Le résultat des élections municipales peut-il entraîner un changement du gouvernement ou de sa politique ?01/02/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/02/100.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le résultat des élections municipales peut-il entraîner un changement du gouvernement ou de sa politique ?

Dans la campagne électorale des municipales, les partis de la gauche gouvernementale sont bien incapables d'avancer le moindre argument positif pour demander les voix des travailleurs, du moins quand ils se placent sur le terrain de la politique générale, et non sur celui de la gestion locale. Ils n'osent pas, et pour cause, dire : «Votez pour nous pour montrer que vous approuvez la politique que nous menons depuis juin 1981», parce qu'ils savent bien que la grande majorité des travailleurs est déçue par cette politique. Alors, ils prennent le problème par l'autre bout, et disent en substance : «si vous ne votez pas pour nous, ces élections risquent d'être un succès pour la droite, qui voudrait reconquérir le pouvoir. Ce n'est pas cela que vous voulez. Vous ne voulez pas le retour de ceux qui ont gouverné le pays pendant plus de vingt ans, sous de Gaulle, Pompidou et Giscard. Alors, même si vous n'êtes pas satisfaits de la politique du gouvernement, il faut que vous votiez pour les listes d'Union de la Gauche. Si ces listes n'obtiennent pas assez de voix, cela risque d'obliger le président de la République à infléchir la politique du gouvernement».

Ce type de raisonnement, qui voudrait faire croire que le résultat des élections municipales peut avoir des conséquences importantes sur la politique suivie par le gouvernement dans les mois à venir, correspond sans doute à ce que pensent beaucoup de gens, si l'on en croit les résultats du sondage IFRES publié par Le Journal du Dimanche du 13 février, et suivant lesquels 80 % des personnes interrogées considéraient que le résultat de ces élections municipales aurait une signification politique «importante» ou «très importante», et 462 (contre 382) pensaient que «la politique du gouvernement changera après ces élections en fonction de leurs résultats».

Mais que ce soit une idée répandue ne signifie pas qu'elle soit juste. Qu'est-ce qui obligerait en effet Mitterrand et Mauroy, si le résultat des élections municipales leur était défavorable, à modifier leur politique, ou la composition de l'équipe gouvernementale ? Constitutionnellement, absolument rien !

Tout l'esprit du parlementarisme bourgeois consiste, non pas à tenir compte des modifications des opinions de l'électorat au fur et à mesure qu'elles se produisent, mais au contraire à demander au «peuple» de déléguer ses pouvoirs pour des années à ses prétendus représentants. Et la Cinquième République ne fait pas exception à la règle, bien au contraire, avec des députés élus pour cinq ans, et un président investi de la légitimité nationale pour sept années.

Quand bien même l'opposition remporterait un succès spectaculaire lors de ces élections municipales, cela, constitutionnellement, n'entamerait en rien ni la légitimité de l'Assemblée élue en juin 1981, ni celle de Mitterrand. C'est en vertu de cet «esprit des lois» qu'après les succès incontestables que furent pour l'Union de la Gauche les élections cantonales de 1976 et, plus encore, les élections municipales de 1977, Giscard continua à mener la même politique, s'appuyant sur la même majorité, et en écartant vigoureusement toute idée d'élections législatives anticipées.

Bien évidemment, un désaveu électoral trop flagrant de la majorité parlementaire en place pourrait causer au gouvernement, en dépit des textes constitutionnels, un problème politique grave en ne laissant qu'une ombre de légitimité. C'est à un phénomène de ce genre que l'on a assisté l'an dernier en Espagne, dans une situation politique inverse : la droite étant majoritaire à la Chambre des députés, et la gauche dans l'opposition. Après une série d'élections régionales qui avaient clairement montré l'effondrement électoral du parti gouvernemental, le chef du gouvernement a finalement décidé la dissolution du Parlement et des élections générales anticipées qui ont amené ses adversaires socialistes aux affaires.

Mais ce qui mérite d'être envisagé, dans le cas des élections municipales à venir, ce n'est pas l'hypothèse d'un effondrement électoral complet des partis gouvernementaux, car quelle que soit la précarité des pronostics que l'on peut essayer d'avancer à l'occasion de cette campagne électorale, il y a tout lieu de croire que l'écart entre la majorité et l'opposition sera à la fois réduit (comme il l'est depuis au moins dix ans, dans un sens ou dans un autre, à chaque consultation électorale), et discutable (compte tenu du caractère local du scrutin, et de la difficulté d'interprétation des résultats dans les petites villes).

Alors, si la gauche perd quelques grandes villes, par exemple celles qu'elle avait gagnées en 1977, cela peut-il être la cause d'un changement de la politique gouvernementale, voire d'une modification de l'équipe ministérielle ?

La cause ? Certainement pas car, encore une fois, rien ne contraindrait Mitterrand ou Mauroy à un tel choix. Mais le prétexte invoqué pour justifier une politique d'austérité plus ouverte, ou un remaniement gouvernemental allant dans le même sens, oui, c'est bien possible.

Un tel infléchissement de la politique gouvernementale est bien possible et cela, d'ailleurs, indépendamment des élections municipales et de leurs résultats.

Les temps sont déjà loin où le gouvernement Mauroy prétendait sortir le pays de la crise par une relance de la consommation populaire. En matière d'augmentation du pouvoir d'achat des travailleurs le gouvernement n'a d'ailleurs jamais été plus loin, pour l'essentiel, que les bonnes paroles. Mais depuis l'été 1982, les paroles - accompagnées de faits cette fois - vont dans l'autre sens. C'est l'austérité, la réduction du niveau de vie des travailleurs, qui sont de plus en plus ouvertement àl'ordre du jour. Et Maire s'est récemment chargé d'annoncer qu'un deuxième plan d'austérité étant dans l'air, en même temps que Mauroy et Auroux s'en prenaient ouvertement aux travailleurs qui osaient entrer en lutte pour la satisfaction de leurs revendications.

Bien évidemment, si l'Élysée, Matignon et leurs porte-parole officiels et officieux, tiennent un tel langage en pleine campagne électorale, il n'y a aucune chance pour que les choses s'améliorent après.

On peut même se demander si la réapparition politique d'un Rocard, si l'importance donnée aux états d'âme de Delors, n'annoncent pas une modification de l'équipe gouvernementale pour un proche avenir.

Ce n'est certes pas que les hommes qui dirigent actuellement la politique du gouvernement soient incapables de mener une politique encore plus ouvertement contraire aux intérêts des travailleurs. Au cours des vingt et un mois qu'il a d'ores et déjà passés à la tête du ministère, Mauroy a prouvé qu'un chef de gouvernement «socialiste» était un chef de gouvernement bourgeois, avant tout soucieux des intérêts et de l'opinion des possédants. Son ministre du Travail, Auroux, qui avait d'abord essayé de se faire un nom comme le champion des «droits nouveaux des travailleurs» a montré qu'à l'exemple de son premier ministre, il ne reculait pas devant les mensonges éhontés (sur le rôle des prétendus extrémistes religieux dans les conflits de l'automobile), et devant une propagande incitant au racisme, pour s'en prendre aux travailleurs en lutte. S'il s'avère nécessaire, aux yeux de Mitterrand, de mener une politique encore plus nettement anti-ouvrière, ces gens-là seront prêts à le faire sans renacler. Y compris, selon toute vraisemblance, les ministres communistes qui, depuis qu'ils sont en poste, font preuve d'une belle discipline gouvernementale.

L'appareil du Parti Communiste s'est jusque-là montré entièrement solidaire de la politique gouvernementale, encore plus ces derniers mois que dans les premiers temps. L'absence de réaction de la CGT à la mise en demeure d'Auroux (qualifiée de péripétie par Krasucki) concernant les grèves chez Citroën, son acceptation de fait des sanctions prises par la direction, tout cela prouve que malgré le mécontentement d'une grande partie de leur base, les Marchais et Fiterman entendent demeurer les dirigeants d'un parti de gouvernement, quelle que puisse être la politique de ce gouvernement.

Mais si tous les hommes de l'équipe Mauroy sont tout à fait capables de mener une politique encore plus ouvertement anti-ouvrière, ils ne sont pas forcément les mieux placés pour cela, aux yeux de celui qui, par ses fonctions, est responsable devant les possédants de l'action gouvernementale, c'est-à-dire le président de la République Mitterrand.

Le rôle qu'est susceptible de jouer au gouvernement un homme politique ne dépend en effet pas seulement de ses choix politiques, ni de ses compétences. II dépend également de son image dans le public, de ce qu'il incarne aux yeux des masses ouvrières ou petites-bourgeoises.

C'est ainsi qu'entre 1944 et 1947, à l'époque du «retroussez vos manches», les représentants du Parti Communiste se sont vus essentiellement confier des portefeuilles ministériels relatifs à la production industrielle. C'est ainsi également que, dans les années suivantes, Jules Moch a fait une belle carrière de ministre de l'Intérieur socialiste (y compris avec des chefs du gouvernement de droite) quand il s'agissait de cogner sur les travailleurs en grève. C'est ainsi encore, à l'autre extrémité de l'éventail politique, que Pinay s'est fait une réputation d'expert économique et financier qui l'a suivi pendant trente ans, parce que c'est sous son gouvernement que le franc s'est relativement stabilisé, dans l'après-guerre.

Mitterrand pourrait donc estimer que, pour mener avec le maximum de succès une politique d'austérité ouverte, des changements au sein de l'équipe gouvernementale sont souhaitables.

Evidemment, au sein de la Chambre des députés actuelle, son choix est extrêmement limité. L'écrasante victoire électorale remportée par les socialistes aux élections législatives de juin 1981 fait qu'il n'y a pas, au sein de cette assemblée, trente-six majorités possibles, puisque le Parti Socialiste y détient la majorité absolue, et qu'il n'y a pour ainsi dire personne pour constituer un groupe charnière entre lui et l'opposition de droite.

Cela ne signifie évidemment pas que jusqu'en 1986 il ne puisse pas y avoir d'autres majorités possibles dans cette Chambre des députés. Un groupe parlementaire cela peut toujours éclater et, après tout, cela est déjà arrivé deux fois au Parti Socialiste, en 1940 et en 1958, lors de l'arrivée au pouvoir de Pétain et de celle de de Gaulle. Mais il s'agissait précisément d'événements dramatiques, et si on ne peut pas écarter la possibilité de telles situations dans les années qui viennent, ce n'est pas de cela qu'il pourrait s'agir dans le futur immédiat.

Pour le moment, c'est essentiellement au sein de la majorité PS-PCF que Mitterrand peut choisir ses éventuels ministres (même si quelques ralliements de droite ne sont pas impossibles, si on en juge par l'attitude d'un Edgar Faure pour qui deux ans d'opposition, c'est déjà beaucoup trop). Mais Mitterrand peut effectivement penser qu'un Rocard ou un Delors à la tête du gouvernement inspirerait plus de confiance à la grande et à la petite bourgeoisie, en même temps que leur présence à ce poste signifierait clairement pour la classe ouvrière que l'heure n'est plus aux revendications, mais aux efforts (et ce n'est pas forcément le PCF qui dirait le contraire, car rien ne prouve qu'il serait écarté d'une telle solution, où il aurait aussi son rôle à jouer pour le plus grand bien des possédants).

Si Mitterrand faisait un tel choix il n'aurait constitutionnellement besoin d'aucun prétexte. Dans la Cinquième République, c'est le président qui nomme le premier ministre et qui met fin à ses fonctions. Chaban-Delmas en avait fait la triste expérience en 1972, remercié par Pompidou juste après avoir obtenu un vote de confiance à l'Assemblée. Et le gouvernement Mauroy, comme tous ses prédécesseurs ne vivra que ce que voudra bien le chef de l'État.

Mais le fait du prince, ou plutôt du président, n'est pas forcément la meilleure formule, quant aux répercussions de la chose dans l'opinion publique. Et, là aussi, un succès relatif de la droite aux élections municipales peut être le prétexte utilisé pour justifier un remaniement ministériel ou un changement de gouvernement, médité et prévu de longue date.

Ceci dit, l'argumentation selon laquelle la politique future du gouvernement, voire sa composition, pourraient varier en fonction du résultat des élections, est un piège tendu aux travailleurs, car ce qui dépendra du résultat des élections, ce n'est pas la politique du gouvernement, c'est la manière dont elle sera justifiée.

Si, comme c'est probable, la droite marque des points au cours de cette consultation électorale (ne serait-ce qu'à cause de la désaffection à l'égard de l'actuelle majorité des électeurs chiraquiens qui avaient donné la victoire à Mitterrand en 1981), les dirigeants de l'actuelle majorité pourront prétendre que cela prouve bien qu'il ne faut pas aller «trop vite», qu'il faut tenir compte du mécontentement de l'électorat petit-bourgeois, et qu'il faut donc que les travailleurs acceptent des sacrifices.

Si, grâce à une mobilisation réussie de son électorat habituel, la gauche remporte un succès, les mêmes dirigeants de la majorité ne manqueront pas d'en tirer comme conclusion que cela prouve bien que les travailleurs approuvent la politique raisonnable du gouvernement, sa rigueur, sa volonté de tirer le pays de la crise, fut-ce au prix de l'austérité.

Bref, quel que soit le vainqueur que les urnes désignent, ce n'est que l'argumentation destinée à justifier la poursuite, voire l'aggravation, de la politique anti-ouvrière actuelle qui changera.

Alors, pour les travailleurs, la seule possibilité, c'est de refuser ce choix truqué entre les gérants d'hier du capitalisme et ceux d'aujourd'hui, et de se préparer à lutter contre Mauroy... ou contre ses successeurs.

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