Le mouvement trotskyste en 198301/12/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/12/107.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le mouvement trotskyste en 1983

 

Le mouvement trotskyste n'a pas connu de changement important durant ces dernières années, ni en France, ni dans le monde. II y a eu certes des recompositions, nouvelles scissions ici, réunifications là. Mais globalement, il se caractérise toujours, non seulement par une grande faiblesse, mais aussi par une grande division.

En France, par exemple, il n'y a pas moins de six organisations qui se réclament du trotskysme, chacune appartenant à une tendance internationale différente, sans compter plusieurs autres groupes tenant des diverses théories dites « capitalistes d'État ». Certains de ces groupes sont sans doute numériquement très faibles - les plus importants, la Ligue Communiste Révolutionnaire le Parti Communiste Internationaliste ou Lutte Ouvrière restant de toute manière de petites organisations. Cette situation n'en est pas moins symbolique de l'état du mouvement trotskyste. On retrouve d'ailleurs la même dans de nombreux pays. Certes quelques fusions ont eu lieu, comme celle annoncée récemment en Bolivie par exemple. Mais des scissions avaient précédé, notamment dans un certain nombre de pays d'Amérique latine à la suite de la prise du pouvoir par les Sandinistes au Nicaragua et de l'affaire des trotskystes de la brigade Simon Bolivar. Il est, de plus, notoire aujourd'hui qu'au sein de la Quatrième Internationale (Secrétariat Unifié) l'opposition a grandi entre le SU et le Socialist Workers Party des USA, soutenu par la section canadienne du SU et par des fractions de certaines autres sections, en Grande-Bretagne par exemple, au point de comporter des risques sérieux d'une nouvelle scission.

Sans doute plus grave que cette division, qui n'en est d'ailleurs en partie qu'une conséquence, est le fait que nulle part il n'y a d'organisation trotskyste méritant véritablement le nom de parti, quelles que soient les prétentions des uns ou des autres. Ni par l'influence sur la classe ouvrière, ou du moins une fraction de celle-ci, ou encore sur d'autres couches sociales exploitées ou opprimées, ni par le bilan politique, aucun groupe trotskyste de par le monde n'est aujourd'hui le parti ouvrier révolutionnaire que tous se donnent pour but de construire.

A fortiori il n'y a, pas non plus d'internationale digne de ce nom. Le courant international le plus important, la Quatrième Internationale (Secrétariat Unifié), qui affirme lui-même avoir des sections dans plusieurs dizaines de pays et rassembler la majorité des militants trotskystes existant dans le monde, n'est en rien une internationale ni par son audience ou celle de certaines de ses sections, ni par leur participation à la tête des luttes.

La politique de ce courant depuis quarante ans a été de rechercher systématiquement d'autres forces politiques auxquelles il pourrait accrocher son wagon, partis ou syndicats réformistes dans les pays impérialistes, mouvements nationalistes dans les pays coloniaux ou sous-développés. avec des variantes et des justifications diverses ce fut d'ailleurs aussi la plupart du temps la politique fondamentale des autres courants trotskystes rivaux du secrétariat unifié.

Le bilan de l'entrisme dans les partis staliniens ou sociaux-démocrates ou de l'appui sinon de la participation aux mouvements de guérillas nationalistes paysannes ou même urbaines, c'est que nulle part les partisans de la Quatrième Internationale ne se sont trouvés à la tête d'une lutte sociale ou politique d'envergure. Nulle part même ils n'ont construit un véritable parti.

Le Secrétariat Unifié, depuis des années maintenant, a abandonné la politique d'entrisme dans les partis réformistes de même qu'il est revenu sur la question des guérillas paysannes. Pourtant il n'a pas abandonné pour cela son orientation suiviste vis-à-vis des réformistes ou des nationalistes. En témoigne la politique de la LCR en France vis-à-vis du Parti Communiste et du Parti Socialiste comme du gouvernement de gauche. En témoigne encore la position du SU vis-à-vis des Castristes ou des Sandinistes, position qui l'amène à renoncer au principe de la construction d'une section de la Quatrième Internationale à Cuba ou au Nicaragua.

Le renoncement affirmé du Secrétariat Unifié àconstruire des sections de la Quatrième Internationale à Cuba ou au Nicaragua est l'expression ultime d'une politique bien plus générale qui l'amène dans la pratique en tout cas àtourner le dos à la construction de partis ouvriers révolutionnaires.

Nous ne savons pas si pratiquement il était ou il est possible de bâtir une organisation trotskyste cubaine ou nicaraguayenne, c'est-à-dire s'il existe déjà dans ces pays des militants trotskystes capables de le faire ou s'il est possible d'en trouver. Pourtant en niant explicitement la nécessité d'un parti trotskyste indépendant dans ces pays, le SU renonce même à chercher ces militants ou, s'ils existaient, leur enjoint de tourner le dos à cette tâche.

Mais surtout, le SU affirme qu'à son avis les tâches de la révolution prolétarienne peuvent être parfaitement remplies par les partis nationalistes, se réclamant ou non du stalinisme. Par là, le SU met lui-même en question, qu'il le veuille ou non, la raison d'être d'une internationale ouvrière prolétarienne marxiste, trotskyste, de la Quatrième Internationale, dont il affirme cependant la nécessité par ailleurs.

Cette contradiction dans l'attitude du SU est de toute façon celle qui est la sienne depuis des dizaines d'années, au moins implicitement. En adoptant une attitude politique suiviste derrière les mouvements nationalistes, de nuances diverses, des pays sousdéveloppés, en les présentant comme des partis susceptibles de subir une « transcroissance » socialiste, il a renoncé dans la pratique à bâtir des partis ouvriers révolutionnaires, même là où existent à côté des groupes trotskystes.

D'ailleurs, pendant toute la période de la décolonisation, pratiquement aucune organisation trotskyste ne s'est créée dans les pays sous la domination de l'impérialisme français, par exemple. Et, sans sous-estimer les difficultés pratiques de la tâche - aujourd'hui encore le bilan bien maigre qui est le nôtre comme celui de la LCR ou du PCI le montre bien - cela reflète aussi le fait que ce qui a manqué c'est la volonté politique de le faire. La politique de soutien aux mouvements nationalistes qui était aussi sans aucun doute un volet d'une politique communiste internationaliste a ainsi longtemps remplacé celle de la construction des organisations trotskystes.

Le cours pris aujourd'hui par le SWP américain est aussi dans un certain sens le résultat de la politique du SU. En effet, la volonté affichée du SWP de vouloir créer une « nouvelle internationale communiste de masse » avec les directions castristes et sandinistes pourrait sembler logique s'il était vrai que ces directions sont marxistes, prolétariennes, et oeuvrent pour la révolution socialiste. S'il était vrai que, dans ces pays, il n'est nul besoin d'une organisation trotskyste pour défendre le point de vue et les intérêts du prolétariat socialiste et que cela soit fait par les partis au pouvoir, il serait logique que la Quatrième Internationale rallie ces partis. En ce sens, le SWP ne fait que développer logiquement jusqu'au bout une position du SU.

Pourtant la contradiction entre le castrismeet le trotskysme et l'incompatibilité qu'il y a entre l'un et l'autre sont parfaitement ressenties aussi parla direction du SWP. C'est ce qui amène dans la pratique le SWP à commencer à jeter par-dessus bord le trotskysme, en s'attaquant à la théorie de la révolution permanente. Sur cette ligne, le SWP tente en effet de sortir de la contradiction dans laquelle se tient le SU, mais c'est en abandonnant tout simplement le terrain du trotskysme pour se ranger complètement sur celui du castrisme, c'est-à-dire du nationalisme petit-bourgeois.

Nous ne savons pas si le swp peut s'arrêter sur la voie dans laquelle il s'est engagé et peut faire machine arrière. mais s'il la suit jusqu'au bout la conséquence ne peut faire de doute. ce ne serait pas seulement une nouvelle scission dans le mouvement trotskyste international, entraînant sans doute derrière le swp quelques fractions du mouvement trotskyste d'autres pays comme le canada ou la grande-bretagne. cela signifierait aussi que l'un des groupes les plus importants, aussi bien par sa taille et sa place dans le monde actuel au sein du pays impérialiste le plus puissant, que par son passé dans le mouvement trotskyste et la quatrième internationale, est passé sur les positions d'une autre classe.

Cela serait d'autant plus grave que les faiblesses, les erreurs ou lesfautesdu mouvement trotskyste ne doivent pas nous masquer les aspects positifs que son existence même constitue.

Aujourd'hui certainement dans la plupart des pays du monde, sinon dans tous, il y a des groupes ou du moins des militants trotskystes. Un peu partout il existe des militants qui défendent donc le programme marxiste révolutionnaire, même si quelquefois leur politique est en contradiction avec celui-ci, qui maintiennent l'idée de la révolution prolétarienne, de la nécessité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir, et pour permettre cela, de la nécessité de construire un parti ouvrier révolutionnaire ; qui maintiennent aussi l'idéal de l'internationalisme, la notion que la révolution prolétarienne doit dépasser et effacer les frontières et en conséquence la nécessité de construire une internationale ouvrière communiste. Quelle que soit la faiblesse de ces groupes et le petit nombre de militants, c'est un capital humain et politique irremplaçable, qui permet de garder l'espoir de reconstruire peut-être dans un temps pas si lointain, une véritable internationale communiste, la Quatrième Internationale.

C'est sur la base de ce programme trotskyste que nous pouvons apprécier le tournant vers la classe ouvrière décidé par la Quatrième Internationale (Secrétariat Unifié) lors de son dernier congrès mondial en 1979. Ce tournant a certes été proposé sur la base d'une analyse de la situation politique que nous ne partageons pas : l'affirmation qu'il y aurait une montée du mouvement ouvrier à l'échelle internationale. Sa réalisation effective, qu'il nous est difficile d'estimer, est semble-t-il très variable suivant les sections du Secrétariat Unifié, bien qu'elle soit incontestable pour certaines d'entre elles comme la Ligue Communiste Révolutionnaire par exemple. Ce tournant n'amène pas automatiquement une rupture avec la politique suiviste qui a marqué toute la politique antérieure de la Quatrième Internationale, suivisme qu'il peut même contribuer à accentuer au contraire vis-à-vis des partis ou des syndicats réformistes dans les pays industrialisés. Il n'empêche même pas forcément une dérive d'avec le trotskysme comme le prouve le cas du SWP américain, puisque de toutes les sections du SU c'est le groupe américain qui, le premier, avait commencé à prôner, et à réaliser dans la pratique, ce tournant vers la classe ouvrière quelques années avant les autres.

Pourtant ce tournant vers la classe ouvrière, quelles que soient certaines mauvaises raisons qui le justifient ou certaines illusions qui y ont poussé, est en soi une chose positive. Ne serait-ce que parce qu'il constitue l'affirmation ou la réaffirmation pour des milliers de militants trotskystes de par le monde que c'est bien la classe ouvrière qui est la classe révolutionnaire, que c'est cette classe qu'ils aspirent à représenter, que c'est en liaison avec elle, en étant implantés dans les rangs des travailleurs, qu'ils pourront bâtir des partis prolétariens révolutionnaires dans les différents pays et l'internationale à l'échelle mondiale.

Notre courant s'est créé, en France comme aux USA ou aux Antilles, à côté de la Quatrième Internationale et séparé d'elle sur la base de cette nécessité pour le mouvement trotskyste de rompre avec les attaches et les pressions petites-bourgeoises et de se lier avec la classe ouvrière. Nous ne pouvons que soutenir un tel tournant dans la politique des organisations du Secrétariat Unifié, même en sachant que sa réalisation peut rester limitée ou que, s'il est vraiment effectué, il ne peut suffire par lui-même à changer toutes les orientations fondamentales erronées du mouvement trotskyste.

Le but de Lutte Ouvrière est la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire dans ce pays et la reconstruction de la Quatrième Internationale à l'échelle mondiale. Les divergences très profondes que nous avons avec toutes les autres tendances trotskystes sur les analyses des phénomènes sociaux ou politiques du monde contemporain mais surtout à propos des modes d'intervention dans les luttes ou des méthodes de construction du parti nous ont amené à bâtir une organisation indépendante. Cette indépendance nous paraît toujours aussi nécessaire pour pouvoir faire la vérification des orientations que nous proposons.

Mais la coupure avec le reste de la quatrième internationale, qui en est la conséquence, constitue un handicap. du coup, en effet, une petite organisation comme la nôtre est non seulement réduite à une intervention limitée à l'intérieur des frontières nationales mais aussi coupée de l'expérience de la plus grande partie du mouvement international, même si notre courant s'est un peu développé aussi dans d'autres pays.

D'autre part, les bases programmatiques communes que nous avons avec ces autres tendances, le Secrétariat Unifié d'abord mais pas seulement lui, nous permettent toujours d'espérer que c'est avec elles, ou de larges fractions d'entre elles, que nous bâtirons et le parti dans ce pays et l'internationale.

C'est pour cela que nous avons toujours considéré que, même si aucune unification organisationnelle n'est possible dans l'immédiat, il nous faut agir avec elles comme des fractions séparées d'un même futur parti, à l'échelle nationale et même, bien que cela semble encore plus lointain, à l'échelle internationale.

Cela signifie d'abord qu'il nous faut nous efforcer de garder ou nouer des relations fraternelles avec ces autres courants trotskystes et les maintenir même lorsque nos activités ou nos politiques divergentes ne nous permettent pas d'actions communes. Et ces relations fraternelles ne doivent pas seulement s'établir entre les organisations mais aussi entre les militants de celles-ci.

Cela signifie aussi que lorsqu'il nous est possible d'agir en commun avec une autre tendance, même pour des activités limitées, sans qu'il y ait le moindre renoncement à nos politiques ou nos orientations respectives, il nous faut nous efforcer de le faire.

Cela signifie enfin qu'il nous faut éventuellement être prêts à apporter notre aide ou notre soutien à d'autres tendances trotskystes pour des actions ou des activités qui ne sont pas les nôtres sur des terrains qui ne sont pas les nôtres, si cela n'entrave pas nos propres activités ou ne va pas à l'encontre de notre politique.

C'est ce type de relations que nous avons établies avec la Ligue Communiste Révolutionnaire depuis de nombreuses années. Certes les actions et les activités communes ont été en nombre limité et dans quelques domaines seulement, élections, manifestations, fêtes. Et les interventions des deux organisations dans les luttes sociales, grèves ouvrières ou même mouvements de la jeunesse scolarisée, se sont la plupart du temps avérées profondément différentes voire opposées, reflet de nos orientations respectives. Nous avons tout de même établi entre la LCR et Lutte Ouvrière des rapports qui ne sont pas ceux d'organisations rivales et hostiles mais de deux groupes qui, tout en ayant de profondes divergences, savent aussi qu'ils ont une base commune. Et s'il n'en est pas de même avec le PCI cela vient de son fait et de son attitude sectaire et systématiquement hostile, pas de notre refus a priori d'établir les mêmes relations tant avec son organisation qu'avec ses militants.

Ce travail international ne se limite pas forcément à la constitution de groupes trotskystes de notre propre courant. L'aide politique que nous nous devons d'apporter à d'autres militants trotskystes, dans la mesure de nos moyens, peut l'être à des groupes qui ont par ailleurs des liens avec d'autres tendances. Ainsi d'ailleurs pourrait aussi se faire une certaine collaboration avec ces tendances. Mais même si cette collaboration est impossible dans l'état actuel, cette tâche internationaliste n'en est pas moins parmi les tâches immédiates d'une organisation communiste trotskyste comme la nôtre.

 

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