Le Parti Socialiste et la question des ministres communistes17/03/19811981Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1981/03/84.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le Parti Socialiste et la question des ministres communistes

 

Entre les élections présidentielles de 1974 et celles de 1981, le changement d'attitude du Parti Communiste Français vis-à-vis de Mitterrand est flagrant et, pour l'immense majorité des travailleurs, c'est d'ailleurs le PCF qui a pris l'initiative de la rupture de l'Union de la Gauche.

Le Parti Socialiste, quant à lui, se présente volontiers comme le parti qui n'a pas changé d'orientation depuis la signature du Programme Commun, en 1972. Mais cela est-il si vrai ? Et le spectaculaire retournement du PCF ne dissimule-t-il pas, aux yeux des gens, un changement d'attitude bien plus discret, mais tout aussi réel du PS ?

C'est une question qu'on est en droit de se poser devant, en particulier, le refus du PS de s'engager à l'avance sur la question des ministres communistes. Sur ce point, en effet, l'attitude du Parti Socialiste a considérablement changé depuis 1974.

 

Le PS refuse de s'engager

 

Interrogé sur la question de savoir s'il y aurait des ministres communistes au gouvernement s'il était élu président de la République, Mitterrand avait par exemple répondu aux journalistes, lors de sa conférence de presse du 12 avril 1974, après avoir rappelé que de Gaulle avait associé le PCF aux responsabilités du gouvernement : « Pourquoi voulez-vous que je me prive aujourd'hui, dans une période moins périlleuse et même pratiquement sans danger pour la paix civile, du concours de l'ensemble des forces vives du travail et de la production, pour faire face à la crise qui frappe à notre porte (...) ? »

Et le 16 avril, il précisait encore : « Si je suis élu, je nommerai un premier ministre socialiste (...), ensuite sera constitué le gouvernement. Ce gouvernement sera (...) à l'image de la majorité présidentielle. Donc tous ceux, tous les groupements politiques et mouvements qui participeront à cette majorité présidentielle, pourront aussi compter sur leur présence au gouvernement. »

A la veille de la campagne des élections législatives de 1978, alors pourtant que depuis plusieurs mois le PCF ne cessait d'accuser le PS d'avoir « viré à droite », Mitterrand renouvela cet engagement. Rappelant que quatre ans plus tôt Marchais avait réclamé six ou sept ministères pour les communistes, Mitterrand déclarait au journal Le Monde le 23 février : « durant la campagne présidentielle de 1974, Georges Marchais a de sa propre initiative déclaré aux journalistes qu'il revendiquerait six ou sept ministères sur les 21 que comporterait par hypothèse un gouvernement de gauche. Je n'avais pas été informé préalablement de cette déclaration, mais j'avais trouvé la proportion raisonnable. Je constate aujourd'hui que, bien qu'il hausse le ton et porte contre le Parti Socialiste des attaques injustes et systématiques, le Secrétaire Général du Parti Communiste ne réclame pas pour son parti une place plus importante » (...) « il n'y a pas de citoyens, pas de formation politique de deuxième zone ».

er février : « il n'y aura pas de négociation sur cette question, ni avant le premier tour, ni après le premier tour, ni avant la fin du deuxième tour. Ce n'est pas une question qui est posée pour l'élection présidentielle ». Et, repoussant la question au-delà des élections législatives qui auront lieu suite à la dissolution de l'Assemblée Nationale, à laquelle Mitterrand s'est engagé s'il est élu : « c'est du résultat des élections législatives que dépendra la composition du gouvernement et non pas de la volonté du président de la République ».

Lionel Jospin affirme même plus nettement encore : « cette demande de ministres communistes telles que les communistes la formulent actuellement est pour moi incompatible avec la politique menée actuellement par la direction du PC ; refus de l'union du sommet, refus des accords d'appareils, refus et rejet du Programme Commun » (...)

 

Plus qu'un simple calcul électoral

 

On pourrait être tenté d'expliquer ce changement d'attitude du PS par rapport au PCF par de simples considérations électorales. Le Parti Socialiste refuserait de s'engager clairement vis-à-vis du PCF pour ne pas perdre la frange la plus à droite de ses électeurs potentiels, ceux qui pourraient être effrayés par l'idée du PCF au gouvernement, et qui feront peut-être, justement, la décision au second tour des élections présidentielles.

Mais le succès éventuel de Mitterrand dans ces élections ne dépend pas seulement de cette frange d'électeurs. Mitterrand ne peut ignorer qu'en cas d'un mauvais report des voix du PCF lors du second tour des Présidentielles, il n'a aucune chance d'être élu, et cela même s'il a réussi à mordre sur l'électorat centriste. Or, en refusant de renouveler aujourd'hui les engagements qu'il avait pris en 1974 et 1978, Mitterrand donne des armes à la direction du PCF, lui permettant de mieux justifier éventuellement son absence de soutien au leader du Parti Socialiste au deuxième tour, et dans tous les cas prend un risque quant à la manière dont s'effectuera le report des voix du PCF.

En fait, en ne faisant rien pour désarmer les critiques du PCF, l'attitude du Parti Socialiste revient pour ce parti àprendre le risque de sa propre défaite électorale. Et pour prendre un tel risque, il a sans doute des raisons bien plus profondes et plus politiques que les calculs électoraux immédiats.

Le changement d'attitude du Parti Socialiste dans la question des ministres communistes constitue d'ailleurs le point sur lequel il est le plus visible qu'il a lui aussi modifié sa manière de concevoir ses relations avec son partenaire. Mais en fait, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il les a modifiées. C'est dès avant les élections de 1978.

Entre 1972, date de la signature du Programme Commun, et les élections de 1978, le Parti Socialiste n'a certes pas modifié d'une virgule les propos qu'il tenait vis-à-vis du Parti Communiste. Mais ce sont les conditions politiques qui avaient changé. Et dans ces conditions nouvelles, le Parti Socialiste ne respectait plus, dans les faits, les engagements qu'il avait pris à l'égard du PCF quelques années auparavant.

 

Une époque révolue...

 

C'est justement cette attitude relativement exceptionnelle de la bourgeoisie, marquée par une certaine ouverture à l'égard des Partis Communistes qui semble maintenant faire partie du passé. Et l'un des signes de ce retour de la bourgeoisie à son attitude traditionnelle est, justement, l'attitude nouvelle du Parti Socialiste en France. Au risque de compromettre leurs propres chances d'arriver au pouvoir, les dirigeants du Parti Socialiste ne s'engagent plus, on l'a vu, à l'égard du PCF. Et cela signifie sans doute que les milieux dirigeants impérialistes, les sommets de la finance internationale, sont aujourd'hui bien moins ouverts à l'idée de ministres communistes dans les pays d'Europe occidentale, qu'ils ne l'étaient dans la période 1974-1979. Et c'est sans doute cela qui entraîne les dirigeants du Parti Socialiste, en hommes politiques responsables à l'égard de la bourgeoisie, à modifier leur attitude. Ils ne veulent pas, en se déclarant favorables à la venue du PCF au gouvernement, comme ils le faisaient en 1974 et 1978, tendre à ouvrir une option politique que la bourgeoisie ne serait plus prête à accepter.

Ce faisant, la bourgeoisie française, et ses hommes politiques, ne font d'ailleurs que renouer avec leur attitude traditionnelle vis-à-vis du PCF, car ce qui fut l'exception, c'est justement ce que semblait montrer la période 19721974. Pour le reste, et mis à part les trois années (de 1944 à 1947) où la bourgeoisie française eut tellement besoin du PCF pour remettre en selle son État et son économie qu'elle lui donna en échange quelques portefeuilles ministériels (ce fut d'ailleurs de Gaulle qui en décida, pas le suffrage universel), les classes dirigeantes ont toujours considéré le Parti Communiste comme un corps étranger dans la vie politique.

 

Pour la bourgeoisie, le PCF, un parti pas comme les autres

 

Car l'attitude de la bourgeoisie à l'égard des Partis Communistes, dans les pays d'Europe occidentale, procède d'une méfiance profonde, bien différente de son attitude à l'égard des partis réformistes de type classique, comme les partis sociaux démocrates. Non pas que ces partis soient suspects à ses yeux de mener une politique révolutionnaire. De ce point de vue, même la démagogie et les phrases révolutionnaires dont un Georges Marchais se trouve prodigue, ne font sans doute guère illusion sur les sommets de la bourgeoisie, qui savent à quoi s'en tenir depuis longtemps. Mais ce que la bourgeoisie attend d'un parti réformiste, c'est qu'il soit prêt à, se sacrifier lui-même si c'est nécessaire à la défense des intérêts du capital ; se sacrifier lui-même, c'est-à-dire être prêt à défendre une politique impopulaire, une politique anti-ouvrière auprès des travailleurs, même s'il risque d'y perdre le crédit dont il dispose auprès d'eux.

Dans ce domaine, le Parti Communiste n'a pas encore fait ses preuves aux yeux de la bourgeoisie. Il reste un parti réformiste d'un type particulier. Il garde, de ses lointaines origines révolutionnaires, une sensibilité bien plus grande à l'état d'esprit des travailleurs que, par exemple, des partis sociaux démocrates comme le SPD allemand ou le Labour anglais. La bourgeoisie française en fit l'expérience en mai 1947, lorsque le PCF, au gouvernement, prit la défense d'une grève déclenchée malgré lui chez Renault, ce qui fournit la raison immédiate de l'éviction des ministres communistes.

 

Les raisons d'un durcissement

 

Quant à ce durcissement de la bourgeoisie à l'égard des Partis Communistes, il est sans doute lui-même lié à deux séries de raisons.

Il y a d'abord, parmi ces raisons, la montée de la crise économique. En 1974, celle-ci n'en était qu'à ses débuts. La bourgeoisie pouvait envisager de voir arriver au gouvernement, à la suite des élections, les partis de gauche, y compris le Parti Communiste. Sans doute cela aurait impliqué de faire un certain nombre de concessions aux organisations ouvrières. Ces concessions ne se seraient probablement pas placées essentiellement au niveau économique, mais auraient consisté en un certain nombre d'avantages plus ou moins symboliques, donnés aux appareils syndicaux, conviés à faire accepter par les travailleurs une politique d'austérité, et qui se seraient vu reconnaître, en échange, quelques avantages précis.

Cette éventualité ne s'est pas réalisée en France. Mais aujourd'hui, la bourgeoisie semble l'envisager de moins en moins. Car la prolongation de la crise, et son aggravation, changent les données du problème.

Dans un climat de crise et de concurrence internationale exacerbée, les bourgeoisies occidentales disposent d'une marge de manoeuvre de plus en plus réduite à l'égard des travailleurs. Elles sont donc de moins en moins disposées à leur faire des concessions, y compris si ces concessions sont purement symboliques et surtout destinées aux appareils syndicaux et politiques.

Cette méfiance de plus en plus grande à l'égard des organisations réformistes, la bourgeoisie ne peut que l'éprouver encore plus à l'égard des Partis Communistes.

A cela s'ajoutent d'autres raisons de méfiance, liées au contexte international. La renaissance d'une certaine tension entre les États-Unis et l'URSS n'est pas seulement la conséquence de l'intervention russe en Afghanistan au début de l'année 1980. Elle est aussi en partie la conséquence de la crise. Elle reflète le souci des dirigeants impérialistes, et en premier lieu américains, de faire renaître dans la population de leur pays une certaine peur de l'ennemi extérieur, un certain climat de danger propre à éveiller un sentiment de solidarité nationale.

Mais, là aussi, dans ce contexte, les dirigeants impérialistes ne peuvent qu'être de moins en moins enclins à voir les Partis Communistes d'Europe occidentale accéder au pouvoir. Car ces partis restent à leurs yeux des partis liés à l'URSS.

Et ils le sont effectivement encore, dans une large mesure.

Tout cela ne signifie pas que, demain, face à une crise politique ou sociale, la bourgeoisie ne puisse pas appeler le PCF au gouvernement, comme elle le fit en 1944 par la voix de de Gaulle, pour qu'il mette à son service son influence sur la classe ouvrière. Mais, aujourd'hui, elle ne souhaite certainement pas qu'il puisse accéder au gouvernement par la voie des urnes.

 

Pour le PS : vers un retour aux années 50 ?

 

C'est donc dans un contexte bien différent de celui de 1974 et même de 1978 que s'ouvre la campagne pour les élections présidentielles françaises. Et, si l'éventualité d'une victoire du candidat socialiste Mitterrand ne peut être exclue, il est certain qu'elle n'aurait pas les mêmes implications qu'une victoire de la gauche il y a trois ou sept ans. L'attitude ambiguë des dirigeants du Parti Socialiste montre qu'ils en sont conscients. Ils ne veulent répondre clairement « non » à la revendication du PCF d'obtenir des postes de ministres si Mitterrand est élu. Car ils ont besoin des voix du PCF pour avoir une chance de gagner les élections. Mais ils ne veulent pas non plus répondre « oui » comme ils le faisaient en 1974 et même encore en 1978, car ce serait se conduire de façon irresponsable à l'égard de la bourgeoisie qu'ils entendent servir, et dont ils savent qu'elle ne souhaite nullement voir le PCF accéder au gouvernement.

C'est tout cela qui explique que sous une apparence de constance, le Parti Socialiste observe vis-à-vis du Parti Communiste une attitude toute différente de celle qui était la sienne en 1974. Et, si les travailleurs n'ont aucune raison de pleurer, eux, sur l'espoir évanoui des maroquins ministériels promis au Parti Communiste en cas de victoire de la gauche aux élections, ils n'ont aucune raison de s'en réjouir non plus. Car, cela signifie que, si Mitterrand était élu aux prochaines élections présidentielles, c'est une politique analogue à celle que le Parti Socialiste mena de 1947 à 1958, en alliance avec la droite, qu'ils auraient le plus de chance de lui voir mener demain.

Sans doute, cela ne serait-il pas pire que si c'était Giscard ou Chirac qui soit élu. Mais ce n'est pas non plus une perspective exaltante. C'est pourquoi, les révolutionnaires se doivent d'être présents dans cette campagne électorale pour expliquer que ce qui sera déterminant pour l'avenir de la classe ouvrière, ce n'est pas le nom de celui qui sortira vainqueur des urnes. Ce sont les luttes que les travailleurs seront capables de mener... et de remporter.

Cet article était déjà écrit, lors du passage de François Mitterrand à l'émission Cartes sur Table, sur Antenne 2, le 16 mars.

Les propos de Mitterrand, interrogé sur le fait de savoir s'il y aurait des ministres communistes au gouvernement, s'il était élu, n'ont fait que confirmer, plus nettement, ceux de Lionel Jospin rapportés dans l'article ci-dessus. Mitterrand a en effet déclaré qu'il n'y aurait pas de ministres communistes dans le gouvernement de transition mis en place dans la période précédant les élections législatives anticipées qu'il se propose d'organiser au cas où il serait élu aux présidentielles. Et qu'il ne voyait pas comment il pourrait y avoir des ministres du Parti Communiste ensuite, tant que celui-ci n'aura pas « changé ».

La seule éventualité pour Mitterrand qu'il puisse y avoir des ministres communistes, c'est dans le cas d'une crise politique ou sociale qui rendrait cela souhaitable, a-t-il expliqué en substance, en se réclamant de l'exemple de de Gaulle.

Ce fut d'ailleurs une référence plusieurs fois utilisée par Mitterrand, et cela en dit long sur ce que les travailleurs peuvent attendre de son élection.

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