Mitterrand veut-il du PC au gouvernement ?19/05/19811981Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1981/05/85.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Mitterrand veut-il du PC au gouvernement ?

 

Une des questions posées par l'élection de Mitterrand à la Présidence de la République est celle des relations qu'il entend établir avec le Parti Communiste Français et plus particulièrement, celle de la participation de ministres communistes au gouvernement.

Pour le gouvernement transitoire chargé de préparer les législatives, la question ne se pose plus. Mais au-delà, après les législatives ?

Mitterrand avait lancé à l'époque la stratégie politique qui devait le porter au pouvoir, précisément sur l'engagement de gouverner en commun avec le Parti Communiste. L'Union de la Gauche et la signature d'un programme commun de gouvernement entre le PS, le PC et le MRG avaient alors concrétisé cet engagement.

Bien que la participation de ministres communistes au gouvernement en cas d'élection de Mitterrand ait été évoquée tout au long de la campagne électorale des présidentielles, comme une exigence du côté du PC, comme un repoussoir du côté de la droite, manifestement, le problème se posait, déjà, en des termes différents de ce qu'ils étaient, disons, entre le moment où le programme commun fut signé en 1972, et la rupture de l'Union de la Gauche en 1977-1978.

Malgré une très grande prudence de langage destinée à ménager l'électorat communiste dont Mitterrand avait besoin au deuxième tour des présidentielles, le Parti Socialiste et son candidat étaient cependant formels. Lionel Jospin avait affirmé il y a quelques mois que la « demande de ministres communistes telle que les communistes la formulent actuellement est pour moi incompatible avec la politique menée actuellement par la direction du PC » .

Le refus était catégorique, bien qu'il laissait, il est vrai, la question ouverte au cas où le PCF changerait de politique. En tous les cas, le Parti Socialiste, comme Mitterrand, dissociaient nettement durant toute la campagne, l'élection du candidat socialiste à la Présidence de la République et la participation des ministres communistes au gouvernement. La première ne devait nullement entraîner automatiquement la seconde. C'était aux partis socialiste et communiste de négocier avec d'autres leur entente sur un éventuel programme commun de gouvernement ; ce n'était pas à Mitterrand de s'engager.

En d'autres termes, élire Mitterrand, ce n'était pas pour autant amener des ministres communistes au gouvernement.

Depuis que Mitterrand a été élu et que commence la préparation d'élections législatives, le Parti Socialiste est d'une discrétion remarquable sur la question. Il est vrai qu'en toute hypothèse, il n'a pas intérêt à dévoiler ses batteries. Ni vis-à-vis de l'électorat communiste, dans l'hypothèse où il n'a nullement intention de chercher une entente pour gouverner avec le PC. Ni vis-à-vis de cette frange de l'électorat de droite qu'il compte attirer sur le nom de ses candidats, dans l'hypothèse inverse. Jospin vient de déclarer concernant l'attitude de son parti à l'égard du PC : « Nous n'avons pas dit : on négociera avec le PC s'il change. Nous avons dit : il n'y aura pas d'accord s'il ne change pas » . Déclaration qui, à défaut de briller par la clarté, laisse ouvertes toutes les portes.

Avant les législatives à venir, le PC n'en est d'ailleurs pas à exiger des engagements sur une participation gouvernementale éventuelle. Il en est à demander, suivant l'expression du rapport de Marchais devant le Comité Central, « une place suffisante au sein de la nouvelle Assemblée » . En guise de la « place suffisante », le PC s'estimerait manifestement comblé, si seulement il parvenait à assurer la réelection de ses députés sortants - ce qui est hors de sa portée si les mauvais résultats de Marchais sont confirmés aux élections législatives. A moins que le PS fasse un geste en direction du PC, celui par exemple de ne pas présenter de candidats contre les siens dans un certain nombre de circonscriptions, notamment là où le siège du député communiste sortant serait menacé. Mais le Parti Socialiste n'a vraiment aucune raison de faire ce genre de cadeau au Parti Communiste. Quelles que soient les relations qu'il envisage avec le PC dans le futur, il a intérêt à les établir en accentuant encore le rapport des forces à l'intérieur de la gauche en sa propre faveur.

Mais même à supposer que le PCF sauve les meubles, qu'il ait dans l'Assemblée future un nombre de députés comparable à celui qu'il a dans l'Assemblée précédente, et que par ailleurs, le Parti Socialiste, tout en progressant comme tout le laisse prévoir, n'en soit pas à atteindre la majorité absolue des sièges, cela impliquerait-il nécessairement que Mitterrand cherche à associer le PC à sa majorité, y compris en le prenant au gouvernement ?

 

La faible probabilité d'une participation gouvernementale du PCF

 

Même si l'arithmétique parlementaire jouait plus de rôle dans cette affaire qu'elle ne joue en réalité, Mitterrand ne serait nullement contraint de solliciter le PC et éventuellement d'en payer le prix. Dans le système constitutionnel de la Cinquième République, le gouvernement n'a nullement besoin d'une majorité parlementaire pour être investi - c'est le Président de la République qui nomme le gouvernement - il a seulement besoin d'éviter que se forme une majorité pour le renverser. En d'autres termes, si les députés hostiles à Mitterrand sur sa droite sont en minorité dans la prochaine Assemblée, un premier ministre désigné par Mitterrand peut très bien gouverner de façon stable, même sans l'appui des députés du Parti Communiste, du moment que ces derniers ne s'associent pas à la droite pour voter une motion de censure contre le gouvernement.

Au-delà de l'arithmétique parlementaire, le véritable problème est politique, à savoir quelles raisons pourraient inciter Mitterrand à mettre fin à l'ostracisme qui frappe le Parti Communiste depuis son éviction du gouvernement Ramadier en 1947 ?

A en croire des sondages récents, l'idée d'une participation gouvernementale du PC ne fait plus frémir, pas même du côté d'une partie de l'électorat de droite. Et quant à l'électorat de gauche, il trouve sans doute une telle participation tout à fait dans l'ordre des choses et dans le prolongement naturel de la victoire de Mitterrand aux présidentielles.

De son affaiblissement face au PS, le PC peut au moins tirer la maigre consolation que sa présence au gouvernement n'effraie plus cette fraction de l'opinion publique qui, naguère, pouvait en être effrayée.

Ce que veut ou tolère l'opinion publique est cependant une chose. Mais rien ne permet de penser que la grande bourgeoisie, les milieux dirigeants impérialistes, la haute finance internationale, traditionnellement hostiles à l'idée de ministres communistes dans le cadre du fonctionnement normal des institutions, en soient aujourd'hui à souhaiter, ou même seulement à tolérer, cette éventualité. Évidemment, c'est précisément l'attitude de Mitterrand qui donnera une indication à cet égard, puisque pour le savoir a coup sûr, encore aurait-il fallu qu'existent des circonstances où la question d'une participation de ministres communistes au gouvernement se pose.

Entre l'hostilité absolue du début des années cinquante de la part des classes dirigeantes d'un peu partout dans le monde occidental avec, pardessus tout, le veto de l'impérialisme américain et l'attitude toujours hostile, mais apparemment plus tolérante du début des années soixante-dix, il y a une certaine marge. Mitterrand est un homme politique bourgeois responsable qui ferait sien l'interdit si interdit il y a. Reste à savoir s'il est prêt, et s'il a des raisons, d'affronter une simple hostilité, même tolérante.

Or Mitterrand vient de marquer des points, tant aux yeux de la bourgeoisie qu'aux yeux de l'opinion publique conservatrice, précisément en réalisant le vieux souhait de l'une et de l'autre de réduire l'influence électorale du Parti Communiste dans des proportions notables. Si les législatives confirment les présidentielles, il aura réussi enfin à rendre possible l'alternance dans le système politique de la Cinquième République, sans que le rejet de l'ancienne équipe de droite par l'électorat implique obligatoirement une équipe comprenant le PCF.

On peut de toute façon faire à Mitterrand crédit d'assez de principes pour qu'il privilégie les intérêts politiques de la bourgeoisie par rapport aux siens propres. Mais en l'occurence, ses propres intérêts politiques eux-mêmes, en tous les cas immédiats, ne l'incitent pas à faire au PCF des cadeaux excessifs.

Le quotidien Le Matin, assez proche du Parti Socialiste, se pose cependant légitimement la question « s'il n'est pas préférable pour la solidité du gouvernement (et de la gauche en général) issu des législatives d'avoir des ministres communistes liés par la solidarité gouvernementale qu'un PC disposant de sa liberté d'action à l'Assemblée » . Plus la crise s'aggrave, plus la question pourrait en effet devenir légitime - et nous y reviendrons - non pas tant en raison du rôle du PC à l'Assemblée qu'en raison de son rôle dans la classe ouvrière.

Dans l'immédiat cependant, Mitterrand dispose sans doute d'autres moyens de neutraliser le PC, ou du moins de l'empêcher de s'engager dans une opposition virulente au Parlement ou en dehors, que « la solidarité ministérielle », c'est-à-dire la participation gouvernementale.

Et de surcroît, il n'est pas dit que l'intérêt de la bourgeoisie soit, même sous ce seul angle, de placer le PC au gouvernement avant que cela soit indispensable pour tromper la classe ouvrière, pour lui faire accepter avec plus d'efficacité les sacrifices voulus par la bourgeoisie en cette période de crise.

A certains égards, un Parti Communiste, associé d'une certaine façon à l'équipe politique au pouvoir, lui apportant un certain soutien, mais à moitié en-dehors, avec une latitude pour canaliser les mécontentements, et susceptibles encore de leur offrir un exécutoire, peut être plus utile pour assurer la paix sociale. Amener le PCF au gouvernement dès maintenant, c'est sans doute utiliser trop tôt ce qui pourrait être ultérieurement une soupape de sécurité nécessaire, c'est aussi aller au-devant de concessions, sinon à l'ensemble de la classe ouvrière, du moins aux appareils syndicaux, voire aux appareils des partis de gauche.

L'éventualité qui paraît la plus vraisemblable, c'est que le Parti Socialiste veuille bien accepter de considérer le Parti Communiste comme faisant partie de la majorité présidentielle et, en cas de besoin, et au mieux pour le PC, de la majorité parlementaire. Qu'il accepte de lui donner quelques positions officialisant cette appartenance : la présidence d'une Commission parlementaire mineure par exemple. Dans et autour de l'appareil d'État il y a suffisamment de postes plus ou moins honorifiques qui pourraient faire l'affaire. Le Parti Communiste qui d'ailleurs a déjà mis en sourdine ses exigences de postes de ministres, mais qui met par contre l'accent sur son appartenance « de façon positive et sans restriction » à la majorité nouvelle, s'estimera peut-être satisfait d'une telle situation. D'autant qu'il sait que Mitterrand peut parfaitement se passer de lui, et l'écarter complètement, surtout si l'écart entre les représentations parlementaires respectives du PS et du PC approche ce qu'indiquent les sondages.

Le Parti Communiste Italien, autrement plus influent que le Parti Communiste Français, a accepté pendant plusieurs années de soutenir les gouvernements successifs pourtant chrétiens-démocrates. Le PCF n'aurait même pas à inventer un « compromis historique » à la française, il pourrait simplement se prévaloir de la nécessité d'assurer la survie d'une expérience de gauche.

 

Un Mitterrand gouvernant à la de Gaulle ?

 

Une participation de ministres communistes, quoique très peu probable dans le contexte présent, n'est cependant pas une éventualité complètement exclue. D'abord parce qu'il y a la crise. Elle peut s'aggraver assez rapidement pour que la bourgeoisie elle-même considère que la présence de ministres communistes est un mal nécessaire pour canaliser la classe ouvrière, pour lui faire retrousser les manches, pour lui faire faire des sacrifices au nom de ses propres organisations susceptibles de prétendre que c'est dans son propre intérêt.

Pour une telle politique, la CFDT ou FO qui ont déjà précipitamment posé leurs candidatures, ne suffiraient pas à l'affaire. Quel que soit le rapport des forces électorales entre le PS et le PC, le PCF et la CGT demeurent les forces politiques majeures au sein de la classe ouvrière. Leur collaboration est indispensable. La bourgeoisie pourrait envisager de donner des ministères de second ordre au PC et de l'associer, à ses conditions à elle, au pouvoir gouvernemental.

Mitterrand pourrait-il anticiper sur cet avenir ? Pourrait-il imposer la présence de ministres communistes contre l'hostilité aujourd'hui manifeste de la droite, de la majorité du personnel politique de la bourgeoisie, contre l'avis des alliés de l'impérialisme français, de l'impérialisme américain pour commencer ?

Il n'y a pas d'obstacle absolu, social, de classe, à cela. Le PCF au gouvernement mènerait la politique de la bourgeoisie, et De Gaulle avait bien pris le risque en son temps d'associer le PCF au gouvernement, tout en maîtrisant parfaitement cette participation.

Cette éventualité supposerait cependant de la part de Mitterrand un tout autre type de relations avec la bourgeoisie et ses intérêts ou souhaits immédiats, un tout autre type de relations avec le personnel politique, avec la droite en particulier, un tout autre type de relations avec l'impérialisme américain. Prendre le PCF au gouvernement en l'imposant à toutes les forces politiques qui s'y opposent, sort du jeu politicien ordinaire en lequel Mitterrand excellait jusqu'à présent, et suppose àla fois une certaine volonté et une certaine capacité d'être indépendant et de la classe politique et des dirigeants américains : en d'autres termes, une façon « bonapartiste » de gouverner, en se situant au-dessus des partis, en imposant àla bourgeoisie, dans son intérêt à long terme, une plus grande indépendance de l'appareil d'État par rapport à ses intérêts plus immédiats ; et en imposant, contre le jeu des autres puissances impérialistes, américaine en particulier, une politique plus indépendante pour l'impérialisme français.

Rien ne dit cependant ni que la situation existe pour engendrer un tel régime bonapartiste, ni que Mitterrand soit de taille à l'assumer et ait la volonté de la réaliser.

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