Parti des travailleurs, alternative anticapitaliste, coalition électorale... Tout est possible, rien n'est réalisable !01/10/19851985Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1985/10/119.jpg.484x700_q85_box-69%2C0%2C2343%2C3289_crop_detail.jpg

Parti des travailleurs, alternative anticapitaliste, coalition électorale... Tout est possible, rien n'est réalisable !

 

« Avancer vers un parti des travailleurs, regrouper une alternative anti-capitaliste » : tel est l'objectif que le projet de thèses politiques présentées par la majorité du Comité central fixe à la LCR pour la période qui vient. Il donne son titre au chapitre IV.

 

De la recomposition du mouvement ouvrier...

 

Les camarades partent d'une idée. Ils l'ont déjà répétée à maintes reprises dans les chapitres précédents. Il y a actuellement une « recomposition du mouvement ouvrier ». Elle est le « produit des tendances objectives de la situation et des expériences vécues parla classe ouvrière et son avant-garde » .

Mais à peine cette affirmation est-elle redite ici, qu'elle est tout de suite dévalorisée, remise en question et en fait niée dans les lignes qui suivent. En effet, cette recomposition, nous dit-on, implique « des militants syndicaux, politiques, des jeunes, aux niveaux de conscience et d'engagement politiques fort hétérogènes » . Et on ajoute que « ces éléments restent, à l'heure actuelle, inégaux, dispersés (c'est nous qui soulignons, NDLR) et entravés dans leur développement » .

Qu'est-ce qu'une recomposition dont les éléments demeurent dispersés, et de plus avec des niveaux de conscience et d'engagement politiques hétérogènes ? Si les mots ont un sens, cela signifie que cette dispersion n'est pas seulement organisationnelle, mais politique. Ce que les rédacteurs des thèses décrivent eux-mêmes, c'est une sorte d'émiettement, de déliquescence du mouvement ouvrier. Certes, on peut toujours imaginer que ces éléments dispersés vont tendre à se regrouper dans l'avenir. Mais affirmer que le « processus de recomposition est en cours », on n'a le droit de le faire... qu'à condition de le prouver.

Un certain nombre de militants ont abandonné les grands partis de gauche et les syndicats ouvriers. D'autres prennent des distances avec leurs directions et leur politique. Mais pour essayer de connaître l'avenir de cette nébuleuse, s'il y en a un, il faut d'abord répondre à un certain nombre de questions : qui sont, socialement et politiquement, ces militants ? Que reprochent-ils aux organisations dont ils s'éloignent ? Que veulent-ils ? Vers quoi tendent-ils ? En bref, quelle est leur nature ? Celle-ci permet-elle de penser qu'il y a une chance pour qu'ils puissent se souder entre eux un jour prochain ? Sur quelles bases ?

Voilà justement les questions auxquelles les thèses évitent de répondre ; qu'elles ne posent même pas. Recomposition, recomposition, ressassent les camarades, une longue incantation ne remplace pas une analyse.

Inquiets eux-mêmes d'ailleurs, semble-t-il, les rédacteurs usent ensuite beaucoup d'encre pour mettre en garde contre les illusions que leur affirmation première aurait pu faire naître. « Ils (les éléments de la recomposition, NDLR) ne peuvent s'amplifier qualitativement et leurs lignes de force ne peuvent apparaître clairement (il s'agit donc d'une recomposition dont les lignes de force n'apparaissent pas ? NDLR) qu'à la chaleur d'événements politiques et sociaux d'envergure » prennent-ils immédiatement la précaution de dire.

Plus loin, ils reviennent encore, à plusieurs reprises, mettre en garde : « La faible cristallisation des courants politiques au sein du mouvement ouvrier et, partant, l'hétérogénéité encore très grande des militants, courants, groupes ou organisations auxquels elle peut s'adresser ne peuvent être surmontés par aucune proclamation artificielle. Il s'agit au contraire d'une bataille de longue haleine, d'une approche globale et de longue durée qui, en s'appuyant sur tous les phénomènes concrets de ce processus de recomposition, vise à lui fournir une perspective politique positive dans laquelle puisse commencer à se reconnaître ses éléments les plus politisés » . Il s'agit donc d'une recomposition... dont les différents courants ne sont pas encore cristallisés ! Et dont les éléments les plus politisés attendent encore qu'on leur fournisse une perspective dans laquelle ils pourraient commencer à se reconnaître ! Bigre, bien malin qui pourrait dire quelle sorte de recomposition c'est là ? Et où on en est ? Au début ? Au début du début ? Avant le début ? Ou au commencement du monde, quand l'idée surgit dans le cerveau du créateur... du projet de thèses ?

Affirmation, négation. C'est la dialectique du « P't'être-ben que oui, p't'être ben que non », celle de la balançoire .

 

... au nouveau parti des travailleurs...

 

C'est pourtant à partir de cette prétendue recomposition que les thèses proposent « d'avancer vers un parti des travailleurs » .

Les rédacteurs, une nouvelle fois, commencent par une affirmation nette et péremptoire. « Le problème, nous dit-on, est déjà posé par de nombreux militants et militantes des partis, des syndicats, des comités de solidarité anti-impérialistes ou anti-colonialistes, du mouvement des femmes, du mouvement anti-raciste » . Si cela est, bien sûr, si nombreux sont ceux qui se posent le problème, il semble urgent, en effet, de leur proposer une perspective politique et organisationnelle. Il faut même immédiatement proposer ce nouveau parti des travailleurs.

Halte-là ! Ce n'est pas si simple. Une nouvelle fois après une claire et forte affirmation, les thèses font marche arrière à toute vitesse. Distinguo d'abord : ce n'est pas la formation d'un parti des travailleurs, mais « une bataille pour un nouveau parti des travailleurs » qui est proposée.

Et puis, « les rythmes mêmes de la bataille pour ce nouveau parti tiennent compte de l'état des forces en présence et de la lenteur encore extrême de la recomposition ouvrière » . Du coup, « la lutte prolongée pour un parti des travailleurs ne peut se fixer de cible immédiate et rapprochée ». En effet, lisons-nous, « si beaucoup de militants et de militantes ouvriers, féministes, anti-racistes, anti-colonialistes, jeunes, sont disponibles à cette problématique (on nous avait dit plus haut qu'ils posaient eux-mêmes le problème, en fait ils n'y sont que « disponibles » ! NDLR) , la situation politique et sociale elle-même obscurcit encore grandement la perception d'une solution organisationnelle possible » . Et on finit par apprendre que « la notion même de parti » est « suspecte » aux yeux de beaucoup. En clair, la caractéristique de ces nombreux militants et militantes qu'on nous annonçait comme la base de l'éventuel parti des travailleurs, c'est qu'ils ne veulent pas entendre parler d'une nouvelle organisation. Nous avons affaire à une recomposition... désorganisée et qui entend le rester. Concrètement, cela signifie qu'il est hors de question de compter sur eux pour le parti des travailleurs.

Et voilà, affirmation, négation. Après un nouveau petit tour dialectique on est revenu au point de départ.

 

... à l'alternative anticapitaliste...

 

Parvenus à ce point, les auteurs des thèses, qui n'aiment, semble-t-il, rien tant que de démontrer que ce qu'ils proposent de faire est parfaitement irréalisable, ne se découragent pourtant pas.

Puisque ce parti des travailleurs est une impossibilité pour le moment, et qu'il ne peut que « constituer l'horizon de notre travail, l'élément qui lui donne toute sa cohérence » , ils mettent un nouveau projet en chantier.

Laissons tomber pour le moment le parti des travailleurs, contentons-nous « d'une alternative anticapitaliste ». Qu'est-ce à dire ? « Il s'agit de regrouper, à cette étape, tous ceux et celles qui cherchent, à partir de leur propre activité, une solution de rechange à la trahison des directions majoritaires mais qui pour la plupart ne sont pas encore prêts à s'engager dans la construction d'un parti politique nouveau » .

Fidèles à leur méthode, les rédacteurs commencent évidemment par affirmer que nombreux sont ceux qui sont concernés. « De tels éléments existent déjà dans les comités et les mouvements de masse, dans les entreprises, dans les syndicats et leurs oppositions constituées » . Bien plus, ces éléments ont la « volonté de se regrouper pour peser davantage dans les luttes et pour dégager d'autres perspectives que celle de la faillite de la gauche réformiste » .

Bien, si ces éléments existent, actifs et ayant la volonté de se regrouper, alors il faut essayer de définir quelles pourraient être les formes de leur regroupement, et le contenu politique de celui-ci. C'est en tout cas ce que l'on attend de ceux qui le jugent possible et le proposent.

Eh bien, non. Tout devient soudainement vague et flou. Tout ce que l'on apprend c'est que « les formes mêmes de ce regroupement ne peuvent être que diverses et en relation avec les itinéraires individuels et collectifs qui y confluent » . Ou encore « la formalisation organisationnelle de ce regroupement sous forme de rencontres régulières ou de comités plus structurés dépend entièrement de l'accord et des besoins exprimés par ses participants » . Sans doute, mais comment les auteurs des thèses analysent-ils donc les besoins de ces gens qu'ils prétendent regrouper ? Quels accords jugent-ils possibles avec eux ? Quels contours peut avoir cette alternative anticapitaliste pour ne pas demeurer une ombre ?

De cette alternative anti-capitaliste, les rédacteurs des thèses ne disent rien de concret, rien de ce qu'elle serait, rien de ce qu'elle ferait, rien de ses bases politiques, rien de ses formes d'organisation. Ce qui revient à dire qu'ils n'y croient pas eux-mêmes vraiment.

Oui, non. L'oscillation dialectique continue, et la démonstration tourne en rond.

Alors, est-ce solliciter le texte des camarades que de dire qu'en fait ces nombreux militants et militantes, ces éléments dans les comités, les mouvements de masse, dans les entreprises, dans les syndicats et leurs oppositions, sont des vues de l'esprit ? Ils sont si peu concrets, si irréels, pour les rédacteurs eux-mêmes, qu'on ne peut parler de leur recomposition sans la nier immédiatement, qu'on ne peut imaginer un parti des travailleurs avec eux sans remettre sa formation aux calendes grecques, qu'on ne peut même rien dire d'une alternative anticapitaliste formée avec eux, tant sans doute ceux qu'on se propose de regrouper sont insaisissables.

 

... au renforcement de la LCR

 

On ne s'étonne pas dès lors de la conclusion de ce long chapitre. « Mais pour l'heure, l'aide la plus précieuse que nous puissions apporter à ce projet, c'est de poursuivre l'élaboration et la popularisation des réponses adaptées à la situation, de gagner le maximum de militants ouvriers à notre combat pour la construction d'un nouveau parti de classe. Ce qui implique de mener une bataille permanente et résolue pour les convaincre de venir renforcer la LCR et de disposer ainsi du maximum d'atouts pour éviter que les processus de maturation politique ne s'enfoncent dans les ornières » .

Nous sommes, pour notre part, en parfait accord avec cette conclusion : oui, la tâche de l'heure est certainement de renforcer et de construire l'organisation révolutionnaire communiste trotskyste.

Mais que vont décider les militants de la LCR, qui sont appelés à se prononcer en leur congrès, en votant ces thèses ? L'objectif des prochains mois est-il le parti des travailleurs, l'alternative anticapitaliste ou le renforcement de la LCR ?

Les trois de front ? L'un d'eux, au choix de chacun ? Cela peut sembler judicieux et en tout cas préserver l'avenir. Mais n'est-ce pas surtout masquer le manque d'analyse rigoureuse de la situation présente et de ses possibilités ? La tâche de renforcer la LCR n'est-elle pas dévalorisée par la simple insistance que mettent les thèses sur des perspectives qui n'en sont pas mais tout de même présentées comme principales ? Qu'est-ce que cela peut produire d'autre qu'un découragement devant des objectifs présentés à la fois comme à la portée de la main et impossibles à atteindre ?

Disons aussi autre chose, en passant. Admettons un instant - ce que nous ne croyons pas - qu'il y ait effectivement ces nombreux militants prêts à un regroupement à la gauche de la gauche. Une façon si floue, si embrouillée, si peu convaincante et convaincue qu'ont les thèses de se faire le champion de cette politique, ne risque-t-elle pas d'amener ces militants à redouter ce que les thèses elles-mêmes s'évertuent à écarter l'hypothèse d'une manipulation de la part de la LCR ? Même si nous savons bien, nous, que si la LCR manipule quelqu'un inconsciemment, c'est elle-même, en se créant ses propres illusions avec des textes de la sorte.

 

Une large coalition électorale ?

 

C'est la même dialectique qui est utilisée pour tracer les objectifs à atteindre aux prochaines élections. « Former une coalition électorale à la gauche de la gauche » , tel est le titre explicite du chapitre V.

« Il faut tout faire, nous dit-on pour qu'à l'occasion de ces élections apparaisse une force politique nationale qui refuse de baisser les bras, qui résiste et qui se bat contre les plans de la droite et contre la faillite de la gauche. Il s'agit de mener une campagne politique vigoureuse et de grande ampleur avec le maximum de listes... »

Les éléments susceptibles de former cette coalition existent-ils ? Bien sûr, commence-t-on comme toujours par affirmer, et ils sont même nombreux. « Une telle politique s'oppose radicalement à ce que fait la gauche et à ce que veut la droite. Il existe de nombreux travailleurs et militants, plusieurs organisations et groupes politiques qui s'y reconnaissent et sont prêts à la défendre en mars 1986. Ils doivent se retrouver au sein d'une large coalition qui présente des candidats partout, aux élections, contre la droite revancharde et les fascistes de Le Pen, contre la gauche de la capitulation gouvernementale et de la trahison des intérêts des travailleurs » .

Las, mais il fallait s'y attendre, la dernière partie du texte vient une nouvelle fois mettre par terre la belle construction qui s'annonçait si bien. « Malgré notre bataille, les conditions de formation d'une telle coalition ne sont pas réunies. Les facteurs qui poussent à l'éclatement sont en effet nombreux. (éclatement de quelque chose qui ne s'était pas encore formé ! NDLR). Le sectarisme et la volonté hégémoniste des Verts constituent un obstacle majeur à la réalisation d'une grande coalition. Ce qui ne peut manquer de produire des conséquences en chaîne, nombre de forces politiques (PSU, FGA, etc) ou de militants syndicaux et associatifs craignant de se retrouver seuls avec la LCR et LO et refusant de s'engager au plan national » .

Donc ces groupes dont on nous disait qu'ils se reconnaissaient dans cette politique et étaient prêts à la défendre (et dont on apprend, enfin, qui ils sont : Les Verts, PSU, FGA)...ne le sont pas. Ce qui est important pour eux ce n'est pas la plate-forme politique proposée, c'est l'accord avec les Verts. Et tout ce que les thèses proposaient ne tenait donc pas debout.

Le plus fort c'est qu'après cet aveu, on continue quand même à proposer la même chose, au rabais simplement, pourrait-on dire, dans le cadre départemental au lieu du cadre national. « Loin de marquer le pas, notre politique de rassemblement doit dès lors progresser dans le contexte du vaste débat dont les prochains mois seront l'occasion. Dans ce cadre nous cherchons donc à susciter, partout où c'est possible, des appels unitaires, des formes multiples de rassemblement, des collectifs unitaires. Et nous travaillons à permettre dans le maximum de départements où les conditions peuvent être réunies, des listes anticapitalistes unitaires, soutenues par des regroupements larges » .

Jusqu'à quand, a-t-on envie de demander ? Jusqu'au prochain aveu... qu'il n'y a nul groupe, nulle part, pour accepter de faire alliance avec la LCR, pas davantage au niveau du département que national ? Ou bien la prochaine étape est-elle de continuer à chercher dans le cadre du canton, puis de la commune ?

En fait les thèses noient la seule perspective réelle et concrète, l'accord avec Lutte Ouvrière, dans celle irréelle et impossible de la grande coalition. « Et l'accord que nous recherchons avec LO pour intervenir dans cette échéance décisive, doit permettre tout à la fois une campagne commune de nos deux organisations et le soutien à des listes formées au plan départemental ».

LO existe, elle, LO s'oppose radicalement à ce que fait la gauche et à ce que veut la droite, LO ne fait en rien dépendre sa politique des Verts et de leurs prétentions, LO est le seul groupe au fond qui corresponde à ce que la LCR prétendait chercher pour faire alliance électorale. Mais celle-ci préfère entretenir des illusions sur des accords impossibles avec des groupes mythiques ou hostiles plutôt que d'examiner sérieusement à quelles conditions ce seul accord possible pourrait être conclu.

Et cela parce que la direction de ta LCR a, semble-t-il, décidé de réchauffer l'enthousiasme de son congrès sur le thème : tout est possible... bien que rien ne soit réalisable.

 

L'absence d'une analyse de la situation

 

C'est dans la méthode des camarades de la LCR qu'il y a, nous semble-t-il, une faille fondamentale.

Ils ne partent pas d'une analyse de la situation et des possibilités qu'elle contient, mais d'un raisonnement fait a priori.

Devant l'expérience catastrophique du gouvernement de gauche, raisonnent-ils, devant la faillite et l'impuissance des organisations traditionnelles de cette gauche, partis et syndicats, un certain nombre de militants doivent s'en détacher. Puisque c'est la politique réformiste qui montre son incapacité et sa nocivité, ils doivent remettre le réformisme en question. Ils doivent donc évoluer vers la gauche. Il ne reste plus alors aux révolutionnaires qu'à offrir une perspective politique et organisationnelle à ces militants qui s'éloignent de la gauche sur la gauche. D'où l'idée d'un nouveau parti des travailleurs, de l'alternative anticapitaliste ou d'une coalition électorale.

Le raisonnement semble d'une logique incontournable, comme diraient les camarades de la LCR. Il ne lui manque qu'une chose : la vérification concrète, réelle de l'hypothèse de départ. Il ne manque que de savoir si ces militants existent bien.

Le remarquable de ce texte, en effet, qui tourne tout entier autour de cette hypothèse, c'est qu'il n'y a jamais la moindre tentative pour examiner concrètement où sont, qui sont, que veulent, que font aujourd'hui ces militants auxquels il est censé s'adresser ? On nous répète à plusieurs reprises qu'ils sont nombreux. Ce devrait donc être aisé d'analyser ce qu'ils sont, leurs forces, leur tendance. Mais non, cela n'est jamais fait.

Un raisonnement a priori les a fait naître parce qu'une certaine logique voulait qu'ils existent. Mais ils n'existent qu'à l'état mythique pour nourrir, l'espace de quelques paragraphes, les rêves des rédacteurs du texte.

Et le résultat, c'est que, se réveillant tout de même, en conclusion, les camarades doivent en rabattre. Mais ils le font sans vouloir l'admettre, par un biais, en disant à la fois noir et blanc, en maintenant quand même contre vents et marées ce qu'ils nient par ailleurs.

L'unique fois où les thèses osent mettre des noms sur ces militants, ces courants qui se feraient jour à la gauche de la gauche, c'est pour nommer les Verts, le PSU, la FGA et un pudique etc. Un etc. qui laisse entendre qu'il y en a beaucoup d'autres, alors que le rédacteur est en fait bien en peine de les nommer. Et pour cause, ils n'existent pas.

Alors, les Verts, c'est-à-dire une tendance politique qui n'a rien à voir avec le mouvement ouvrier (et d'ailleurs ne le prétend pas elle-même), le PSU et la FGA qui, chacun le sait, ont vu leurs forces, qui étaient déjà bien maigres, décroître encore ces derniers temps ? C'est ça les nombreux nouveaux militants de l'extrême gauche ?

La réalité c'est que si beaucoup de gens ont abandonné ces dernières années les partis et les syndicats, ce n'est pas pour chercher à gauche, c'est pour abandonner toute politique. La réalité c'est que la plupart des groupes et courants dits gauchistes ont disparu ou se sont réduits considérablement, à l'exception de Lutte Ouvrière, certainement, et, pouvons-nous penser, de la LCR et du PCI. C'est peut-être malheureux, mais c'est comme ça. Cela peut changer, demain, très vite, mais c'est la situation actuelle.

Ce n'est pas l'avis de la LCR - et nous souhaiterions que les camarades aient raison contre nous sur ce point. Mais alors si elle était sérieuse, si elle croyait elle-même à ce qu'elle dit, la première chose à faire serait d'analyser dans le détail, explicitement, ce qui existe, et sans etc. trop commode pour cacher que l'on n'a rien de plus à dire. Où sont les militants à la gauche de la gauche ? Regroupés comment ? Que veulent-ils aujourd'hui ?

C'est à partir d'une telle analyse que les révolutionnaires pourraient définir ce qu'ils peuvent leur proposer aujourd'hui et imaginer peut-être ce qu'ils pourraient demain.

Il ne suffit pas, par exemple, de parler de nombreux militants antiracistes. Il faut dire combien parmi eux regardent vers l'extrême gauche, ce qu'ils reprochent à la gauche s'ils lui reprochent quelque chose. Sinon, c'est tout simplement jouer sur les mots et, en s'appuyant sur le fait qu'il y a eu ces derniers temps plusieurs rassemblements importants de jeunes exprimant leurs sentiments anti-racistes, décréter a priori que ces jeunes regardent de notre côté, sans même prendre la peine d'aller voir qui ils sont et ce qu'ils veulent réellement.

La LCR a déjà fait une erreur de méthode semblable il y a quelque temps. Et cette erreur lui a, semble-t-il, coûté cher en perte de militants, démoralisés en partie du moins à cause d'elle.

En 1981 et après, les camarades avaient décrété que la victoire électorale de la gauche devait redonner espoir et enthousiasme à la classe ouvrière et entraîner celle-ci dans la lutte. Sans prendre la peine de regarder et d'analyser ce qui se passait réellement dans la classe ouvrière, la LCR a vécu sur ce mythe plusieurs années. Elle n'était certes pas la seule, mais ce n'est pas une excuse. Jusqu'à ce que finalement la réalité s'imposant, même à des rédacteurs de thèses de congrès, la LCR finisse par constater que l'inverse s'était produit et que victoire électorale et gouvernement de gauche avaient contribué à démoraliser les travailleurs et non à les lancer en avant. La LCR est revenue sur son erreur, mais sans trop le dire et surtout sans en tirer les raisons au clair. Et c'est bien dommage car c'est exactement le même genre d'erreur qu'elle est en train de reproduire maintenant.

Tout se passe comme si la direction de la LCR pensait nécessaire d'avoir à prophétiser à tout prix des perspectives brillantes de développements objectifs de la situation. Les militants de la LCR ont-ils absolument besoin d'une sorte de drogue euphorisante ? Nous ne le pensons pas. Pourtant, comme toute drogue, l'effet tonique provisoire est forcément suivi d'un contre-effet dépressif. La LCR, et avec elle tout le mouvement révolutionnaire, ont plus perdu que gagné à vouloir voir dans la victoire électorale de la gauche un succès des travailleurs.

 

Les perspectives des révolutionnaires

 

Présenter de fausses perspectives construites hors de la réalité, c'est le plus sûr moyen de tourner le dos aux vraies. Car il y a dans cette période de recul du mouvement ouvrier des perspectives pour le mouvement révolutionnaire et le mouvement trotskyste. Mais elles ne sont pas du côté où les cherche la LCR.

Ces dernières années, les partis de gauche, les syndicats ouvriers ont vu diminuer le nombre de leurs adhérents et ont perdu une partie de leurs militants. Ces militants ne les ont pas abandonnés pour une politique plus à gauche, ils ont abandonné la politique et le militantisme. Les organisations gauchistes elles-mêmes ont disparu ou se sont amenuisées, à l'exception de certaines organisations trotskystes. Voilà la situation telle qu'elle est, sans fioriture ni vernis.

Cela signifie que la tâche de l'heure n'est pas de proposer une organisation et une politique pour un courant qui n'existe pas. Se donner cela comme objectif risquerait soit de cantonner les révolutionnaires dans la vaine recherche d'une forme de regroupement pour les restes de plus en plus réduits du mouvement gauchiste issu de mai 68, soit de les pousser de plus en plus à droite dans la quête hypothétique d'un rassemblement de ceux qui abandonnent le PS et le PC.

Mais dans cette période de recul du mouvement ouvrier, les organisations trotskystes peuvent se renforcer. Lutte Ouvrière, par exemple, l'a fait ces dernières années. Mais elles le feront en apparaissant, militant et recrutant directement sous le drapeau et sur le programme du communisme révolutionnaire. C'est en défendant ouvertement la perspective de la lutte de classe révolutionnaire, dans les entreprises, dans les syndicats, dans les grèves et les mouvements sociaux que nous pouvons attirer à nous les travailleurs potentiellement sensibles à l'idée de révolution, dispersés, non organisés, n'appartenant à aucun mouvement de masse pour la plupart, encore peu nombreux. Mais ce petit nombre suffirait, si nous étions capables de les toucher et de les amener à nous, pour changer qualitativement l'importance des groupes révolutionnaires que sont aujourd'hui LO ou la LCR. C'est en défendant ouvertement les idées de la révolution communiste que nous pouvons recruter des jeunes qui arrivent à l'âge de découvrir et de comprendre la politique. Et quelques milliers d'entre eux suffiraient là aussi à changer radicalement l'impact des groupes révolutionnaires dans ce pays.

Et même si dans la prochaine période, les organisations révolutionnaires ne grandissent pas, perdent autant de militants qu'elles arrivent à en recruter ou même davantage, à cause de ce recul du mouvement ouvrier et de la démoralisation générale qu'il entraîne, elles doivent continuer à exister et à combattre sous leur drapeau. Parce que c'est une période de recul justement. Dans une telle période, il est sans doute difficile pour les révolutionnaires d'être portés à la tête de mouvements qui sont de toute manière moins nombreux et souvent un peu désespérés et sans vraiment de perspectives. Mais en se maintenant, en continuant à apparaître et à militer, c'est la période suivante qu'ils préparent, celle de la reprise du combat social et politique. Les travailleurs ne peuvent pas faire confiance à ceux qui n'apparaissent que lorsque tous les partis reprennent de la vigueur, portés par le vent, mais qui disparaissent quand celui-ci souffle dans l'autre sens. Si c'est dans les périodes de montée que les révolutionnaires ont vraiment une chance de prendre la tête des luttes, à condition qu'ils aient la juste politique évidemment, c'est dans les périodes de recul qu'ils peuvent gagner l'estime de la classe ouvrière et leur titre de véritable parti ouvrier. La tentation peut être grande, quand la situation se fait plus difficile, de trouver un abri dans des regroupements qui donnent l'illusion d'être plus forts mais qui effacent les frontières entre les révolutionnaires et les autres. Mais c'est le piège, celui qui ôte toutes les chances de jouer un rôle décisif à long comme à court terme.

Ce qui est réalisable aussi, et donc à l'ordre du jour, c'est une union plus étroite des deux organisations révolutionnaires, LO et la LCR, l'établissement de contacts et de liens à tous les niveaux entre elles et entre leurs militants. Non pas parce que, comme le dit le projet de thèses, « les rapports fraternels et étroits entretenus avec Lutte Ouvrière constituent certes des atouts précieux pour notre perspective générale » , c'est-à-dire pour avancer vers le mythique parti des travailleurs. Mais parce que, comme le dit aussi le texte bien plus justement, ces rapports « peuvent permettre de renforcer l'impact de l'action commune comme des propositions des révolutionnaires » , en donnant plus de force à nos interventions sinon en en multipliant les possibilités. Et parce qu'ils sont un pas vers la formation du parti révolutionnaire trotskyste.

Les prochaines élections offrent la possibilité d'un accord entre LO et la LCR. Elles offrent pour les deux organisations la possibilité d'une intervention sous le drapeau des révolutionnaires et d'en augmenter l'impact en s'y présentant côte à côte et alliées. Cet accord, à l'échelon national, est possible. Il dépend de la LCR, de sa volonté d'y défendre les positions révolutionnaires sans chercher à transiger avec la gauche gouvernementale, de sa capacité à abandonner la poursuite chimérique d'un regroupement qui pour l'instant ne peut exister faute de constituants.

Voilà des perspectives et des objectifs pour les révolutionnaires dans la période qui vient. Ils sont réalisables. Ils n'incitent nullement au pessimisme. Ils pourraient être ceux de la LCR comme de Lutte Ouvrière. C'est pourquoi nous regrettons que le projet de thèses, dans sa forme actuelle, soit loin de les définir et de les exposer clairement.

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