Israël : De l'intervention au Liban aux mesures d'austérité09/10/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/10/105.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Israël : De l'intervention au Liban aux mesures d'austérité

Le 4 septembre 1983, quinze mois après l'entrée des troupes israéliennes au Liban, celles-ci se repliaient sur la ligne Awali, une ligne longeant la rivière libanaise du même nom, à 45 kilomètres de la frontière israélienne, à la hauteur de la ville de Saïda.

L'occupation israélienne a entraîné la mise en place en août 1982, puis en septembre 1982 (avec entre les deux un court retrait pendant lequel s'étaient déroulés les massacres de Sabra et de Chatila) de la « force multinationale d'interposition », américano-franco-italienne, chargée théoriquement de protéger les civils, mais en fait d'aider Amine Gemayel à reconstruire l'État libanais. Pratiquement, la force multinationale a aidé à ratisser Beyrouth pour y éliminer les opposants - les parachutistes français s'étant spécialisés dans cette « aide » - et aider à former les recrues pour une armée régulière qui est passée de 18 000 à 30 000 hommes - cela, c'était plutôt la spécialité des soldats américains.

L'occupation israélienne a aussi entraîné le réveil de la guerre civile entre le parti des Phalanges d'un côté et, de l'autre, les milices druzes de Walid Joumblatt, alliées à d'autres tendances chrétiennes non phalangistes, et les milices chiites, principalement les milices de l'organisation anti-communiste et islamiques Amal.

Le retrait des troupes israéliennes a contribué à faire rentrer la guerre civile libanaise dans une phase aigüe, en particulier dans les montagnes du Chouf où les milices druzes, aidées par des combattants palestiniens et soutenues par l'artillerie syrienne ont infligé des revers aux forces libanaises (les milices phalangistes chrétiennes) venues essayer de les déloger. Elles étaient sur le point de faire reculer l'armée régulière libanaise venue prendre le relais des milices chrétiennes. C'est ce qui a amené la « force d'interposition » à se transformer en force directe d'intervention contre les Druzes et les Syriens, et à se retrouver donc directement impliquée dans la guerre civile libanaise.

Quels objectifs avaient donc visé les dirigeants israéliens en envahissant le Liban, et pourquoi se sont-ils, quelques mois plus tard, retirés d'une partie des territoires occupés ?

Les objectifs d'israël au liban

L'entrée des troupes israéliennes au Liban avait beau être baptisée « Paix en Galilée », l'opération n'avait pas le moins du monde comme objectif la sécurité de la population de la frontière nord d'Israël. Depuis un an, les Palestiniens avaient accepté un cessez-le-feu dans la région et il n'y avait plus de bombardements en provenance du Liban. Ceux-ci n'ont effectivement repris que deux jours avant l'invasion du Liban, mais c'étaient les Israéliens qui avaient rompu la trêve en représailles à un attentat perpétré contre un diplomate israélien à Londres. L'attentat n'était pas revendiqué par l'OLP. Margaret Thatcher en personne avait déclaré que, d'après une liste trouvée sur le terroriste, ses prochaines victimes devaient être des dirigeants de l'OLP à Londres.

Peu importait : le prétexte était trouvé pour déclencher la guerre.

Avec quels objectifs ? Sharon et le gouvernement israélien avaient commencé par affirmer que l'objectif était de pénétrer sur une profondeur de 40 kilomètres à l'intérieur du Liban pour en chasser les Palestiniens. Mais ces 40 kilomètres dépassés, l'armée israélienne poursuivit son chemin jusqu'à Beyrouth avec, cette fois, l'objectif manifeste de détruire définitivement les bases de l'OLP dans la capitale libanaise et de chasser les Palestiniens du Liban.

Les Israéliens voulaient aussi semble-t-il, couper court aux velléités des États-Unis de provoquer une conférence pour discuter du sort de la Cisjordanie. La diplomatie US n'aurait pas vu d'un mauvais oeil la Cisjordanie revenir à la Jordanie moyennant quelques concessions à Israël et une reconnaissance du rôle de l'OLP si celle-ci acceptait de se mettre sous la dépendance de la Jordanie et de reconnaître l'État d'Israël.

Il n'y a plus de Palestiniens armés au sud-Liban. Les massacres de Sabra et Chatila, les combats dans Beyrouth, ont entraîné l'exode des réfugiés palestiniens vers le nord du pays où la Syrie les contrôle étroitement. L'état-major de l'OLP a dû quitter Beyrouth en abandonnant les stocks d'armes qu'il avait réunis dans la région. L'unité de l'OLP comme l'autorité d'Arafat ont été fortement compromises. Les objectifs militaires de Sharon et de Begin ont donc été atteints.

D'autre part, bien qu'il s'en soit défendu, un autre objectif poursuivi par l'état-major israélien pouvait être de profiter de l'opération pour porter un coup à la Syrie qui contrôle le nord-Liban et, à l'est du pays, la plaine de la Bekaa.

Or, si l'État syrien a effectivement subi de sérieux revers les premières semaines de l'invasion, il sort en fin de compte renforcé de l'opération. Il garde le contrôle des territoires qu'il avait occupés antérieurement. Son dispositif de missiles détruit par Israël a été remplacé par l'URSS qui a installé un dispositif plus efficace.

Et surtout, les milices palestiniennes chassées de Beyrouth mais restées au Liban ont été contraintes à se réfugier dans les zones sous contrôle syrien. Entourées, surveillées par l'armée syrienne, elles sont devenues en quelque sorte des otages dont la liberté de mouvement, voire l'existence, peuvent devenir un objet de négociation pour la Syrie. La Syrie dispose ainsi d'un nouvel atout vis-à-vis des États-Unis pour imposer sa présence dans toute discussion concernant le sort du Moyen-Orient. Elle peut maintenant subordonner toute discussion sur son retrait du Liban au retrait des troupes israéliennes du sud-Liban, et est en moins mauvaise position pour discuter du Golan, territoire syrien occupé depuis 1967 et même officiellement annexé par Israël.

En ce qui concerne donc le rapport de forces entre Israël et la Syrie, on ne peut pas dire que l'intervention d'Israël ait changé la situation en sa faveur.

Le gouvernement israélien disait aussi vouloir aider les Libanais à mettre sur pied un État « fort et stable », en plein accord avec les USA. C'est-à-dire qu'il voulait, après la défaite et le désarmement total des milices palestiniennes et des milices de la gauche libanaise, obtenir la mise en place au Liban d'un pouvoir dominé par les Phalanges chrétiennes d'extrême-droite, en espérant voir cet État devenir un allié et un vassal d'Israël.

A cet objectif politique s'ajoutait l'espoir de voir le Liban allié - ou sous la domination des troupes israéliennes - devenir un débouché pour l'économie israélienne, pour sa production agricole de base, pour ses industries alimentaires ou autres. Ce débouché non négligeable en lui-même pour les entreprises israéliennes pouvait même être susceptible de devenir, à terme, un pont vers le monde arabe, un moyen d'atteindre par l'intermédiaire du marché libanais les marchés arabes voisins.

L'économie israélienne n'est absolument pas viable. Elle dépend étroitement des États-Unis, de ses aides, dons et prêts (près de trois milliards de dollars par an) et aussi de ceux de la diaspora juive américaine et mondiale.

Si elle peut obtenir des prêts des autres États impérialistes auxquels l'endettement de l'État israélien ne fait pas peur, c'est parce que les États-Unis sont considérés comme son garant (et pourtant, Israël est l'un des États les plus endettés du monde, il tient la onzième position dans la liste des pays endettés, mais la première si on rapporte sa dette au nombre de ses habitants !).

L'économie israélienne est même si liée aux États-Unis que le ministre des Finances démissionnaire, Aridor, a pu sérieusement concevoir un plan de redressement où le dollar deviendrait la monnaie officielle d'Israël, comme il l'est dans certaines républiques bananières d'Amérique centrale.

Dans cette économie, l'État a tenu et tient une place prépondérante. C'est lui qui a fourni les capitaux qui ont servi à créer et à développer les principales industries, c'est lui qui, directement ou par l'intermédiaire de la Histadrout, la centrale syndicale complètement intégrée à l'État, en est encore le propriétaire. La principale industrie, qui est en même temps la grosse industrie d'exportation est une industrie étatique l'industrie d'armement. Israël est le septième exportateur mondial d'armement. II vend des armes, fabriquées sous licence américaine, à l'Afrique du Sud, à certains pays d'Afrique noire, et aussi à des États d'Amérique latine et centrale auxquels les États-Unis préfèrent ne pas vendre directement.

II n'en reste pas moins que les industries, même étatiques, sont toutes à la recherche de débouchés que ne peut pas leur offrir l'étroit marché israélien, même s'il s'est accru du marché cisjordanien. Et cela, qu'il s'agisse des kibboutzim à l'agriculture industrialisée sur le modèle des pays les plus développés, ou carrément reconvertis dans les activités industrielles, des coopératives ou des entreprises privées de la riche bourgeoisie d'affaires qui s'est développée dans les pores de cette économie étatique et à laquelle la politique de libéralisme économique de Begin a permis d'avoir les coudées plus franches pour s'enrichir, spéculer, étaler ses richesses. Et trouver des débouchés est un problème vital pour toutes ces entreprises, dans une situation où les exportations israéliennes vers le monde occidental sont en baisse depuis deux ans...

Alors on peut dire que, sur ce plan-là, Israël a réussi, en s'ouvrant par la force des armes un marché au Liban. Dans les fourgons de l'armée, dès les premières semaines, sont arrivés des marchands, des banquiers, qui ont ouvert des succursales dans les villes occupées. Israël a imposé au Liban la libre circulation de ses marchandises. II a imposé, en pratiquant quelquefois des prix de dumping, ses produits agricoles, les produits de son industrie alimentaire, des autres productions industrielles. On a même vu des intermédiaires israéliens venir proposer leurs maisons préfabriquées pour remplacer celles que les bombardements avaient détruites. Et Israël a invité des hommes d'affaires libanais à venir discuter à Tel-Aviv des possibilités qui leur étaient offertes de s'enrichir en servant d'intermédiaires dans le commerce israélo-arabe.

Les autorités israéliennes estiment ainsi de 12 à15 millions de dollars par mois ce qu'a rapporté aux commerçants et aux industriels israéliens la vente de produits israéliens au Liban, vente qui a entraîné des difficultés très graves pour les secteurs concurrencés du Liban, en particulier l'agriculture, et même le déclin total de celle-ci dans certaines régions.

Les dirigeants israéliens ont aussi essayé de détourner vers l'aéroport de Tel-Aviv le trafic de l'aéroport de Beyrouth.

Ils tentent toujours de faire passer par les ports israéliens les marchandises destinées au Liban : ainsi le port de Haïfa a pratiqué, pour attirer les clients, une taxe portuaire inférieure à celle de Beyrouth.

Un certain nombre d'entreprises israéliennes et d'hommes d'affaires, ont donc profité de cette aubaine. Mais quelle est l'importance de ce marché, pour l'instant quand même assez restreint et, surtout, quel sera son avenir ? II est difficile de le prévoir. Quant à l'espoir de voir le commerce avec le Liban servir de pont vers les autres pays arabes, c'est une perspective pour l'instant relativement bouchée. Si les Israéliens ont fait reconditionner sous emballage libanais des produits israéliens pour pouvoir les vendre dans d'autres pays arabes, un certain nombre de ces pays se sont mis à refuser les importations libanaises, pour éviter qu'elles ne servent de couverture à des produits israéliens !

En fait, l'avenir des relations économiques dépend avant tout de celui des relations politiques d'Israël et du Liban. Or, on ne peut pas dire que la tentative d'aider à mettre en place au Liban un « État fort et stable » ait été couronnée de succès ! Et sur ce plan-là, l'avenir est quand même relativement incertain pour Israël, même s'il se présente sous de meilleures auspices qu'avant l'intervention au Liban.

Israël avait porté au pouvoir Bechir Gemayel, le dirigeant libanais le plus disposé sans doute à faire alliance avec lui. Mais même lui entendait s'en servir pour ses propres desseins : imposer l'autorité des Phalanges chrétiennes à tout le Liban.

Après l'assassinat de Bechir Gemayel, son frère Amine, en se faisant élire au même poste, tint à apparaître comme le représentant de tous les Libanais. Mais en fait, il se conduisit lui aussi comme le chef de la bande phalangiste. Ainsi il se mit à dos toutes les autres forces politiques du pays, qui n'étaient pourtant pas hostiles a priori àun accord avec lui, et les poussa pratiquement dans les bras de la Syrie.

Amine Gemayel n'a pas réussi à restaurer l'autorité d'un État central au Liban.

Et, de plus, il a vite pris certaines distances avec Israël, déclarant que les relations du Liban avec les autres pays arabes étaient prioritaires par rapport à ses relations avec Israël.

De plus l'intervention israélienne au Liban s'est embourbée après les premières semaines où Israël avançait sans rencontrer d'obstacles et en détruisant tout sur son passage. Les troupes israéliennes se sont heurtées à une résistance farouche devant Beyrouth et, depuis lors, dans toutes les régions qu'elles occupent-elles ont eu à faire face à une résistance ouverte ou larvée qui leur a coûté 165 morts et plus de 2 000 blessés, selon l'armée israélienne elle-même, de septembre 1982 à août 1983.

Enfin, Israël s'est vu désavoué au moins en paroles à plusieurs reprises par les États-Unis qui lui ont reproché sa responsabilité dans les massacres de Sabra et Chatila, et qui ont accepté de soutenir Amine Gemayel même quand il prenait ses distances par rapport à Israël.

De solides positions de repli

Mais à travers tous ces avatars, Israël s'est de toute façon gardé des portes de sortie et des solutions de repli.

C'est ainsi que les autorités israéliennes, tout au long de l'année passée, ont contribué à faire de la région du Chouf une poudrière. Alors que le long de la côte l'armée avait soigneusement ratissé toutes les villes et les villages, arrêté tous les opposants, débusqué les caches d'armes, elle avait mené une politique bien plus souple dans le Chouf, vis-à-vis des Druzes. Si elle a laissé pénétrer dans la région les Forces Libanaises (phalangistes) elle n'a pas cherché à désarmer les milices druzes. Elle a, au contraire, toléré les trafics d'armes leur permettant de s'armer de façon plus conséquente. Elle s'est contentée de s'interposer entre les troupes de Joumblatt et les Phalangistes quand des heurts se sont produits, sans chercher à désarmer ou disperser les premiers. Bref, Israël a agi de façon àlaisser, s'il était amené à retirer ses troupes du Liban, une situation où il pourrait jouer sur les rivalités. confessionnelles. Un certain nombre de politiciens israéliens envisagent d'ailleurs d'un oeil favorable l'éventualité d'une partition du Liban en mini-États confessionnels.

D'autre part, tout se passe comme si Israël, en se repliant au sud de la ligne Awali, se préparait à une occupation de longue durée du sud-Liban, et à une annexion de fait sinon de droit.

Les autorités israéliennes ont créé là une infrastructure militaire très dense, un réseau routier, des bases militaires, des aéroports, une ligne de fortifications le long de l'Awali et jusqu'au mont Barouk. Cette ligne constitue pratiquement déjà une frontière à l'intérieur du Liban. Des restrictions sur la circulation des personnes et des marchandises sont prévues entre le sud-Liban et le reste du pays. D'autre part, l'armée a commencé à recenser la population et à obtenir le maximum de renseignements sur celle-ci. Le recrutement d'une armée de supplétifs locaux est prévu, théoriquement intégrée à l'armée libanaise, mais en fait issue de l'armée créée par le commandant Haddad, mercenaire au service des Israéliens.

Pratiquement, Israël a déjà fait de cette région un débouché pour ses produits en imposant des restrictions à l'entrée de certains produits libanais (c'est le cas pour le blé et pour le ciment), en concurrençant les productions agricoles locales. De plus, trente points de regroupement de civils israéliens sont déjà prévus, et la commission des sites archéologiques est en train de recenser ce qui resterait des ruines « historiques » du « Grand Israël » dont, d'après la Bible, cette région fait partie... Bref, d'après certains observateurs, on assiste au début du processus qui s'est déroulé, en 1967, en Cisjordanie ...et qui a conduit à la situation qu'on y connaît aujourd'hui. Gluant aux eaux de la rivière Litani, leur utilisation par Israël pour irriguer ses terres est un très vieux projet, et il semble qu'on s'achemine vers un partage des eaux qui en attribuerait 50 % à Israël, partage qui se ferait donc aux dépens des paysans libanais.

La crise politique israélienne

Dans les raisons qui ont pu pousser ainsi le gouvernement israélien à décider de se replier sur le sud-Liban, il y a aussi les difficultés politiques auxquelles il s'est trouvé confronté.

Pour la première fois dans l'histoire d'Israël, une guerre a provoqué une grave fissure dans le consensus national.

L'entrée au Liban n'a guère provoqué de réactions. Mais c'est quand l'avance, puis l'occupation du Liban bien au-delà de la bande des 40 kilomètres présentée comme nécessaire à la sécurité d'Israël, sont apparues aux yeux d'un certain nombre d'Israéliens pour ce qu'elles étaient, une guerre de conquête destructrice, que l'opposition à la guerre a commencé à se manifester. Les massacres de Chatila et de Sabra ont déclenché un mouvement d'opposition sans précédent dans le pays ; moralement, une partie des Israéliens répugnait à se sentir responsable d'un tel massacre.

Et puis surtout, le poids de la guerre et de l'occupation du Liban s'est fait de plus en plus lourd sur la population israélienne.

La prolongation des périodes de service militaire pour tous les hommes, réservistes d'office jusqu'à près de cinquante ans obligés de faire deux à trois mois de service militaire par an (en plus des jeunes appelés qui servent trois ans pour les jeunes gens et deux ans pour les jeunes filles), les tâches de répression auxquelles certains d'entre eux ont dû se livrer au Liban, les risques qu'elles comportaient (on comptait 365 morts à la fin des combats officiels en septembre 1982, on en comptait 530 en août 1983, ce qui est un chiffre élevé par rapport à une population juive israélienne d'environ 3,2 millions de personnes, qui correspondrait, pour la France, à 8 000 morts environ), le nombre élevé des blessés, les récits des appelés ou des réservistes revenant du Chouf ou de Beyrouth : tout cela a contribué à amener une partie de la population à se poser des questions sur l'utilité de la prolongation de l'occupation du Liban.

Ces difficultés se sont traduites sur le plan politique par l'établissement d'une commission d'enquête sur les massacres de Sabra et Chatila, aboutissant à « mettre en réserve » le général Sharon, le maître d'aeuvre de la guerre du Liban, puis à la démission de Begin et à son remplacement par Itzhak Shamir, l'un de ses compagnons de parti. Elles pourraient même déboucher sur des élections anticipées.

Ces difficultés politiques risquent de s'accroître avec les mesures d'austérité que vient de mettre en oeuvre le gouvernement. Car le coût élevé de la guerre - on parle d'un million de dollars par jour - a encore aggravé la crise économique et n'a été que bien peu compensé par les profits rapportés par la conquête d'une partie du Liban.

Or, jusqu'alors, malgré les quinze mois de la guerre du Liban, malgré la crise économique, malgré l'inflation galopante (150 % pour un an), la grande majorité de la population n'avait pas encore eu à souffrir de restrictions à son niveau de vie. D'après le journal israélien Jerusalem Post, excepté environ 20 % de la population, les plus démunis, ceux qui ne pouvaient se débrouiller avec les bons d'État, les comptes en dollars, les emprunts, les quelque 80 % restant auraient réussi à maintenir leurs revenus malgré l'inflation.

Le retrait des forces israéliennes le long de la ligne Awali correspond peut-être simplement à la reconnaissance, par le gouvernement, du fait qu'il avait tenté de mener une politique au-dessus de ses moyens.

Car dans cette guerre, il n'a pas pu mobiliser à fond la population derrière ses objectifs. On a assisté à une fissure dans ce consensus qui jusqu'alors avait joué à fond, dans chaque guerre, entre la population israélienne et ses dirigeants. Peut-être parce que cette guerre est moins apparue comme dictée par la nécessité de se défendre que comme une guerre ouvertement de conquête ; peut-être parce que, pour la première fois, elle a coûté cher en hommes, en blessés, et qu'elle a duré plus d'un an.

Mais maintenant, les Israéliens sont en train de s'apercevoir que cette politique guerrière leur coûte aussi très cher sur le plan économique. Le gouvernement semble s'être replié sur le sud Liban avant d'annoncer les mesures d'austérité pour ne pas avoir à faire face, en même temps qu'au mécontentement suscité par sa politique guerrière au Liban, au mécontentement suscité par la baisse du niveau de vie qu'il vient de décider d'imposer à la population israélienne.

Mais c'est bien pourtant du même problème qu'il s'agit : le gouvernement israélien, pour faire la guerre aux autres peuples, doit d'abord domestiquer son propre peuple, pour lui faire accepter les sacrifices nécessaires, sacrifices en hommes, sacrifices en argent.

Et ce qui guette la population israélienne, c'est que le gouvernement s'appuie sur ce que la société israélienne compte de plus réactionnaire sur le plan politique, de plus obscurantiste sur le plan religieux, pour lui imposer discipline et embrigadement, pour imposer silence à tous ceux qui tenteraient de se rebeller, ou même de dire qu'ils ne sont pas d'accord.

Jusqu'ici la population israélienne a été partie prenante et consentante, dans sa grande majorité, de la politique d'expansion sioniste, parce qu'elle était persuadée qu'elle n'avait pas d'autre solution que de se montrer plus forte que tous les pays arabes hostiles, ou de périr.

Et les États-Unis pouvaient se dire qu'ils disposaient dans la population juive d'Israël d'une armée en puissance de trois millions d'hommes qui se battraient, si elle se sentait acculée, non comme des mercenaires, mais comme une population ayant le sentiment de se battre pour sa survie. Ils pouvaient se dire qu'ils disposaient dans cette région du monde d'une police dont l'utilisation ne soulèverait guère de remous et qui les a jusqu'ici à peu près dispensés d'intervenir eux-mêmes autrement que symboliquement.

Mais rien ne dit que tous les Israéliens seront prêts dans l'avenir à accepter sans broncher tous les sacrifices qu'on va leur demander de faire au nom de la continuation de la politique expansionniste de l'État israélien.

Et si une fraction de la population se met à lutter pour défendre son niveau de vie, ou même son droit à s'exprimer, cela signifiera peut-être le début d'une nouvelle phase de l'histoire d'Israël, une phase où on verra une partie de la population ne plus accepter de se ranger derrière son État, derrière sa bourgeoisie et l'impérialisme.

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