Le gouvernement dans la querelle scolaire : une capitulation sans gloire01/03/19841984Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1984/03/110.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le gouvernement dans la querelle scolaire : une capitulation sans gloire

Ainsi donc, même dans la pitoyable querelle scolaire, la gauche au gouvernement a reculé sans gloire devant la pression de la droite, reniant par la même occasion ses promesses électorales. Pourtant, les réformes proposées par Mitterrand et le Parti Socialiste dans le domaine des relations entre l'État et l'enseignement privé tenaient largement compte des intérêts de l'Église et cherchaient à éviter même d'égratigner ses susceptibilités.

Pourtant, le vieux combat radical pour la laïcité faisait partie depuis le début du siècle des traditions des militants socialistes. Pourtant encore, si toute cette affaire elle-même est dérisoire du point de vue des intérêts des travailleurs, elle sensibilise encore aujourd'hui ce milieu d'instituteurs, d'enseignants qui fournit au Parti Socialiste une fraction importante de son électorat, et une fraction encore plus importante de ses députés et de ses responsables.

Pourtant enfin, c'est le Parti Socialiste lui-même qui a mis en avant cette affaire.

Eh bien, il a suffi que la droite relève le gant, qu'avec mauvaise foi elle crie au viol des libertés, pour que le gouvernement recule en débandade.

Si dans les milieux pro-gouvernementaux on parle d'un compromis avec les représentants de l'école catholique, personne ne s'y trompe. Le gouvernement de gauche s'est encore un peu plus discrédité, a montré une fois de plus sa faiblesse face à la droite, et découragé un peu plus ceux qui à gauche avaient pris les promesses électorales pour argent comptant.

Que représente l'école privée dans l'ensemble de l'enseignement ?

Elle scolarise 16,1 % des effectifs, soit environ deux millions d'élèves et 92,8 % de ceux-ci sont scolarisés dans l'enseignement catholique, ce qui représente 15,5 % de la population scolaire totale, dont 13,7 % dans le premier degré et 18,3 % dans le second degré.

Des écoles sont sous « contrats simples », c'est-à-dire que leurs enseignants sont pris en charge par l'État pour leurs rémunérations et leurs charges sociales, mais les frais de fonctionnement sont payés par les écoles, les communes pouvant y participer. D'autres sont sous « contrats d'association », c'est-à-dire prises financièrement en charge par l'État et tenues de suivre les règles et les programmes de l'enseignement public.

Dans le primaire, 63 % des écoles privées sont sous contrat simple, 36 % sous contrat d'association, 1 % hors contrat. Dans le secondaire, 92,3 % sont sous contrat d'association (ces chiffres sont donnés par Le Monde du 29 février 1984). On peut ainsi constater que l'enseignement dit « privé » n'est pas privé du soutien de l'État, loin de là.

Dans le budget de l'Éducation Nationale, cela représente 12,8 % pour 16,10 % des élèves. Mais cela ne signifie pas que le budget par élève est moindre dans le privé que dans le public. Car outre que toutes les écoles ne sont pas sous contrat, l'enseignement privé ne supporte pas les frais généraux de l'Éducation Nationale (administration centrale et académique, orientation des élèves, aide sociale, organisation des examens et concours) dont il bénéficie pourtant en grande partie.

Par comparaison, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, un élève sur cinq dans le primaire était scolarisé dans l'école catholique, et près d'un élève sur deux dans le secondaire. Il est vrai qu'à cette époque une proportion infime des enfants faisait des études secondaires, c'était encore un domaine réservé et, pour la plupart des enfants d'ouvriers et de paysans, la scolarité s'arrêtait même avant le certificat d'études primaires.

L'âge de la scolarisation obligatoire ayant depuis la guerre été porté à 14 ans, puis à 16 ans, le nombre d'élèves et par conséquent d'écoles a vu une croissance considérable, croissance qui a profité également au secteur privé.

Depuis quelques années, un préjugé a tendance à se répandre dans certains milieux (aidé bien sûr par la propagande des partisans de l'école privée) : l'école privée serait de meilleure qualité que l'école publique, dégradée à la fois par la « démocratisation » de l'enseignement et le vent « d'anarchie » qui aurait soufflé sur l'école après 1968.

Pourtant, les critères de sélection des enseignants ne sont pas en moyenne meilleurs dans les écoles privées que dans les écoles publiques ; et même bien souvent ils sont pires car les enseignants, à cause des conditions de paie et de statut, quand ils ont le choix préfèrent généralement l'enseignement public. Ne restent dans le privé que ceux qui n'ont guère le choix, c'est-à-dire en général les moins diplômés. Et il est sans doute bien difficile de parler de la « qualité » en général de l'enseignement privé où on trouve sans doute des établissements de renommée mais aussi les pires « boîtes à bac » (d'où bien souvent il ne sort pas le moindre bachelier). Tout comme dans l'enseignement public, où certains grands lycées parisiens par exemple sont plus cotés que n'importe quel lycée tout aussi laïque de banlieue, les écoles privées qui veulent garder une cote élevée, le font en sélectionnant les élèves qu'elles reçoivent.

Quant à l'enseignement supérieur qui coiffe les études et forme ce que l'on nomme les élites intellectuelles, il est essentiellement le fait du secteur public. Ce qui signifie que pour faire de vraies études, il n'y a encore que l'école publique dans la plupart des cas.

En France, l'école laïque, malgré le peu de moyens dont elle a toujours disposé, a réussi à remplir le rôle que la bourgeoisie lui a assigné : donner un minimum de connaissances à l'ensemble de la population et, en gros, vaincre l'analphabétisme. Ceci d'ailleurs avant tout grâce au dévouement et à la conscience de nombreux enseignants qui ont milité, et militent encore, pour faire progresser la culture populaire, y compris bien souvent contre l'obscurantisme religieux.

Malgré cela, il y a des parents qui sont persuadés qu'en payant et en envoyant leurs rejetons à l'école privée, ils les feront échapper au sort commun. Ils préfèrent croire que leurs enfants apprennent mal à cause des petits Algériens ou des petits Portugais qu'ils côtoient plutôt que de prendre conscience que leurs limites culturelles sont liées aux limites sociales du milieu familial.

Comme le niveau de vie a augmenté relativement, l'école payante (d'autant moins payante d'ailleurs qu'elle était subventionnée) est quand même à la portée de nombreuses bourses, même d'un certain nombre de travailleurs.

Envoyer ses enfants à l'école privée est devenu pour certains un élément du train de vie, tout comme les vacances d'hiver à la montagne ou la résidence secondaire pour le week-end.

Ce qui était impensable encore il y a trente ou quarante ans, où la nourriture, les vêtements et le loyer rognaient l'essentiel du budget de la plupart des familles dans ce pays, l'est beaucoup moins aujourd'hui.

II est vrai aussi que les écoles confessionnelles ont quelque peu évolué, qu'elles ont maintenant souvent un programme identique à celui des écoles laïques, qu'on peut y enseigner sans être obligatoirement d'obédience religieuse. Mais même avec un confessionnalisme plus discret, l'enseignement catholique reste tout de même « l'école des curés », une école par où passe l'influence de l'Église.

Les tortueuses relations du ps avec la laïcité

Après la séparation de l'Église et de l'État au début de ce siècle, la République bourgeoise a refusé pendant longtemps toute subvention aux écoles confessionnelles. C'est le régime de Vichy qui a inauguré en 1940 en la matière. C'est dire que les radicaux du début du siècle avaient autrement plus le courage d'affronter les curés que le parti dit socialiste aujourd'hui. C'est dire aussi que, pendant quelque quatre décennies, des gouvernements pourtant de droite pour beaucoup, n'ont nullement éprouvé le besoin de donner de l'argent à l'enseignement privé.

Même après la guerre, l'aide publique a été supprimée en 1945 à la chute du régime de Vichy. II a fallu les lois Marie et Barangé, en septembre 1951, pour revenir à un financement public. La première de ces lois, la loi Marie, permettait aux élèves du privé de bénéficier des bourses nationales. La seconde, la loi Barangé, attribuait une allocation versée directement à tous les élèves du primaire, y compris ceux du privé. Or ces lois ont été votées sous un gouvernement appuyé par les socialistes de la SFIO qui faisaient partie de la majorité parlementaire. Certes les députés SFIO refusèrent leurs voix aux lois scolaires, mais les gaullistes du RPF (en principe dans l'opposition) approuvèrent le projet, ce qui permit qu'il y ait une majorité pour l'enseignement confessionnel. Pour le reste, les socialistes, en dépit de leurs protestations et de toutes leurs professions de foi laïques, ne refusèrent pas pour autant leur appui à ce gouvernement, qu'ils ne lâchèrent que plus tard, en janvier 1952, sur ses projets économiques.

La deuxième série de lois institutionnalisant le financement de l'école privée, fut présentée par Debré en décembre 1959. C'est-à-dire un an après la venue de de Gaulle au pouvoir. La droite avait repris directement les rênes du pouvoir. C'est à cette date que furent créés les « contrats d'association » et les « contrats simples », qui étaient censés par un développement de l'enseignement privé, pallier les insuffisances de l'enseignement public face à la croissance démographique de l'après-guerre. C'est donc cette loi qui a renforcé et confirmé l'utilisation des fonds publics pour l'enseignement privé. Ensuite les lois de juin 1971 et celle de novembre 1977 (loi Guermeur) vinrent compléter l'arsenal.

Le rôle de la SFIO là-dedans ? Il n'a pas été direct, mais il faut rappeler que la SFIO avait contribué à la mise en place du régime gaulliste - son secrétaire général Guy Mollet était allé chercher de Gaulle à Colombey, et était devenu ministre d'État dans le gouvernement du général avant d'être rejetée dans l'opposition. La SFIO se permit alors, au début des années soixante, de ressortir des oubliettes sa « laïcité », d'être partie prenante de quelques manifestations contre la loi Debré, de se poser en adversaire des subventions à l'école privée qu'elle avait pourtant acceptées - au moins en n'organisant rien contre et en continuant à soutenir le gouvernement lorsqu'elle était dans la majorité gouvernementale.

Sans faire des efforts excessifs en la matière, la SFIO puis le Parti Socialiste continuaient à brandir le drapeau de la laïcité tout au long de leur longue traversée du désert oppositionnel.

Dans le Programme Commun de 1972, figurait la nationalisation de l'enseignement privé. Et dans le programme du candidat à l'élection présidentielle Mitterrand, il y avait en 1981 dans « les dix mesures pour l'école : un grand service public unifié et laïque de l'Éducation Nationale sera mis en place, mise en place qui sera négociée sans spoliation, ni monopole » . Voilà le programme du temps de l'opposition.

Du projet savary ... à son enterrement sans gloire

Une fois le Parti Socialiste au gouvernement, ses ambitions sont devenues nettement plus modestes, avant même que la droite ne lui cherche querelle.

Dans le projet Savary, il n'était plus question de nationaliser l'enseignement privé. Le projet comportait pour l'essentiel quatre points. Les deux premiers portaient sur la répartition des établissements nouvellement créés, sur le choix des collectivités locales qui les subventionnent et sur le montant de la subvention (égale par élève à celle de l'enseignement public), et ils ont rapidement été acceptés par les représentants de l'Église catholique. Les deux autres points, celui concernant le contrôle par un organisme paritaire (EIP, c'est-à-dire Établissement d'intérêt public), où les tenants de l'enseignement confessionnel ne seraient pas majoritaires, et celui concernant la fonctionnarisation des enseignants du privé, n'ont pas été acceptés. Oui à l'argent de l'État, mais non à son contrôle, telle est la religion des partisans de l'école confessionnelle et telle ils l'ont imposée au gouvernement.

Les mesures que voulait prendre le gouvernement ne visaient donc pas à enlever des moyens à l'école privée, mais plutôt au contraire à accroître et parfaire le système des subventions. Mais il voulait accroître le contrôle de l'État sur la façon dont ces subventions sont utilisées. Oh, pas de beaucoup, et les cris d'orfraie poussés par la droite et les curés sont sans commune mesure avec ses intentions de départ.

Reste le fait que c'est le gouvernement par ses projets qui a rallumé cette querelle scolaire. La droite s'en est saisie pour en faire une opération politique contre la gauche trouvant là un terrain qui s'est révélé particulièrement favorable. C'est contre la volonté de « monopoliser », de « nationaliser » l'enseignement, au nom de la « liberté » contre le « totalitarisme marxiste » des « socialo-communistes », contre « l'emprise étatique », que la droite a pu mobiliser et se servir du prétexte de l'enseignement pour rassembler des foules et faire exprimer leur hostilité au gouvernement. Le pire c'est que non seulement le gouvernement ne voulait pas réformer grand chose, mais que cette bataille n'était pas déterminante en quoi que ce soit.

Peut-être Mauroy et Mitterrand en attendaient-ils qu'elle redore un peu leur blason auprès de leurs propres soutiens et que de ce fait, en dépit du reste de leur politique, ils puissent encore se pavaner. Peut-être espéraient-ils qu'elle allait passer d'autant plus facilement qu'elle était présentée comme un cadeau à l'école privée qui allait toucher de nouvelles subventions. Toujours est-il que, même pour une réforme aussi peu significative, la gauche n'a pas été capable d'aller jusqu'au bout, et qu'elle s'est discréditée, sur un problème sur lequel sa base est sensible, et alors même qu'elle dispose au Parlement et au gouvernement de moyens comme elle n'en a jamais eus.

Jospin, pour justifier la reculade, a expliqué : « L'objectif est de rassembler autant que possible sur la bataille économique (...) on ne peut pas se fixer plusieurs objectifs, plusieurs terrains à la fois » . L'instituteur militant, sympathisant ou électeur du Parti Socialiste pourrait sans doute à bon droit rétorquer à Jospin qu'avant 1981, pour avoir les voix des laïques, il promettait justement de mener à la fois et la « bataille économique » et la bataille laïque. Et puis surtout quand ils voient que la « bataille économique » du gouvernement est aujourd'hui une offensive contre les travailleurs, pour réduire les salaires ou pour faire passer les licenciements chez Citroën, dans les chantiers navals, la sidérurgie ou les charbonnages, les gens de gauche et les travailleurs peuvent apprécier tout le sel de l'argumentation de Jospin qui leur demande en somme de céder à la droite sur le terrain de la laïcité... pour mieux céder à la bourgeoisie sur le terrain social. Ce recul ne peut être qu'un coup porté au moral des principaux soutiens de la gauche, et il ne met en rien le gouvernement en meilleure posture vis-à-vis de la droite, sur aucun terrain. Mais il est vrai qu'en démoralisant la gauche, il met le gouvernement en meilleure posture contre les travailleurs pour faire passer une politique économique que la droite et les patrons ne sauraient démentir.

A l'opposé, la droite ne peut qu'être encouragée d'avoir fait sur le terrain de l'école, une fois de plus la preuve de la faiblesse du gouvernement, de l'avoir fait reculer, de l'avoir discrédité. Et tout cela au travers d'un conflit dérisoire et artificiel, car même si la gauche avait gagné cette « bataille » scolaire qu'elle avait engagée, qu'est-ce que cela aurait changé pour les travailleurs ?

Bien sûr, ce serait la moindre des choses que l'argent des impôts ne soit pas utilisé à financer l'Église et ses oeuvres. Mais de ce point de vue là, le projet Savary n'était pas destiné à empêcher grand-chose. Au contraire même, car aux dernières nouvelles, il va rendre pour toutes les communes les subventions automatiques alors qu'elles ne l'étaient pas jusque-là, ce qui a incité un dirigeant en vue du Parti Socialiste comme Poperen à exprimer des réserves. Et soit dit en passant, si du point de vue des travailleurs, faire son éducation dans des écoles où l'on apprend l'amour ou la crainte de Dieu n'est sans doute pas une excellente chose, la faire dans celles où l'on enseigne le respect de l'État bourgeois, de la propriété privée et l'amour de la patrie... ne l'est pas non plus.

Par contre que la gauche ait perdu cette bataille parce qu'elle n'a pas voulu la mener jusqu'au bout, oui cela change quelque chose, non seulement pour elle, mais aussi pour la classe ouvrière.

Parce que ce sont ses ennemis qui au travers d'une mobilisation comme celle qui a eu lieu, ont réussi à recruter des troupes en grand nombre, trouver une audience considérable en se faisant passer pour des « défenseurs de la liberté », et ont remporté une victoire. Et il ne peut pas être bon pour la classe ouvrière que la droite qui est aussi son adversaire, ait le vent en poupe et se sente forte.

Car la droite qui se moque pas mal des problèmes de l'école, - cela n'est qu'un prétexte pour elle - peut demain se servir de sa force pour autre chose, pour s'attaquer plus directement à la classe ouvrière.

La « querelle scolaire » a été une phase d'un combat qui comporte déjà de nombreuses escarmouches, mené par la droite contre la gauche. En dehors des partisans de l'école confessionnelle, cadres, médecins, paysans, routiers et bien d'autres catégories sociales sont à divers moments entrés en conflit contre le gouvernement et y entreront sans doute encore à nouveau. Tant que la droite était au gouvernement, tous ces gens-là ne défendaient que des intérêts catégoriels. Mais aujourd'hui que la gauche gouverne, et qu'ils se heurtent à elle, leurs mouvements se transforment en combats politiques. Et la gauche au gouvernement fait lever contre elle, et finalement contre la classe ouvrière, des millions de gens partant de la défense d'intérêts les plus divers.

Si ce n'était que contre les Mitterrand, Mauroy, Jospin, que tous ces gens se mobilisaient, ce pourrait être un simple épisode de la démocratie bourgeoise ou de l'histoire électorale de ce pays.

Mais parce que ces politiciens se disent de gauche, et se réclament même de la classe ouvrière, c'est aussi celle-ci qui est visée. Les classes bourgeoises ou petites-bourgeoises sont déjà souvent naturellement hostiles à la classe ouvrière, aujourd'hui elles peuvent la voir derrière le gouvernement.

Les faiblesses de celui-ci peuvent du coup passer aussi pour les faiblesses de la classe ouvrière elle-même, aux yeux de ses ennemis. Et c'est eux que les reculades du gouvernement enhardissent. Reculades qui ne font donc que souligner la nécessité pour les travailleurs de ne pas lier leur sort à ce gouvernement, mais au contraire de s'y opposer résolument et ouvertement.

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