Parti de gouvernement, parti des travailleurs ? Les embarras du PCF01/09/19821982Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1982/09/96.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Parti de gouvernement, parti des travailleurs ? Les embarras du PCF

Voilà donc seize mois que le Parti Communiste est redevenu un parti de gouvernement. Ce retour au pouvoir, après 35 ans d'absence, le PCF ne l'a pas fait par la grande porte. En effet, en recul aux élections présidentielles et législatives de 1981, il doit ses quatre sièges de ministre au bon vouloir de Mitterrand.

Être ainsi, en position de faiblesse, l'associé de Mitterrand et du Parti Socialiste, n'était bien sûr pas la situation dont Marchais avait rêvé pour son parti ; d'autant plus que l'aggravation de la situation économique mettait à l'ordre du jour du gouvernement de gauche la nécessité de s'en prendre au niveau de vie de la classe ouvrière. Et l'on pouvait donc se demander si le Parti Communiste allait longtemps pouvoir conjuguer son rôle de « parti de gouvernement » au service de la bourgeoisie avec celui, comme il aime à le prétendre, de « parti de lutte » se posant en défenseur des intérêts de la classe ouvrière. Mais le Parti Communiste a de remarquables capacités de retournement et d'adaptation, et aussi, comme il le montre aujourd'hui, de capacité à s'installer dans ses contradictions.

Une solidarité sans faille vis-a-vis du gouvernement

Le 2 juillet 1981, dans une interview au Monde, Mitterrand s'expliquait ainsi sur son choix de prendre des ministres communistes en faisant allusion à de Gaulle : « Lui aussi a eu besoin de tout le monde. C'était la guerre. Aujourd'hui, c'est la crise, j'aurai besoin de tout le monde » .

Mitterrand était clair. S'il avait fait le choix de donner au PCF quatre strapontins ministériels, c'était dans l'espoir que, pour imposer à la classe ouvrière des sacrifices accrus au lieu du changement promis, il trouverait un allié dans le Parti Communiste.

Or ce parti, même en recul sur le plan électoral, restait déterminant dans la classe ouvrière, déterminant à cause de son crédit politique et à cause de ses liens avec la CGT. Mitterrand savait très bien que, même si après la rupture de l'Union de la Gauche, en 1977pendant des années les critiques du PCF à son égard avaient été virulentes, il devait au PCF son image de marque d'homme de gauche ami des travailleurs. Il a certainement estimé qu'il avait tout à gagner à renforcer cette image en s'adjoignant, sans y être obligé, des représentants des millions d'électeurs ouvriers du PCF.

Par ailleurs, en associant le PCF au pouvoir au terme d'un accord qui stipulait que la solidarité politique devait être totale et pas seulement au gouvernement mais dans les localités et les entreprises, Mitterrand faisait du PCF un avocat de sa politique parmi les travailleurs. Il neutralisait le risque de voir le PCF user de son crédit dans la classe ouvrière pour s'opposer au gouvernement. Le PCF avait désormais quelque chose à perdre à faire de la surenchère - à supposer qu'il l'ait envisagé - et quelque chose à gagner à maintenir le calme social : quelques places de ministres et son acceptation par la bonne société bourgeoise française. Au cours des multiples offres de service que le PCF avait faites à Mitterrand et au Parti Socialiste, les dirigeants communistes avaient répété qu'ils étaient prêts à jouer le jeu. Pierre Juquin, le 26 mai 1981, entre les élections présidentielles et les élections législatives, avait annoncé : « Nous communistes ne cherchons pas à charger le bateau France pour le faire chavirer. Nous voulons être parmi les rameurs » .

Eh bien, jusqu'à maintenant, le PCF n'a pas trahi son engagement sur ce point. Depuis maintenant seize mois, l'essentiel de la politique gouvernementale a consisté à imposer aux travailleurs une baisse de leur niveau de vie de façon à maintenir, malgré la crise, les profits des possédants. Or le PCF a totalement cautionné cette politique.

Bien sûr, les mesures les plus clairement anti-ouvrières ont suscité quelques protestations de la part des dirigeants du PCF. Mi-novembre 1981, quand a été rétabli le 1 % sur la Sécurité Sociale, les dirigeants du PCF se sont indignés, dans les entreprises, des tracts ont été distribués. En juin, quand a été annoncé le blocage des salaires pour quatre mois, Marchais y est allé de son « coup de gueule » pour dire que le PCF était « contre ». Mais dans le même discours, il annonçait que « bien sûr », il voterait la confiance au gouvernement ; or ce même vote de confiance, justement, donnait le feu vert au gouvernement pour instituer le blocage des salaires et des prix.

Et si aujourd'hui, les dirigeants du PCF - moins fermement peut-être que ceux de la CGT mais clairement - dénoncent comme une « injustice », une « erreur », voire une « faute », la baisse du pouvoir d'achat des travailleurs, cela ne remet à aucun moment en cause leur solidarité gouvernementale.

Les ministres communistes qui devaient être selon l'Humanité du 8 mai 1981, « la garantie des mesures anti-capitalistes sérieuse et vigoureuse » , sans lesquelles on ne trouverait pas les moyens de satisfaire les travailleurs, sont devenus les dociles exécutants de la politique d'austérité, même s'ils préfèrent que leur rôle ne soit pas souligné à ce propos, bien sûr ! Ainsi, Jack Ralite a protesté quand Bérégovoy a affirmé qu'il a donné son accord aux mesures concernant la Sécurité Sociale, mais il ne dément pas qu'il se sente lié par la solidarité gouvernementale. Ces ministres ont même parfois eu le triste honneur d'en être les pionniers.

C'est ainsi qu'Anicet Le Pors, ministre communiste de la Fonction publique, a été le premier à tenter d'imposer aux travailleurs le principe selon lequel une limite maximum indépendante de l'augmentation des prix pouvait être imposée aux augmentations de salaires : c'était en mars 1982, lors des négociations salariales dans la Fonction Publique. Devant la réaction des syndicats et le mécontentement des travailleurs, Anicet Le Pors avait remballé son projet mais son expérience ratée n'en était pas moins une triste première. Et en septembre, c'est encore à Anicet Le Pors qu'il est revenu le mérite de donner l'exemple en fixant à 3 % - échelle recommandée par Mauroy - la hausse de salaire pour la sortie du blocage, entérinant le manque à gagner des quatre mois précédents.

Et si les dirigeants du PCF - comme ceux de la CGT d'ailleurs - déclarent qu'il faut que le pouvoir d'achat soit maintenu fin 82 et non fin 83 comme le dit le gouvernement, ce parti ne fait rien de précis. Peut-être les syndicats vont-ils organiser quelques actions dans les semaines qui viennent, actions auxquelles le PCF se dit favorable, mais celui-ci ne propose pas aux travailleurs de se donner les moyens de repousser les attaques contre leur niveau de vie.

II apparaît aujourd'hui clairement que le gouvernement veut continuer, sinon de bloquer complètement les salaires, du moins de maintenir leur augmentation en-dessous de la hausse des prix. Il apparaît aussi que les premières mesures tendant à rendre plus cher l'hôpital pour les malades, ou à retarder le moment à partir duquel un chômeur est indemnisé, annoncent d'autres mesures restrictives. Là encore, le PCF critique, mais jusqu'à présent, il laisse faire.

En réalité même, il devient de plus en plus évident que le gouvernement de gauche mène une politique de droite, anti-ouvrière, osant faire ce que Barre et Giscard hésitaient à faire par crainte de réactions de la classe ouvrière. Mais n'empêche nullement le PCF de présenter cette politique de Mitterrand et Mauroy comme globalement positive.

Des tentatives pour prolonger l'illusion qu'un changement existe

Pour tenter d'en convaincre les travailleurs, le PCF a adopté une tactique bien simple. Il s'est accroché à chaque projet de réforme envisagé par le gouvernement pour en valoriser tous les éléments potentiellement positifs. Puis au fur et à mesure que les baudruches se dégonflaient, au fil des débats parlementaires, des passages en commissions parlementaires ou sénatoriales, en conseil constitutionnel et autres, le PCF reconnaissait les insuffisances mais innocentait le gouvernement. Si les pas en avant étaient si petits et si lents, c'était la faute du patronat, du CNPF, de la droite, dénoncés comme les forces du mal opposées au changement voulu par le bon gouvernement de gauche.

Le PCF s'est ainsi accroché au projet de réforme sur la décentralisation qui devait être la base d'une vie politique plus décentralisée et plus démocratique : si la plupart des points importants restent encore en suspens, le PCF juge les tentatives positives.

Parallèlement, le PCF a largement contribué à présenter les nationalisations comme positives pour les travailleurs. On se souvient des polémiques entre le PCF et le PS en 1978, où le PCF affirmait que les propositions des socialistes étaient si limitées qu'elles ne changeraient rien et ne feraient pas reculer les « pouvoirs patronaux ». Les projets socialistes ont été révisés dans un sens encore plus favorable aux capitalistes et plus défavorables aux travailleurs : augmentation de l'indemnisation vouée aux capitalistes, affirmation que la gestion des entreprises nationalisées devait obéir aux mêmes critères de rentabilité que les entreprises privées, nomination de P-D.G qui ne pouvaient faire illusion sur leurs intentions vis-à-vis des travailleurs, etc... Eh bien, le PCF a sans doute réaffirmé que « le champ des nationalisations devait être plus large que celui défini par le gouvernement » et qu'il « faut nationaliser tous les groupes (avec les filiales) » . Mais cela ne l'a pas empêché de présenter les nationalisations, dans l'Humanité Dimanche du 21 février, comme un véritable bond qualitatif en avant qui devait permettre « d'échapper à la logique du profit » ajoutant que « les moyens sont réunis pour modifier en profondeur le paysage économique et social de la France dévasté par les précédentes équipes au pouvoir et les patrons autoritaires » . Comme cela ne l'a pas empêché de répéter dans les tracts d'entreprise qu'elles constituaient la pierre angulaire d'une politique nouvelle.

Quand le gouvernement, passant par dessus la tête des députés socialistes et communistes, décidait de légiférer par ordonnances, le PCF a accrédité l'idée que le recours à cette procédure allait dans le bon sens. C'est ainsi que Charles Sylvestre, dans l'Humanité du 9 septembre 1982 exprimait sa satisfaction « la décision prise hier par le Conseil des Ministres d'accélérer la procédure qui va permettre de mettre en oeuvre une série de projets relatifs à une nouvelle politique sociale manifeste » écrivait-il, « la volonté du gouvernement de faire un pas en faveur des travailleurs » ...

Par ailleurs, il n'a pas manqué une occasion de prendre au sérieux les projets prétenduement destinés à faire payer les riches. Et l'impôt sur la fortune a beau s'être rétréci comme peau de chagrin, le PCF le présente toujours comme un geste de justice.

Sur un terrain capital pour la classe ouvrière, celui du chômage, le PCF a fait une large publicité sur le fait que l'État allait créer des emplois, que la relance entraînerait des créations d'emplois dans l'industrie et que, grâce aux contrats de solidarité, les patrons embaucheraient des jeunes.

Or aujourd'hui, il y a toujours plus de deux millions de chômeurs, l'État n'a pas créé d'emplois, la relance n'a pas eu lieu et les contrats de solidarité en nombre réduit, s'avèrent d'une portée extrêmement limitée. Mais cela n'empêche pas le PCF de dire que le gouvernement fait tout ce qu'il peut contre le chômage.

Sur un autre terrain, celui d'une nouvelle législation concernant ce que Auroux, le ministre du Travail, appelait les droits des travailleurs, le PCF pouvait peutêtre espérer avoir à cautionner moins de reculades dans la mesure où les réformes envisagées -concernant essentiellement quelques prérogatives des syndicatsavaient l'avantage d'être bon marché. Eh bien, ce projet qui devait donner aux travailleurs « une nouvelle citoyenneté » dans l'entreprise s'est plutôt rétréci. Et la reculade que le PCF vient récemment de couvrir en ce qui concerne le droit pour les CHS (maintenant CHSCT) de faire arrêter le travail « s'il estime qu'il existe un danger grave et imminent », est significative.

Mitterrand avait promis d'accorder le droit aux comités d'hygiène et sécurité d'interrompre les travaux dangereux pour les travailleurs. Or le projet soumis au Parlement ne le stipulant pas, les députés communistes avaient préparé un amendement sur le projet prévoyant la possibilité pour le nouveau CHSCT de se réunir d'urgence, et de décider l'interruption des travaux pour une durée de 24 heures renouvelable une fois. Eh bien, cet amendement, il a accepté de le retirer dit Le Monde du 24 septembre 1982. Et le lendemain, l'Humanité titrait pudiquement « Prévention des accidents : la question reste posée » sans se vanter, ni même mentionner le retrait de cet amendement.

Et il y a fort à parier que si au cours des navettes entre le Sénat et la Chambre des Députés, il devient de plus en plus difficile de discerner quels droits nouveaux ont été accordés, le PCF trouvera tout de même encore le moyen d'y voir un « pas important » dans le « bon sens ».

II est certain que au fur et à mesure que les mois passent et les projets de réforme trépassent, la crédibilité de l'argumentation du PCF va en diminuant.

Les premiers mois, le PCF pouvait s'appuyer sur quelques gestes (augmentation du SMIC, de certaines allocations). II pouvait s'appuyer sur les projets du gouvernement pour alimenter les illusions des travailleurs. Aujourd'hui, ce langage est de plus en plus difficile à tenir car le gouvernement n'a plus guère de projets à mettre en avant pour retarder le moment où il apparaîtra que sa politique est fondamentalement identique à celle de ses prédécesseurs.

II est bien évident que Mitterrand, les dirigeants du Parti Socialiste comme les dirigeants du Parti Communiste, connaissent ce risque. Ils savent bien que leur politique ne peut manquer de décevoir la classe ouvrière et que les bonnes paroles destinées à présenter sous un jour positif ce qui ne l'est pas, auront leur temps. Ils savent bien que si la caution du PCF peut, peut-être, retarder l'heure où les désillusions se transformeront en mécontentement voire en colère, elle ne peut pas éliminer ce risque. C'est à ce moment là qu'il sera peutêtre décisif pour le gouvernement que le PCF soit en mesure d'éviter d'éventuelles explosions sociales que redoute non seulement le gouvernement, mais la bourgeoisie française.

Et c'est bien pour se préparer à ce rôle que le PCF doit, tout en étant un parti de gouvernement, continuer d'apparaître comme un parti différent du Parti Socialiste et du gouvernement, comme un parti qui fait prévaloir autant que faire se peut, les intérêts propres des travailleurs, et comme un « parti de lutte ».

Des initiatives limitées pour paraître défendre les travailleurs

Si la solidarité gouvernementale est une constante de la politique du PCF depuis seize mois, une autre constante est bien qu'il essaie lui, et la CGT d'ailleurs, d'apparaître aux travailleurs comme autre chose qu'une simple courroie de transmission du gouvernement.

Si au mois de novembre 1981, quand à Peugeot à la SNCF, à Renault, à Air France, le PCF a montré qu'il ne souhaitait pas voir les travailleurs prendre trop vite l'initiative du changement (prise de position de Fiterman contre les grèves minoritaires, coup d'arrêt à Renault), néanmoins le PCF et la CGT ont à plusieurs reprises, encouragé des mouvements grévistes du moment où ils pouvaient paraître comme complémentaires des efforts du gouvernement et comme uniquement dirigés contre les patrons qui s'opposent au changement.

II a expliqué qu'il fallait lutter contre les patrons qui paralysent le gouvernement et qui sabotent la politique nouvelle.

C'est ainsi que l'application de l'ordonnance sur les 39 heures, ont amené le PCF et la CGT non seulement à rallier mais à susciter des grèves. Mitterrand s'était déclaré en faveur de la compensation à 100 % de l'heure non travaillée, et le PCF comme la CGT ont pu trouver ainsi un terrain où ils pouvaient montrer qu'ils étaient restés des organisations qui n'hésitaient pas à mener de justes luttes contre les patrons sans mettre en cause le gouvernement. Par ailleurs, bien qu'elle concerne en fait l'ensemble des travailleurs, les conditions d'application des 39 heures variaient usine par usine. Et le PCF et la CGT ont pu ainsi mener ces luttes de façon émiettée. Enfin, la revendication était très limitée, les travailleurs ont pu obtenir quelques succès et dans cette mesure, toute cette vague de grèves n'a pas creusé de fossé entre le gouvernement et la classe ouvrière.

L'autre série de mouvements de grève encouragés, déclenchés et dirigés par la CGT avec l'entière caution du PCF, ont eu lieu à Simca et à Citroën et correspondaient au fond au même type de politique.

Dans ces mouvements, il s'agissait de faire reculer des patrons de combat sur leur refus de reconnaître les libertés syndicales élémentaires dans leurs entreprises et en particulier de faire sa place à la CGT.

C'était un terrain où, là encore, le PCF pouvait faire apparaître la lutte anti-patronale comme complémentaire de l'action du gouvernement puisque, dans le même temps, le ministre du Travail, Auroux, peaufinait son projet sur les droits nouveaux des travailleurs. Et cette fois aussi, il s'agissait de conflits liés à des entreprises particulières et connues pour être des bastions des syndicats patronaux, avec des objectifs de lutte très spécifiques et présentés comme tels, de sorte que ces luttes pouvaient au meilleur des cas attirer la sympathie des autres travailleurs, mais pas faire tache d'huile.

Mais ces quelques occasions de se montrer combatif et partisan des luttes sans prendre le risque de voir les travailleurs entrer en lutte contre le gouvernement, sont limitées.

La marge de manoeuvre dont le PCF dispose sur des problèmes secondaires est très réduite dès qu'il s'agit de problèmes cruciaux comme la baisse du pouvoir d'achat voulue par le gouvernement ; et là, le PCF ne peut en réalité rien faire - ou presque - sans s'opposer au gouvernement. Comme il est bien évident aussi que dès que les luttes prennent de l'ampleur, il n'est plus possible de s'en prendre aux patrons sans s'en prendre au gouvernement à leurservice.

II est caractéristique que, jusqu'à présent, le PCF et la CGT n'aient même pas pris le risque d'organiser contre le blocage des salaires la moindre journée d'action. Et si, sur le problème du maintien du pouvoir d'achat et du niveau de vie, le PCF et la CGT ont émis des critiques, si récemment Krasucki a « encouragé » « les travailleurs à hausser le ton », ils ont surtout cherché à contourner le problème et à développer une agitation, une propagande et des initiatives sur des thèmes qui leur permettent d'éluder les problèmes de fond et d'éviter surtout de parler de luttes.

C'est ainsi que sur le problème du maintien du niveau de vie de la classe ouvrière le PCF, plutôt que d'axer son agitation et ses propositions d'intervention sur l'augmentation des salaires, a préféré multiplier les semblants de propositions en faveur du blocage des prix.

Quelques campagnes de diversion

A plusieurs reprises, au fil de ces seize mois, le PCF a mené des mini-campagnes sur la nécessité pour les travailleurs d'aider au blocage des prix et sur les moyens dont ils disposaient pour intervenir contre les hausses abusives ou pour surveiller les prix à la production par l'intermédiaire des Comités d'Entreprise. Oh bien sûr, les militants syndicaux pouvaient trouver là matière à démarches et questions, à réponses et informations ; mais on comprend facilement que ce terrain avait surtout l'avantage pour le PCF d'être un terrain où l'action du PCF pouvait paraître complémentaire des intentions du gouvernement.

En accréditant l'idée que si les travailleurs coopéraient avec le gouvernement et l'aidaient, un blocage des prix était possible, le PCF entraînait et ne convainquait peutêtre pas grand monde, même parmi ses militants. Mais il concourrait à présenter le blocage des salaires, non pas pour ce qu'il est - une mesure anti-ouvrière - mais comme un simple défaut dans une politique favorable à la classe ouvrière, comme un problème presque secondaire que l'on peut, à la limite, évincer.

Ceci est, bien entendu, un leurre pour les travailleurs, d'abord justement parce que cela évacue la lutte pour les salaires alors que c'est tout de même sur les salaires que les travailleurs ont le plus de moyens de peser. En même temps, les moyens proposés par le PCF pour lutter contre les hausses de prix - contrôles ponctuels dans les quartiers et les grandes surfaces, contrôle entreprise par entreprise par l'intermédiaire des Comités d'Entreprise - sont dérisoires. Car on voit mal comment les membres syndicalistes des CE, ou même des militants à qui on fait faire en ordre dispersé le travail des inspecteurs des prix, pourraient réussir quand le gouvernement, les députés de gauche et même les ministres communistes sont totalement impuissants.

Mais l'important pour une parade n'est-elle pas qu'elle fasse complètement diversion même si elle ne résiste à aucun examen critique sérieux ?

C'est certainement ce que pense le PCF et il faut bien dire qu'il multiplie les interventions, propositions et mini campagnes de ce type. C'est en tout cas une autre opération de ce type que le PCF se propose avec sa double campagne sur la « reconquête du marché intérieur » qu'il lie à la « bataille de la production ». Là encore, le PCF propose aux travailleurs d'aider le gouvernement à redresser la barre et à jouer un rôle important dans une relance qui n'en finit pas de se faire attendre.

D'après le PCF, si l'économie française ne marche pas, c'est parce que « la mauvaise gestion giscardienne » a laissé le patronat « mettre en pièce le tissu industriel national au seul bénéfice d'un redéploiement àl'étranger parce qu'il rapportait plus tout de suite ».

Alors pour sortir du « cercle vicieux » qui fait que l'on achète de moins en moins français, il faut, non seulement que les travailleurs achètent français, mais qu'ils obligent les industriels à acheter français. Comme il faut obliger les capitalistes à investir français même si c'est moins rentable.

Et voilà donc à nouveau les travailleurs appelés à se mobiliser, mais cette fois pour contribuer à la relance de l'économie nationale.

Dans les entreprises nationalisées comme dans les autres, il faudrait d'après le PCF, que les travailleurs - en particulier, d'ailleurs, les militants du CE - aillent mettre leur nez dans tout ce que la direction achète à l'étranger pour voir si cela ne peut s'acheter en France, même un peu plus cher. Quelques exemples : aux PTT, la Fédération CGT communiquait ainsi qu'elle allait s'indigner en haut lieu que les PTT aient acheté des véhicules Mercédès alors que la crise frappe l'automobile française. Au Crédit Lyonnais, on a posé des questions sur l'utilisation de disquettes étrangères pour l'informatique. Le numéro de la Vie Ouvrière de la dernière semaine de septembre dissèque une malheureuse R4 qui montre piteusement à quel point les producteurs étrangers interviennent dans sa fabrication.

Là encore, le PCF ne risque pas de heurter sur ce terrain le gouvernement de plein fouet, car lui aussi se dit volontiers partisan du « acheter et produire français ». Et toute cette campagne apparaît non seulement comme suiviste vis-à-vis de Mitterrand mais aussi conservatrice et réactionnaire.

Elle entretient, parmi les travailleurs, l'idée qu'un capitalisme plus social, plus indépendant de l'étranger, serait possible et que les travailleurs n'ont pas d'autre solution que de contribuer au redressement de la situation économique par leurs propositions, leur bon sens et leur civisme.

C'est d'ailleurs dans la même optique que le PCF développe le thème de la « bataille de la production ». Là encore, il s'agit pour le PCF de mettre ses militants et les travailleurs à la recherche des petits gaspillages.

Et dans ce domaine encore, l'Humanité, comme la presse d'entreprise, multiplie les exemples de petits gâchis qui feraient les grandes crises. II y aurait bien souvent plus de quoi rire que pleurer quand on connaît les véritables dimensions du gâchis économique engendré par le système capitaliste. Mais peu importe au PCF la valeur des remèdes qu'il propose, car là n'est pas le problème. Son problème est, encore une fois, de détourner les travailleurs de terrains de lutte où ils s'affronteront directement au gouvernement.

Le rappel fait par Herzog, à la fête de l'Humanité du « retroussez les manches » de Maurice Thorez après la Libération, n'était bien sûr, - c'est du moins ce qu'a tenu à préciser André Lajoinie, président du groupe parlementaire du PCF - que le rappel d'une « déclaration historique ». Mais c'était tout de même un symbole. Le symbole que « même si la situation n'était pas la même » - toujours selon A. Lajoinie, à France-Inter - « car on ne peut encourager deux millions de chômeurs à travailler, mais leur permettre de trouver un emploi » , même si c'est aujourd'hui une période de crise, le PCF était prêt à mettre son poids dans la balance pour que les travailleurs produisent sans entraver la politique du gouvernement, des Mauroy, Mitterrand, Delors et avec eux, bien sûr, de ceux qu'ils servent : les industriels et les banquiers.

Au cours de ces seize mois, le PCF s'est donc comporté vis-à-vis de Mitterrand et du Parti Socialiste comme un allié loyal. II a respecté le contrat et suivi docilement la politique de Mitterrand. Les ministres communistes ne se sont distingués en rien de leurs collègues. Et les dirigeants du PCF ont toujours cherché à ce que les indispensables manifestations d'originalité et d'indépendance de leur parti ne gênent en rien Mitterrand et le gouvernement.

D'un autre côté, à la fois pour maintenir son existence - pour maintenir ses résultats électoraux par exemple, et le problème va se poser dans quelques mois déjà, aux prochaines municipales - et pour garder son image de marque et son crédit dans la classe ouvrière, le PCF a essayé de continuer à apparaître comme un parti ayant une politique originale et comme le parti des travailleurs.

Mais la marge de manoeuvre est étroite.

Jusqu'à présent, le PCF est parvenu à tenir un langage un peu différent dans la forme de celui de Mitterrand et du gouvernement, il a pu encourager quelques luttes, mener certaines campagnes. Et il a pu réussir en même temps, à ne jamais dépasser, dans ce sens là, la limite au-delà de laquelle il pourrait gêner Mitterrand et rompre le contrat.

Mais s'il a pu tenir cet équilibre, c'est avant tout parce qu'au cours de ces seize mois, la classe ouvrière de ce pays n'est pas entrée réellement en lutte, et parce qu'elle a laissé faire le gouvernement de gauche.

Cette passivité de la classe ouvrière a sans doute de multiples raisons : les illusions politiques sur le fait que, même si le gouvernement de gauche n'a rien changé, il est quand même mieux que la droite, le poids du chômage, la menace de la crise, l'inaction de ses organisations syndicales et politiques.

Mais ce climat peut changer du jour au lendemain car la classe ouvrière n'est ni défaite, ni brisée, ni désorganisée ; et elle est même bien souvent lucide. Cela, le PCF le sait bien. Or ses intérêts de parti vont dans le même sens que ceux de Mitterrand et ceux de la bourgeoisie : prévenir toute explosion sociale. Car l'entrée en lutte de la classe ouvrière l'obligerait peut-être à des choix, à se découvrir, à heurter de front la volonté des travailleurs, ou alors à se séparer du gouvernement.

Mais s'il est vrai que le PCF travaille à retarder cette échéance, il n'est pas en son pouvoir de l'ajourner définitivement.

Alors, que ferait le PCF si, dans les mois qui viennent, les travailleurs entraient en lutte, s'opposant aux patrons et au gouvernement ? Que fera-t-il, s'il ne lui est plus possible de donner le change, et quand être un parti de gouvernement voudra dire se heurter ouvertement et de front aux travailleurs et à leurs luttes ?

L'exemple du choix qu'il a fait dans le passé, en 1947, celui de ne sacrifier ni son crédit dans la classe ouvrière, ni son originalité , pour une participation au gouvernement, ne veut pas dire qu'il referait aujourd'hui le même.

La façon dont il se comporte au gouvernement inciterait même à penser que c'est du côté de celui-ci qu'il pourrait choisir de se tenir, dans la mesure bien sûr, où cela dépendrait de lui et où ce ne seraient pas Mitterrand et la bourgeoisie qui décideraient de se passer de ses services.

Un tel choix lui poserait de nombreux problèmes, en son sein et dans ses relations avec les travailleurs ? Sans doute. Mais depuis seize mois maintenant, le PCF fait la démonstration que sa principale préoccupation, c'est bien de faire la preuve qu'il est un parti de gouvernement aussi fiable et aussi responsable vis-à-vis des intérêts de la bourgeoisie que n'importe quel grand parti social-démocrate.

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