Le mouvement pacifiste peut-il lutter contre le danger de guerre ?01/05/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/05/103.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le mouvement pacifiste peut-il lutter contre le danger de guerre ?

Depuis trois ans, on a assisté à de grandes manifestations pacifistes, non seulement en Europe occidentale mais aussi au Japon, aux États-Unis et en Australie.

Ces manifestations expriment une inquiétude née des déclarations politiques belliqueuses des dirigeants impérialistes, de l'importance croissante des budgets de guerre, de l'accumulation des armes. Tout est mobilisé en vue de la préparation de la guerre : les ressources économiques, les cerveaux, les progrès technologiques, les budgets des États. Tout cela sur fond de crise économique touchant les pays développés et accumulant une misère explosive dans le Tiers-monde.

Pour qui ne s'aveugle pas, la déflagration mondiale ne peut plus être considérée comme une menace lointaine. Le monde peut connaître une troisième guerre mondiale. Incontestablement, le danger s'est rapproché, il est là, à boucher l'avenir des générations actuelles.

C'est cette conscience qui fait renaître un large mouvement pacifiste. Durant les trois dernières années, ce mouvement a pris une ampleur internationale et l'on a pu constater que le sentiment anti-guerre secouait de larges couches de la population dans certains pays.

Avec les États-Unis, c'est en Europe que le mouvement a pris le plus un caractère de masse avec une multitude d'initiatives, d'organisations. Le point de départ de ces mobilisations étant le refus de nouvelles implantations de fusées et de missiles armés en 1979. Et les responsables militaires de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) confirmaient à Bruxelles, les 6 et 7 décembre 1982, lors d'une conférence de l'OTAN, l'implantation dans les pays européens suivants : Hollande, Grande-Bretagne, Belgique, Italie et Allemagne de l'Ouest, de 464 missiles de croisière à longue portée Cruise et de 108 fusées Pershing II. Des engins nucléaires d'un type nouveau qui seraient pointés vers l'URSS, mais dont la mise à feu éventuelle pourrait être directement décidée des États-Unis.

D'après la presse ouest-allemande, les travaux d'infrastructure et d'aménagement nécessaires pour l'installation de ces engins prévus pour la fin de l'année, seraient déjà bien avancés.

La justification par Reagan et les militaires américains de l'installation de ces nouveaux engins de mort tournait autour de l'affirmation suivante : la force de frappe soviétique est plus forte que celle des occidentaux, aussi faut-il la rééquilibrer !

C'est évidemment l'argument classique pour justifier dans chaque camp de nouvelles accumulations d'armes.

Aujourd'hui, l'arsenal nucléaire international représente un million de fois Hiroshima : de quoi tuer cent milliards d'hommes, c'est-à-dire 22 fois la population de la planète si toutefois de telles multiplications ont un sens.

Ce formidable arsenal est une menace permanente suspendue au-dessus des peuples. En attendant, c'est un formidable prélèvement sur les capacités productives des pays : en 1983, ce sont 4 500 milliards de francs actuels qui vont être engloutis dans les dépenses d'armement par l'ensemble des États. C'est pourquoi les nouveaux missiles de Reagan ont soulevé en Europe occidentale une vague d'indignation d'une fraction non négligeable de la jeunesse.

Une série de manifestations dans le monde

En Allemagne de l'Ouest, le mouvement de protestation contre la guerre s'est exprimé par une série de pétitions (et d'appels). II y en a eu douze au total lancés par des organisations politiques très diverses, dont le SPD (Parti Social Démocrate) et les syndicats DGB, la grande centrale syndicale d'Allemagne de l'Ouest liée au Parti Social Démocrate. Mais l'appel qui semble avoir rencontré le plus d'écho puisqu'il a recueilli 2,4 millions de signatures, est celui de Krefeld lancé le 16 novembre 1980.

Mais il n'y eut pas que des pétitions. A de multiples reprises, il y eut de grandes manifestations de rue. Ce fut le cas notamment après les déclarations d'Alexander Haig à Berlin. Celui-ci justifiait l'installation des Pershing II et des Cruise en disant : « Ce sont les tanks soviétiques, et non pas les efforts défensifs de l'OTAN contre ces tanks qui menacent la paix en Europe. C'est l'expansion rapide de l'arsenal nucléaire soviétique sur le théâtre européen qui a contraint l'OTAN à prendre des mesures de son côté » .

Ces déclarations suscitèrent des réactions violentes. Des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues de Berlin Ouest. Les protestations culminèrent dans l'immense rassemblement du 10 octobre 1981 dans Bonn en RFA qui regroupa 300 000 personnes (la plus grande manifestation depuis la dernière guerre en RFA).

Depuis cet immense rassemblement pacifiste, les manifestations contre la guerre se sont multipliées dans le monde, rassemblant des centaines et des centaines de milliers de personnes. La plupart des pays européens ont eu leurs manifestations, leurs rassemblements de protestations diverses contre l'armement.

Les États-Unis aussi ont été touchés par la, vague pacifiste. Début juin 1981, se déroulait à New York un immense rassemblement. La foule avait paralysé toutes les rues adjacentes à l'ONU et criait « Non à la guerre, oui à la vie » . Cette manifestation avait rassemblé de l'avis des commentateurs américains, plus de monde que celle pourtant imposante de la jeunesse américaine contre la guerre du Vietnam.

Pour les marches de Pâques 1983, des centaines de milliers de personnes en RFA et en Angleterre ont protesté durant les trois jours « contre la course aux armements » et contre « le déploiement des fusées américaines ». Les pacifistes ont entouré la caserne Kellingshunsen, d'autres ont tenté de bloquer l'accès d'une caserne américaine de Wiley. A la même date, la Grande-Bretagne connaissait une des plus grandes manifestations pacifistes de ces dernières années. Près de 100 000 personnes d'après les organisateurs, avaient établi un immense cordon humain de 24 kilomètres de long qui reliait la nouvelle base de missiles, Greenham Common, où devraient être installés à la fin de l'année, 96 missiles de croisière au centre de recherche nucléaire de l'armée d'Aldermaston et l'arsenal royal de Burghfield où sont fabriquées les ogives nucléaires des missiles.

Et d'ici à la fin de cette année, les initiatives ne manquent pas et il est d'ores et déjà prévu de grands rassemblements dans plusieurs capitales européennes ainsi qu'à Washington au moment de la tenue de la semaine de l'ONU pour le désarmement.

Remarquons, qu'en France, c'est le Parti Communiste qui a été à l'initiative de la seule manifestation pacifiste. Mais sa marche nationale pour la Paix et le Désarmement, organisée le dimanche 20 juin 1982 à Paris, ne rassembla que quelques milliers de personnes.

Le Parti Communiste a réussi la prouesse de dénoncer les bombes étrangères, celles de Reagan surtout, sans dire un mot de critique et sans dénoncer le budget militaire français et la politique d'armement de Mitterrand. En fait le Parti Communiste voulait donner à ses militants des objectifs qui ne gênent pas la politique du gouvernement. C'est ce qui explique peut-être que, la France n'étant pas concernée par la mise en place des nouveaux missiles, la jeunesse française participa très faiblement.

L'ampleur du mouvement pacifiste en allemagne occidentale

La RFA est le pays dans lequel le mouvement pacifiste a eu un impact important. II faut rappeler que l'antimilitarisme n'est pas nouveau en Allemagne. Déjà, dans les années cinquante, lorsque la bourgeoisie allemande décida de créer une nouvelle armée allemande, la Bundeswehr, il y eut des réactions de protestation et de rejet. Le vote de la loi imposant le service militaire obligatoire en 1956 avait été suivi d'une loi, en juin 1959, qui reconnaissait l'objection de conscience et qui donnait aux jeunes la possibilité d'effectuer un service militaire civil.

Au total, de 1959 à 1979, il y eut 445 000 jeunes qui ont fait une demande d'objecteur. Les demandes étaient d'environ 5 000 par an de 1959 à 1967, 35 000 en 1973, 40 000 en 1976, 70 000 en 1977, autour de 40000 en 1978 et 45000 en 1979. Et cela malgré les obstacles mis par les autorités qui imposent aux jeunes objecteurs de conscience une procédure légale compliquée. Quant aux autres, ceux qui acceptent de faire leur service militaire armé, il y en a pas mal qui font preuve d'une mauvaise volonté évidente pour le port des armes.

Mais en Allemagne, la vague pacifiste n'a pas touché que la jeunesse. Le mouvement a été très large et très composite.

En octobre 1981, c'était de l'ordre de 700 organisations qui appelaient à manifester à Bonn. Aujourd'hui, il y en aurait bien plus encore.

Le reporter du Monde Diplomatique, Aimé Savard, écrivait dans un article sur l'Allemagne en novembre 1981 : « En circulant dans le pays, au hasard des rencontres, on est surpris par le grand nombre de gens, qui dans tous les milieux, sont soucieux de se livrer à des considérations techniques et stratégiques sur les rapports de force entre les potentiels militaires respectifs de l'OTAN et du Pacte de Varsovie. »

Selon l'hebdomadaire Der Spiegel, 50 % de la population allemande avait des sympathies pour le mouvement pacifiste. II suffit de regarder pour cela les groupes qui se sont associés au mouvement, on y trouve jusqu'aux associations de joueurs d'échecs.

Tous les partis politiques, le mouvement syndical, tous se sont sentis obligés de se déterminer par rapport àl'armement nucléaire. Les deux grands hebdomadaires allemands, Der Spiegel et Stern, publient régulièrement de longues études (pendant toute une période, ce fut chaque semaine) sur le désarmement et le mouvement pacifiste. Ils ont même publié la carte « secrète » de l'implantation des missiles de l'OTAN.

Mais si ce mouvement est très large, il apparaît dans une nébuleuse du mouvement un certain nombre de courants dominants.

L'appel de Krefeld qui a obtenu 2,4 millions de signatures montre bien l'orientation générale du mouvement pacifiste. Cet appel a été lancé notamment par un pasteur protestant, un général mis à la retraite, l'actuelle dirigeante des Verts , Petra Kelly et le DKP (le Parti Communiste Allemand). Un de ses auteurs le présente ainsi : II s'agit « d'une exhortation au gouvernement ouest-allemand actuel, l'incitant à retirer son consentement au déploiement des fusées Pershing II et des missiles de croisière en Europe centrale. II s'agit aussi de faire adopter pour l'avenir une position au sein de l'Alliance Atlantique qui enlève à la République Fédérale le rôle pour lequel elle ne doit pas être longtemps soupçonnée d'un État à la pointe d'une nouvelle course aux armements nucléaires qui met en danger tous les Européens »... « Nous considérons que très vraisemblablement, la constitution de zones dénucléarisées en diverses parties de l'Europe peut réduire les risques de guerre dans l'ensemble de l'Europe... »

Ces objectifs sont très proches de ceux des autres composantes du mouvement pacifiste en RFA.

Les diverses composantes du mouvement

L'Église protestante, bien avant la décision de l'OTAN de septembre 1979, avait développé certains thèmes pacifistes notamment lors de l'entrée de la RFA dans le Pacte Atlantique. Au moment de l'annonce de l'installation des fusées, les protestants lancèrent aussi leur pétition : « Est-ce Dieu ou la bombe qui doit assurer ma sécurité ? » disait le texte. En juin 1981 , un congrès protestant se tenait à Hambourg, congrès qui avait été conçu comme une grande manifestation de jeunesse contre l'armement où les instances cléricales et les laïcs pouvaient s'exprimer. Ce congrès qui dura plusieurs jours rassembla plusieurs centaines de milliers de personnes et l'on vit des personnalités très diverses y prendre la parole : Angela Davis, l'évêque de Berlin, le ministre de la Défense qui fut conspué et Helmut Schmidt. « Le thème du congrès était « la Paix » et ses organisateurs avaient choisi pour devise la parole biblique « Ne crains point ». Était installée une immense horloge de la fin du monde immobilisée à minuit moins cinq et sous laquelle les visiteurs étaient invités à inscrire leurs dernières volontés en cas de cataclysme définitif » ( Allemagnes d'aujourd'hui) .

Ainsi, des protestants semblent avoir une influence importante dans le mouvement pacifiste. Ils réclamaient la limitation des armements par un accord entre les deux blocs pour arriver au désarmement réciproque.

Pour ne pas être en reste, l'Église catholique faisait élaborer un texte reprenant les mêmes thèmes par différents rédacteurs : un député social-démocrate, un spécialiste de théologie morale et un chrétien-démocrate. II y en avait ainsi pour tout le monde.

Le deuxième grand courant du mouvement pacifiste ouest-allemand est composé des Verts et des Alternatifs.

Depuis 1975 , les militants écologistes agissaient contre l'énergie nucléaire civile. Mouvement assez disparate au début, ils avaient pris la décision de se constituer en parti politique en 1980 et de se présenter à chacune des élections. Aujourd'hui les Verts ont des élus au Bundestag, leur chef de file Petra Kelly exprimait ainsi sa position lors d'un colloque avec des responsables du mouvement pacifiste en juin 1982 : « Le mouvement pacifiste doit être capable de réagir très rapidement à des conflits. Peut-être aurions-nous été bien inspirés de rassembler tous les gens recherchant la paix, tous les instituts de la paix, tous les centres indépendants s'occupant de ce problème pour trouver des solutions pratiques à un conflit tel que celui des Malouines. Peut-être aurions-nous dû amener Madame Thatcher et le général Galtieri à une table de négociation. Le mouvement pacifiste doit montrer du courage et avoir de l'imagination. II doit opposer au système militariste, à sa course aux armements une certaine sincérité, de la tendresse et de la douceur. C'est précisément la doctrine de Gandhi... »

Parallèlement au mouvement écologiste, il y a le mouvement Alternatif. II s'agit de milliers de groupes qui se sont constitués aussi bien dans les grandes villes que dans les campagnes. Ces groupes qui « veulent vivre autrement » se sont structurés sur les problèmes de pollution, de défense de la nature, sur le logement, l'aide sociale, les transports en commun et bien sûr sur les missiles. D'après le journal Libération du 10 et 11 octobre 1981, « 1050 de ces groupes d'initiatives sont regroupés dans une union nationale BBU » qui avait bien sûr appelé à la manifestation du 10 octobre 1981. II est bien difficile de savoir où en sont ces groupes, certains naissent, d'autres disparaissent chaque jour. Mais ils se proclament en général non-violents. Ils refusent les partis politiques, ils se sont notamment démarqués de l'appel de Krefeld, trop politiquement lié au PC d'après eux.

Enfin la troisième composante du mouvement pacifiste allemand est représenté par les militants du Parti Social-Démocrate, de la centrale syndicale DGB, des libéraux du FDP et aussi de certaines fractions de la jeunesse liées à tous les partis politiques y compris la CDU.

Le 10 octobre, ce ne sont pas moins de 55 députés du SPD, le quart environ de sa représentation au Bundestag, qui participaient à la manifestation. Parmi les manifestants se trouvaient aussi 16 députés du FDP, le Parti Libéral qui faisait à ce moment-là partie de la coalition avec le SPD. Quant à la DGB, le puissant syndicat allemand, bien qu'il ait interdit à ses militants de participer en tant que tels à la manifestation, lui aussi s'est senti obligé de faire du pacifisme, en lançant deux appels et en multipliant les déclarations contre le désarmement. Et malgré ces interdictions, de nombreux syndicats d'entreprises de la DGB étaient dans la rue le 10 octobre 1981. Quant à la jeunesse de ces partis, elle se sent bien sûr concernée par le mouvement pacifiste. Les jeunes du SPD qui sont connus comme étant à la gauche du parti, se sont engagés de toutes leurs forces dans la lutte contre l'armement nucléaire, ont multiplié les critiques àl'égard de la direction de leur parti. Les jeunes démocrates de l'organisation de jeunesse du FDP, le Parti Libéral, ont suivi la même voie.

La direction de la CDU, bien qu'elle ait la position la plus claire vis-à-vis du déploiement des missiles - elle se déclare pour sans réserve et multiplie les déclarations d'allégeance à l'OTAN - elle aussi a été sensible au courant pacifiste. Certains de ses dirigeants ont flairé qu'il ne fallait pas se couper de lui.

Le Parti Communiste Allemand est partie prenante de la mouvance pacifiste. II y est à la fois très minoritaire et il ne se distingue pas sur les objectifs de la plupart des autres composantes du mouvement. « Nous sommes unis dans un même but : faire en sorte que l'implantation des nouveaux missiles nucléaires américains en Europe soit politiquement impossible... ».

On retrouve toutes ces composantes du mouvement pacifiste plus ou moins dans les différents pays européens.

En Hollande, le mouvement pacifiste est même largement soutenu par de larges fractions de l'appareil d'État. Le 21 novembre, un rassemblement de 3 à 400 000 personnes défilait dans les rues d'Amsterdam. La manifestation fut retransmise dans sa presque totalité à la télévision. Les responsables du conseil municipal d'Amsterdam avaient pris la décision de rendre les transports gratuits.

Ce rassemblement était à la fois soutenu par les Églises regroupées dans le Conseil Interécclésial Hollandais pour la Paix (IKV) qui est une organisation qui regroupe toutes les Eglises (dont les catholiques) ainsi que par des organisations pacifistes, par des organisations d'extrême gauche, mais aussi par le Parti Socialiste, les Radicaux de Gauche de la Démocratie 66 et, à titre personnel, des membres du Parti Chrétien Démocrate. Trois formations politiques qui, peu de temps avant ce rassemblement, participaient au gouvernement.

En Grande-Bretagne, bon nombre d'hommes politiques du Parti Travailliste en effet (on parle de 120 députés) sont partie prenante du mouvement pacifiste qui est le plus puissant, le CND (Campagne pour le Désarmement Nucléaire) qui est dirigé par un prêtre catholique. Dans le CND, se côtoient à la fois des religieux, dont la très active secte Quakers, des membres du Parti Travailliste, les membres du Parti Communiste et des syndicats anglais liés au Parti Travailliste.

Michaël Foot, l'actuel leader du Parti Travailliste et qui a d'ailleurs été un des fondateurs du CND qui se déclare être « un pacifiste invétéré » semble faire du nucléaire un de ses chevaux de bataille. Les travaillistes ont même adopté un texte dans lequel ils se proposent de mettre sur pied « une défense non nucléaire » dans l'espace d'une législature.

Quant à la politique que les travaillistes pourraient mener demain s'ils se retrouvaient au pouvoir c'est une autre histoire. La presse anglaise fait remarquer à ce sujet que lorsqu'ils ont occupé le pouvoir, ils n'ont jamais remis en cause la présence de l'armée américaine. Pire même, c'est un gouvernement travailliste dont faisait partie Michael Foot qui a lancé le projet de missiles Trident.

Le mouvement pacifiste contre l'armement nucléaire...

Parmi les pacifistes certains se déclarent pour un désarmement unilatéral dans leurs pays, d'autres pour un désarmement bilatéral simultané. II y en a d'autres qui revendiquent la neutralité, que l'Europe devienne une zone dénucléarisée. Mais tous se retrouvent sur au moins une revendication, celle qui consiste à demander l'abandon par l'OTAN de l'installation des fusées Pershing II et des missiles Cruise.

Cette position était résumée par l'appel à la manifestation du 10 octobre 1981 à Bonn qui se fixait pour objectif : « Nous nous défendons contre de nouvelles armes atomiques en Europe... Nous demandons aux gouvernements des pays membres de l'OTAN de retirer leur accord au stationnement de nouvelles fusées à moyenne portée... Nous nous engageons pour une Europe sans armes atomiques, où de telles armes ne seront plus ni produites, ni stockées, ni utilisées... Nos gouvernants doivent prendre des initiatives propres pour des négociations efficaces de désarmement et la continuation de la politique de détente ».

Des négociations, des conférences pour la paix, des zones « dénucléarisées », voilà les objectifs immédiats du mouvement.

Mais des conférences, des négociations sur le désarmement, ça n'a pas manqué jusqu'ici. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu plus de six mille rencontres et discussions sur le désarmement. Pourtant plus on parle de désarmement et plus les États fabriquent de bombes.

La plupart des mouvements pacifistes ne remettent même pas en cause l'existence de tous les stocks d'armement à travers le monde. Non, ils se prononcent contre les bombes nucléaires ou demandent que celles-ci soient stockées dans d'autres pays puisqu'une partie d'entre eux voudrait que l'Europe ou tout du moins certains pays soient des zones « dénucléarisées ».

Demander qu'une zone soit « dénucléarisée » revient finalement à accepter que d'autres zones ne le soient pas. Or il serait tout de même logique de considérer que ce qui semble mortel pour l'Europe est mortel partout ailleurs.

Mais on veut laisser croire que le danger s'éloigne si on éloigne les armes. Cela ressemble un peu à la politique de l'autruche. Car il est vain de penser que si les bombes sont stockées quelques centaines de kilomètres plus loin, on n'en subirait pas les conséquences, quand bien même ces zones seraient respectées. Et qui peut réellement penser qu'en cas de conflit mondial - puisque c'est de cela qu'il s'agit - les puissances en guerre respecteraient ces zones ? On a vu comment les pays « neutres » furent respectés lors des guerres précédentes.

Et puis quand bien même les mouvements pacifistes obtiendraient grâce à une mobilisation intense un recul de Reagan et de l'OTAN sur le déploiement des missiles et des fusées nucléaires, cela n'écarterait pas pour autant le danger de guerre. Ce serait sans doute une victoire morale pour les centaines de milliers de gens et leur donnerait ainsi de l'espoir. Mais c'est tout.

L'impérialisme américain, pour des raisons d'opportunité économique ou politique pourrait à la rigueur décider de surseoir à l'installation de ces fusées et missiles (certains de ces hommes politiques sont pour). II faudrait certes sans doute une énorme pression car depuis la Seconde Guerre mondiale, même avant, on n'a jamais vu un État reculer sur une décision de construire du matériel de guerre, à cause de la pression des masses. Mais, après tout, ce n'est pas la mise en position des armes qui est importante, c'est le fait qu'elles puissent être fabriquées et mises en place, quand les dirigeants impérialistes le voudront, c'est-à-dire que les recherches continuent, les mises au point soient faites et les usines en place pour les fabriquer. Ce n'est pas à cela que s'attaquent les pacifistes, et pour le faire, il faudrait qu'ils s'en prennent à toute la structure économique et politique de la société, à l'État lui-même .

...mais pas contre le militarisme ni les militaires...

Mais ce n'est pas remettre en cause l'existence du militarisme que de demander à celui-ci d'être un peu moins menaçant.

Les pacifistes les plus « radicaux », eux, vont jusqu'à demander la suppression de toutes les bombes nucléaires, mais pour substituer à la place une défense basée sur les armes conventionnelles.

Ainsi, Gert Bastian (général qui avait été mis à la retraite de la Bundeswehr pour ses mises en garde contre l'OTAN et qui est lié aux Verts) affirmait au cours d'un colloque entre différents dirigeants du mouvement pacifiste en juin 1982 en réponse à ceux qui trouvaient illogique de ne pas se prononcer contre toutes les armes : « J'estime qu'il est dangereux de penser, comme on nous le dit souvent dans les discussions : pourquoi ne nous opposons-nous qu'à l'armement nucléaire ? L'armement conventionnel tue tout autant, et en dernier lieu, cela revient au même d'être tué par un fusil mitrailleur ou par une arme nucléaire.

II est faux d'argumenter ainsi... Le danger de la destruction de l'humanité, le danger de dommages à longue échéance, à travers les générations, n'existe qu'avec les armes nucléaires... Avec l'armement conventionnel le danger de voir l'humanité détruite n'existe pas. Cela ne signifie pas que l'armement conventionnel n'est pas dangereux et que l'on devrait le négliger dans les revendications visant le désarmement. Mais cela signifie que quelles que soient les souffrances que les guerres conventionnelles puissent entraîner lorsque les armes se taisent le retour à l'état normal et la régénération des peuples sont toujours possibles. »

Et nous arrivons à une autre lacune dans le raisonnement des pacifistes, c'est qu'ils parlent des armes, de leur limitation, de la suppression de certaines d'entre elles, mais au fond... ils oublient l'armée et les militaires. Or ce ne sont pas seulement les stocks d'armes qui sont dangereux, ce sont derrière ces armes les hommes dressés pour en faire usage.

Si les capitalistes aujourd'hui entretiennent des armées et produisent un matériel de guerre toujours plus important, c'est en partie bien sûr, pour des raisons économiques. Le marché de l'armement est un moyen de subventionner directement ou indirectement les gros capitalistes de l'armement. C'est pour les grosses sociétés qui produisent le matériel de guerre un marché qui leur permet de survivre, de tirer du profit.

Mais les États entretiennent des armées et de nombreux militaires parce qu'ils désirent avoir à leur disposition, quand la nécessité s'en fera sentir, les hommes entraînés et prêts à faire la guerre à l'extérieur, bien sûr, mais aussi d'abord àl'intérieur si besoin est. Dans la débâcle économique, on peut voir demain la bourgeoisie impérialiste, allemande et autre, jeter par-dessus bord la démocratie et confier le maintien de l'ordre aux armées comme cela est déjà le cas dans les trois quarts des pays sous-développés.

Les armes conventionnelles que les pacifistes trouvent moins dangereuses ou plus acceptables, pourraient parfaitement, dans les mains des militaires qu'ils oublient, être les armes de guerre civile, elles pourraient servir à briser les peuples.

Et les peuples brisés, la bourgeoisie pourrait non seulement leur faire accepter la guerre mondiale mais elle pourrait aussi, comme elle l'entend, se donner l'armement qu'elle veut, le nucléaire comme les autres.

...ni contre les politiciens bourgeois

Le mouvement pacifiste se vante d'être apolitique ce qui lui permet bien sûr de faire se côtoyer de jeunes travailleurs et des députés bourgeois en passant par des archevêques, des pasteurs, et des généraux en retraite. Mais cet apolitisme est une tromperie.

Les hommes politiques qui animent le mouvement pacifiste, ces archevêques, ces généraux à la retraite, ces politiciens bourgeois, défilant à côté d'écologistes proclamant leur apolitisme, sont tous des partisans de l'ordre établi. Leurs objectifs sont bien éloignés des aspirations de la jeunesse et des travailleurs à un monde débarrassé des guerres.

Si ces députés, ces hommes d'Église qui font partie de la bonne société sont descendus dans la rue c'est d'abord parce que, ce qui les choque dans la politique de Reagan, c'est qu'il les traite par-dessus la jambe, qu'il veut placer ses fusées sur leur territoire sans prendre de gants. Si demain, ces fusées sont installées en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en Hollande et en Belgique, ce ne sera que de Washington que l'on pourra appuyer sur le bouton. Sans compter qu'au moment où Reagan a décidé de renforcer son arsenal militaire, les Russes et les dirigeants politiques allemands étaient engagés dans une politique de rapprochement, notamment économique, et que l'installation des fusées et des missiles était un coup à remettre en cause toutes ces bonnes affaires pour la bourgeoisie allemande.

Mais c'est aussi parce qu'il n'est pas vital, ni pour la bourgeoisie allemande, ni même pour l'impérialisme américain, que ces fusées soient installées aujourd'hui. Un certain nombre de politiciens ont donc une certaine marge de manoeuvre et peuvent faire mine d'être contre l'installation des fusées et répondre ainsi aux sentiments d'une partie de la population... qui constitue aussi leurs électeurs ou leurs fidèles.

Pourtant, ces politiciens rentreraient bien vite dans le rang, s'il devenait indispensable pour la défense des intérêts de la bourgeoisie et de l'impérialisme que cet armement nucléaire soit installé. Comme tant de leurs prédécesseurs, on verrait alors les pacifistes tourner leur veste et prôner ce qu'ils condamnent aujourd'hui.

Et les écologistes et les Alternatifs, qui ont choisi de ne pas faire de politique, n'auront en réalité que contribué à amener des milliers de jeunes derrière ces forces politiques conservatrices et même réactionnaires.

Le mouvement pacifiste qui prétend ne pas faire de politique, bien loin d'aider à la prise de conscience des centaines de milliers de jeunes qu'il attire à lui, contribue à l'obscurcir.

Car il n'y a pas de lutte contre la guerre sans lutte contre le système capitaliste. Deux fois dans l'histoire, les États impérialistes ont fait le choix de plonger le monde dans la guerre pour s'arracher mutuellement des marchés, pour se sortir de la crise. Comment croire, alors que nous sommes à nouveau en pleine crise économique et que le système monétaire et financier peut s'écrouler d'un jour à l'autre, que l'on pourrait enrayer un nouveau processus qui mènerait à la guerre sans supprimer le capitalisme ? C'est parce que les dirigeants des États impérialistes savent qu'ils doivent être prêts à en venir là qu'ils entretiennent, qu'ils perfectionnent chaque année un peu plus leur armement. Ce n'est pas l'armement qui produit le système qui mène à la guerre. C'est le système qui produit l'armement pour l'utiliser, quand il l'estime bon ou nécessaire.

Le capitalisme ne peut pas changer de nature. « Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l'orage » avait dit Jaurès en son temps. Cette phrase est plus que jamais d'actualité.

Et du coup, ce qui est plus que jamais d'actualité, c'est le renversement de cette société, c'est la révolution.

Et le rôle aujourd'hui des révolutionnaires vis-à-vis des mouvements pacifistes est de montrer cette nécessité.

Les révolutionnaires savent qu'avec un sincère désir de paix, il y a une générosité, une sincérité, une révolte parfois et un début de prise de conscience réelle parmi les larges fractions de la jeunesse qui participent à toutes ces manifestations pacifistes. Mais le rôle et le devoir des révolutionnaires ne sont certainement pas de s'associer aux concerts de lamentations sur la guerre que font les dirigeants de ces mouvements. Ils ne sont pas de tenter de laisser croire un seul instant que ces rassemblements, même immenses, peuvent remplacer la lutte de classe.

A la jeunesse, à tous ceux qui protestent contre les dangers de guerre et les dangers de l'armement atomique, les révolutionnaires ont à dire plus que jamais : « si tu ne veux pas la guerre, tu dois préparer la révolution ».

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