Lutte Ouvrière et le Secrétariat Unifié08/07/19791979Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1979/07/66.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Lutte Ouvrière et le Secrétariat Unifié

 

Le fait que nous, Lutte Ouvrière, ayons présenté avec la Ligue Communiste Révolutionnaire une liste commune lors des élections européennes a amené un certain nombre de commentateurs à voir là un cours nouveau dans les relations entre nos deux organisations, susceptible de déboucher sur leur unification à court terme. Cette vision journalistique des choses n'est évidemment pas surprenante, mais elle ne repose sur aucun fondement.

Nous avons conclu avec les camarades de la LCR un accord pratique pour présenter une liste commune à ces élections, parce qu'il existait un accord politique sur ce que devait être la campagne des révolutionnaires dans ces circonstances. Et le fait que nous ayons choisi de mener cette campagne conjointement avec la LCR, quitte à assumer la plus grande partie de ses charges financières, n'était que l'application, dans ce cas précis, de la règle qui a toujours guidé nos rapports avec les autres courants du mouvement trotskyste et qui consiste à s'efforcer de faire ensemble tout ce qui, sur la base d'un accord politique, peut être fait ensemble.

Ce n'est certes pas la première fois que nous menons des actions communes avec les camarades de la L. C. R. et ce ne sera sans doute pas la dernière. Mais pour nous, le problème de nos relations avec la LCR se pose fondamentalement dans les mêmes termes, après cette campagne commune, qu'il se posait il y a six mois ... ou six ans.

 

Les raisons de notre indépendance organisationnelle

 

Le problème de l'unification au sein d'une même organisation des différentes tendances qui constituent le mouvement trotskyste est certes un problème bien réel. Personne ne peut considérer comme satisfaisante la situation actuelle, marquée par l'éparpillement du mouvement trotskyste, tant à l'échelle française qu'à l'échelle internationale. Et le fait que cette situation existe depuis des dizaines d'années ne change rien à l'affaire.

Nous avons, avec les camarades de la LCR (comme avec ceux des autres tendances du mouvement trotskyste), beaucoup de choses en commun. Nous nous réclamons de la même tradition marxiste révolutionnaire, du bolchevisme, des premières années de l'Internationale Communiste, du combat de l'Opposition de Gauche Internationale, de la Quatrième Internationale et de son programme de fondation, le Programme de Transition, et d'une même analyse de la dégénérescence de l'URSS. Mais nous sommes aussi séparés par de nombreuses divergences politiques, y compris des divergences fondamentales.

Cependant, ce n'est pas simplement parce que nous avons, avec ces camarades, de nombreuses divergences politiques que nous ne militons pas dans la même organisation. Le parti révolutionnaire que nous voulons construire ne sera pas un parti monolithique, mais au contraire un parti démocratique au sein duquel des idées, des opinions différentes s'affronteront librement et où des divergences aussi importantes que celles que nous avons avec la LCR sur la nature des Démocraties Populaires ou sur l'attitude des révolutionnaires face au féminisme pourront coexister.

Si nous, Lutte Ouvrière, existons separement, c'est parce que nous sommes aussi séparés de la section française du Secrétariat Unifié par des divergences concernant à la fois l'activité quotidienne et la manière dont nous envisageons, les uns et les autres, les chemins qui peuvent mener à la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire. Ces divergences nous séparent également de L'OCI et des autres tendances du mouvement trotskyste français, et c'est logique, puisque tous ces groupes ont un passé commun et des traditions communes, étant tous issus de l'ancienne section française du Secrétariat International, qui s'intitulait un peu pompeusement « Parti Communiste Internationaliste ». Et ce sont ces divergences de méthodologie organisationnelle qui font que nous menons une existence autonome, parce qu'il n'est évidemment pas possible d'appliquer parallèlement deux méthodes fondamentalement différentes dans une même organisation, fonctionnant selon les principes du centralisme démocratique.

Le mouvement trotskyste est né et s'est développé pratiquement en dehors du mouvement ouvrier, en recrutant essentiellement dans la petite bourgeoisie intellectuelle. Au départ, ces conditions étaient données et indépendantes de la volonté des militants révolutionnaires. Elles étaient la conséquence objective d'une époque de recul du mouvement ouvrier, de démoralisation due aux trahisons successives de la IIe puis de la IIIe Internationale. Mais elles n'en étaient pas moins grosses du danger d'adaptation du mouvement révolutionnaire à cette petite bourgeoisie intellectuelle.

Trotsky avait fort bien vu ce danger. Il suffit pour s'en convaincre de relire D'une égratignure au danger de gangrène, où il rappelle qu'il a, à plusieurs reprises, demandé aux dirigeants du SWP américain d'orienter l'activité de ses nombreuses recrues d'origine intellectuelle vers la classe ouvrière, quitte à exclure des rangs de l'organisation tous ceux qui s'avéreraient incapables d'y amener des travailleurs.

Mais loin de se donner de tels garde-fous, la majorité du mouvement trotskyste a fait de pauvreté vertu, en privilégiant de fait l'activité dans les milieux où il recrutait le plus facilement, dans la petite bourgeoisie intellectuelle, dans la social-démocratie de gauche, milieux où l'amateurisme et le dilettantisme fleurissent.

La conséquence politique de cela, ce fut, après la mort de Léon Trotsky, l'incapacité de l'immense majorité des organisations trotskystes à faire face à la situation causée par la Seconde Guerre mondiale et par l'occupation de la quasi-totalité de l'Europe par les armées de l'Allemagne nazie, incapacité qui se traduisit par de nombreuses déviations nationalistes, par un suivisme généralisé vis-à-vis de la « Résistance » et des partis ouvriers traditionnels. En fait, en tant que direction politique internationale, la Quatrième Internationale ne survécut pas à son fondateur.

Notre tendance est née de la volonté de quelques militants de réagir contre les moers organisationnelles du mouvement trotskyste français et de s'orienter vers le recrutement et la formation de militants révolutionnaires (d'origine ouvrière comme d'origine intellectuelle petite-bourgeoise), ayant moralement rompu tout lien avec la petite bourgeoisie et ayant comme principale préoccupation de se lier avec la classe ouvrière.

Un tel choix impliquait obligatoirement l'existence indépendante, en tant qu'organisation, de ceux qui voulaient engager ce travail, puisqu'il revenait à vouloir former des militants en dehors du milieu que constituaient les autres organisations trotskystes et leurs moers.

Et ce choix débouchait également sur des pratiques politiques différentes, non seulement quant à la sélection des militants, quant à la lutte contre le bavardage et l'amateurisme, mais également dans la manière de s'adresser à la classe ouvrière.

La plupart des organisations trotskystes, dans leur adaptation aux appareils réformistes, ne conçoivent l'activité politique que comme dirigée vers les militants des organisations traditionnelles de la classe ouvrière, pour essayer de faire pression sur ces appareils.

Pour nous, au contraire, la priorité absolue que nous avons donnée au travail d'implantation dans la classe ouvrière, notre volonté de former des militants connaissant les problèmes et les préoccupations des travailleurs, leur manière de voir les choses, et capables de s'adresser à eux, impliquent que, dans toute notre activité, nous nous adressions à l'ensemble de la classe ouvrière, aux travailleurs inorganisés, à ceux qui ne font pas confiance aux organisations traditionnelles, comme à ceux qui y militent.

Cette volonté de s'adresser à l'ensemble de la classe ouvrière ne signifie pas que nous attachions moins d'importance que les militants des autres organisations trotskystes à gagner aux idées révolutionnaires les travailleurs influencés par le Parti Communiste ou le Parti Social iste. Nous pensons, nous aussi, qu'il n'y aura pas dans ce pays de parti ouvrier révolutionnaire digne de ce nom, tant qu'une fraction importante des militants aujourd'hui organisés dans les partis traditionnels de la classe ouvrière n'aura pas rompu avec le réformisme pour rallier une politique révolutionnaire.

Mais c'est sur la manière d'influencer ces militants que nous sommes en désaccord avec le reste de l'extrême gauche. Nous pensons qu'il ne suffit pas de s'adresser à eux pour discuter de la politique des organisations auxquelles ils font confiance (ce qui, dans la pratique quotidienne de la plupart des groupes trotskystes, s'adaptant au point de vue et même aux préjugés de ces militants, revient à s'ériger en conseillers de gauche des organisations réformistes, c'est-à-dire à se mettre à la remorque de celles-ci). Nous pensons qu'il est nécessaire aussi d'essayer de montrer aux militants du PC et du PS la justesse des idées révolutionnaires, en leur montrant dans les faits que ces idées peuvent avoir une audience dans la classe ouvrière ; en entrant ouvertement en concurrence auprès de l'ensemble des travailleurs avec les organisations réformistes sur tous les terrains possibles (en fonction des forces des révolutionnaires) : l'agitation quotidienne, les luttes revendicatives, le terrain électoral, etc.

Le choix de nous adresser prioritairement à l'ensemble de la classe ouvrière détermine des pratiques militantes quotidiennes complètement différentes de celles des organisations d'extrême gauche qui militent essentiellement en direction des grandes centrales syndicales et des partis réformistes.

Aux jeunes intellectuels qui viennent à nous, nous demandons non seulement d'être capables de rayonner et de recruter dans leur propre milieu, mais également de se lier à un travail d'entreprise, d'apprendre à connaître la classe ouvrière et à s'adresser à elle, d'acquérir la compétence nécessaire pour pouvoir gagner des travailleurs, les organiser et leur donner les moyens de s'exprimer dans leur entreprise.

Notre groupe édite d'ailleurs la presse d'entreprise la plus importante et la plus régulière - et de loin - de toute l'extrême-gauche, après avoir été pendant des années le seul àdévelopper cette activité. Et nous attachons tant d'importance à cette presse s'adressant àtous les travailleurs que, si nous sommes convaincus que les révolutionnaires doivent militer dans les syndicats réformistes, que, si nous sommes prêts à ruser, à dissimuler, vis-à-vis des bureaucrates de tout poil qui voudraient nous en exclure, nous nous refusons à renoncer à éditer des feuilles d'entreprises, tout en sachant très bien que cela ne facilite pas notre activité syndicale. La critique que les bureaucrates supportent le moins bien, ce n'est pas en effet celle qui est prononcée en petit comité à l'intérieur du syndicat. C'est celle qui est publique et qui s'adresse à tous les travailleurs. Mais nous pensons qu'à la limite, et si on ne nous laisse pas d'autre choix, il vaut mieux pouvoir s'adresser en tant que révolutionnaire à tous les travailleurs, plutôt qu'en tant que militant syndical à un pour cent d'entre eux (en exagérant encore la proportion des travailleurs que les organisations syndicales organisent réellement, qui se réunissent régulièrement, qui participent à une vie syndicale réelle).

Nous n'oublions pas en effet qu'avant d'être des syndicalistes, nous sommes des révolutionnaires, pour qui l'activité syndicale est un moyen d'action extrêmement important, mais n'est pas une fin en soi. En particulier, l'appartenance de militants révolutionnaires à tel ou tel syndicat ne doit pas les empêcher, lorsqu'ils ont la possibilitéde jouer un rôle dirigeant dans une grève, de lutter pour la mise en place d'un comité de grève démocratiquement élu, représentatif de l'ensemble des travailleurs en lutte, syndiqués et non syndiqués, quelles que soient les réactions que cela puisse susciter de la part des bureaucraties syndicales. Car bien entendu, si l'existence du comité de grève ne nuit en rien, bien au contraire, aux intérêts du syndicat en tant qu'instrument de défense des travailleurs, elle s'oppose aux bureaucrates.

Sur tous ces plans-là, notre pratique quotidienne est à l'opposé de celle des autres courants du mouvement trotskyste. Ceux-ci ont généralement renoncé à une expression politique propre dans les entreprises, ou ne publient qu'une presse contenant des généralités politiques, susceptibles de ne gêner en rien l'appareil syndical dont dépendent leurs militants. Dans le déroulement des luttes ouvrières, lorsque surgit un comité de grève représentatif de l'ensemble des travailleurs en lutte, et combattu par les appareils syndicaux, les mêmes organisations se retrouvent trop souvent dans les faits du côté de ces appareils, à contester ou à minimiser le rôle du comité de grève, à vouloir le subordonner aux organisations syndicales.

Or, entre ces deux politiques fondamentales, celle qui consiste à orienter l'essentiel des forces de son organisation vers son implantation dans la classe ouvrière, ou celle qui consiste à essayer de se développer vers les secteurs où l'on pense rencontrer le plus d'écho ; celle qui consiste à s'adresser en permanence à l'ensemble de la classe ouvrière, et celle qui consiste à ne s'adresser en fait qu'aux militants des appareils réformistes, il n'y a pas de solution moyenne possible. Ou c'est l'une ou c'est l'autre qui est appliquée. Et comme nous pensons, nous, qu'il est vital pour l'avenir du mouvement révolutionnaire qu'il existe une organisation menant la politique que nous préconisons, nous considérons que notre autonomie organisationnelle nous est absolument indispensable.

Le rassemblement de tous les militants se réclamant du trotskysme, et sincèrement désireux d'oeuvrer àl'émancipation de la classe ouvrière, au sein d'une même organisation démocratiquement centralisée, ne pourra s'effectuer que lorsque les faits auront clairement tranché en faveur d'une politique, contre une autre. Que lorsque l'une de ces politiques aura rencontré des succès suffisants, non seulement pour conforter ses partisans, mais pour convaincre ses adversaires.

Seulement l'épreuve des faits peut demander encore bien du temps. Certes, le bilan que l'on peut d'ores et déjà dresser de l'activité de chacun est significatif. La perpétuelle recherche de raccourcis vers la construction du parti ouvrier révolutionnaire qui caractérise les autres tendances trotskystes françaises n'a porté aucun fruit. Et notre organisation qui est partie de bien moins que la section française du Secrétariat International de la sortie de la guerre, qui en outre n'a pas bénéficié de l'aide d'une organisation internationale, est bien plus présente dans laclasse ouvrière, y a dirigé plus de luttes, a plus fait pour faire apparaître dans le pays le mouvement trotskyste comme une force politique, faible sans doute mais non négligeable, qu'aucune autre tendance trotskyste française. Mais dans le domaine des bilans politiques, l'appréciation des choses est bien souvent faussée par les pressions sociales. Et il faudra sans doute d'autres succès, plus nombreux, plus visibles (ce qui ne dépend pas seulement de nous, mais aussi de la situation politique et sociale, de l'ampleur de la combativité ouvrière, de la marge de manoeuvre et de la politique des organisations réformistes, toutes choses déterminant les possibilités d'intervention des révolutionnaires dans les luttes), pour amener ces camarades à réviser leurs conceptions.

Quoiqu'il en soit, la seule attitude possible pour les différentes tendances trotskystes est de faire chacune leur expérience en ce domaine, tout en adoptant les unes par rapport aux autres l'attitude la plus susceptible de minimiser tout ce que la division du mouvement peut avoir de négatif : c'est-à-dire la recherche du maximum de collaboration permanente compatible avec nos divergences.

 

Il ne peut y avoir de centralisme démocratique sans confiance politique

 

C'est la raison pour laquelle la manière dont les camarades de la LCR d'une part, et ceux du Secrétariat Unifié d'autre part, posent le problème d'une éventuelle fusion entre LO et la LCR ne nous paraît pas pouvoir déboucher sur une collaboration plus étroite entre nos tendances respectives.

Ces camarades nous disent en substance : « Dans le programme trotskyste, dont vous vous réclamez, est proclamée la nécessité d'une organisation internationale régie par les règles du centralisme démocratique. Cette organisation existe : c'est le secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale. Comment pouvez-vous envisager de construire un parti marxiste révolutionnaire en-dehors de l'affiliation à l'Internationale où se trouve la grande majorité des trotskystes ? » .

Nous sommes effectivement partisans d'une Internationale centralisée. Mais pour nous, le centralisme démocratique n'est pas une simple affaire de statuts. Le centralisme démocratique ne peut se concevoir qu'autour d'une direction ayant démontré dans les faits sa valeur, et ayant ainsi gagné la confiance politique de l'ensemble de l'organisation (y compris des tendances qui seraient en désaccord sur tel ou tel point). Or nous ne faisons pas confiance, en tant que direction politique, aux camarades du Secrétariat Unifié, parce que l'adaptation de ces camarades aux idées, aux modes de pensée de la petite bourgeoisie intellectuelle, les a amenés tout au long de leur histoire à des errements politiques graves, et à oublier en particulier dans les faits que seule la classe ouvrière peut être la force motrice et directrice de la révolution socialiste.

Au cours des trente dernières années, les camarades du Secrétariat Unifié n'ont cessé de chercher des substituts àl'activité révolutionnaire du prolétariat. L'armée soviétique dans les Démocraties Populaires, la petite bourgeoisie nationaliste dans un certain nombre de pays du Tiers-Monde, se sont ainsi vu reconnaître par eux des vertus révolutionnaires qui ne peuvent appartenir qu'à la classe ouvrière.

Le fait que les dirigeants du Secrétariat Unifié aient ainsi vu, au fil des années, dans l'armée soviétique, dans Tito, Mao ou Ben Bella, des agents « objectifs » de la révolution socialiste, n'est pas une raison pour affirmer qu'ils ne sont pas trotskystes. Ils représentent un courant du mouvement trotskyste, un courant opportuniste certes, mais un courant qui regroupe aujourd'hui la majorité des militants se réclamant du trotskysme dans le monde.

Seulement, d'un autre côté, cette suite ininterrompue de capitulations politiques devant des forces étrangères au prolétariat ne constitue pas un brevet qui puisse leur assurer la confiance et la direction de l'ensemble du mouvement trotskyste. A nos yeux, en tout cas, ils se sont disqualifiés en tant que direction internationale. Nous sommes prêts à militer dans la même organisation qu'eux, mais certainement pas à accepter que ce soient eux qui nous dictent notre politique et nos activités.

Or c'est de cela qu'il s'agit quand ces camarades nous proposent d'aller vers une unification avec la Ligue Communiste Révolutionnaire, dans le cadre du Secrétariat Unifié tel qu'il existe et fonctionne actuellement.

Si encore le problème était celui de l'unification avec la LCR pour donner naissance à une organisation entièrement maîtresse de sa politique et de ses activités, il serait peut-être possible d'estimer que renoncer à notre existence autonome pour essayer de gagner la majorité de l'organisation unifiée à nos vues et à notre politique serait un choix valable. Mais tel que les camarades de la LCR et du SU posent le problème, ils nous demandent purement et simplement d'accepter de soumettre notre politique à une direction internationale dans laquelle nous n'avons aucune confiance politique, et que nous n'aurons aucune possibilité réelle d'influencer.

En effet, même si nous conquérions la majorité dans l'organisation française, à l'échelle internationale notre voix serait noyée parmi celles des dizaines de sections dont le SU se revendique... même si la plupart ne représentent rien.

Pour notre part, tous les discours des camarades du Secrétariat Unifié sur le fait qu'ils représentent la majorité du mouvement trotskyste mondial ne nous impressionnent d'ailleurs pas, car nous sommes convaincus qu'il vaut mieux être peu à mener une politique juste, qu'à peine moins peu à mener ensemble une politique erronée.

Le seul problème, c'est de savoir comment oeuvrer à la construction d'une véritable Internationale, capable de jouer un rôle dirigeant dans les luttes de la classe ouvrière. Et nous sommes convaincus que la première chose à faire pour cela, c'est de travailler à former des militants ayant complètement rompu avec les préoccupations matérielles comme avec les modes intellectuelles de la petite bourgeoisie, intimement persuadés que la seule classe sur laquelle puisse s'appuyer des révolutionnaires socialistes, c'est la classe ouvrière, et que la seule révolution socialiste possible, c'est la révolution prolétarienne.

Cette préoccupation, pour nous, prime tout. Et c'est pourquoi nous ne pourrions adhérer à une organisation internationale telle que le Secrétariat Unifié, que si celui-ci s'engageait à ne pas nous imposer « démocratiquement » une politique susceptible de nous empêcher de mener notre propre activité, autrement dit, que s'il acceptait l'existence en France de deux sections différentes, ou à tout le moins de deux fractions autonomes d'une même section.

 

Des précédents inquiétants

 

Dans ce domaine, nous ne pouvons pas oublier, par exemple, que le suivisme du courant que représente aujourd'hui le Secrétariat Unifié, vis-à-vis des organisations staliniennes et social-démocrates, l'a amené pendant toute une période à préconiser la politique que ses inventeurs qualifièrent « d'entrisme sui generis » au sein des partis communiste et socialiste, et à imposer cette politique à tous ceux qui n'en voulaient pas.

De 1953 à 1968, la plupart des sections du Secrétariat Unifié furent réduites à un bureau éditant une revue trotskyste, pendant que leurs militants avaient disparu au sein des PC et des PS En 1965, Pierre Frank résumait ainsi la politique de la section française du SU : « ...nous avons tiré la conclusion que la formation d'une direction de gauche qui conduise à la création d'un nouveau parti révolutionnaire commencera par la formation, en fonction de grands événements, de courants de gauche au sein du PCF, de courants qui sous la pression des circonstances, seront amenés à rechercher un programme révolu tionnaire » . Et dans la même brochure ( Construire le Parti Révolutionnaire), Frank présente la naissance des Jeunesses Communistes Révolutionnaires (fruit d'un travail « entriste » au sein de l'Union des Étudiants Communistes) « d'expérience de laboratoire », justifiant la continuation de l'entrisme au sein du PCF, et l'investissement de « l'essentiel » des forces de la section française dans cette activité.

La naissance de la Ligue Communiste, en 1969, marquera dans les faits l'abandon de cette ligne. Mais il faudra attendre encore un an pour voir le Secrétariat Unifié mettre officiellement un point final à cette politique, sans d'ailleurs vraiment la critiquer, et en oubliant complètement qu'au départ elle n'avait pas été présentée comme une simple tactique, mais comme la nécessité pour les révolutionnaires d'être présents dans les organisations réformistes, parce que c'est à travers elles que passeraient les futures montées révolutionnaires.

Il a fallu dix-sept ans pour que le SU abandonne officiellement la politique « d'entrisme sui generis ». Mais au nom de cette politique, et au nom du centralisme démocratique, de la discipline, toutes les tendances qui s'opposaient pour une raison ou pour une autre à cette nouvelle capitulation devant le stalinisme et le réformisme, furent exclues de son sein, à commencer par la majorité de la section française, qui devait donner plus tard naissance à l'OCI.

C'est au nom de la même conception du centralisme démocratique et de la discipline que l'on vit en 1969 le congrès du Secrétariat Unifié rabaisser au niveau « d'organisation sympathisante » la tendance de sa section argentine s'opposant à la politique de guérilla (l'actuel PST.), et reconnaître comme seule section une organisation qui n'était même pas une organisation trotskyste (comme l'avenir devait le prouver) mais qui partageait la conviction de la majorité d'alors du SU qu'il fallait s'orienter vers la lutte de guérilla dans toute l'Amérique latine.

Alors, tout cela constitue peut-être déjà de l'histoire ancienne, et ce n'est pas en tout cas à nous d'arbitrer les relations entre le Secrétariat Unifié et l'OCI ou entre le Secrétariat Unifié et le PST. argentin. Mais ces faits-là illustrent les pratiques du Secrétariat Unifié et la raison pour laquelle nous ne pouvons pas accepter la position de celui-ci qui d'une manière ou d'une autre se ramène toujours à la même chose : « entrez d'abord, et vous pourrez toujours discuter à l'intérieur pour faire prévaloir votre point de vue » .

Nous tenons, nous, à pouvoir continuer à mener notre propre activité. Nous tenons à pouvoir continuer à nous exprimer publiquement sur tous ces problèmes, et pas seulement au sein du Secrétariat Unifié durant les périodes réservées à la préparation des congrès. Alors, il n'est donc pas question que nous acceptions d'entrer au sein d'une organisation internationale qui ne nous garantirait pas et notre autonomie organisationnelle, et notre droit àl'expression publique permanente.

 

Le Secrétariat Unifié, pour quoi faire ?

 

L'une des principales fonctions d'une direction internationale devrait être d'impulser la création d'organisations trotskystes dans tous les pays, de faire en sorte qu'il existe partout ne serait-ce que des noyaux de militants défendant le programme de la révolution socialiste et l'idée de la nécessité de l'indépendance politique de la classe ouvrière. Les camarades du Secrétariat Unifié affirment volontiers que l'appartenance à leur organisation permet de participer à ce combat politique. Mais malheureusement, l'histoire du Secrétariat Unifié et de sa politique infirment cette prétention, car son alignement derrière des organisations nationalistes petites-bourgeoises l'a amené à renoncer explicitement ou implicitement à cette tâche, à chaque fois que le problème se trouvait posé en termes cruciaux, àchaque fois que les masses étaient en mouvement.

er février 1979, Inprecor publiait à l'occasion de la mort de Boumediène une déclaration du Groupe Communiste Révolutionnaire, « Pour une Assemblée constituante », annonçant ainsi aux lecteurs d'Inprecor la naissance d'un groupe révolutionnaire algérien lié au Secrétariat Unifié.

Seulement, quelle fut la politique du Secrétariat Unifié (et de son prédécesseur le Secrétariat International) à l'époque où les masses algériennes étaient mobilisées contre l'impérialisme français ? Eh bien, non seulement il ne posa à aucun moment, pendant la guerre d'Algérie, le problème de la construction d'une organisation prolétarienne indépendante, mais il présenta le FLN comme la seule direction révolutionnaire possible. Et cette orientation dura des années encore après la fin de la guerre d'Algérie.

C'est ainsi qu'en juillet 1962, dans un éditorial intitulé « Salut à l'Algérie indépendante », la revue Quatrième Internationale posait en ces termes incantatoires le problème du parti révolutionnaire en Algérie : « Le FLN se transformera en parti politique, il aura un programme d'orientation socialiste claire (...) et s'établira comme parti politique d'avant-garde, démocratique et révolutionnaire (...). Telles, au moins, sont les aspirations de la gauche, consciemment exprimées en termes politiques, et qui représente l'immense majorité de la base révolutionnaire du FLN » .

Neuf mois après, alors que les conditions dans lesquelles l'équipe Ben Bella-Boumediène s'est installée au pouvoir montrent assez que les dirigeants du FLN quels qu'ils soient, non seulement n'ont rien de révolutionnaires socialistes, mais craignent plus que tout la mobilisation autonome des masses, la même revue Quatrième Internationale écrit, à propos du décret de dissolution du Parti Communiste Algérien (qu'elle « désapprouve », tout de même) : « La Quatrième Internationale est convaincue que le FLN réorganisé comme un véritable parti avec une base de masse et une structure centraliste, démocratique ( ... ) sera en condition de jouer un rôle décisif à l'étape actuelle de la Révolution, et la tâche des révolutionnaires algériens est d'oeuvrer dans ce cadre organisationnel avec une telle perspective » .

Ainsi donc, la seule perspective que le Secrétariat Unifié proposait aux révolutionnaires algériens qui se seraient tournés vers lui, pendant toute la guerre d'Algérie et dans les années qui ont immédiatement suivi, ce n'était pas d'oeuvrer à la construction d'une organisation prolétarienne, mais de travailler à renforcer la prétendue « gauche » du FLN

Alors, aujourd'hui, les représentants du Secrétariat Unifié en Algérie ont bonne mine de dénoncer « l'autodissolution des staliniens » dans le FLN alors qu'en 1964 ils leurs reprochaient de ne pas comprendre que leur place était au sein de celui-ci, comme ils ont bonne mine de déplorer, à propos de la participation massive des travailleurs aux obsèques de Boumediène, que cela « montre l'ampleur de la tâche des révolutionnaires », alors qu'ils n'ont rien fait, bien au contraire, avant l'arrivée de Boumediène au pouvoir, pour éclairer les travailleurs algériens sur les intérêts que Boumediène représentait.

Et le cas de l'Algérie n'a pas été un accident isolé. A chaque fois que le Secrétariat Unifié s'est trouvé confronté à un mouvement de masse dirigé par une organisation nationaliste petite-bourgeoise (et il n'y a malheureusement pas eu de mouvements de masse ayant un autre type de direction depuis longtemps), il a toujours renoncé, soit en théorisant ouvertement la chose, soit en passant sous silence le problème, à poser le problème de la construction d'une direction prolétarienne. Parce qu'on ne peut pas en même temps s'efforcer d'apparaître comme le porte-parole d'une lutte, auprès des couches de la petite bourgeoisie intellectuelle qui vibrent à son évocation, et en contester la direction.

C'est ainsi que vingt ans après la prise du pouvoir par Castro, l'un des dirigeants du SU, Maitan, écrit dans le numéro du 7 juin de Inprecor, après avoir affirmé que les révolutionnaires cubains devaient mettre en avant un certain nombre de droits démocratiques : « ...affirmer le droit d'organisation ( ... ) n'implique pas d'être automatiquement en faveur de la formation d'un nouveau parti communiste » .

Ainsi dans les faits, sinon affirmé de manière aussi crue, pour les dirigeants du Secrétariat Unifié, la construction de sections de la Quatrième Internationale ne se pose vraiment que dans les pays où il n'existe pas de mouvement de masse dirigé par une organisation nationaliste bourgeoise, ou dans les pays où les travailleurs n'ont pas le bonheur de vivre sous l'autorité de ce que les dirigeants d u SU appellent un État « ouvrier déformé » !

Et entendons-nous bien. Nous ne reprochons pas à ces camarades de ne pas avoir réussi à construire des organisations révolutionnaires prolétariennes et authentiquement communistes dans un certain nombre de pays où cela aurait pu, peut-être, changer le cours des événements. Ils n'en avaient peut-être pas la force (bien que cela devrait les inciter à plus de modestie, quant à leurs prétent ions à être la Quatrième Internationale), et les circonstances objectives n'y étaient peut-être pas partout favorables. Mais ce que nous leur reprochons, c'est d'avoir, pratiquement à chaque fois que le problème s'est posé avec une particulière acuité parce que les masses se mobilisaient, renoncé en fait à cette tâche, quand ils n'en proclamaient pas ouvertement l'inutilité.

Autant dire que, sur ce plan-là, le Secrétariat Unifié est bien loin d'avoir fait la preuve de son utilité.

 

La nécessaire confrontation des idées et des expériences à l'échelle internationale

 

Reste l'autre plan sur lequel, d'après les camarades du Secrétariat Unifié, leur organisation joue un rôle indispensable : celui de la nécessaire confrontation des idées et des expériences à l'échelle internationale.

Nous sommes bien convaincus, nous aussi, qu'on ne peut pas construire une organisation révolutionnaire dans un pays donné, en remettant à plus tard toute préoccupation internationale. L'élaboration politique ne peut pas se faire en se limitant au cadre national. Une organisation révolutionnaire a besoin d'une conscience claire du développement de la lutte des classes à l'échelle internationale. Et c'est pourquoi elle a besoin, à la fois de tirer profit de l'expérience des révolutionnaires militant partout dans le monde, et également de soumettre sa politique à la critique de ces révolutionnaires.

C'est la raison pour laquelle nous ne pensons pas qu'il soit profitable, en attendant que l'épreuve des faits ait tranché entre les différentes politiques qui s'affrontent aujourd'hui, que chaque tendance s'isole des autres. Nous pensons au contraire qu'il est de l'intérêt du mouvement trotskyste tout entier, et donc du devoir de chacune de ses parties constitutives, de développer au maximum les confrontations politiques fraternelles et la collaboration, entre tous ceux qui se réclament du trotskysme.

Nous sommes prêts, et nous l'avons encore montré lors des élections européennes, à apparaître en commun avec les camarades de la LCR, dès lors que nous sommes d'accord sur le contenu d'une tâche. Nous nous sommes déjà prononcés, il y a longtemps, en faveur d'une presse commune à nos deux organisations. Et nous sommes évidemment prêts à collaborer de la même manière avec le Secrétariat Unifié.

Ce n'est d'ailleurs pas de notre fait si nous nous sommes trouvés pendant si longtemps coupés de toute relation internationale avec le reste du mouvement trotskyste. C'est du fait du Secrétariat Unifié (et de son prédécesseur le Secrétariat International) qui a toujours refusé dans le passé tout autre relation possible, que celle qui consiste à dire : « Entrez d'abord, vous discuterez à l'intérieur ».

Nous ne demandons évidemment pas aux organisations qui constituent le Secrétariat Unifié de se donner d'autres rapports entre elles, que ceux qu'elles entretiennent. Si elles pensent que le Secrétariat Unifié constitue une direction internationale valable, si elles lui reconnaissent l'autorité d'intervenir dans leur activité, dans leur politique, c'est bien évidemment leur droit. Mais nous leur disons que dans l'intérêt du mouvement trotskyste, comme dans leur propre intérêt bien compris, elles auraient tort de se refuser à un autre type de relations, sur un autre plan, n'incluant pas la soumission à une discipline internationale, avec les autres courants du mouvement trotskyste.

L'autoproclamation et l'autosatisfaction n'ont jamais fait avancer les choses. Les camarades du Secrétariat Unifié auraient tort de croire qu'ils n'ont rien à gagner à confronter leurs idées et leurs expériences à celles des courants trotskystes qui se sont développés en dehors de leur rassemblement international, un rassemblement qui d'ailleurs étale plus de prétentions à fonctionner comme une organisation démocratiquement centralisée qu'il ne le fait réellement, faute d'une direction vraiment reconnue par toutes ses constituantes.

Quant à nous, et quel que soit l'avenir de nos relations avec la Ligue Communiste Révolutionnaire d'une part, et avec le Secrétariat Unifié d'autre part, nous continuerons, en même temps que nous travaillerons à renforcer notre organisation en France, et le courant auquel nous appartenons à l'échelle internationale, à tout mettre en oeuvre pour réduire au maximum les conséquences négatives de la division du mouvement trotskyste. Car s'il n'est pas possible de mettre fin aujourd'hui à cette division, il est possible, par l'attitude de chacun, que le mouvement trotskyste apparaisse aux yeux des travailleurs, non comme la somme d'organisations rivales incapables de faire autre chose que de s'entre déchirer, mais comme un ensemble d'organisations concourant au même but, sachant rester fraternelles dans le nécessaire débat politique, et sachant agir ensemble à chaque fois que cela est rendu possible par un accord politique.

Un tel comportement est d'autant plus indispensable que, nous en sommes convaincus, l'immense majorité des militants se réclamant du trotskysme se retrouveront un jour ensemble dans un même parti ouvrier révolutionnaire ou dans une même Internationale, lorsque l'intervention massive de la classe ouvrière sur la scène politique aura permis, peut-être en un délai extrêmement bref, de peser à leur juste poids les politiques qui s'affrontent au sein du mouvement trotskyste depuis des dizaines d'années. Et il s'agit dès aujourd'hui, en combattant résolument le sectarisme, et a fortiori toute tentative d'introduire dans les rangs du mouvement trotskyste des méthodes empruntées à l'arsenal du stalinisme, en développant au maximum la collaboration fraternelle entre les différentes tendances du mouvement trotskyste, de préparer les meilleures conditions à ce rassemblement de demain.

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