La révolution permanente, telle que la défend le Secrétariat Unifié01/05/19841984Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1984/05/112.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

La révolution permanente, telle que la défend le Secrétariat Unifié

 

Dans un des derniers numéros de Lutte de Classe, tout en affirmant notre solidarité avec le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale dans sa polémique avec la direction du SWP américain qui rejette désormais la théorie de la révolution permanente et se prépare à rompre avec le trotskysme, nous avions souligné le tour académique qu'avait pris cette discussion au sein du Secrétariat Unifié.

Une discussion concrète, précise, sur les politiques révolutionnaires à définir pour les trotskystes militant dans les différents pays pauvres mériterait certainement d'être sérieusement menée. Et si elle l'était, ce serait en effet dans le cadre de la théorie de la révolution permanente telle que Trotsky l'a systématisée et généralisée dans ses thèses de 1929.

Mais malheureusement, la discussion telle qu'elle semble engagée au sein du Secrétariat Unifié est une discussion scolastique et ne nous semble même pas à même de répondre aux problèmes politiques concrets qui se posent aux militants révolutionnaires prolétariens en Amérique latine, dans les pays arabes et dans d'autres pays sous-développés d'Afrique ou d'Asie.

 

Qu'est-ce que la révolution permanente ?

 

Le problème soulevé par la théorie de la révolution permanente est aussi simple que fondamental : quelle politique mener dans un pays sous-développé pour que le prolétariat prenne la direction du processus révolutionnaire, s'empare du pouvoir politique à la tête des masses révolutionnaires puis se serve de cette position pour oeuvrer à l'extension de la révolution prolétarienne sur la scène internationale. Et la question n'est pas de pure rhétorique. Dans ces pays, certes, le prolétariat est faible (encore que pas partout au même degré), mais d'un autre côté, la situation y est explosive de façon chronique et porte d'incontestables possibilités révolutionnaires, contrairement à la situation des pays industrialisés qui s'est stabilisée pendant plusieurs décennies sur la base de l'exploitation sans précédent des mêmes pays du Tiers-Monde.

Cinquante-cinq ans après que Trotsky eut formulé ses fameuses thèses, les problèmes auxquels il répondait restent toujours à l'ordre du jour, d'autant que l'hégémonie impérialiste s'est considérablement accrue sur l'ensemble de la planète qui, à bien des égards, s'est encore rétrécie. Sans compter qu'avec la crise économique mondiale, tout peut devenir plus contagieux, d'un pays ou d'un continent à l'autre, le chômage... comme les révolutions pour peu qu'elles veuillent s'exporter.

Toujours est-il qu'en presque quatre décennies de stabilisation et d'expansion impérialiste, les pays pauvres sont restés, eux, des poudrières. Le fait est que le feu a pris en bien des endroits depuis trente-cinq ans. Mais à chaque fois il est resté circonscrit à son foyer d'origine, et l'incendie ne s'est pas propagé dans les continents coloniaux d'Afrique, d'Amérique du Sud ou d'Asie à partir desquels, qui sait, il aurait pu atteindre les métropoles impérialistes. Sans doute parce que la seule classe susceptible d'attiser l'incendie, le prolétariat, ne s'est jamais manifestée en ces occasions en tant que telle. Quant aux intellectuels petits-bourgeois qui prirent la direction du combat nationaliste, ils n'avaient, eux, aucune raison de propager l'incendie, bien au contraire, trop préoccupés qu'ils étaient de s'aménager un modus-vivendi au sein du monde impérialiste après lui en avoir arraché un territoire.

Alors, aujourd'hui, il y a sans doute la même distance politique entre les révolutions nationalistes qui ont eu cours depuis trente-cinq ans et la révolution prolétarienne, qu'entre les jacqueries incessamment répétées mais toujours circonscrites du Moyen Âge, et la Révolution française du dix-huitième siècle, qui fit vivre pendant cinq ans l'ensemble de la France paysanne à l'heure des sans-culottes parisiens et enflamma les imaginations de l'ancien comme du nouveau monde !

En cette fin du vingtième siècle, à l'heure des Boeing, des fusées intercontinentales, de l'endettement du monde entier auprès de quelques grands banquiers occidentaux, moralement, humainement, la planète entière n'est relativement guère plus vaste que la France de l'ancien régime, mais tout aussi absurdement divisée en frontières artificielles et empêtrée de contradictions scandaleuses. On meurt aujourd'hui de faim au Sahel, dans le Nordeste du Brésil, en Chine ou dans le sous-continent indien de la même façon, sinon pour les mêmes raisons, qu'on mourait de faim près de Vierzon, sous l'ancien régime, au point de manger les fougères, quand les récoltes abondaient à cinquante ou cent kilomètres de là, non pas par manque de transports, mais parce que les spéculateurs sur les blés, protégés par les péages et les frontières intérieures, sévissaient en toute liberté sur l'ensemble du territoire.

Et la nécessité d'une révolution de portée mondiale au vingtième siècle, s'étendant irrésistiblement sur l'ensemble des continents aux peuples écartelés, devrait tomber dans le domaine de l'évidence et du bon sens, comme ce fut le cas avec la révolution de 1789. Mais aujourd'hui, c'est au prolétariat de porter le flambeau de cette évidence, et de se faire le héraut de toute révolution qui n'a pas peur d'elle-même.

Alors, dans ces années 80, la façon dont le Secrétariat Unifié défend la révolution permanente a de quoi laisser perplexe. Il est évidemment ridicule de parler à toute force de « révolution permanente » à propos du Nicaragua, cette enclave d'enclave entre les deux Amériques dont les nouveaux dirigeants, pour être incontestablement courageux et déterminés, ne se contentent pas moins depuis cinq ans de ne disputer à l'impérialisme américain que leur propre place au soleil des États indépendants. Et parler de révolution permanente à propos de ce petit pays n'aurait eu de sens que s'il était devenu la plaque tournante de la révolution prolétarienne, le nouveau centre de subversion internationale (et pour ce faire sa petite taille aurait suffi) en direction des deux Amériques. Mais là n'est certes pas la préoccupation des sandinistes, même si leur pays est devenu un nouvel objet de tourisme « révolutionnaire » (et dans une moindre mesure sans doute que Cuba en son temps).

Et plutôt que de défendre auprès du SWP les tâches spécifiques qui reviennent au prolétariat et aux organisations trotskystes de notre époque, le Secrétariat Unifié mène la discussion sur le même terrain académique que le SWP, tâchant de faire un classement parmi les jacqueries nationalistes des trente-cinq dernières années ayant réussi à arracher à l'impérialisme un bout de terrain étroitement surveillé. Et le SU a attribué sa prime à celles dont il a décidé qu'elles étaient « prolétariennes » sans que le prolétariat y ait eu son mot à dire.

A la décharge de ces directions nationalistes, on pourrait bien sûr arguer que la seule révolution prolétarienne victorieuse, la révolution russe, est elle aussi restée, finalement, isolée, pour donner cette variété particulière de la barbarie moderne que fut le stalinisme. Seulement, la révolution de 1917, à la différence de toutes les révolutions nationales qui lui ont succédé, avait déclenché un processus révolutionnaire international qui s'est prolongé pendant des années et a laissé des traces profondes et durables dans le mouvement ouvrier du monde entier.

Il n'était point nécessaire de faire de savantes analyses sociologiques pour que la révolution d'Octobre apparaisse pour ce qu'elle était, une révolution prolétarienne, et les bourgeois et les prolétaires le savaient d'emblée, et à l'échelle de millions ! Et pour ainsi dire en même temps que le prolétariat russe s'est organisé en pouvoir d'État, il a organisé une Internationale Révolutionnaire, destinée à servir d'outil pour abattre le pouvoir bourgeois à l'échelle du monde.

La consolidation de l'État soviétique dans les limites de la seule Union Soviétique, conséquence des défaites du prolétariat allemand, finlandais, hongrois, italien, etc., et donc de l'isolement de la révolution russe, n'était donc pas une victoire - les staliniens furent les premiers à prétendre que c'en était une - mais l'expression d'un échec, et d'un échec grave.

Mais la concrétisation de l'échec de la révolution prolétarienne devint, par un renversement complet des valeurs, un modèle pour des directions nationalistes qui entreprirent la lutte pour le pouvoir.

Les révolutionnaires nationalistes qui dirigèrent les révolutions qui ont eu lieu après la Deuxième Guerre mondiale dans plusieurs anciennes colonies ou semi-colonies, n'ont jamais eu l'intention de faire de la révolution qu'ils dirigeaient une phase de la révolution prolétarienne mondiale. Les révolutionnaires nationalistes chinois, cubains, ou nicaraguayens avaient pour objectif à atteindre ce qui, pour les bolcheviks, était précisément l'expression de leur échec. De ce point de vue, c'est-à-dire du point de vue des intentions politiques de leurs dirigeants, on peut sans doute dire que, contrairement à la révolution russe, les révolutions chinoise, cubaine, etc., n'ont pas échoué - n'ayant jamais eu comme objectif de dépasser le résultat qu'elles avaient atteint.

Ce qui est plus triste par contre, c'est que ce sont les analyses des camarades du SU (pourtant formés à une autre école) qui, elles, ont échoué en-deçà de l'horizon restreint que les directions nationalistes bourgeoises ont fixé à leurs révolutions.

 

35 ans d'efforts théoriques du côté du Secrétariat Unifié

 

Sur le fond de la question, la direction du SWP comme celle du SU sont d'accord.

Le SU comme le SWP ont vu dans le castrisme et le sandinisme des forces politiques susceptibles de réaliser les tâches historiques du prolétariat. Et s'il fallait vraiment défendre aujourd'hui la théorie de la révolution permanente contre la direction du SWP, cela ne pourrait se faire qu'en menant une critique radicale de la politique du SWP à l'égard des dirigeants nationalistes cubains, nicaraguayens ou salvadoriens, c'est-à-dire en défendant la révolution permanente contre le Secrétariat Unifié lui-même.

Évidemment, maintenant que le SWP nord-américain a pris l'initiative d'une rupture organisationnelle de fait avec le SU et la Quatrième Internationale, la direction du SU émet certaines réserves, en passant, sur l'alignement idéologique total du SWP sur les positions castristes ou sandinistes.

À vrai dire, ces réserves ne portent jamais sur le fond de la question. Soit les camarades du Secrétariat Unifié mettent incidemment en garde contre une généralisation abusive, exagérée, des expériences révolutionnaires « prolétariennes » faites à Cuba ou au Nicaragua (qu'ils considèrent comme très particulières), soit ils reprochent au SWP de ne pas contribuer à l'amélioration idéologique des directions castristes et sandinistes.

Le Secrétariat Unifié pour sa part cherche toujours à convaincre les directions castriste et sandiniste qu'il qualifie de « directions révolutionnaires pragmatiques », du bien-fondé du programme trotskyste. Les dirigeants du SWP, quant à eux, sacrifiant sans doute au pragmatisme américain et, qui sait, au bon sens, y ont définitivement renoncé. Quitte à se faire les agents de la propagande aux États-Unis des castristes et des sandinistes, ils trouvent sans doute plus commode de se laisser convaincre par Castro et Ortega plutôt que de faire semblant de tenter l'inverse.

Il faut reconnaître qu'on peut très bien vanter les mérites prolétariens du régime cubain et du régime nicaraguayen au point de renoncer à y faire exister des sections trotskystes indépendantes, sans se référer à la théorie de la révolution permanente ! Mieux vaut même s'en passer et s'être délesté du trotskysme pour le faire en toute sérénité.

Mais les dirigeants de la Quatrième Internationale officielle, eux, toujours trotskystes, ont depuis longtemps renoncé à la sérénité. Ils se sont depuis quelque quarante ans engagés dans la voie difficile qui les incite à modeler de gré ou de force la théorie de la révolution permanente sur la politique qui consiste à cautionner systématiquement le suivisme des différentes sections de la Quatrième Internationale à l'égard des mouvements nationalistes radicaux qui leur sont géographiquement (ou socialement !) proches.

Et quand il arrive au Secrétariat Unifié de formuler des critiques politiques à l'encontre de certaines de ses sections, c'est moins pour mettre en cause leurs propres déviations opportunistes que pour reprocher leur « sectarisme » à celles de ces sections qui acceptent plus mal le suivisme des autres que le leur propre. Tout se passe comme si le Secrétariat Unifié en était réduit à unifier les dérives opportunistes mais néanmoins disparates de ses différentes sections, tout en devant respecter et défendre la lettre du programme trotskyste révolutionnaire.

Cette tâche délicate a exigé au fil des trois dernières décennies bien des subtilités théoriques de la part des dirigeants de la Quatrième Internationale officielle. Il faut reconnaître qu'à défaut d'avoir eu un rôle dirigeant dans les luttes des pays pauvres, là où les situations révolutionnaires se sont présentées, qu'à défaut d'avoir pris la direction de luttes nationales au nom du prolétariat contre les directions nationalistes, qu'à défaut d'avoir permis au prolétariat de jouer un rôle dirigeant dans ces luttes, qu'à défaut même de les avoir simplement impulsées, les dirigeants de la Quatrième Internationale ont toujours eu pour souci majeur d'enrichir le vocabulaire marxiste à l'aide des nouveaux régimes issus des luttes menées par des directions de toutes les nuances nationalistes, au fur et à mesure que les trotskystes de la Quatrième Internationale s'y ralliaient.

C'est ainsi qu'au fil des temps, les théoriciens de la Quatrième Internationale officielle ont été en mesure de dresser une carte détaillée des nouvelles constellations prolétariennes dès qu'elles apparaissaient dans la lunette trotskyste, s'étageant, selon le degré d'enthousiasme qu'elles inspiraient aux sections les plus concernées, entre « États ouvriers » tout court, « États ouvriers bureaucratiquement déformés », « États ouvriers bureaucratiquement dégénérés », « États ouvriers (simplement) bureaucratisés »... autant d'objets prolétariens distincts en voie de multiplication rapide face à tous ces États bourgeois que l'analyse du Secrétariat Unifié, critère de classe oblige, rangeait cette fois sans distinction particulière au sein de la même nébuleuse impérialiste. Évidemment, il a tout de même fallu expliquer la genèse des nouveaux astres prolétaires. Qu'à cela ne tienne. Après avoir élargi le champ d'observation prolétarien, on a inventé de nouvelles notions théoriques pour en expliquer l'extension. Et c'est ainsi qu'aujourd'hui les analyses de la Quatrième Internationale sur la dynamique des luttes dans le Tiers-Monde ne se suffisent pas des notions marxistes classiques, et ne peuvent plus se passer de nouvelles notions théoriques plus ou moins récemment codifiées, aussi indispensables que celles de « transcroissance » , de « cristallisation bureaucratique », ou « d'émergence de nouvelles directions révolutionnaires pragmatiques »...

Il se trouve que c'est la révolution permanente qui a fait les frais de tout ce reprisage théorique. Et il est arrivé à la révolution permanente sortie du laboratoire théorique du Secrétariat Unifié ce qui arrive à ces théories qu'on alourdit d'une hypothèse nouvelle à chaque fois qu'on veut leur faire expliquer un nouveau mystère réel ou supposé : elle a pris quelque chose d'arbitraire et de talmudique pour finalement perdre ses capacités explicatives en même temps que sa force révolutionnaire. Et après avoir fait subir un tel traitement à la théorie de la Révolution Permanente, les camarades du Secrétariat Unifié éprouvent quelques difficultés à la défendre auprès de ceux qui, à la direction du SWP américain, l'abandonnent sans l'ombre d'un regret, ayant appris à lui devoir si peu !

 

Une façon peu convaincante de défendre la révolution permanente

 

Le fait est que lorsque Ernest Mandel, au nom du Secrétariat Unifié, dans sa réponse aux dirigeants du SWP intitulée « Défense de la révolution permanente » se risque à actualiser quelque peu le débat et s'écarte du sentier peu risqué des commentaires historiques sur les différences respectives entre Trotsky et Lénine avant 1917, il défend la Révolution Permanente de la façon la moins convaincante possible pour des militants qui en attendraient pour le moins des réponses politiques actuelles.

« Si nous engageons le débat avec passion en défense de la théorie de la révolution permanente, écrit Mandel, ce n'est pas par piété filiale à l'égard du camarade Trotsky ou par « traditionalisme obstiné » par rapport au programme de la Quatrième Internationale. C'est parce que cent années d'expérience historique confirment que les processus révolutionnaires réels de notre siècle sont réellement des processus de révolution permanente ». (Revue Quatrième Internationale, janvier-février-mars 1983, « Défense de la révolution permanente » par Ernest Mandel, p.99).

Eh bien non justement.

Le problème qui se pose aux révolutionnaires est que depuis la révolution de février et d'octobre 1917, il y a bien eu une multitude de révolutions, mais aucune n'a débouché sur une révolution prolétarienne, non pas même victorieuse, mais simplement menaçante pour l'ordre capitaliste mondial. Après l'échec des révolutions européennes des années 20 et le reflux révolutionnaire qui s'en est suivi, il n'y a pas eu de révolution qui n'ait été, précisément, interrompue soit par la confiance que les masses accordèrent aux directions bourgeoises qui tenaient à toute force que les « choses en restent là », soit par la mise sur la voie de garage du « développement national ».

Les camarades du Secrétariat Unifié aiment souvent dire à propos de la tévolution prrmanente : « L'Histoire confirme que (...) la révolution nicaraguayenne, cubaine... confirme que... ». Mais il y a là un malentendu dans la façon de manier la théorie marxiste. En l'occurrence, l'histoire ne confirme rien du tout, elle ne se déroule d'ailleurs pas pour suivre des schémas, fussent-ils révolutionnaires. Car l'histoire prend un cours, ou un décours bien différent selon que le prolétariat y joue un rôle prépondérant ou non, selon qu'il a connu des victoires notables ou des défaites écrasantes. Et dans tout ce qui peut apparaître comme un pronostic historique dans les théories formulées par Marx, Lénine ou Trotsky, le rôle du prolétariat était toujours l'élément primordial. Ce n'est pas pour rien que les théoriciens révolutionnaires les plus perspicaces ont vu souvent leurs pronostics démentis par l'histoire quand ils portaient sur les délais historiques. Marx voyait la révolution encore imminente en 1850, à la veille d'une longue période de réaction sur tout le continent. En sens inverse, Lénine, dans un rapport sur la révolution de 1905 écrit en janvier 1917, un mois avant le déclenchement de la révolution qui porterait son parti au pouvoir en tête des masses, n'écrivait-il pas : « Nous, les vieux, nous ne verrons peut-être pas les luttes décisives de la révolution imminente ».

La théorie révolutionnaire vise moins à interpréter les processus historiques qu'à permettre aux révolutionnaires de les transformer, et l'on rabaisse le marxisme au rang des autres idéologies bourgeoises quand on l'oublie. « Le marxisme est un guide pour l'action », répétait Lénine après Engels. Et la démarche qui consiste à faire la psychanalyse politique des « processus historiques » au moyen de formules marxistes apprises par coeur dont on a précisément oublié les critères marxistes, n'est ni scientifique ni révolutionnaire. Sans compter que pour justifier le fait accompli, bien des théories peuvent fonctionner, qu'elles soient inspirées du marxisme ou non.

 

La révolution permanente selon Marx et Trotsky

 

Alors oui, Mandel et le Secrétariat Unifié ont pourtant raison de penser qu'il s'agit de défendre « avec passion » la théorie de la révolution permanente. Mais ce n'est pas la défendre avec passion que de la légitimer au moyen de « deux ou trois douzaines de révolutions » comme dit Mandel dans sa réponse au SWP, des révolutions vaincues, trahies ou tout bonnement non prolétariennes.

Ceci étant dit, c'est bien volontiers que nous nous référons, comme les camarades du Secrétariat Unifié, au premier texte où Marx et Engels évoquent la « révolution permanente », cette « Adresse du Comité Central à la Ligue des Communistes », écrite en 1850 au lendemain de la contre-révolution en Allemagne, diffusée sous forme de tract, dont Mandel résume le contenu en termes de « tactique » et de « stratégie » bien conventionnels alors que ceux de Marx l'étaient si peu. Ce texte de quelques pages qui s'adresse aux ouvriers allemands, n'est en effet qu'une exhortation à la défiance sous toutes ses formes à l'égard « des petits-bourgeois qui s'intitulent républicains ou rouges » ou « se donnent le nom de socialistes » ; une exhortation à s'organiser indépendamment, à s'armer indépendamment, à se choisir ses propres chefs, son propre état-major, à se défier des « appels à l'union et la réconciliation » ; une mise en garde contre le piège d'un parti commun où « prédomine la phraséologie social-démocrate générale », « pour ne pas troubler la bonne entente, les revendications particulières du prolétariat ne doivent pas être formulées... ». Et Marx insiste : « cette union doit être repoussée de la façon la plus catégorique (...) Sitôt la victoire acquise, la méfiance du prolétariat ne doit plus se tourner contre le parti réactionnaire vaincu, mais contre ses anciens alliés, contre le parti qui veut exploiter seul la victoire commune »...

La révolution permanente dans tout cela ? Eh bien, c'est l'ensemble des directives révolutionnaires adressées au parti ouvrier allemand. Marx les résume une première fois, au début de l'Adresse sous la forme suivante : « Frères ! (...) Il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente », et une deuxième fois en guise de conclusion de l'Adresse : les ouvriers allemands « contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu'ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner - par les phrases hypocrites des petits-bourgeois démocratiques - de l'organisation autonome du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : la révolution en permanence ! ».

On est bien loin des « processus historiques confirmés par l'histoire ». La révolution en permanence selon Marx, c'était un cri de guerre prolétarien, car il est DE L'INTÉRÊT du prolétariat et DE SON DEVOIR, DE RENDRE la révolution permanente. Une théorie, la révolution permanente ? Mieux, un ensemble de consignes pour le combat imminent.

Et fondamentalement, il ne s'agissait pas d'autre chose pour Trotsky, quand il élabora sa propre théorie, dictée par les événements de 1904 à 1906, tout comme en 1929 quand il écrivait ses « thèses sur la tévolution permanente », analysant les tâches des révolutionnaires prolétariens des pays coloniaux. Dans les deux cas, au travers des formulations théoriques, c'était un combat que menait Trotsky ; la première fois contre l'interprétation réformiste de la nature de la révolution russe à venir, la seconde fois contre l'entreprise de sabordage de la révolution dans les pays coloniaux perpétrée par l'Internationale Communiste stalinisée, qui a notamment abouti à la défaite sanglante de la révolution chinoise.

Au travers des formulations ramassées, il s'agissait de définir les tâches à venir, aux prolétaires des pays coloniaux, et de réfuter toutes les idées reçues à propos des forces sociales censées devoir par « nature » diriger les révolutions présentes et à venir. Il s'agissait de disputer aux différentes forces sociales bourgeoises leur hégémonie sur les masses, avant qu'elles ne se retournent contre elles. Il s'agissait de défier le prétendu « bon sens » révolutionnaire codifié par l'intelligentsia bourgeoise et petite-bourgeoise, de faire voler en éclats tous les « états de fait » imposés au prolétariat, et de lui permettre de dégager ses voies propres, d'appliquer ses propres méthodes à la révolution sociale, et de prendre la tête de la nation tout entière, pour mener la révolution jusqu'au bout.

La révolution permanente, cela signifie que la révolution peut éclater sur des objectifs qui peuvent rassembler les couches les plus diverses de la société, sans qu'à l'origine elle ait forcément une base de classe bien distincte. Car choisir les facteurs et les acteurs du déclenchement du processus révolutionnaire n'est pas au pouvoir du parti prolétarien. Mais en revanche, l'issue de la révolution dépend du rôle qu'y joue le prolétariat. C'est donc au prolétariat d'en prendre la tête, de lui imprimer ses méthodes, celles d'une classe urbaine, concentrée, facilement mobilisable, apte au contrôle politique, la seule classe qui soit vraiment capable de changer profondément la société, car « le mouvement prolétarien a une tendance inflexible à se transformer en une lutte âpre pour le tout », comme disait Lénine, alors que les autres couches sociales bourgeoises et petites-bourgeoises, parce qu'elles ont des positions à préserver, tendent à un moment ou à un autre de la lutte aux tractations avec les tenants de l'ordre national ou impérialiste.

Mais pour conquérir ce rôle dirigeant, le prolétariat doit conquérir et préserver son autonomie organisationnelle, politique et militaire. Cette autonomie prolétarienne n'est pas automatique. Elle aussi demande un combat spécifique, une lutte âpre contre toutes les forces politiques bourgeoises quelles que soient leurs dénominations, qui visent à se subordonner le prolétariat.

Dans son Adresse à la Ligue des Communistes de 1850 Marx mettait en garde les travailleurs sur ce problème particulier : « Dès que la victoire sera remportée, (les petits-bourgeois) l'accapareront, ils inviteront les ouvriers à garder le calme, à rentrer chez eux et à se remettre à leur travail ; ils éviteront les prétendus excès et frustreront le prolétariat des fruits de la victoire. Il n'est pas au pouvoir des ouvriers d'empêcher les démocrates petits-bourgeois d'agir ainsi ; mais il est en leur pouvoir de rendre difficile cette montée des démocrates en face du prolétariat en armes... ».

Cette mise en garde de Marx à l'adresse des ouvriers de la vieille Allemagne encore semi-féodale, date de 1850. Mais c'est sans doute une de celles qui garde aujourd'hui le plus d'actualité. Non, il n'est pas au pouvoir des ouvriers d'empêcher les nationalistes bourgeois d'être ce qu'ils sont ni, a fortiori, au pouvoir des militants trotskystes de les influencer et de leur donner une éducation marxiste révolutionnaire ! Mais dans les pays où les ouvriers sont encore très minoritaires dans la société, il reste en leur pouvoir de rendre difficile la montée des nationalistes, face au prolétariat disposant de ses propres organisations politiques et militaires et cela, avant même la phase décisive de la révolution, au cours de toutes les luttes préalables qui mènent à la prise du pouvoir.

Il reste au pouvoir des ouvriers de ne pas se laisser enrôler derrière les petits-bourgeois nationalistes, mais de se donner les moyens de rallier à leur propre combat révolutionnaire, sous leur direction, les autres classes pauvres de la nation.

 

Les détours de l'histoire

 

Dans un article de la revue Critique Communiste de la section française du Secrétariat Unifié, intitulé « Les fausses évidences de LO », le rédacteur reproche entre autres à notre organisation de faire « bon marché »  de la révolution permanente . « Lire les événements mondiaux à travers les lunettes de LO - explique-t-il - conduirait à attribuer à la petite bourgeoisie les qualités qui auraient manqué justement à la classe ouvrière » , avec comme argument final : « Ainsi pour LO, l'histoire mondiale avance, alors que la classe ouvrière est muette ».

Eh bien oui. Il arrive que l'histoire avance (certes pas dans le sens du socialisme !) alors que la classe ouvrière est muette. À moins de penser, comme les camarades du Secrétariat Unifié, que pour rester en règle avec la théorie de la révolution permanente le prolétariat ait choisi de s'exprimer par la bouche des différentes pythies nationalistes, titiste, algérienne, castriste, chinoise, vietnamienne... ou nicaraguayenne !

Oui, l'histoire mondiale a, depuis quarante ans, suivi bien des méandres, sans attendre que le prolétariat lui ménage un cours plus exaltant. Marx et Engels nous avaient certes appris que le prolétariat avait bien des vertus historiques, mais pas précisément celle de faire avancer l'histoire sans le savoir, ni celle d'en suspendre le cours quand il est vaincu, démoralisé ou simplement corrompu par une situation momentanément supportable, ou encore parce qu'il lui manque l'organisation apte à lui faire prendre la direction de situations révolutionnaires qui en effet n'ont pas manqué depuis trente ans dans les pays pauvres.

Alors, c'est vrai, la passivité du prolétariat dans les pays industrialisés d'un côté, son inexistence politique ou sa trop grande faiblesse dans la plupart des pays pauvres de l'autre côté, ont permis à un certain nombre de directions nationalistes bourgeoises d'apparaître sur le devant de la scène internationale et de résoudre À LEUR FAÇON, avec LEURS MÉTHODES, leur terrorisme de classe, leurs œillères micronationalistes, leurs fantasmes de despotismes éclairés (ou ouvertement obscurantistes), certaines des tâches de la révolution nationale bourgeoise dans le cadre restreint imposé par l'hégémonie économique de l'impérialisme sur le monde.

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois dans l'histoire du capitalisme que le prolétariat se trouve rejeté à l'arrière de la scène politique pour une longue période, et laisse de fait à la bourgeoisie le soin de résoudre, à sa manière évidemment, certaines de ses contradictions, quitte à les repousser dans l'avenir sous une forme plus radicale et plus barbare.

Et c'est à Marx et Engels, les inventeurs de la notion de « révolution en permanence », que revint le soin d'analyser ce regain bourgeois sur la base de la défaite prolétarienne.

Voilà ce qu'écrivait Engels en 1874 dans une préface à son livre « La guerre des paysans en Allemagne » (au seizième siècle), livre qui avait été écrit lui-même en 1850 sous l'impression directe de la contre-révolution en Allemagne en 1848-49 : « ...c'est ainsi donc que l'étrange destinée de la Prusse voulut qu'elle achevât vers la fin de ce siècle, sous la forme agréable du bonapartisme, sa révolution bourgeoise qu'elle avait commencée en 1812-13 et continuée quelque peu en 1848. Et si tout va bien, si le monde reste bien gentiment tranquille et si nous devenons tous assez vieux, nous pourrons peut-être voir, en 1900, que le gouvernement de Prusse a vraiment supprimé toutes les institutions féodales, que la Prusse en est arrivée au point où la France en était en 1792 ».

C'était en 1874. Le monde resta, en Europe, gentiment tranquille encore plus longtemps que ne le croyait Engels, le temps que les bourgeoisies européennes se partagent le monde jusqu'en 1914. Pendant les vingt à trente ans de conquêtes coloniales, d'expansion impérialiste et de domestication du prolétariat européen, le rythme de l'histoire révolutionnaire s'était terriblement ralenti et les processus révolutionnaires de la première moitié du dix-neuvième siècle s'étaient interrompus. 1905 en Russie avait annoncé la vague révolutionnaire ultérieure. Mais il fallut attendre la Première Guerre mondiale pour déboucher sur une vague révolutionnaire prolétarienne sans précédent qui remit la révolution en permanence à l'ordre du jour dans tous les pays d'Europe, tout en ouvrant de nouvelles perspectives aux pays coloniaux. Mais la victoire prolétarienne en Russie resta isolée. Après l'échec des révolutions européennes des années 20 et le reflux du mouvement ouvrier, le capitalisme sembla connaître un nouvel essor pour chuter rapidement sur la crise des années 30, et s'empêtrer dans de nouvelles contradictions insurmontables, qu'il finit par résoudre par les dizaines de millions de morts de la Seconde Guerre mondiale.

En 1928, déporté à Alma-Ata, dans son livre « L'Internationale Communiste après Lénine », Trotsky répondait de la façon suivante au verbalisme révolutionnaire de Boukharine qui justifiait la théorie du socialisme dans un seul pays en arguant des contradictions insolubles du capitalisme : « Une situation aussi instable, où le prolétariat ne peut prendre le pouvoir et où la bourgeoisie ne se sent pas pleinement maîtresse chez elle, doit tôt ou tard, une année ou l'autre, tourner dans un sens ou dans l'autre, vers la dictature du prolétariat ou vers la consolidation sérieuse et durable de la bourgeoisie sur le dos des masses populaires, sur les ossements des peuples coloniaux et, qui sait, sur les nôtres. 'Il n'y a pas de situation absolument sans issue' (Lénine). La bourgeoisie peut surmonter ses contradictions les plus pénibles en suivant la voie ouverte par les défaites du prolétariat et les fautes de la direction révolutionnaire ».

Ces phrases de Trotsky étaient, hélas, prémonitoires. Prémonitoires pour les années qui menèrent à la guerre bien sûr, en passant par le fascisme, le stalinisme et la contre-révolution en Espagne, mais aussi pour les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale qui contrairement à la première n'engendra pas de vague révolutionnaire prolétarienne. Avec la complicité de l'URSS et des partis staliniens du monde entier, c'est cette disparition du prolétariat de la scène mondiale qui a laissé le champ libre aux espérances de directions nationalistes bourgeoises des pays coloniaux, contrairement aux pronostics de Trotsky avant la Seconde Guerre mondiale. Mais Trotsky lui-même prévoyait qu'en cas d'un recul prolongé du mouvement ouvrier, bon nombre de ses pronostics seraient infirmés, justement parce que ses analyses, elles, restaient valables.

Curieusement, les camarades du Secrétariat Unifié sont les premiers à reconnaître ce profond recul du mouvement ouvrier à la suite de la Seconde Guerre mondiale et le renforcement durable de l'impérialisme qui s'en est suivi, mais uniquement pour en tirer argument afin de justifier le caractère minoritaire prolongé du mouvement trotskyste. Et ces raisons objectives sont réelles même si elles ne justifient pas tout. Mais par un étonnant renversement d'humeur, ce sont les raisons mêmes qui ont pesé sur le mouvement ouvrier mondial et le mouvement trotskyste en particulier qui ont rendu les camarades du Secrétariat Unifié si optimistes sur la nature des révolutions nationales et de leurs équipes dirigeantes.

Les directions nationalistes chinoise, cubaine, yougoslave... n'ont jamais été que ce qu'elles sont. Mais une forme de démoralisation dans les périodes de recul révolutionnaire, consiste à ne pas vouloir voir la réalité, ni ses propres possibilités réelles, mais à embellir et parer de vertus révolutionnaires ceux qui sont étrangers au mouvement prolétarien. C'est ce qui est arrivé à une bonne fraction du mouvement trotskyste dans les décennies de l'après-guerre. C'était aussi ce que constatait Trotsky dans les rangs staliniens lors des reflux ouvriers des années 20, toujours dans son livre « L'Internationale Communiste après Lénine » de 1928 : « Comme se produisaient dans le prolétariat des déplacements manifestes vers la droite, l'Internationale Communiste se mit à idéaliser la paysannerie, exagérant sans les passer au crible tous les symptômes de sa « rupture » avec la société bourgeoise, prêtant des teintes vives à toutes sortes d'organisations paysannes éphémères et adulant franchement les « démagogues » paysans. A la tâche de l'avant-garde prolétarienne... on substituait l'espoir que la paysannerie jouerait un rôle révolutionnaire, direct et indépendant à l'échelle nationale et internationale. »

Et plus loin : « ...Durant toute l'année 1924, la presse de l'Internationale Communiste ne se lasse pas de parler de « radicalisation » générale « des masses paysannes ». Comme si l'on pouvait attendre de cette radicalisation des paysans, un résultat valable, dans une période où manifestement les ouvriers vont à droite, où la social-démocratie se renforce et où la bourgeoisie se consolide ».

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de la même façon, il y avait tout lieu de rester réservé sur les résultats possibles auxquels pouvait aboutir la radicalisation des directions nationalistes à la tête de la paysannerie dans les pays coloniaux, dans une période où manifestement la classe ouvrière de ces pays ne se manifestait pas, où les organisations réformistes et staliniennes renforçaient leur hégémonie sur un mouvement ouvrier, qui se déportait sur la droite, une période où l'impérialisme se consolidait durablement.

Les dirigeants de la Quatrième Internationale, quant à eux, perdirent toute réserve, et s'enthousiasmèrent pour la radicalisation des directions nationalistes des pays coloniaux au point d'y voir carrément une transcroissance prolétarienne, économisant du même coup aux organisations trotskystes minoritaires, l'effort patient de mettre en place par elles-mêmes des directions « alternatives » pour reprendre le langage des camarades du Secrétariat Unifié. Comme si la faiblesse du mouvement trotskyste ne suffisait pas et qu'il fallait y ajouter une théorisation de sa faiblesse.

Et pourtant, quoi qu'en disent les camarades de la LCR et du SU, il y a des périodes où l'histoire s'enlise, où les soubresauts révolutionnaires non prolétariens, en l'absence de directions prolétariennes n'échouent pas à proprement parler, mais prennent des voies bâtardes, sans issue, dans le cadre que permettent et autorisent seulement les puissances dominantes, n'ouvrant pas de véritables perspectives d'avenir à l'humanité. Et à l'époque du capitalisme hégémonique sur la planète, ce ne sont pas ces révolutions-là qui sont les locomotives de l'histoire.

Bien sûr le mouvement révolutionnaire trotskyste a le devoir de s'en porter solidaire contre l'impérialisme (même si cette solidarité reste inefficiente eu égard à sa propre faiblesse), mais il renonce à ses objectifs propres quand il les prend comme modèles.

La révolution permanente, c'est la théorie de la révolution prolétarienne et de ses caractères spécifiques. La force du prolétariat en tant que classe, comme l'avaient souligné Marx et Engels dès le dix-neuvième siècle, c'est d'être à même de pousser le processus révolutionnaire jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la destruction des fondements mêmes de l'économie capitaliste et de la société bourgeoise ; de rendre ce processus révolutionnaire permanent dans le temps comme dans l'espace, ne s'arrêtant ni aux acquis matériels ou partiels, ni aux frontières.

C'est dans ce sens que la révolution prolétarienne fait figure de nouvel accélérateur historique, plus puissant, plus rapide que toutes les révolutions passées.

Attribuer ces caractéristiques, c'est-à-dire précisément ce caractère « permanent » aux révolutions nationalistes, est plus qu'un abus de langage, c'est une façon de se refuser à définir les tâches propres qui reviennent au prolétariat de notre époque, comme aux organisations révolutionnaires. C'est une forme de renoncement. Et c'est difficilement pardonnable quand on se prétend une Internationale.

 

Une analyse sui generis

 

Les camarades de la section française du Secrétariat Unifié dans leur article de Critique Communiste cité précédemment ont retenu de Trotsky que « À l'époque de l'impérialisme, la seule manière de résoudre la question nationale, la réforme agraire, de satisfaire toutes les revendications démocratiques (comme l'alphabétisation) dans les pays dominés, c'est que la classe ouvrière prenne la tête des luttes, se mette à la tête de la nation, en faisant alliance avec toutes les couches opprimées de la population ». Et ils en concluent que les mouvements nationalistes qui ont été les initiateurs d'une partie de ces réformes démocratiques ne pouvant être bourgeois, sont prolétariens !

Comme la théorie de la révolution permanente telle que la comprennent ces camarades leur interdit « d'attribuer à la petite bourgeoisie les qualités qui auraient manqué à la classe ouvrière » , ils ont décidé de voir la classe ouvrière dans la petite bourgeoisie, ce qui, incontestablement, simplifie les choses, et leur évite par la même occasion de se demander ce qui au juste manquait à la classe ouvrière pour qu'elle devienne réellement une classe candidate au pouvoir.

On a souvent l'impression avec les camarades de la Quatrième Internationale, qu'ils n'ont retenu de la théorie de la révolution permanente qu'un diagnostic sur l'impuissance politique des bourgeoisies des pays dominés par l'impérialisme, diagnostic qu'ils ont transformé en arguments logiques hors du temps et des circonstances, et pire, en arguments logiques destinés à justifier l'absence du prolétariat de la scène historique, à nier son rôle, dans des situations engendrées précisément par cette absence.

Ils semblent oublier que les analyses de Trotsky à cet égard (comme celle de Marx et d'Engels à propos de la bourgeoisie allemande du dix-neuvième siècle) ne valent que par la menace effective que constitue le prolétariat contre la bourgeoisie.

Enlevez la menace prolétarienne et l'audace revient partiellement aux jacobins nationalistes du vingtième siècle. Ce qui d'ailleurs n'infirme en rien les analyses de Marx ou de Trotsky, tant il est vrai que le premier souci de ces équipes nationalistes est justement d'empêcher par tous les moyens, avant comme après la prise du pouvoir, l'apparition, l'émergence, comme diraient les camarades du Secrétariat Unifié, d'organisations autonomes et indépendantes de la classe ouvrière.

En réalité, la révolution permanente est moins une théorie de l'impuissance bourgeoise (celle-ci est toujours relative aux capacités du prolétariat), qu'une théorie positive des POSSIBILITÉS révolutionnaires du prolétariat, de ses tâches spécifiques, même quand il est minoritaire dans un pays arriéré. C'est cet aspect de la théorie de la révolution permanente qui fut généralisé par Trotsky en 1928.

Or il se trouve que lorsque les camarades de la Quatrième Internationale ont été amenés à faire eux-mêmes un diagnostic sur les capacités du prolétariat de certains pays sous-développés de l'après-guerre, ils n'ont justement, pas abouti aux mêmes conclusions politiques que Trotsky.

Voici ce qu'écrit Mandel dans sa « Défense de la révolution permanente » : « Il faut comprendre que si les révolutions socialistes victorieuses après la Deuxième Guerre mondiale ont pris une forme particulière, différente de celle de la révolution d'Octobre, cela est dû avant tout - outre à des facteurs subjectifs et historiques - au fait fondamental que dans les pays où elles ont triomphé, le prolétariat urbain n'était pas la classe majoritaire, n'avait pas le poids suffisant pour imposer des formes d'action et d'auto-organisation spécifiques comme hégémoniques au sein du processus révolutionnaire » (p.123).

Le prolétariat urbain n'était pas la classe majoritaire ? Et alors ? Voilà qui n'est tout de même pas l'exception mais bien plutôt la règle pour l'immense majorité des pays du globe. Le prolétariat urbain n'était pas plus majoritaire dans l'Allemagne ou la France du temps de Marx (et il ne l'est même pas dans la France d'aujourd'hui !), ni bien sûr sous la Russie tsariste du temps de Lénine et de Trotsky...

Ce qui en 1905 comme en 1917 séparait les mencheviks des bolcheviks n'était-il pas précisément que les premiers tiraient argument du faible poids sociologique du prolétariat pour lui dénier la capacité à l'hégémonie politique ? Or voilà qu'en tentant de justifier le caractère très particulier des « révolutions socialistes victorieuses » d'après la Seconde Guerre mondiale (ou plutôt le caractère tout particulier des analyses du Secrétariat Unifié), Mandel ne réussit qu'à renouer avec une démarche qui fut celle des mencheviks russes en leur temps, en y ajoutant seulement la pirouette logique sui generis qui fait toute l'originalité de la démarche du Secrétariat Unifié : primo, puisque le prolétariat est trop minoritaire, il ne peut pas prendre la direction du « processus révolutionnaire » ; secundo, c'est justement parce qu'il n'est pas capable d'imposer ses formes d'action et d'auto-organisation spécifiques, qu'il faut faire endosser à l'intelligentsia bourgeoise nationaliste (mais au fait, a-t-elle elle-même le poids sociologique suffisant ?) le costume prolétarien.

Et cette pseudo-analyse n'est en rien accidentelle chez les camarades du Secrétariat Unifié, puisqu'elle revient sous une autre forme dans les résolutions du Comité Exécutif international de la Quatrième Internationale (publié dans Inprecor numéro 105, juillet 1981)

« Le renforcement de la bourgeoisie et la place centrale acquise par le prolétariat dans tous les pays semi-coloniaux les plus avancés entraînent donc, pour obtenir une victoire, la nécessité d'une stratégie PLUS ÉLABORÉE DIFFÉRENTE (souligné par nous) de celle qui a été appliquée dans le cadre des révolutions chinoise, vietnamienne, cubaine ou nicaraguayenne et, dès lors, d'une direction s'appuyant sur un programme marxiste révolutionnaire ».

En somme, là où le prolétariat était le plus faible, le moins apte à prendre la tête du combat révolutionnaire, là donc où tout était rendu plus difficile, il suffisait d'une stratégie moins élaborée, à peu près marxiste ou pas du tout, pour parvenir à la victoire prolétarienne, c'est-à-dire au même résultat que dans les pays où le prolétariat est plus puissant et où les choses lui sont moins difficiles.

Il ne reste pas grand-chose après cela de la théorie de la révolution permanente de Trotsky...

 

Quelle politique la révolution permanente inspire-t-elle au SU ?

 

Alors malgré tout, les camarades du Secrétariat Unifié, bien sûr, ont raison de défendre l'orthodoxie trotskyste contre le SWP même si leur compréhension de cette orthodoxie est assez éloignée de la nôtre. Mais en quoi la théorie de la révolution permanente dont ils se réclament les implique-t-elle réellement ?

La Quatrième Internationale dispose d'un nombre non négligeable de sections dans des pays en butte à l'impérialisme, et l'on pourrait raisonnablement s'attendre à ce que sa direction dispose ainsi d'un minimum de moyens politiques lui permettant de définir pour ces pays une politique révolutionnaire.

En fait il est bien difficile de trouver dans les textes publics du Secrétariat Unifié la formulation d'une telle politique. On y rencontre par contre très souvent des formulations semblables aux suivantes : « La Quatrième internationale a su, sans concessions envers les directions, et sans jamais chercher une « nouvelle patrie du socialisme », apporter tout son soutien à la défense des révolutions menacées par l'impérialisme ou la bureaucratie, à la révolution yougoslave comme à la révolution chinoise, à la révolution cubaine comme à la révolution vietnamienne. Elle a su également comprendre l'importance et le cours de la révolution nicaraguayenne et engager pour sa défense une campagne internationale mobilisant toutes ses forces ». (Résolution du Comité Exécutif de la Quatrième Internationale de mai 1981, paragraphe 28, publiée par Inprecor numéro 105, juillet 1981).

« L'Internationale et ses sections doivent engager leurs forces dans trois campagnes politiques centrales prioritaires. L'une pour le soutien à la montée révolutionnaire en Amérique centrale ; l'autre pour l'appui maximum au formidable combat antibureaucratique des travailleurs polonais ; la troisième contre l'offensive internationale d'austérité et de remilitarisation du capital ». (Conclusion de la résolution intitulée « L'étape actuelle de la construction de la Quatrième Internationale », mai 1981, même numéro d'Inprecor).

« Il n'y a pas d'autre moyen dd'œuvrer en faveur de la révolution mondiale qu'en appuyant aussi, résolument, toutes les révolutions en cours quelles qu'en soient les directions ». (Revue Quatrième Internationale, octobre 1981, éditorial).

« Apporter tout son soutien », « savoir comprendre l'importance et le cours » de révolutions menées par d'autres, « engager des campagnes prioritaires de soutien », « appuyer toutes les révolutions en cours », voilà qui semble tenir lieu de politique à la Quatrième Internationale pour les pays où existent des mouvements nationalistes révolutionnaires. Autant d'objectifs méritoires pour une organisation internationale de bienfaisance révolutionnaire, mais sont-ils suffisants quand il s'agit de guider l'activité révolutionnaire des trotskystes présents dans ces mêmes pays ?

Et passons sur le fait que ces combats que l'on juge formidables, comme ces révolutions que l'on estime en pleine montée, sont sans doute mieux en mesure d'aider les campagnes de soutien d'organisations peu influentes, plutôt que l'inverse !

 

La découverte de directions révolutionnaires pragmatiques

 

En réalité, le Secrétariat Unifié n'éprouve guère le besoin de définir une politique propre aux révolutionnaires trotskystes dans ces pays, dans la mesure où il estime avoir trouvé sur place des directions révolutionnaires déjà constituées, étrangères au mouvement trotskyste certes, mais qui « ont découvert empiriquement, la voie de la révolution permanente », pour reprendre une formulation devenue l'un des principaux leitmotive des analyses du Secrétariat Unifié.

D'après ces camarades, seuls les sectaires incurables se refusent à reconnaître que ces « directions pragmatiques » (expression désormais consacrée par le Secrétariat Unifié) se sont engagées « objectivement » dans la voie de la construction de la dictature du prolétariat, comme au Nicaragua.

« Il faut souligner le fait que le processus révolutionnaire en Amérique centrale est en train de produire des types d'organisations nouveaux, des organisations politico-militaires avec leurs fronts de masse. (...) Elles assimilent de plus en plus, fût-ce de manière empirique, les principaux enseignements de la théorie de la révolution permanente... » (Quatrième Internationale, octobre 1981, éditorial).

Si l'on comprend bien, la seconde moitié du vingtième siècle aurait donc réservé une divine surprise aux organisations trotskystes désespérément minoritaires : la sélection naturelle aidant, (tout devient possible à l'époque de la décadence impérialiste), une nouvelle espèce d'appareils politico-militaires bourgeois aurait émergé des zones marginales de la domination impérialiste. Une mutation radicale les aurait doués de la capacité d'assimiler « empiriquement » la stratégie révolutionnaire prolétarienne connue sous le nom de « révolution permanente », stratégie que le prolétariat lui-même était condamné à n'acquérir que consciemment.

Mais alors, somme toute, à quoi servent désormais les organisations trotskystes, à quoi servent même les indications stratégiques de la révolution permanente au prolétariat minoritaire des pays sous-développés, si ses principaux enseignements peuvent être assimilés par d'autres empiriquement, sous la seule pression des événements ?

Quant aux nouveaux enfants prodiges de la révolution permanente eux-mêmes, ont-ils encore besoin de leurs précepteurs trotskystes, dont au demeurant ils s'étaient toujours passés ?

Il serait vain de chercher une logique dans les positions du Secrétariat Unifié.

Bien sûr, les organisations trotskystes quand elles existent dans ces pays, sont faibles.

La conquête d'une audience auprès des masses populaires leur est sans doute aussi difficile que pour les trotskystes des pays riches.

Mais justement on n'a aucune chance de conquérir l'oreille des masses en étant suivistes à l'égard des directions nationalistes, en laissant à ces dernières le soin de concrétiser les aspirations des masses précisément lorsqu'elles se préparent à les exprimer par des moyens révolutionnaires, même si par ailleurs on continue fidèlement à faire de la propagande trotskyste... mais seulement de la propagande justement.

Et le drame de bien des sections du Secrétariat Unifié dans des pays sous-développés de par le monde fut d'être certes restées fidèles au trotskysme en propagande, mais d'avoir été incapables de conquérir la direction des masses lorsque, enfin, celles-ci bougèrent ; et d'avoir été ensuite réduites à exprimer leur « solidarité », voire leur allégeance aux nationalistes qui, eux, ont su conquérir la direction des masses.

Alors, le rôle d'une direction internationale que prétend être le Secrétariat Unifié n'est pas d'entériner, puis de consacrer théoriquement cet échec !

Si dans ces pays pauvres les directions petites bourgeoises nationalistes semblent disposer d'une influence hégémonique sur les masses, ce n'est pas toujours parce qu'au départ les quelques avocats, médecins et autres intellectuels qui mirent en place ces futures directions « pragmatiques » étaient plus nombreux que les trotskystes, mais parce qu'ils ne rencontrèrent personne qui défendait directement auprès des masses une autre politique, personne pour contester leur hégémonie, en un mot personne pour les combattre, et dans ce combat, arracher concrètement la lutte des masses à leur influence et à leur direction.

Défendre la révolution permanente, c'est d'abord comprendre que tout nous sépare des nationalistes, aussi radicaux soient-ils, les bases sociales, les objectifs politiques, les méthodes d'organisation comme les méthodes de lutte. Et cela pas seulement après la révolution, ni même seulement au cours du processus révolutionnaire, mais dès le départ, dès l'existence, même embryonnaire, de ces organisations.

Comprendre les principes de la révolution permanente, cela signifie savoir reprendre les aspirations nationales et démocratiques des masses à notre compte, mais À NOTRE FAÇON, pas à la façon des nationalistes bourgeois. C'est-à-dire en mettant toujours en avant les intérêts propres de la classe ouvrière, les perspectives propres à la classe ouvrière.

Les aspirations nationales des peuples opprimés sont une chose, le nationalisme de leurs dirigeants petits-bourgeois en est une autre.

Alors oui, les organisations révolutionnaires doivent prendre en compte les sentiments nationaux des masses, mais uniquement pour qu'au cours de leur mobilisation, celles-ci se détournent des organisations petites-bourgeoises et se créent leurs organes propres, politiques, organisationnels et militaires, afin qu'elles puissent conquérir leur autonomie et avoir une chance de vaincre dans la lutte qui les opposera forcément, à un moment ou à un autre, aux organisations nationalistes.

 

Comment préserver l'autonomie de la classe ouvrière ?

 

Sur le principe, les camarades du Secrétariat Unifié sont prêts à reconnaître la nécessité pour le prolétariat de ces pays de préserver son autonomie organisationnelle, politique comme militaire.

Mais combien ils sont peu soucieux de sa réalisation effective, eux qui remettent le sort du prolétariat dans les mains de ces fameuses « directions pragmatiques » dont ils suivent attentivement les progrès idéologiques !

Certes, il leur arrive de déplorer, parfois, que le degré « d'auto-organisation » des masses à Cuba ou au Nicaragua ne soit pas suffisant.

Ils se contentent alors d'affirmer que les masses ouvrières doivent être « éduquées » dans l'esprit de leur indépendance politique et organisationnelle (ce qui par ailleurs ne les empêche pas de se féliciter de « la tendance spontanée des travailleurs à l'auto-organisation »), en oubliant l'essentiel, à savoir que cette « éducation » ne peut se faire que CONTRE ces mêmes directions qu'ils encensent par ailleurs.

Car les travailleurs s'éduquent en faisant l'expérience concrète, quotidienne, de qui, dans les actions les plus modestes et les plus minimes jusqu'aux combats les plus décisifs, sont en réalité leurs ennemis jurés.

Quant à l'auto-organisation prolétarienne, elle n'est qu'exceptionnellement une donnée (et il s'agit alors de la préserver), mais le plus généralement une simple possibilité, et elle n'est jamais automatique : il s'agit de la conquérir durement et âprement contre tous ceux qui ont intérêt à ce qu'elle n'existe pas, et à ce qu'elle n'apparaisse même pas.

Les nationalistes bourgeois des pays sous-développés, quand ils se mettent sur les rangs de la lutte pour le pouvoir, ont beau souvent être faibles (parfois aussi faibles à l'origine que les trotskystes), ils savent par avance, par réflexe de classe, que la classe ouvrière, même très faible elle-même, est toujours un danger potentiel.

Et ils savent d'emblée en conjurer la menace en mettant par avance en place l'appareil politique et militaire qui leur servira, au cours de la lutte vers le pouvoir, à mettre tout le monde d'accord, de gré ou de force, derrière eux.

La constitution de différents « fronts nationaux » ne sert à rien d'autre qu'à enrôler les masses derrière eux avec la caution de leurs organisations politiques.

C'est ce qu'ont mis en place, dès leurs origines, longtemps avant les combats décisifs, les nationalistes vietnamiens, algériens, et bien d'autres comme les Palestiniens qui ont pris modèle sur eux, comme toutes les organisations nationalistes à travers le monde qui, en dix, vingt ou trente ans de révolutions nationalistes dans le Tiers-Monde ont acquis dans ce domaine un certain savoir-faire. Et les nationalistes du Nicaragua ou du Salvador n'ont pas fait exception à la règle commune.

Alors, aux embryons d'États bourgeois que constituent les appareils politico-militaires des nationalistes radicaux, il ne suffit pas que les révolutionnaires trotskystes opposent la perspective de l'État prolétarien (surtout quand ils ont la fâcheuse tendance à prendre des États bourgeois pour des États ouvriers après la victoire de la lutte nationale).

A des appareils combattants, il ne s'agit pas d'opposer des formules propagandistes pour l'avenir, qui ne laissent aux travailleurs pour le présent que la possibilité de se ranger derrière la bannière de l'appareil bourgeois qui existe.

Aux appareils bourgeois, il faut opposer des appareils prolétariens, dès le début, même à leur stade embryonnaire.

Aux organisations nationalistes bourgeoises, il faut opposer l'organisation révolutionnaire. Car les révolutionnaires trotskystes ne peuvent pas cohabiter sur une quelconque base commune avec des directions nationalistes disposant d'appareils destinés à imposer leur dictature sur les masses, avant comme après la victoire éventuelle.

Dans les pays sous-développés, où la situation est souvent explosive, il existe de nombreux facteurs d'unification de la population, toutes classes confondues, favorables, certes, au déclenchement d'une situation révolutionnaire, mais qui sont aussi de formidables facteurs propres à étouffer les intérêts propres de la classe ouvrière et des couches les plus pauvres de la population sous ceux des élites petites-bourgeoises.

Et c'est une raison supplémentaire s'il en était besoin, pour que les révolutionnaires mettent tout en œuvre pour que les travailleurs se donnent les moyens de découvrir leurs véritables adversaires.

Seulement c'est tout le contraire que propose le Secrétariat Unifié avec sa politique et sa conception abâtardie de la révolution permanente : c'est une justification, avec des mots révolutionnaires, du fait que le prolétariat n'a pas à se distinguer des nationalistes radicaux, en laissant entendre que tous ces nationalistes pragmatiques sont amenés par leurs propres voies nationales à faire aussi bien qu'une direction prolétarienne.

Eh bien non justement.

La classe ouvrière peut donner des réponses aux problèmes spécifiques de ces pays (sous-développement, réforme agraire, droits démocratiques...) dans une tout autre perspective que celle du misérable horizon national, la perspective de la révolution mondiale, rendue permanente et délibérément contagieuse.

Or c'est précisément cet internationalisme-là, cette volonté d'exporter à tout prix la révolution, qui rendent caduques bien des revendications des élites nationalistes jalousement attachées aux possibilités que leur offre la direction d'un appareil d'État, aussi pauvre et minuscule soit-il, et qui en font les ennemis mortels du prolétariat.

Alors, bien sûr, les révolutionnaires prolétariens sont et doivent être solidaires des révolutions des peuples opprimés face à l'impérialisme même lorsque ces révolutions se trouvent sous une direction nationaliste bourgeoise.

Seulement, les camarades du Secrétariat Unifié substituent ce qu'ils appellent les tâches de soutien à ces régimes à la mise en œuvre d'une politique autonome, à tous égards, du prolétariat.

Ce n'est plus un devoir élémentaire de solidarité révolutionnaire à l'égard de peuples en butte à l'impérialisme, c'est une capitulation politique, et un renoncement aux tâches révolutionnaires spécifiques à ces pays.

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