plus grands crimes du siècle ». Cela juge le sérieux politique derrière les superlatifs.

 

Un émiettement un peu plus grand

 

Alors que le mouvement trotskyste n'a aucune prise sur les événements du Nicaragua ; alors que toutes les « stratégies » savantes qui sont opposées les unes aux autres sont des formules sur papier sans la moindre importance pour la marche réelle des événements ; alors que les auteurs de ces stratégies sur papier les modifient au gré des remous internes au mouvement trotskyste, les scissions que tous ces affrontements sur le Nicaragua sont censés justifier sont, elles, réelles.

Alors que le mouvement trotskyste a encore tout à faire vers l'extérieur, pour gagner des militants, pour s'implanter dans la classe ouvrière, pour faire en sorte que ses organisations gagnent du crédit, il est une fois de plus en train de susciter en son sein un remue-ménage artificiel, complètement stérile, qui se traduira peut-être par une « recomposition » entre regroupements, mais sans que cela puisse avancer en quoi que ce soit la cause du trotskysme.

Nous ne pensons certainement pas que la dispersion du mouvement trotskyste entre groupes menant des existences organisationnelles indépendantes soit entièrement artificielle. Bien des courants du mouvement trotskyste incarnent des politiques, des pratiques organisationnelles différentes et parfois, sans doute, incompatibles avec l'appartenance à une seule et même organisation, centralisée et démocratique, dans l'état actuel de faiblesse et de peu d'implantation du mouvement trotskyste dans la classe ouvrière.

Mais combien sont les organisations, en particulier adhérentes au Secrétariat Unifié, qui ignoraient jusqu'à l'existence de divergences sur le Nicaragua, et qui au demeurant ne se préoccupaient nullement de ce qui se passait dans ce pays, et dont l'activité n'était affectée en rien par ce qui s'y passait, et encore moins par ce qui pouvait se dire à ce propos, et qui, aujourd'hui, se trouvent éclater en deux, voire en plusieurs organisations ? Et qui plus est, en organisations qui dépensent une énergie considérable pour se combattre. Et au détriment de l'activité et des responsabilités par rapport aux tâches concrètes.

Inversement, combien sont les organisations qui se sont combattues jusque maintenant, au nom de la théorie, au nom du programme et en se jetant des anathèmes, qui retrouvent subitement, à la faveur des remue-ménage actuels, des affinités « théoriques » insoupçonnées ? (C'est ainsi qu'il semblerait - d'après Rouge en tous les cas - que l'OCI serait en train de modifier son analyse de l'État cubain, qui, de bourgeois, serait en passe de devenir ouvrier. Les Cubains ne soupçonnent même pas quelle transformation historique ils sont en train de vivre !).

C'est justement pourquoi on ne peut même pas dire que les scissions ou les « recompositions » en cours se traduisent par une clarification politique, ou même simplement par des discussions qui éclairent un peu plus les militants, qui leur permettent de comprendre un peu mieux les problèmes, même par rapport au Nicaragua. La discussion sur le Nicaragua est une fausse discussion qui ne correspond à rien, qui est destinée seulement à masquer les vrais problèmes, c'est-à-dire les petites et grandes manoeuvres entre regroupements internationaux concurrents, soucieux chacun de se renforcer surtout au détriment des autres. Tout le monde, du moins tous les dirigeants de fractions, savent de cette discussion qu'elle est fausse. Tous savent que si telle organisation prend telle position sur le Nicaragua, ou si elle est en train de modifier ses analyses sur Cuba, ce n'est pas parce que des changements significatifs sont intervenus dans la réalité des faits, mais parce que ces organisations ont toutes l'habitude d'aligner leurs prises de positions politiques et leurs analyses théoriques sur l'état fluctuant de leurs alliances.

 

Absence d'une direction internationale

 

Il n'y a vraiment pas lieu de se réjouir de la situation créée par la scission du Secrétariat Unifié et par la création du Comité paritaire.

Le Secrétariat Unifié assume, certes, une responsabilité déterminante dans la situation d'aujourd'hui.

Nous ignorons qui a voulu la scission actuelle et qui n'a pas voulu et, au fond, peu importe de savoir si le Secrétariat Unifié est sincère en affirmant qu'il était prêt à continuer à coexister dans le même organisme international que ceux qui sont partis, ou pas. La situation actuelle est seulement une des manifestations du problème du fond, à savoir que le Secrétariat Unifié se prend pour la IVe Internationale, pour une direction internationale valable, reconnue, alors qu'il n'en a pas la compétence, alors qu'il n'a pas un bilan politique ou organisationnel susceptible de lui valoir la confiance du mouvement trotskyste. Non seulement il ne bénéficie pas de cette confiance auprès de toute cette partie du mouvement trotskyste - et elle est importante - qui n'adhère pas au Secrétariat Unifié et auprès de qui c'est même l'évidence, mais il ne bénéficie même pas de cette confiance de la part de ses propres organisations adhérentes. Faute de confiance, la direction du SU essaie d'asseoir une autorité qu'elle n'a pas sur des règlements et des statuts, sur des procédés bureaucratiques. Mais cette façon de procéder est non seulement stérile pour l'avenir, c'est-à-dire pour la formation d'une direction internationale qui en soit une, ayant la capacité politique et la confiance pour cela, mais c'est même inefficace pour maintenir l'unité dès lors qu'un problème politique surgit, même lorsque ce problème politique est artificiel.

Ce qui vient de se passer illustre que, dès lors qu'un groupe adhérent a une divergence politique, l'avantage d'appartenir à un regroupement international comme le Secrétariat Unifié n'apparaît pas suffisant par rapport aux inconvénients de subir la rigueur des règlements formalistes que le SU essaie de faire passer pour du centralisme démocratique.

Malgré la scission, le Secrétariat Unifié continue cependant imperturbablement d'affirmer qu'il peut accepter tout ou presque, mais pas d'entorse au principe du centralisme démocratique en matière de relations internationales.

Oh, sans doute, le Secrétariat Unifié insiste à l'occasion sur le fait que lors du congrès de réunification de 1963, il a assoupli cette règle du centralisme démocratique dans les statuts, en introduisant une subtile différence entre la façon dont cela doit s'appliquer à l'intérieur même des sections nationales et la façon dont cela s'applique dans les relations entre sections. Le SU n'a depuis cette date statutairement pas le droit de modifier la composition des directions nationales ou de déterminer la tactique des sections nationales.

C'est une façon de théoriser le renoncement à la possibilité même d'une Internationale digne de ce nom, c'est-à-dire capable d'intervenir efficacement dans la politique quotidienne de ses sections, tout en maintenant une fiction d'Internationale, au nom de laquelle le SU prétend incarner seul la vertu révolutionnaire et le programme trotskyste. Une fiction de centralisme démocratique au nom de laquelle la direction du SU essaie de maintenir son emprise sur ses adhérents.

Le regroupement international formé par le Secrétariat Unifié n'est ni centralisé, ni démocratique. Si la direction utilise le formalisme réglementaire pour rester la direction, elle n'assure pas en même temps une centralisation réelle - et le reconnaît d'ailleurs - et pas même des liens réels, permettant discussion et échange d'expérience réels entre sections. Derrière la fiction d'une direction internationale, les sections nationales vivent leur vie comme elles l'entendent, et lorsqu'elles se heurtent trop à la direction du Secrétariat Unifié, elles scissionnent.

Pour notre part, nous sommes partisans d'une Internationale centralisée et démocratique.

L'émergence d'une véritable Internationale, d'un parti mondial de la révolution, reconnu comme tel par des fractions significatives du prolétariat elles-mêmes, ne dépend certainement pas de la seule volonté des organisations trotskystes. Mais par contre, elles sont responsables de ce que le mouvement trotskyste soit dispersé, incapable de se donner une organisation internationale capable de faire face aux tâches qui se posent aux groupes trotskystes au niveau de développement où ils sont. Comme elles sont responsables de ce que le mouvement soit déchiré par des luttes intestines, aussi coûteuses en énergie militante que stériles.

Le premier des pas sur la création future d'une organisation internationale et d'une direction internationale, serait de reconnaître qu'il n'en existe pas, qu'on maintient seulement une fiction, dangereuse parce qu'elle masque la réalité.

Formellement sans doute, ceux qui ont pris l'initiative du Comité permanent, en appellent à une conférence trotskyste, ouverte à tous les groupes trotskystes. Mais à y regarder de près, ils ont défini le « tous » de telle façon, que n'y sont inclus qu'eux-mêmes et le Secrétariat Unifié, s'il le veut bien.

Formellement encore, ils en appellent aussi à la « reconstruction, réunification, refondation de la IVe Internationale », ce qui en toute logique voudrait dire qu'elle n'existe pas pour l'heure et qu'il serait bon de se mettre ensemble pour voir comment la reconstruire. Mais l'OCI s'est déjà fait une spécialité dans le passé d'entrouvrir une porte vers cette voie, juste le temps de la claquer pour se proclamer, elle avec quelques autres, la véritable, la seule Internationale. Quant au dirigeant de la Fraction Bolchevique, Moreno, il affirme dans une interview donnée à Informations Ouvrières : il faut « poser les fondements qui nous conduisent d'ici deux ans à la refondation, reconstruction de la IVesuper0 Internationale unique » .

L'échéancier est donc apparemment déjà fait pour la nième édition d'une opération qui verra surgir, de nouveau, une IVe Internationale, seule détentrice de toutes les vertus, et hors de laquelle il n'y aura de nouveau point de salut, jusqu'à ce que la nouvelle « Internationale » sombre de nouveau, sous le prétexte d'une quelconque nouvelle affaire du Nicaragua dans laquelle la nouvelle « Internationale » n'aura, toujours, aucun rôle... Que de nouveautés pour une vieille attitude.

Alors, pour ce qui nous concerne, nous n'espérons rien - pas plus que nous ne craignons d'ailleurs - de la nouvelle redistribution des cartes au sein du mouvement trotskyste. C'est toujours les mêmes cartes que l'on distribue, et le mouvement trotskyste n'a jamais rien gagné, et n'a rien à gagner à ce jeu-là. Nous souhaitons avoir les meilleurs rapports avec tous ceux qui le veulent bien, au sein du mouvement trotskyste auquel nous appartenons au moins par de communes références. Mais les relations au sein du mouvement trotskyste ne pourraient changer et dans le bon sens que si, consciemment ou poussées par les événements, les organisations trotskystes cessaient de pratiquer le bluff politique ou organisationnel, si elles cherchaient à discuter non pas en fonction des fusions ou de scissions escomptées, mais pour échanger réellement des expériences, et pour essayer de faire en commun chaque fois ce qui peut l'être, malgré les divergences. C'est seulement à cette condition que pourraient progressivement s'établir des relations de confiance, sur lesquelles on pourrait, d'un commun accord, fonder une discipline commune croissante. C'est seulement à cette condition qu'il serait possible de former et de sélectionner une direction internationale, reconnue par tous, et bénéficiant d'une autorité réelle, basée sur la confiance et non pas sur des règlements bureaucratiques.

Mais manifestement, on ne peut pas compter pour cela sur tous ces petits cercles qui se proclament directions internationales, tantôt séparément, tantôt regroupés en fonction de combinaisons qui n'ont d'intérêt que pour eux-mêmes, qui prennent ces combinaisons pour de l'activité internationale, et les phrases creuses pour les justifier, pour de l'internationalisme. Ces gens-là n'ont rien appris de plus de trente ans d'impuissance. Aujourd'hui, ils recommencent, aux phrases près, la même chose qu'en 1951-52, qu'en 1963, sans parler de toutes les scissions, de toutes les fusions dans l'intervalle, toutes aussi « historiques », les unes que les autres.

Nous pensons, nous espérons, que la majorité de ces milliers de militants qui, de par le monde, militent en se réclamant du trotskysme, de l'internationalisme, se retrouveront un jour dans la même Internationale. Mais cette Internationale ne sera pas, ne pourra pas être l'oeuvre de toutes ces « directions ». Ces « directions » sont faillies. Elles ne sont bonnes à rien. L'avenir dira si la future Internationale finira par les entraîner, mais cette Internationale ne se fera pas grâce à eux.

 

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