L'OPEP et la défense des pays producteurs de pétrole17/03/19801980Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1980/03/73.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

L'OPEP et la défense des pays producteurs de pétrole

Fondée en 1960, ignorée pendant une dizaine d'années, l'OPEP, l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole, a été brusquement projetée sur le devant de la scène politique et économique en 1970. Elle ne l'a pas quittée depuis.

L'OPEP regroupe aujourd'hui treize pays le Venezuela, l'Iran, l'Irak, le Koweït et l'Arabie Saoudite qui en furent les membres fondateurs, le Qatar, la Lybie, l'Indonésie, l'Algérie, le Nigeria, l'Équateur, le Gabon et la Fédération des Émirats Arabes Unis qui les avaient rejoints par la suite.

Ces pays ont en commun d'être tous des pays économiquement arriérés, et d'avoir le pétrole comme principale, voire, pour certains, comme unique richesse. Ils ne sont pas les seuls producteurs de pétrole : les États-Unis et l'URSS demeurent les premiers producteurs du monde, produisant à eux deux plus du tiers de la production mondiale. Ils ne sont pas même les seuls exportateurs. Mais par contre, ils sont tous dépendants de l'exportation de leur pétrole, en particulier vers les puissances industrielles.

Pour les plus délirants ou les plus intéressés des commentateurs, l'OPEP est devenue le « deus ex machina » de l'économie mondiale, contrôlant le pétrole, donc l'énergie, donc l'avenir du monde. Pour d'autres, plus modestement et plus raisonnablement, l'OPEP est de toutes les associations, syndicats ou cartels de pays producteurs de matières premières, celle qui s'est révélée la plus efficace. C'est-à-dire celle qui est le mieux parvenu à protéger les revenus de ses pays membres.

Dans quelles conditions les pays producteurs du pétrole en sont venus à coopérer pour défendre leurs revenus ? Quelles sont les limites de leur coopération et quelle en est l'efficacité ? Dans quelle mesure les pays pauvres qui composent l'OPEP sont-ils parvenus à modifier le rapport des forces en leur faveur face aux puissances impérialistes ?

Pays producteurs pillés par le cartel des trusts pétroliers

Au moment du rapprochement du Venezuela et des quatre principaux pays producteurs du pétrole du Moyen-Orient qui devait aboutir en septembre 1960 à la formation de l'OPEP, aucun de ces pays n'avait le moindre contrôle sur le pétrole extrait de son sol. Sous des formes juridiques diverses, l'extraction du pétrole était entièrement entre les mains des grandes compagnies pétrolières de quelques puissances impérialistes et, parmi elles, essentiellement entre les mains des sept « Majors », regroupés depuis 1928 à l'échelle du monde dans un cartel unique du pétrole, et combinant leurs intérêts dans des filiales communes, en fonction de leurs sourdes luttes internes.

A l'intérieur des concessions grandes parfois comme des pays, acquises à des prix dérisoires, les grandes compagnies étaient en règle générale propriétaires du pétrole dès son extraction. Elles extrayaient la quantité qu'elles jugeaient profitable d'extraire, et la vendaient au prix où elles l'entendaient. D'ailleurs le prix à l'extraction n'avait guère de signification en lui-même, car les compagnies transportaient elles-mêmes le pétrole brut extrait vers les lieux de consommation ; et c'est encore elles qui raffinaient et assuraient la distribution jusqu'au consommateur final. Aux stades intermédiaires, les compagnies étaient donc généralement leurs propres fournisseurs - et leurs propres clients.

Les pays producteurs touchaient simplement des redevances plus ou moins liées à la quantité extraite et aux prix, dits affichés, qui servaient de base à la détermination des taxes ou royalties diverses. Mais ils n'avaient pas leur mot à dire, ni pour définir la quantité extraite, ni pour établir les prix.

C'était du pillage ouvert. Il concrétisait la mainmise complète des compagnies sur les pays producteurs. Certains pays producteurs, comme le Mexique par exemple, payaient déjà par l'épuisement de la plupart de leurs gisements l'extraction anarchique de leur sous-sol. Tous payaient par un gigantesque transfert de richesses. Les pays producteurs ne voyaient du pactole pétrolier que quelques retombées dérisoires, dilapidées d'ailleurs pour l'essentiel par les dirigeants de régimes corrompus, maintenus par la grâce des compagnies, quand ils n'ont pas été mis en place directement par elles. Les trusts des puissances impérialistes édifiaient par contre des fortunes colossales.

Avant la Deuxième Guerre mondiale, le système n'avait connu que deux accrocs. Le premier était la Révolution Russe qui avait arraché à l'emprise des compagnies un des principaux pays producteurs d'alors. Le deuxième était la nationalisation du pétrole mexicain, en juin 1938, par le régime nationaliste de Cardenas. Mais ce furent des réactions isolées.

La formidable expansion du pétrole après la Deuxième Guerre mondiale allait cependant aviver les revendications des pays producteurs. Elles étaient bien modestes. Elles portaient en général sur une certaine régularisation de la production afin de limiter le gaspillage des réserves, et surtout sur une fiscalité un peu plus favorable au pays producteur. Le régime modérément nationaliste du Venezuela aura été le premier à obtenir officiellement en 1948 - alors que ce pays était pour un moment le premier exportateur du monde - le principe d'un partage des bénéfices à 50 %-50 % avec les compagnies.

L'égalité formelle entre ces deux parts de 50 % couvrait une inégalité profonde, dans la mesure où il s'agissait toujours des seuls bénéfices officiellement déclarés des compagnies et sur leurs seules opérations d'extraction. Le chiffre avait cependant une valeur d'exemple, vite repris par les pays du Moyen-Orient, tout dominés qu'ils aient été par des hommes soumis aux compagnies. Mais les moins gourmands et les plus soumis des potentats du Moyen-Orient avaient de quoi souhaiter augmenter leur part. Au Moyen-Orient, les compagnies versaient encore à cette époque des royalties fixes, indépendantes des bénéfices mêmes déclarés. Or le Moyen-Orient précisément était en passe de devenir une source de surprofits que les compagnies ajoutaient à leurs bénéfices déjà fabuleux. Les coûts de forage et d'extraction étaient de loin les plus bas du monde. La seule rente minière que le monopole des concessions leur garantissait assurait aux « Majors » déjà implantés dans la région un surprofit considérable. Et ce monopole, les compagnies le tenaient tout de même des États. Il y avait de quoi donner à ces derniers au moins l'envie de réclamer un peu plus.

Les premiers contacts entre pays producteurs ont été pris dans ce contexte, après 1948. Ils étaient le fait du Venezuela, inquiet pour ses revenus pétroliers devant l'accroissement rapide de la production et de la concurrence du pétrole du Moyen-Orient, et favorable à ce que l'Arabie Saoudite, l'Iran et l'Irak réalisent une certaine harmonisation de leur fiscalité envers les compagnies, par la généralisation du fameux partage des bénéfices à 50 %. Il faut dire que les compagnies américaines ne regardaient pas d'un mauvais oeil ces tentatives. Le Trésor Public de leur pays venait tout juste de leur accorder le droit de déduire de leurs impôts aux États-Unis l'impôt qu'elles payaient ailleurs. Le surplus de redevance à payer aux pays producteurs du Moyen-Orient ne sortait donc pas de leurs poches, mais de celles des contribuables américains.

Du coup, les compagnies américaines étaient en meilleure position que leurs soers ennemies, les deux grandes compagnies européennes, Shell et celle qui allait s'appeler la British Petroleum.

Les compagnies américaines accordèrent d'ailleurs dès 1950 d'assez bonne grâce les 50 % en Arabie Saoudite où elles prédominaient. Par contre, la British Petroleum le refusa dans sa chasse gardée de l'Iran. C'est cela qui allait conduire le gouvernement iranien de Mossadegh à procéder en 1951 à la nationalisation du pétrole. Face à cette nationalisation, l'ensemble du cartel a fait front pour boycotter le pétrole iranien et pour aider au renversement du régime pourtant modéré de Mossadegh. Mais une fois que tout fut rentré dans l'ordre, au détriment de l'Iran, la British Petroleum a dû partager sa chasse gardée avec des trusts américains.

Cet épisode de la préhistoire de l'OPEP est significatif. Les pays producteurs ont pu avancer un pion dans la défense de leur revenu en partie parce que cela coïncidait avec les manoeuvres de certaines compagnies elles-mêmes. Par contre, la manoeuvre effectuée, toutes les compagnies ont fait front pour réagir ensemble et avec brutalité contre le pays producteur qui dépassait la marge qui lui avait été laissée. Cet aspect contradictoire des relations entre les compagnies et les pays producteurs reviendra souvent par la suite.

La violente réaction des compagnies à la contestation de l'Iran a freiné pendant quelques années les velléités affichées par quelques pays producteurs de s'engager dans une coopération permanente. Les pays producteurs continuèrent cependant, dans les années cinquante, à obtenir quelques avantages, essentiellement grâce à la concurrence que livraient aux Majors quelques compagnies indépendantes, privées comme celle de Paul Getty, ou publique comme celle de l'ENI italienne de Enrico Mattei. Pour tenter d'accéder au pétrole à bon marché du Moyen-Orient, monopolisé par les Majors, ces compagnies indépendantes offraient de payer des redevances supérieures.

Mais cette concurrence était tout de même limitée. Les Majors, maîtres du jeu, allaient se livrer à une brutale attaque contre les revenus des pays producteurs à la fin des années cinquante.

Forts des réserves immenses du Moyen-Orient et du faible coût de son extraction, les trusts pétroliers étaient engagés dans la conquête du marché énergétique de l'Europe. Ils laissaient baisser le prix du pétrole afin d'évincer le charbon, principale source d'énergie jusque lors en Europe. Et ils profitèrent de l'occasion pour faire baisser unilatéralement les redevances qu'ils payaient aux États producteurs, en faisant baisser les fameux « prix affichés » qui servaient de base au calcul de tous les impôts et redevances. En 1959, première baisse de 18 % des prix affichés. Deuxième baisse de 18 % en 1960.

C'est précisément ces deux baisses qui ont été à l'origine immédiate de la création de l'OPEP dont l'objectif initial se limitait au fond à obtenir simplement des compagnies qu'elles reviennent sur les baisses de prix de 1959-60.

Vers le tournant de 1970

Il est significatif que pendant dix ans l'OPEP n'a même pas obtenu satisfaction à sa modeste revendication d'origine. Elle a pourtant été rejointe les années suivant sa fondation par d'autres pays et a regroupé progressivement la plupart des pays sous-développés vivant de l'exportation du pétrole.

Après 1960, les compagnies n'ont certes pas procédé à d'autres baisses, mais compte tenu de l'inflation mondiale, cette « stabilisation des prix » signifiait une perte incessante du pouvoir d'achat des pays producteurs. Malgré une inflation plus lente à l'époque, la dépréciation du dollar et de la livre sterling - les deux principales devises reçues par les pays producteurs - ont été estimées respectivement à 35 % et 45 % entre 1955 et 1970. Les recettes des pays producteurs, amputées déjà par la baisse autoritaire des prix affichés en 59-60, ont donc subi encore cette autre forme d'amputation.

Voilà donc la seule forme de « stabilisation des prix » obtenue par l'OPEP durant les dix premières années de sa fondation. Il faut ajouter que l'OPEP en tant que telle n'avait d'ailleurs obtenu officiellement rien du tout, car les compagnies ne reconnaissaient pas à l'époque ce « syndicat de pays producteurs » et continuaient à traiter de façon bilatérale avec les États concernés.

C'est pourtant pendant ces années soixante que se développe une situation politique qui amena les compagnies pétrolières - et d'ailleurs plus généralement les puissances impérialistes - à reconnaître l'OPEP comme interlocuteur valable, voire comme un très utile représentant de tous les pays producteurs.

C'est en effet pendant ces années que la vague nationaliste de la « révolution coloniale » atteindra pleinement, bien que sous des formes très diverses, les pays producteurs de pétrole. L'exemple égyptien était déjà là - mais l'Égypte produit peu de pétrole. En Irak, depuis le renversement de la monarchie en 1958, une succession de coups d'État militaires portait au pouvoir des régimes d'un nationalisme plus ou moins radical. L'insurrection algérienne aboutit àl'indépendance en 1962. Le coup d'État de Kadhafi renversa en 1969 en Libye un des « rois du pétrole » les plus caricaturalement fantoches des compagnies.

A la tête des États dont elles dominent l'économie, les compagnies pétrolières n'ont plus affaire seulement à leurs propres créatures, exigeantes sans doute par moment, mais comme peuvent l'être des laquais en quête de pourboire plus grand. Elles ont aussi affaire à des régimes nationalistes, plus ou moins radicaux, désireux en tous les cas de prélever une part plus grande sur les ressources pétrolières, voire tenter de contrôler celles-ci. L'accession au pouvoir de ces régimes exprime quelque chose de plus profond, cet éveil national de peuples opprimés qui n'acceptent plus que leurs pays soient ouvertement pillés par des compagnies étrangères ; et cet éveil, tangible dans certains pays pétroliers, menace plus ou moins sourdement dans tous les autres. Les compagnies doivent en tenir compte, masquer le pillage sinon y mettre fin ; abandonner les diktats pour les relations contractuelles ; dissimuler l'exploitation derrière les relations anodines du commerce ; enfin, trouver des

organisations-tampons qui puissent à l'occasion devenir des boucs émissaires.

L'OPEP, vieille pourtant de dix ans, renaîtra en quelque sorte à partir de 1970, comme expression de ce double mouvement contradictoire. D'un côté cette organisation, pourtant fondée par quelques-uns des régimes les plus liés aux compagnies, les plus réactionnaires et pro-occidentaux, sera un des canaux par lesquels s'expriment les revendications des pays producteurs, leur syndicat en quelque sorte. D'un autre côté, ne serait-ce que par le poids que joue l'Arabie Saoudite avec ses satellites au sein de l'OPEP, de par l'importance et la disponibilité de sa production et de ses réserves, l'OPEP est un des moyens dont disposent les compagnies pour peser sur les revendications, les canaliser, les orienter vers des voies qui ne leur sont pas défavorables ; quand l'OPEP n'est pas tout simplement un paravent permettant aux compagnies de faire passer leurs propres décisions comme des décisions des pays producteurs.

Les hausses de prix - et ses profiteurs

Lorsque, à l'occasion de la première grande crise du pétrole, en fin 1970-début 1971, l'OPEP fait l'entrée fracassante que l'on sait sur la scène de la politique pétrolière mondiale, elle avait deux porte-parole : le shah d'Iran et le Cheikh Yamani. Le premier était un des potentats du Moyen-Orient le plus ouvertement liés aux intérêts de l'impérialisme américain. Le deuxième était, à titre personnel, un ancien administrateur de l'ARAMCO - la filiale des Majors qui monopolise le pétrole saoudien - et, de par sa fonction, ministre de cet autre potentat du MoyenOrient qui devait tout, jusqu'au pouvoir de sa famille, aux trusts américains.

Conduit par cet attelage, l'OPEP semblait voler de succès en succès pendant trois ans. En 1971, le cartel des trusts pétroliers la reconnaissait de façon spectaculaire comme interlocuteur, habilité à traiter avec lui du prix du pétrole brut au nom de tous les pays producteurs. Mieux : deux ans après, le cartel s'effaça complètement et, pour la première fois de l'histoire, c'est l'OPEP qui décida unilatéralement des prix du brut - qu'elle quadrupla d'un seul coup.

Il est de notoriété publique aujourd'hui que ce spectaculaire changement dans la stratégie des prix du pétrole a été voulu, préparé, et par les compagnies pétrolières, et par l'impérialisme américain. Et que le rôle subitement reconnu à l'OPEP était autant un moyen de dissimuler le rôle des compagnies dans cette affaire, qu'une concession politiquement indispensable au nationalisme montant dans les pays producteurs.

Les compagnies pétrolières qui ont parachevé leur mainmise sur l'énergie dans le monde, ont décidé de mettre fin à l'ère de l'énergie pétrolière à bon marché. Leur stratégie mise désormais sur la hausse du pétrole du Moyen-Orient, afin de rendre rentables à la fois leurs investissements dans les gisements aux coûts d'extraction plus élevés et leurs investissements dans les sources d'énergie qu'elles considèrent d'avenir. Les hausses à la production sont en même temps répercutées et au-delà sur les prix à la consommation, en sorte que depuis 1973, les compagnies ont accru leurs bénéfices de façon à financer les investissements futurs et leur diversification.

Les États-Unis procédèrent exactement à la même réorientation stratégique. En grande partie pour les mêmes raisons que les compagnies - américaines d'ailleurs pour l'essentiel - c'est-à-dire pour revaloriser les ressources énergétiques intérieures des États Unis. En même temps parce que l'alignement des prix mondiaux du pétrole sur les prix américains - traditionnellement plus élevés enlevait aux industriels des pays européens et japonais l'avantage que leur procurait l'utilisation du pétrole bon marché du Moyen-Orient face à leurs concurrents américains.

C'est cette coïncidence momentanée des intérêts des véritables maîtres du pétrole et de l'économie du monde d'avec l'une des revendications des pays producteurs, celle concernant les prix, qui a permis à l'OPEP de procéder à la grande vague des hausses de 1973. C'est d'ailleurs pratiquement la seule fois que l'on a vu l'OPEP montrer un visage uni sur une question déterminante.

Dès que les États-Unis semblent cependant avoir considéré que les hausses du prix du pétrole ont atteint la limite à partir de laquelle elles pouvaient être gravement préjudiciables et aux capitalistes qui ne vivaient pas du pétrole et à l'économie mondiale, les possibilités de l'OPEP se trouvaient d'un seul coup brutalement réduites. En février 1974, Kissinger avait brandi la menace de la guerre. L'unanimité au sein de l'OPEP a cédé la place à la dissension entre « modérés » partisans de maintenir les prix, et ceux qui souhaitaient qu'ils soient au moins indexés sur l'inflation mondiale. L'année d'après, non seulement l'OPEP avait abandonné toute idée d'indexation, mais les prix ont subi une baisse. Pendant cinq ans, l'OPEP a complètement perdu toute initiative dans le seul domaine où elle témoigna en 1973 d'une incontestable efficacité : celui des prix. Les prix affichés du pétrole n'augmentèrent pratiquement pas pendant cette période, alors que l'inflation mondiale prit un rythme de plus en plus rapide. Il aura fallu attendre 1979 pour que, sous la pression des compagnies - et dans un contexte d'accroissement de la demande de pétrole sur les marchés occidentaux - les États-Unis débloquent de nouveau l'interdit pour que les pays producteurs puissent profiter des circonstances et augmentent leurs prix.

Contrôle de la production pétrolière ?

Au moment où elle fut fondée, l'OPEP n'ambitionnait que la défense de la stabilité des impôts perçus par ses pays membres de la part des compagnies, ces dernières étant, et dans les faits et en droit, seuls maîtres dans leurs concessions. Sous l'influence des régimes nationalistes radicaux, l'OPEP affiche depuis plusieurs années la volonté d'organiser la coopération de ses adhérents en vue de contrôler effectivement leurs ressources pétrolières. Avec quel succès ? Sur le plan juridique, les pays producteurs semblent avoir obtenu des concessions inimaginables au temps de la domination ouverte et absolue des compagnies.

L'Algérie avait ouvert le mouvement en nationalisant son pétrole en 1970 et 1971. Elle fut suivie à partir de 1971 par la Libye. Puis en 1972, l'Irak nationalisa une des principales et vieilles forteresses des Majors au Moyen-Orient : l'Irak Petroleum Company.

Dès lors, les compagnies prirent les devants directement et par l'intermédiaire de régimes étroitement contrôlés. Dès 1972, de l'Arabie Saoudite aux émirats, tous les États producteurs élaboraient avec les compagnies des formules prévoyant une participation croissante - finissant par atteindre la majorité - des États producteurs dans les actions des filiales des compagnies opérant sur leur sol.

Sur le plan politique, ce mouvement fut une concession de la part des compagnies. Comme le disait le Cheikh Yamani en 1972 avec un cynisme franc : « Le développement des sentiments patriotiques dans les pays arabes a rendu nécessaire la modification du statut actuel des concessions » , modifications rendues « inéluctables pour apaiser ces sentiments » . Mais là encore, les compagnies ont su joindre l'utile à l'agréable. Les contrats de participation leur apportaient de l'argent frais de la part des États producteurs. (Car évidemment, les compagnies n'ont pas fait cadeau gratuitement de leurs actions.) De surcroît, dans les pays politiquement sous leur coupe, comme l'Arabie Saoudite ou les émirats, même lorsqu'ils n'étaient plus les propriétaires en titre des compagnies d'extraction, les trusts continuèrent à en assurer la gestion et en fait, la maîtrise. La participation de la plupart des États producteurs est une participation purement financière, mais les décisions sont toujours prises par les trusts du pétrole.

Enfin, et cela trace des limites même aux nationalisations des régimes les moins liés aux compagnies et les plus radicaux, le transport, la commercialisation et la distribution finale continuent à demeurer pour l'essentiel aux mains des compagnies.

L'économiste syrien Nicolas Sarkis, un des théoriciens du « nationalisme pétrolier » constate dans un livre intitulé pourtant Le pétrole à l'heure arabe : « On bute sur la traîtrise des mots. Les pays communément appelés producteurs et exportateurs de pétrole n'ont été jusqu'à tout récemment, et ne sont encore dans la plupart des cas, ni producteurs, ni exportateurs de pétrole. Ce ne sont que des pays dans lesquels, en général, des sociétés étrangères produisent et exportent le pétrole, déterminent le volume de la production et choisissent les clients et les marchés » . Il estime qu'au moment de la rédaction de son livre en 1975 - alors pourtant que les principales nationalisations avaient déjà eu lieu tous les pays arabes réunis ne commercialisaient directement que 19 % environ de leur production pétrolière, le restant étant commercialisé par les anciennes sociétés concessionnaires opérant sur leur territoire. Le mot « concession » a été rayé du vocabulaire pour, selon Yamani, « apaiser les sentiments patriotiques » , mais le fond n'a guère changé.

L'opep et le cartel

L'OPEP représente une juxtaposition d'intérêts nationaux divers. Elle regroupe des pays dont certains possèdent des réserves pétrolières énormes avec une population faible et d'autres qui ont une production modeste avec une population nombreuse et pauvre. Elle associe des pays qui ne dépensent pas leurs revenus pétroliers et d'autres qui sont endettés à l'égard des pays industriels malgré ces revenus. Elle représente des pays dont certains essayent de prendre leur pétrole sous leur contrôle, d'autres dont les régimes sont dirigés par des hommes de paille des compagnies.

Depuis l'époque d'unanimité des années 1970-74, avec la bénédiction des grandes compagnies, l'OPEP est tiraillée de hue à dia. Même sur la question limitée des prix, les divergences entre les régimes les plus liés aux compagnies et les moins liés, ont abouti depuis 1976 - lorsque, à la conférence de Qatar, deux prix affichés ont été décidés au lieu d'un, l'Arabie Saoudite vendant son pétrole moins cher - à un éclatement de fait. La dernière conférence de l'OPEP à Caracas n'a même plus pris de véritable décision concernant les prix, chaque pays producteur détermine les siens.

Sur un marché pétrolier mondial qui continue à être dominé par le plus puissant cartel du monde impérialiste, l'OPEP, qui avait exprimé pendant une période les revendications en matière des prix des pays producteurs, avait obtenu dans une certaine mesure satisfaction. Elle a réussi à augmenter les recettes de ses membres. (Que ces recettes accrues n'aient servi qu'à une minorité de privilégiés et qu'elles n'aient guère modifié les structures économiques et sociales de ces pays, c'est encore une autre question.) Mais même sur ce plan, le bilan de l'OPEP est plus modeste qu'il n'y paraît. La hausse du prix des produits industriels de plus en plus rapide depuis la crise monétaire a à peu près contrebalancé l'accroissement nominal des recettes.

L'OPEP n'a par contre jamais pu mettre en oeuvre un programme définissant de commun accord et dans l'intérêt des pays membres, un rythme de production et les quantités à produire. La richesse des pays producteurs continue à s'épuiser au rythme voulu par les compagnies, et en fonction des besoins de l'industrie des puissances impérialistes.

Les circonstances ont donné aux pays producteurs de pétrole des possibilités plus grandes de s'associer pour faire prévaloir certaines revendications que n'en ont d'autres pays sous-développés producteurs de matières premières. Mais ces possibilités demeurent étroitement tributaires des intérêts de grandes sociétés impérialistes. Les pays producteurs de pétrole, comme tous les autres pays arriérés producteurs de matières premières, sont intégrés dans les relations économiques mondiales, en position subordonnée à l'impérialisme. Étant donnée l'importance du pétrole pour l'économie occidentale, les puissances impérialistes exercent par ailleurs sur les pays pétroliers une surveillance étroite, politique et diplomatique, mais qui peut devenir militaire. Ce que peuvent faire les pays producteurs, ils le font en dernier ressort sous la menace permanente des puissances impérialistes.

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