Parti Communiste Français : des contestataires plus que des opposants01/06/19781978Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1978/06/54_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Parti Communiste Français : des contestataires plus que des opposants

Aux dernières nouvelles, un millier de militants auraient signé cette « pétition des 300 » qui tient en quelque sorte lieu de charte pour les contestataires du Parti Communiste Français.

Un millier sur plus de 600 000 adhérents, c'est peu affirme Marchais avec quelque raison. Et il est également vrai que les possibilités d'expression que les contestataires trouvent dans la presse - hormis celle du PCF bien entendu - ne doit pas abuser sur l'étendue réelle de leur audience à l'intérieur même du Parti Communiste Français.

Il n'en reste pas moins que la contestation est plus ample que tout ce que le PCF avait connu au cours des dernières années. Dans le contexte de l'échec électoral de la gauche, les Elleinstein, Althusser, Frémontier et autres Rony trouvent, au sein même du parti et en particulier parmi ses intellectuels, des soutiens qui avaient naguère manqué à un Garaudy.

La direction du parti a d'ailleurs abandonné son attitude plutôt débonnaire du début. Il n'est pas encore question d'exclusion - Marchais répète même qu'il n'y en aura pas - mais le ton est plus dur, et la direction cherche manifestement à isoler les contestataires et dresser contre eux le parti, sans parvenir à désamorcer la fronde pour le moment.

Au contraire, pourrait-on dire. Sans doute pour ce qui est de ses idées et de ses projets, la contestation reste dans le même vague qu'en ses débuts. Par souci tactique, par conviction, ou pour laisser dans l'ombre leurs divergences ou leurs hésitations, les contestataires en restent à critiquer le fonctionnement du parti et la politique de sa direction pendant la campagne électorale, mais sans nullement chercher à apparaître comme lés défenseurs d'une autre politique pour le PCF. Mais par contre, sur un fond politique qui ne les distingue guère de la direction du parti, les chefs de file de la contestation procèdent à des gestes spectaculaires, en prenant manifestement le risque d'être éventuellement exclus ou mis à l'écart.

Ne se contentant plus d'écrire dans les colonnes du Monde, de l'Express, dans Le Nouvel Observateur, Elleinstein comme Frémontier se retrouvent dans le comité de parrainage du nouvel hebdomadaire Maintenant, destiné à prendre la succession de Politique Hebdo, et qui se propose d'être une sorte d'organe de débat de la gauche au-delà des partis et défendant « un socialisme bien loin des dérives social-démocrates, des goulags staliniens et des carcans technocratiques ». Ils côtoient dans ce comité de parrainage d'autres contestataires du PCF, ainsi que des membres du CERES, des membres du PSU ou des « intellectuels de gauche » n'appartenant à aucun parti.

Par ailleurs, Elleinstein, Rony et quelques autres ont accepté de participer aux débats organisés lors du rassemblement de la Ligue Communiste Révolutionnaire de la porte de Pantin, aux côtés de responsables du Parti Socialiste et d'anciens exclus du PCF comme Garaudy, et d'y participer en tant que membres du Parti Communiste.

Même si Elleinstein est allé au rassemblement de la LCR pour y défendre la ligne du XXIIe Congrès, le geste de se rendre à un rassemblement trotskyste était suffisamment spectaculaire pour être souligné par toute la presse et pour déclencher les foudres de Roland Leroy.

Il y a donc une sorte d'épreuve de force engagée entre la direction du parti et ses contestataires.

L'enjeu en serait-il la social-démocratisation plus ou moins grande du Parti Communiste Français ? Certainement non.

Pas seulement parce que la contestation, pour spectaculaire qu'elle puisse être, ne semble pas « mordre » suffisamment dans le parti pour pouvoir réellement en changer les orientations politiques. Mais surtout parce que cette contestation se fait sur la même base politique que celle de la direction actuelle du parti.

La social-démocratisation, c'est-à-dire le choix de rompre avec tous les liens du passé pour devenir un parti de gauche comme le PS, susceptible d'être de façon permanente une option politique possible pour la bourgeoisie française, n'est pas l'enjeu de la fronde actuelle. Elle en constitue seulement la toile de fond. Elle n'est pas un objet de désaccord entre les protagonistes du débat - si l'on peut dire - en cours. Elle est, au contraire, le commun dénominateur politique entre Marchais et ses opposants.

En fait, si l'on entend par crise l'affrontement entre options politiques différentes pour le Parti Communiste Français, la fronde actuelle est moins une crise en elle-même que l'expression d'une crise plus générale, plus fondamentale que traverse en effet le PCF depuis plusieurs années et où ce qui est le plus spectaculaire n'est pas nécessairement le plus décisif. Une crise feutrée, ponctuée par la fameuse « réprobation » du PCF devant l'intervention des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie en 1968 ; par la démission de Jeannette Vermeersch du Bureau Politique en protestation contre cette réprobation ; par l'exclusion de Garaudy qui, au contraire, trouvait la réprobation trop timide ; par l'accession de Marchais à la succession de Maurice Thorez après l'intermède Waldeck Rochet ; par la signature du Programme Commun ; par le XXIIe Congrès enfin, où la direction du parti a officiellement pris ses distances par rapport à Moscou, en abandonnant par la même occasion ses références à la dictature du prolétariat.

Le difficile chemin de croix du PCF pour devenir une option politique acceptable par la bourgeoisie

Cela fait bien des décennies que, de par les perspectives politiques qu'il défend dans la classe ouvrière, le Parti Communiste Français est devenu un parti social-démocrate. Comme tous les partis sociaux-démocrates du monde, le Parti Communiste se fixe comme objectif ultime d'utiliser son influence sur la classe ouvrière pour parvenir au gouvernement dans le cadre de l'État et de la société bourgeoise.

Il joue le même rôle de stabilisation sociale que les partis sociaux-démocrates là où ils ont une influence, en entretenant les travailleurs dans l'illusion qu'il leur est possible de changer leur sort sans toucher ni à l'État, ni aux fondements capitalistes de l'économie, par le simple jeu des élections parlementaires et des réformes progressives.

Devenu réformiste, le PCF avait cependant gardé pendant très longtemps des traits originaux qui le rendaient suspect aux yeux de la bourgeoisie, et qui le disqualifiaient d'office dans le grand jeu de concours permanent pour l'alternance aux responsabilités gouvernementales qui fait les charmes de la démocratie parlementaire bourgeoise et la raison d'être de tous les partis politiques qui situent leur action dans le cadre de ce système parlementaire bourgeois.

D'une part, héritage du passé du parti, le sommet de son appareil était pendant très longtemps plus lié, humainement voire matériellement, à la bureaucratie dirigeante de l'Union Soviétique qu'à la bourgeoisie française. La bourgeoisie française ne pouvait pas accepter - en dehors des périodes exceptionnelles - d'associer à la gestion de ses intérêts politiques un parti qu'elle savait susceptible de prendre fait et cause pour les intérêts de la bureaucratie soviétique au détriment des siens propres.

D'autre part, les liens du Parti Communiste avec la classe ouvrière étaient plus ambigus que ceux d'un parti réformiste traditionnel que la bourgeoisie accepte comme sien. Le Parti Socialiste en particulier, sous ses dénominations successives, a été pendant longtemps un parti essentiellement électoral, dont les dirigeants n'avaient guère d'autres liens avec la classe ouvrière que ceux que l'on a avec une clientèle électorale dont on sollicite de temps en temps les votes. Le Parti Communiste, lui, a une implantation réelle dans la classe ouvrière, au travers de dizaines de milliers de militants et d'adhérents, recrutés sur la base de références explicites au communisme, au pouvoir de la classe ouvrière, etc.

Ces militants ouvriers faisaient de tout temps, et font encore, la force du Parti Communiste. C'est incontestablement grâce à eux, à l'influence qu'ils exercent sur les travailleurs, que le PCF peut jouer le rôle de stabilisation qui le rend de temps en temps indispensable à la bourgeoisie. Mais c'est également leur existence et le rôle qu'ils jouent dans l'organisation quotidienne des travailleurs qui rend le PCF extrêmement sensible à ce qui se passe dans la classe ouvrière. Trop sensible même, aux yeux de la bourgeoisie, qui veut des hommes politiques fiables en toutes circonstances.

La bourgeoisie, même si elle sait parfaitement que le Parti Communiste se place entièrement sur son terrain, ne lui pardonne pas d'être sensible sur sa gauche, de chercher à plaire aux travailleurs par un radicalisme, fût-il verbal, et surtout d'être tenté de se porter à la tête des luttes ouvrières dès lors qu'il craint de perdre son influence sur les travailleurs au profit d'autres.

Toutes les forces qui poussent dans le sens d'une intégration complète du Parti Communiste Français dans la vie politique bourgeoise - elles sont nombreuses et ce sont elles qui sont déterminantes - agissent en même temps dans le sens d'un abandon complet et définitif des traits originaux du PCF. Mais précisément parce que ce qui constitue un handicap aux yeux de la bourgeoisie fait en même temps l'originalité et l'audience du PCF dans la classe ouvrière ; précisément parce que ce gros corps social qu'est le PCF est soumis à des forces contradictoires, l'évolution n'est pas simple, ni rapide.

Même une direction tout à fait déterminée à s'engager sur la voie de la social-démocratisation ouverte doit manoeuvrer avec prudence pour éviter à la fois l'éclatement du parti et la perte de son audience.

De surcroît, pendant très longtemps, l'appareil et la direction elle-même ont été soumis aux mêmes forces contradictoires que l'ensemble du parti. Formée en d'autres temps, passée par le dur dressage stalinien, la direction thorézienne était suffisamment liée à Moscou pour que ces liens résistent à l'aspiration de rompre les amarres et de devenir un authentique parti national réformiste. Il aura fallu qu'une relève s'opère progressivement et qu'émerge une nouvelle direction, bien plus préoccupée par la place du PCF dans la société française que par les intérêts de la bureaucratie soviétique, pour que le PCF se démarque sans équivoque de Moscou et de sa politique. Mais le PC français aura pris quelque dix années de retard par rapport à son homologue italien.

Facilitée par la mort de Thorez et le vieillissement de toute une génération de dirigeants staliniens, la relève s'est opérée dans l'atmosphère feutrée de la haute direction.

Mais bien que pas grand-chose n'en ait transpiré - en dehors des affaires Vermeersch et Garaudy - et bien que les militants de base n'aient pas même été appelés en témoins, c'est une véritable lutte de tendance qui s'est alors déroulée, et une lutte de tendance d'une portée plus grande pour l'avenir du parti que ce qui oppose aujourd'hui les contestataires à la direction actuelle en place. Le règne transitoire de l'incolore Waldeck Rochet fut en son temps l'expression d'un certain équilibre entre les tendances « moscoutaires » et les tendances prêtes à rompre les amarres pour mieux s'intégrer dans la vie politique française, pour mieux se « social-démocratiser ».

Et dans ce sourd affrontement, Marchais, l'homme d'appareil tard venu au PCF, ni dirigeant ouvrier, ni homme-lige de Moscou, représentait l'option pour la social-démocratisation accélérée. Son accession au secrétariat général était le signe que la direction du PCF avait définitivement choisi d'aller dans le sens d'une intégration complète dans la vie politique française, quitte à jeter par dessus bord ce qui dans le langage et le comportement politique du PCF pouvait constituer un obstacle à cette intégration (du moins du côté du PCF, car ce que fera la bourgeoisie est encore autre chose).

Avec quelques années de retard dans l'évolution et avec toutes les différences imposées par la différence du contexte, Marchais incarne en France la même politique que Berlinguer en Italie. Une politique d'abandon progressif du réformisme honteux marqué par des traces d'un passé communiste, au profit d'un réformisme fier de l'être.

Le XXIIe Congrès, c'est Marchais. La rupture de fait de tout lien de dépendance avec Moscou, c'est Marchais. L'abandon de toute référence à la dictature du prolétariat, c'est encore Marchais. Il ne s'agit pas de spéculer sur la solidité de la position de l'homme au sein de l'équipe dirigeante mais du choix politique auquel il a lié son nom.

Une opposition qui conteste marchais, mais au nom de la ligne politique de ce dernier

Dans ses déclarations accordées à l'Express, Michel Barak, un des principaux animateurs de la « pétition des 300 », laisse entendre qu'il souhaiterait le départ de la direction actuelle. Mais au nom de quelle politique ? La grande majorité des contestataires se réclamant de la « ligne du XXIIe Congrès » et ceux qui, comme Althusser, avaient en son temps critiqué cette ligne promue par Marchais, taisent aujourd'hui ces critiques.

Le fait que la contestation se retrouve peu ou prou sur la « ligne du XXIIe Congrès » montre d'abord que sa critique sur la direction du parti n'est pas une critique de gauche. Mais cela montre aussi que les contestataires n'ont pas, non plus, une autre politique à proposer au PCF, même sur la voie d'une social-démocratîsation accélérée.

Car sur ce terrain, Marchais occupe entièrement la place. Les contestataires reprochent à Marchais de ne pas aller assez vite, assez loin, mais sur le chemin qu'il avait lui-même indiqué. Ils s'alignent sur la politique de Marchais pour l'avenir, même s'ils le critiquent pour son attitude pendant les élections.

Les Elleinstein, Althusser ou Frémontier ont réussi, momentanément, à déborder Marchais sur sa droite dans le langage - en lui reprochant justement son langage trop « radical », trop « anti-socialiste », trop « ouvriériste » pendant la campagne électorale - mais ils ne l'ont pas débordé pour ce qui est des perspectives politiques proposées. Il faut croire que, pour aller vers la social-démocratisation, il n'y a pas d'autre voie que celle sur laquelle Marchais avait engagé son parti, ou du moins, il n'y a pas d'autre voie pour un Parti Communiste fort.

Mais c'est peut-être là qu'il y a des différences entre Marchais et certains des intellectuels qui le contestent.

Marchais agit en dirigeant de parti. Il veut que le PCF devienne plus ouvertement social-démocrate, susceptible de participer pleinement à l'alternance du pouvoir gouvernemental. Mais son projet suppose un Parti Communiste fort, un Parti Communiste de taille à ambitionner la place qui est celle des partis sociaux-démocrates en d'autres pays - ou encore celle que le Parti Communiste Italien tente d'occuper en Italie.

Mais c'est justement là le problème : en Italie, le PCI, en se « social-démocratisant », a pu occuper une place laissée vacante par de chétifs partis socialistes. Cela ne lui a pas encore valu d'être reconnu comme parti gouvernemental à part entière - et rien ne garantit qu'il le sera de sitôt - mais enfin, il est seul dans la place, et si la bourgeoisie italienne a besoin de recourir à des solutions politiques social-démocrates, il lui faudra bien en passer par le PCI.

Il n'en est pas de même en France. Il y a un Parti Socialiste plus puissant électoralement que le Parti Communiste, même s'il est bien moins puissant dans la classe ouvrière. Le Parti Socialiste doit pour l'essentiel sa renaissance au Parti Communiste et à sa politique d'alignement derrière Mitterrand, sans doute. Mais toute option politique « social-démocrate » de la bourgeoisie française s'articulera du coup autour du Parti Socialiste de Mitterrand. Le Parti Communiste n'a une chance d'être au moins partie prenante dans une option de gauche de la bourgeoisie qu'à condition de maintenir son audience électorale et son influence sur la classe ouvrière, et donc de ne pas disparaître derrière le Parti Socialiste.

La « social-démocratisation » du PCF rapproche celui-ci en un sens du Parti Socialiste, mais rend aussi la concurrence entre les deux partis plus féroce. Ils chassent tous les deux sur le même terrain. Ils veulent incarner tous les deux la même option politique pour la bourgeoisie. S'ils sont contraints à s'allier aujourd'hui, il n'est pas dit qu'il y ait réellement de la place pour deux. En tous les cas, il n'y a pas vraiment de la place pour le PC en tant que parti incarnant l'option de gauche de la bourgeoisie, si le Parti Socialiste se renforce à son détriment.

C'est bien pour l'avoir compris et pour limiter les dégâts que la direction du PCF avait déclenché la lutte que l'on sait contre le Parti Socialiste durant la campagne électorale. Le fait que Marchais ait choisi de concurrencer Mitterrand sur sa gauche découle sans doute de cette erreur d'analyse qui n'était pas seulement la sienne, et qui misait sur une radicalisation de l'électorat. Avec une autre analyse, il aurait pu chercher à concurrencer le PS sur autre chose que sur le SMIC ou sur le nombre des nationalisations. Mais il aurait été de toute façon obligé de chercher un terrain où s'opposer au Parti Socialiste. C'était une question de survie politique pour le PCF.

Or, c'est précisément cette concurrence que les contestataires reprochent à la direction du PCF, et c'est la polémique au sein de l'Union de la gauche qu'ils invoquent pour reprocher à Marchais de ne pas être conséquent sur la voie ouverte par le XXIIe Congrès. Pourtant, en tenant un langage plus radical en direction de l'électorat ouvrier et plus ferme en direction des socialistes, c'est toujours les chances de la « voie italienne » que la direction du PCF tentait de préserver.

La contestation entre la stérilité, l'alignement derrière marchais, ou l'opposition au PCF sur sa droite

Il est difficile de deviner quels sont les projets du courant contestataire Elleinstein-Althusser-Rony, à supposer qu'il en ait un. Pour l'instant, les intellectuels contestataires s'entendent pour en rester à la revendication d'une plus grande démocratie interne dans le parti, et à demander des comptes à la direction sur son rôle dans l'échec électoral de l'Union de la gauche. C'est peu. Et ce n'est pas une perspective politique.

Mais précisément parce que les contestataires restent entièrement dans le cadre de la « ligne du XXIIe Congrès », c'est-à-dire dans le cadre de la politique de Marchais, il n'y a pas tellement de directions dans lesquelles ils sont susceptibles d'évoluer.

Ils peuvent rester condamnés simplement à la stérilité, en restant justement des contestataires, capables seulement de contester Marchais, mais incapables de proposer une politique propre. Ils peuvent aussi finir par s'aligner derrière Marchais car, après tout, ils ne représentent pas pour l'instant une autre politique.

Mais s'ils ne peuvent guère incarner une autre façon de faire parcourir au PCF la voie « à l'italienne » que celle que propose Marchais, ils peuvent par contre se faire les chantres d'une tout autre option social-démocrate, une option qui ne se réaliserait pas par la social-démocratisation d'un PCF demeuré fort, mais par l'affaiblissement du PCF.

Le rêve de voir naître une gauche puissante, crédible aux yeux de la bourgeoisie, capable d'être une alternative à la droite, est un vieux rêve. Il est largement répandu parmi les admirateurs du parlementarisme anglais ou allemand, et en particulier dans la gauche non communiste. La prépondérance d'un PCF « non ministrable » au sein de la gauche rendait dans le passé le rêve tout à fait irréalisable. Puis, le PCF semblait vouloir s'effacer de bonne grâce derrière le PS et rendre enfin possible, sinon la création d'un vaste travaillisme à la française, capable de faire le contre-poids à la droite dans un système bipartiste, du moins une Union de la gauche dominée par Mitterrand. Jusqu'au jour où le PCF a montré avec éclat qu'il n'entendait pas disparaître, mais tenait à participer au festin.

Toute l'intelligentsia de la gauche non communiste s'est jetée alors contre le PCF, l'accusant de ne pas accepter de s'affaiblir en silence, pour que vive - et parvienne au pouvoir - la gauche incarnée par Mitterrand.

Et, en somme, c'est bien un peu la même chose que les intellectuels contestataires du PCF lui-même reprochent plus ou moins implicitement à la direction du PCF : ne pas avoir tout fait pour que la gauche en tant que telle arrive au gouvernement, même si cela devait se payer par un affaiblissement du PCF en tant que tel.

Cette critique-là implique sans doute une perspective politique originale par rapport à celle de Marchais : celle de la création d'une vaste gauche « unitaire » crédible, en surmontant la vieille division PC et PS. Assurément, la direction du PCF ne peut pas reprendre à son compte cette perspective-là, même si ceux qui la proposent le font au nom de « l'unité de la gauche », au nom de « l'unité du mouvement ouvrier » et de toute sorte d'autres belles phrases qui sonnent d'autant mieux qu'elles sont creuses. Car un « travaillisme français » ne pourrait évidemment naître que sur le cadavre du PCF.

Alors, les contestataires ont peut-être l'intention d'engager le débat autour de la politique de la direction du PCF plus loin que ce qui ressort de leurs prises de position actuelles. Dans le cadre de ce débat, lis peuvent discuter sur leur gauche comme sur leur droite ; ils peuvent participer à des rencontres aussi bien avec la Ligue Communiste Révolutionnaire qu'avec des membres du Parti Socialiste.

Mais le caractère non sectaire de leurs contacts, leur acceptation du débat avec quiconque, leur langage unitaire, leur défense des intérêts de la gauche au-delà des intérêts de partis, n'est certes pas le gage qu'ils représentent quelque chose de mieux, quelque chose de plus favorable aux travailleurs que ce que représente la direction actuelle du PCF. Leur attitude laisse ouvertes toutes les possibilités : leur retour au bercail dans le parti de Marchais comme leur passage au Parti Socialiste, comme encore la création d'une nouvelle mouture de ces regroupements éphémères qui apparaissent puis disparaissent périodiquement à la lisière des deux grands partis réformistes.

Le rôle des révolutionnaires n'est pas d'applaudir ces genslà, et encore moins de se laisser porter par le courant que ces gens représentent. Si ce courant mène quelque part, il mène vers le Parti Socialiste.

Il n'est même pas dit que le débat engagé par les intellectuels contestataires du PCF avec la gauche, y compris l'extrême-gauche, favorise en lui-même la discussion entre le courant révolutionnaire et les militants du Parti Communiste. Mais si tel était le cas, et ce serait évidemment le mieux, ce n'est pas en faisant du suivisme par rapport à Elleinstein, Althusser et leurs amis politiques, que le courant révolutionnaire a le plus de chances de se faire entendre auprès de ceux qu'il se doit de toucher : auprès des militants et sympathisants du PCF qui se sentent réellement communistes et qui n'approuvent pas l'évolution de leur parti sous l'égide de Marchais, vers la social-démocratisation.

Partager