Les résultats d'Arlette Laguiller19/05/19811981Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1981/05/85.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Les résultats d'Arlette Laguiller

Avec 668 057voix, soit 2,30 % des suffrages exprimés le 26 avril 1981, les résultats électoraux d'Arlette Laguiller et de Lutte Ouvrière se caractérisent par une constance et une stabilité qui se confirment au travers des différents scrutins auxquels nous avons participé au cours de ces dernières années.

Bien sûr, par rapport aux résultats des élections législatives de 1978, où les 471 candidats et candidates de Lutte Ouvrière n'avaient rassemblé que 1,70 % des suffrages exprimés, on pourrait estimer qu'il y a une progression. Mais la comparaison n'est pas très significative. Il s'agit de deux compétitions électorales d'un type différent. Dans les élections législatives interviennent des raisons politiques locales. Et, dans la mesure où le mode d'intervention qui a le plus d'impact auprès de la population à l'heure actuelle est l'intervention sur les ondes de la radio et de la télévision, il faut noter qu'il est plus chichement mesuré à des formations comme la nôtre lors des scrutins législatifs. En 1978, ainsi, notre temps d'antenne officiel n'était que de sept minutes et il en sera d'ailleurs de même en juin 1981.

Un courant électoral stable...

En fait, si on compare notre résultat lors de ces présidentielles à celui de 1974, il est frappant de constater que sept ans après, Ariette Laguiller retrouve sur son nom, avec 72 810 voix de plus, pratiquement exactement le même pourcentage des suffrages exprimés : 2,33 %, le 5 mai 1974.

De la même manière, dans une autre élection à l'échelle nationale, les élections européennes qui ont eu lieu en 1979, on retrouve un résultat similaire. La nature de l'enjeu avait laissé les électeurs largement indifférents, ce qui s'était traduit dans le taux d'abstentions particulièrement élevé de 39,22 %. Pourtant, cela n'avait guère affecté le résultat de la liste internationaliste : Pour les États-Unis socialistes d'Europe que nous présentions à cette occasion en commun avec la Ligue Communiste Révolutionnaire, puisqu'elle avait réuni 622 753 suffrages (3,07 % des suffrages exprimés), soit pratiquement le même chiffre que le total des voix d'Ariette Laguiller et d'Alain Krivine en 1974 : 689 237 (2,69 % des suffrages exprimés à l'époque).

Dans cette élection présidentielle, Ariette Laguiller était la seule candidate présentée par une organisation révolutionnaire. Les autres organisations qui, en France, se réclament du trotskysme, ont été absentes de ce scrutin : l'OCI pour des raisons politiques, à cause d'un alignement total sur Mitterrand, pour lequel elle appelait à voter dès le premier tour ; et la LCR, quant à elle, parce qu'Alain Krivine n'est en fin de compte pas parvenu à franchir le barrage des parrainages d'élus dressé par la loi, et renforcé par les consignes des deux grands partis de la gauche officielle, pour pouvoir simplement présenter sa candidature. C'est sans doute pour avoir trop longtemps fait confiance en particulier à la direction du Parti Socialiste dans le domaine de la démocratie politique, que Krivine n'a pas pu réunir les 500 signatures préalables qui étaient nécessaires.

C'est donc sur le nom de notre candidate et sur notre tendance que se confirme la vitalité d'un courant électoral notable sur la gauche du PCF dans ce pays.

Faut-il y voir pour autant un renforcement des positions de l'extrême-gauche révolutionnaire dans l'électorat ? Évidemment non. Se maintenir n'est pas progresser.

Ariette Laguiller se situant sur la gauche du PCF, sans compromis et sans ambiguïté vis-à-vis non seulement de Mitterrand mais aussi vis-à-vis de Marchais, le résultat du 26 avril aurait eu politiquement une toute autre signification si une fraction numériquement incontestable des voix perdues par Georges Marchais s'était portée sur le nom de notre camarade. Mais cela n'a pas été le cas.

Bien sûr, il s'est tout de même trouvé un certain nombre d'ex-électeurs PC pour voter Arlette Laguiller à ce scrutin, bien que cela soit difficile à mesurer.

En effet, comme à coup sûr une partie des électeurs antérieurs d'Ariette Laguiller ont dû être eux aussi touchés par « l'effet Mitterrand » et le « vote utile » le 26 avril, cependant que, globalement, son résultat s'est maintenu, on peut juger que ces pertes ont dû être compensées du côté de l'électorat PC : en témoignent un certain nombre d'indices.

Ainsi, de la légère amélioration des résultats d'Ariette Laguiller notamment dans des villes et des banlieues ouvrières qui sont traditionnellement dans le sillage du Parti Communiste, comme la banlieue parisienne.

Si, dans les Hauts-de-Seine, l'Essonne, le Val-de-Marne, les voix perdues par le PC par rapport à 1978 semblent être allées pour la moitié environ sur Mitterrand, une frange semble bien être allée sur le nom de la candidate de Lutte Ouvrière, et une fraction encore s'est sans doute abstenue. On ne peut guère penser qu'elles se soient portées sur le nom du candidat radical ; et quant à Huguette Bouchardeau, elle y obtient moins de voix que les candidats du Front Autogestionnaire animé par le PSU, n'en avaient obtenu en 1978.

On retrouve ce trait, par exemple, en Seine-Maritime, dans une ville comme Le Havre et sa banlieue, Harfleur (municipalités ouvrières et PCF), ou dans les communes ouvrières de la banlieue de Rouen : Petit-Quevilly (Arlette Laguiller : 1,28 % en 1974, 3,29 % en 1981), Saint-Étienne-du-Rouvray, Canteleu, Maromme, Darnetal. Ou encore à Oyonnax (Ain), petite ville industrielle où Ariette Laguiller obtient 4,29 % des suffrages exprimés, alors que le PCF recule, bien qu'il dirige la municipalité.

On peut encore citer le Rhône (avec des banlieues ouvrières et PCF comme Vénissieux ou Givors) où, globalement, les pertes PCF par rapport à 1978 se retrouvent sur Mitterrand et, pour une faible part, sur notre candidate.

... qui s'est maintenu malgré la poussée en faveur du ps

Ces faits et ces chiffres restent bien entendu extrêmement modestes. Et, pas plus qu'on ne peut véritablement parler de poussée à gauche dans l'électorat en général, on ne peut parler d'évolution dans le sens d'une radicalisation au sein de l'électorat du PCF. Et c'est bien entendu dans ce contexte que le simple maintien du courant électoral qui existe en faveur d'Ariette Laguiller, s'il ne peut pas être en soi regardé comme un succès, reste néanmoins une indication réconfortante.

Car c'est le seul courant politique à ne pas faire les frais de la poussée en direction du PS, à l'intérieur de la gauche.

Avec 15,34 %, Georges Marchais réalise le résultat électoral le plus mauvais pour le PCF depuis la Seconde Guerre mondiale.

A leur échelle, les « petits » candidats de gauche ont aussi subi un revers dans cette élection : Michel Crépeau pour le MRG, Huguette Bouchardeau pour le PSU, se retrouvent derrière Arlette Laguiller ; ce qui est sensible surtout en raison du fait que ces deux formations sont considérées par la presse écrite et parlée comme des partis reconnus quoique minoritaires.

Le MRG n'est certes pas un parti militant, mais il représente toute une tradition, tout un réseau, de notables et de relations dans les sphères politiciennes et parlementaires. Il fut, avec Robert Fabre, le troisième parti de l'Union de la Gauche. Ses résultats électoraux n'étaient cependant pas, déjà en 1978, en rapport avec cette position au sein de la gauche officielle. En effet, si au total le MRG rassemblait 603 932 voix, c'est-à-dire pratiquement la même chose que Crépeau en 1981, cela était dû surtout au fait que le PS lui avait laissé le champ libre dans 31 des 121 circonscriptions seulement où il était présent. C'est d'ailleurs dans 10 de ces 31 circonscriptions qu'il avait obtenu les deux tiers de ces 600 000voix (avec une moyenne de 25 % des suffrages exprimés) et ses 10 sièges de députés.

Dans les 90 autres circonscriptions, où il se trouvait donc confronté à la concurrence du Parti Socialiste, il n'obtenait que 3,29 % des suffrages. Pour une formation comme le MRG c'était peu, mais cependant encore meilleur que le résultat de Crépeau en 1981 : 2,21 % à l'échelle nationale.

Le PSU, quant à lui, présent en 1978 dans 218 circonscriptions sous le label Front Autogestionnaire avait encore réuni 307 629 suffrages, soit 2,25 % des suffrages exprimés dans ces circonscriptions (rapporté à l'échelle nationale, cela représentait 1,10 % : exactement ce que Huguette Bouchardeau a réuni sur son nom dans ce scrutin présidentiel).

Michel Crépeau et Huguette Bouchardeau ont fait les frais de la logique de leur politique : fondamentalement pro-Mitterrand (d'ailleurs le PSU comme le MRG avaient appelé à voter Mitterrand dès le premier tour en 1974), cette politique ne pouvait sans doute pas être couronnée de succès sur le plan électoral dans le contexte de 1981 où les électeurs de gauche ont largement sacrifié à ce qu'on appelle le « vote utile » dès le premier tour. Le « créneau » d'électeurs que leur campagne pouvait viser s'est trouvé - en tout cas on peut en juger au vu des résultats - très réduit.

Même le courant écologiste a semble-t-il pâti du vote « utile » en faveur de Mitterrand.

En 1974, le candidat écologiste René Dumont n'avait guère fait qu'acte de présence dans la compétition, mais depuis les élections municipales de 1977, à l'occasion desquelles il a fait une véritable « percée » sur le plan électoral, atteignant localement dans bien des cas 10 %, voire 15 %, il était considéré avec la plus grande attention dans les milieux politiques et la presse. En 1978 encore, les candidats écologistes obtenaient plus de 7 % des suffrages exprimés dans 19 circonscriptions. Présents dans environ 200 circonscriptions, ils totalisaient 621 100 voix, ce qui représentait presque 5 % des suffrages dans ces circonscriptions.

Brice Lalonde, avec plus d'un million d'électeurs, obtient cette année 3,87 %. C'est un résultat qui compte et Giscard comme Mitterrand, en sollicitant ouvertement les « voix vertes » entre les deux tours, en ont témoigné à leur façon. Mais il marque néanmoins un certain tassement de l'impact électoral du mouvement écologiste.

On peut relever par exemple que, même dans des endroits où on aurait pu penser qu'il serait à l'abri, il a subi le contre-coup de la poussée électorale en direction de Mitterrand. Ainsi, en Seine-Maritime, où Mitterrand a augmenté de plus de 6 points, dans les régions de Paluel et de Penly où se construisent des centrales nucléaires, Brice Lalonde a obtenu au contraire des résultats inférieurs à sa moyenne nationale.

Même à Plogoff (Finistère) où l'hostilité de la population à l'implantation d'une centrale nucléaire est notoire, c'est Mitterrand qui l'a essentiellement capitalisée, avec près de 57 % des suffrages dès le premier tour le 26 avril, même si le pourcentage des voix en faveur de Brice Lalonde y atteint quand même 7 %.

Le mouvement écologiste espérait sans doute des résultats plus concluants en sa faveur.

La permanence d'un courant qui se retrouve électoralement dans les idées et la personnalité de notre candidate, et cela en dépit d'un contexte politique difficile, mérite d'autant plus d'être relevé qu'en 1974 le score électoral d'Ariette Laguiller, s'il avait surpris, n'avait pas manqué d'être commenté de manière à le minimiser dans la presse et les milieux politiques.

On avait alors invoqué le fait qu'elle était la seule et la première femme à se présenter dans la compétition présidentielle, ce qui aurait expliqué son résultat honorable par un geste en somme apolitique de la part d'un certain nombre d'électrices.

On avait aussi prétendu l'expliquer par le fait qu'elle aurait bénéficié de l'absence de candidature PSU, ce qui aurait interdit de mettre la totalité de ses 600 000 voix à son seul crédit.

Or, en avril 1981, les candidates étaient au nombre de trois, et l'une d'elles représentait précisément le PSU. Et cela n'a pas empêché Arlette Laguiller de se placer en deuxième position des « petits » candidats, derrière Brice Lalonde.

On avait aussi, notamment dans l'extrême-gauche, voulu mettre le relatif succès de la candidature de notre camarade au compte de votes favorables dans des départements essentiellement ruraux - sous-entendu, pas forcément de gauche.

Or, en 1981, les pourcentages recueillis par Arlette Laguiller sont homogènes à travers les départements. Si l'on excepte la Corse, ils varient entre 1,42 % (Alpes-Maritimes) et 3,21 % (Vosges), avec seulement neuf départements en-dessous de 2 % et deux départements au-dessus de 3. La presque totalité se situe entre 2 et 3 %. D'ailleurs, par rapport à 1974, il y a progression dans 41 départements, et maintien ou recul dans l'autre moitié. En gros, le résultat s'est amélioré là où il était le plus faible, et il a reculé là où il était le meilleur.

Ce résultat représente la traduction électorale de notre courant bien que l'assentiment et la sympathie que la campagne d'Arlette Laguiller a rencontré dans le monde du travail aillent au-delà du résultat comptabilisé au niveau des urnes.

C'est donc d'un courant minoritaire certes, mais existant à l'échelle nationale etconstant qu'il s'agit.

Partager