De l'appel "Pour l'union dans les luttes" à l'appel pour un simple accord électoral24/11/19801980Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1980/11/80.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

De l'appel "Pour l'union dans les luttes" à l'appel pour un simple accord électoral

Voilà plus d'un an maintenant, que la LCR se trouve engagée dans une campagne pour l'Unité ouvrière, c'est-à-dire l'unité entre le Parti Communiste et le Parti Socialiste.

Cette campagne, partie à l'origine d'un appel « pour l'union dans les luttes », s'adressait aux militants du PCF et du PS, de l'extrême-gauche, aux syndicalistes de la CGT, de la CFDT, de FO, de la FEN pour, en substance, réclamer la reconstruction de l'Union de la Gauche au nom de l'unité. Elle aurait recueilli, à ce jour, plus de 140 000 signatures dans le milieu considéré.

Cette campagne intitulée « pour l'union dans les luttes » et qui a fait le fond de la politique de la LCR prend, au fur et à mesure qu'on se rapproche de l'échéance de l'élection présidentielle, la forme d'un appel pour le désistement automatique au second tour. C'est ainsi que le 26 octobre l'assemblée générale des collectifs constitués à partir de l'appel « pour l'union dans les luttes », a conclu que : « pour battre Giscard, il faut le dire très clairement aujourd'hui le désistement est nécessaire au second tour entre les candidats représentatifs de la gauche, au profit de celui que le suffrage universel aura placé en tête. Aucune tactique d'état-major ne peut prévaloir contre cette nécessité. D'ailleurs seule cette perspective de victoire mobilisera vraiment les travailleurs. » ( Rouge n° 942 du 31 octobre 1980).

La LCR a annoncé l'été dernier son intention de présenter un candidat aux prochaines élections présidentielles, mais il semble que d'ores et déjà le thème du « désistement automatique » doive se trouver au centre de l'intervention d'Alain Krivine. C'était en tout cas, déjà le thème de la « lettre ouverte aux militants du Parti Communiste Français » diffusée après que Marchais ait parlé du « caractère périmé » du désistement automatique, et qui disait entre autre « pour battre Giscard l'unité de tous les travailleurs est indispensable et cette unité ne peut exclure les travailleurs qui font confiance au PS. Ce qu'il faut c'est l'unité dont le premier pas est un engagement immédiat de désistement sans condition » . C'était aussi le titre central du tract appelant au meeting de la LCR le 30 octobre à la Mutualité « assez de division, assez de chantage au désistement. Unité ouvrière contre Giscard. PC, PS, désistement sans condition » .

 

Unité et division... sans les luttes

 

Ainsi, pour la LCR, l'unité PC-PS est la clé de la situation politique car elle doit permettre de « battre Giscard ». Et cette unité est présentée concrètement sous la forme d'un accord électoral : le désistement sans condition. C'est l'unité ainsi préservée sous la forme d'un accord électoral qui devrait permettre le développement des luttes et de la mobilisation ouvrière.

Tout cela revient à poser le problème exactement à l'envers et à prendre les conséquences pour des causes. Et d'abord l'unité PS-PC n'est pas la clé de la situation politique actuelle. Ni sur le plan des luttes, ni sur le plan électoral. Certes, la plupart des travailleurs - sauf peut-être ceux qui sont directement influencés par le PCF qui essaie vigoureusement de reprendre en main son électorat depuis 1977 - déplorent la division actuelle, et les querelles, les polémiques, les attaques incessantes entre les deux partis leur déplaisent. Et il est vrai que la division actuelle peut avoir un effet démobilisateur, elle peut en tout cas servir de prétexte pour ne rien faire et justifier un attentisme qui se nourrit de la crainte inspirée par la crise et la précarité de la situation des travailleurs. Mais l'aspiration à l'unité n'a pas de vertu mobilisatrice en soi. On l'a bien vu entre 1974 et 1977 : la gauche unie autour d'un programme commun de gouvernement n'a pas été un facteur de mobilisation des travailleurs. Il n'y a eu ni lutte d'envergure ni contre-offensive ouvrière ; Giscard n'a pas été chassé par la grève générale. Les travailleurs ont tout simplement accroché leurs espoirs à la réalisation de la victoire électorale de la gauche comme les y invitaient PC et PS unis. Ils espéraient bien que la victoire de la gauche leur ferait faire l'économie de la lutte. C'est là le fondement de leurs illusions électoralistes car la gauche unie n'aurait rien réalisé de ses promesses. Lutte Ouvrière avait à l'époque vigoureusement dénoncé ces illusions, et tenté de préparer les travailleurs à la trahison qui les attendait.

Aujourd'hui, les travailleurs ont bien été forcés de s'accommoder de la division des partis de gauche. Ils ne croient guère à une victoire électorale d'un candidat de gauche. Et le PC leur dit qu'il faudra lutter avant et après l'élection, il faudra même, dit en substance Marchais, lutter pour imposer mon programme « si je suis élu ». Est-ce que ce langage sera dans ses effets plus mobilisateur que les déclarations lénifiantes du PCF avant la rupture de l'été 1977 sur la gauche au pouvoir ? Évidemment, rien ne permet de l'affirmer, mais par contre rien ne permet non plus d'affirmer le contraire.

Au fond, là n'est pas le problème. Car les révolutionnaires savent bien que, langage mobilisateur ou pas, le PCF n'entend pas mener l'offensive ouvrière nécessaire et qu'il souhaite simplement en montrant sa force et son influence, défendre ses intérêts de boutique dans une perspective qui reste fondamentalement électoraliste.

Mais si demain par miracle - par miracle car rien dans le cours actuel du PCF ne montre qu'il puisse en aucune manière être sensible à un quelconque courant unitaire venant de la base - un accord était réalisé entre le PC et le PS, qu'est-ce qui peut permettre aux camarades de la LCR d'affirmer que ce ne serait pas comme en 1974, une simple entente au sommet sans effet mobilisateur, sans que cela crée où que ce soit cette fameuse dynamique unitaire des luttes qu'ils appellent de leurs voex religieusement ?

Et cela d'autant plus qu'à l'heure actuelle, à cause de l'échéance des Présidentielles, la revendication même d'une unité PC-PS prend la forme d'un accord électoral, quelles que soient les références aux luttes qui l'habillent. Dans tous les cas, il ne s'agit de « battre Giscard » que par une victoire électorale de la gauche, c'est-à-dire d'accepter le verdict des élections.

 

La gauche unie peut-elle remporter les élections ?

 

Ceci appelle plusieurs remarques. Et d'abord une remarque mineure mais qui s'appuie sur ce curieux axiome : la gauche unie peut battre Giscard. Est-ce que la gauche unie peut être majoritaire dans l'électorat ? On peut bien sûr le dire et le répéter, mais cela reste à prouver. En 1974, la gauche était unie, elle avait un candidat unique, la droite, elle, était divisée entre gaullistes et giscardiens, c'est la droite qui l'a emporté. De peu ? Oui, mais ces 400 000 voix font toute la différence. En 1978, malgré les sondages et les pronostics, la gauche a encore été battue. On peut penser que ces électeurs centristes auraient pris confiance dans la gauche si elle avait été plus responsable, si elle avait été unie. Mais on peut penser aussi qu'ils n'auraient pas voté pour la gauche de toute façon, parce qu'en période de crise, ils préféraient la stabilité politique d'une majorité, même si elle ne les satisfaisait pas entièrement, à ce que la droite leur a présenté comme l'aventure de la gauche au pouvoir.

On peut bien sûr se poser la question et choisir d'y répondre en fonction de ces analyses générales mais personne ne peut amener de preuves ni dans un sens ni dans l'autre. Une victoire de la gauche aux élections ce ne peut être que rare. Rare parce que les élections, dans une démocratie parlementaire, sont un jeu dans lequel les partis n'ont pas de chances égales. La puissance que donnent l'argent, les relations, l'appui de l'administration, des préfectures, des notables, l'exercice même du pouvoir, le contrôle de la presse écrite et télévisée, le fait qu'une partie très importante du prolétariat industriel ne vote pas, les travailleurs émigrés, tout cela fausse à la base le fameux suffrage universel qui est fait pour donner l'illusion de la démocratie et de l'égalité des chances. Il peut se trouver des circonstances, et il y en a eu dans l'histoire, où le suffrage universel envoie quand même à l'Assemblée une majorité de gauche, mais c'est très rare et cela ne s'est jamais traduit par des victoires durables pour la classe ouvrière. Sans vouloir évoquer les exemples de 1936 en Espagne ou plus récemment du Chili, il faut quand même rappeler que c'est la chambre de Front Populaire élue en 1936, qui a confié les pleins pouvoirs à Philippe Pétain. Et il ne faut pas oublier que si elle avait auparavant voté des lois sociales, sous la pression des grèves, elle avait su revenir sur la plupart de ces conquêtes une par une.

Alors, est-ce qu'en 1981 la situation est telle que l'on puisse se trouver dans ce cas rarissime où, sur le plan électoral, la gauche peut l'emporter ? Si elle était unie bien entendu, voilà qui est pour le moins contestable.

Oui, disent les camarades de la LCR, car « le gouvernement est faible... il est éclaboussé de scandales et compromis jusque dans sa police par sa bienveillance à l'égard des groupes fascistes » (tract LCR d'appel au meeting du 30/10/80).

Nous ne savons pas si le gouvernement est aussi faible que cela, mais si c'est le cas, alors raison de plus pour ne pas poser les problèmes en seuls termes électoraux.

Car lorsque la LCR parle de « battre » ou de « chasser » Giscard, en mettant en avant le désistement automatique, elle pose les problèmes uniquement en termes électoraux. Selon son raisonnement, la seule chose qui permettrait de débloquer la situation politique actuelle c'est la victoire électorale de la gauche. Seule cette victoire dans l'unité rendrait le changement possible. Comment ? Alors là, on ne sait pas. Remplacer dans le fauteuil de l'Élysée Giscard par Mitterrand, cela permettrait quoi ?

 

La victoire de Mitterrand, pour quelle politique ?

 

La LCR : « le but de la direction du PS n'est pas d'aider les travailleurs à arracher leurs revendications mais de ramasser des voix pour installer son candidat dans le fauteuil de Giscard, quitte à continuer sa politique... aucune confiance ne peut être accordée aux États-majors du PS et du PC. Ils ont fabriqué l'Union de la Gauche sans jamais donner voix au chapitre à ceux qui auraient eu le plus à dire sur son Programme Commun et sur la nécessité de forger une véritable union à la base. Puis ils ont jeté cette mascarade d'unité au panier pour offrir à Giscard et à Barre une courte victoire dont ils n'osaient même pas rêver. Aujourd'hui, c'est dans leur politique de division que le gouvernement trouve son plus sûr réconfort. Dans les semaines qui viennent, il est décisif que s'affirme un puissant courant unitaire pour chasser Giscard. S'il montre sa force, Marchais, Mitterrand ou Rocard seront obligés de compter avec lui avant les élections et au second tour... » .

Tout cela pour conclure « le désistement, c'est une question qui concerne tous les travailleurs. Ensemble, exigeons du PS et du PC qu'ils s'engagent dès aujourd'hui à se désister sans condition pour celui de leur candidat arrivé en tête au premier tour de l'élection présidentielle ; qu'ils s'engagent à former ensemble un gouvernement du PS et du PCF en cas de victoire de leurs partis en 1981 » . Ainsi donc le PS ne vise qu'à occuper le fauteuil de Giscard pour mener la même politique, ainsi donc on ne saurait faire aucune confiance aux États-majors du PS et du PCF, mais il faut dire aux travailleurs qu'il faut tout faire pour que Mitterrand occupe le fauteuil de Giscard et pour que les fameux États-majors gouvernent ensemble ! Belle logique ! Et on est parti de l'union dans les luttes pour en arriver là. Bien sûr, ailleurs, la LCR explique qu' « une défaite de Giscard créerait les conditions les meilleures pour que les travailleurs imposent satisfaction de leurs revendications ».

Dans leur « lettre ouverte aux militants et sympathisants de LO » diffusée lors de notre meeting du 21 novembre, la LCR précise : « que vous le vouliez ou non, pour les travailleurs, pour la mobilisation de la classe ouvrière, critère qui nous importe les uns comme les autres, que Giscard soit battu ou repasse, n'a pas la même signification ! Pensez-vous dire réellement dire aux travailleurs : battre Giscard ne change rien ? Non ! Vous préférez fuir la réponse à cette question sur le thème des politiciens que sont les candidats socialiste et communiste ».

Nous ne disons pas que cela ne changera rien si demain Mitterrand l'emporte contre Giscard. Cela traduira une certaine poussée à gauche de l'électorat mais justement, si cette poussée ne reste qu'électorale, si les travailleurs doivent tout attendre de Mitterrand à l'Élysée, alors oui, cela n'aura rien changé ; oui, les conditions de lutte pour les travailleurs ne seront pas meilleures. Car ce sera un homme en qui ils ont - à tort - confiance qui leur expliquera qu'il faut être patients, ne rien compromettre, qu'on ne peut pas tout avoir tout de suite, qu'il faut être raisonnables, ne rien faire qui puisse exciter la droite, qu'il faut accepter des sacrifices aujourd'hui pour vivre mieux demain, etc. Les socialistes au gouvernement, on les a déjà vus. D'ailleurs, la Ligue le sait fort bien, qui écrit sous la plume de son éditorialiste Michel Thomas, « elles (les deux lignes Mitterrand et Rocard) ont en commun de viser à une cogestion de la crise par les organisations ouvrières, à une austérité de gauche. C'est pourquoi nous combattons ces deux orientations et leurs prolongements dans le mouvement syndicales... Il faut dire et répéter que les travailleurs n'ont pas plus àattendre de l'un que de l'autre -Mitterrand-Rocard. » ( Rouge n° 941 du 24/10/80).

 

La prétendue vertu mobilisatrice de la victoire électorale

 

Alors comment les travailleurs pourraient-ils se trouver en meilleure situation pour leurs luttes si Mitterrand était à l'Élysée ? On ne nous l'a pas encore expliqué. Parce qu'ils seraient contents ? Qu'ils auraient le moral ? Parce que, comme en 1936, ils croiraient tout possible ? Parce qu'entre la victoire électorale et le développement des luttes il y a un rapport automatique ? Non, il n'y a rien d'automatique dans l'évolution des sociétés et en politique. Et en tout cas, on ne fait pas la révolution, même par l'intermédiaire de mots d'ordre transitoires, en spéculant sur les illusions des masses, ou sur leur ignorance. Des révolutionnaires doivent dire la vérité. Serait-ce peut-être que la LCR pense qu'il faudrait que les travailleurs fassent l'expérience du PCF et du PS au gouvernement, qu'ils perdraient dans cette expérience leurs illusions et seraient à même alors de prendre confiance en eux-mêmes, et de prendre directement leur sort en main, entraînant les meilleurs éléments du PC et du PS dans leur montée révolutionnaire ? Le processus révolutionnaire prendra peut-être cette voie. Mais précisément, s'il prend cette voie, il faut dire dès maintenant que le PS et le PC ne veulent pas de cette politique, qu'ils veulent tout au contraire gérer la crise, rester dans le système, qu'ils ont au moins aussi peur des masses et de leurs mouvements que la bourgeoisie, et qu'ils se dresseront contre les travailleurs avant d'être balayés par eux. Certes, la LCR le dit - faiblement. Elle formule des réserves et des raisons de défiance. Mais ce qui ressort de sa campagne, ce qui apparaît publiquement dans ses tracts, dans ses affiches, dans ses titres, dans ses axes d'intervention, c'est : il faut l'unité PC-PS pour battre Giscard, désistement automatique au second tour. Les réserves sont gommées, elles disparaissent, les méfiances ne sont plus apparentes, reste une seule ligne politique, celle qui demande aux travailleurs de lier leur sort à l'unité entre des partis réformistes, et de surcroît à une unité électorale.

C'est pourquoi nous disons que la LCR tout en se disant révolutionnaire, et nous ne lui ferons pas l'injure de croire qu'elle ne le pense pas vraiment, mène une politique réformiste et électoraliste.

 

Réclamer le désistement automatique, c'est choisir le camp PS contre le PC

 

Qui plus est dans la situation actuelle, cette politique électoraliste n'est pas neutre. En réclamant l'unité à cors et à cris, en réclamant le désistement automatique, la LCR ne dit pas autre chose que Mitterrand. Mitterrand n'est fondamentalement pas plus unitaire que Marchais aujourd'hui. Il a fait l'unité en 1972 pour des raisons tactiques, pour se servir des voix du PCF, afin de parvenir lui, au gouvernement ou à l'Élysée. Et cela sans avoir l'intention de tenir ses engagements vis-à-vis du PCF. L'opération a été payante, les résultats l'ont prouvé, la réalisation de l'unité électorale entre le PC et le PS favorise le PS. Il est donc aujourd'hui unitaire, parfaitement unitaire, unitaire pour deux. Et il pense ainsi trouver l'oreille des électeurs populaires déçus par la querelle déclenchée par le PCF. A l'inverse, le PCF qui avait lui aussi réalisé l'unité pour des raisons tactiques, s'est aperçu que cette unité se retournait électoralement contre lui et ne l'assurait pas d'une participation gouvernementale. Alors, il n'en veut plus, ou du moins il en veut une meilleure (meilleure pour lui, bien sûr, les intérêts des travailleurs n'ont rien à voir là-dedans). Mais aujourd'hui, il n'est plus unitaire. Aussi, en réclamant l'unité, la LCR choisit dans la gauche de soutenir électoralement le PS même si celle-ci ne le dit pas aussi clairement.

Il est vrai que de leur côté, les camarades de la LCR nous reprochent de ne pas assez critiquer le PC. Dans la « lettre ouverte aux militants et sympathisants de LO » déjà citée plus haut, la LCR écrit : « Certes nous n'allons pas nous faire les défenseurs de la social-démocratie et de ses trahisons multiples de parti réformiste défendant en dernière instance le pouvoir de la bourgeoisie. Mais votre critique du PC se résume à lui reprocher de changer d'avis tout le temps ! Il se décide enfin à voir Mitterrand sous son vrai jour ! Le problème c'est qu'on ne peut faire confiance à un parti qui ne cesse de dire blanc puis noir ! Seriez-vous naïfs, camarades ? Ou alors verriez-vous une différence fondamentale entre le PS au gouvernement et les tristes expériences du PC en la matière ? Sans doute non... alors ne faites pas comme si la seule erreur du PC était de changer d'avis ! Pour nous il ne s'agit pas de cela » . Non, il n'y a pas et il n'y aura pas de différence fondamentale entre la politique que mènerait Mitterrand et celle que mènerait Marchais au gouvernement avec des styles peut-être un peu différents ils mèneraient la même politique d'austérité qu'exigerait la bourgeoisie.

Mais nous faisons une différence entre le PCF et le PS. Le PS, tout nouveau qu'il soit, est l'héritier de la vieille SFIO qui a des années de participation gouvernementale derrière elle, des références dans la trahison des travailleurs et la répression des luttes. Le PCF a été admis à participer au gouvernement pour y mener la politique de la bourgeoisie uniquement dans une seule période, en 1945-1947. Il a montré ses dons de gestionnaire et de rebâtisseur de l'économie bourgeoise, mais il a été chassé du gouvernement. Chassé parce qu'il avait fini par choisir de généraliser la grève à Renault, chassé parce que la guerre froide était en train de succéder à la période de détente précédente, chassé parce qu'on n'avait plus besoin de lui, le plus gros du travail de reconstruction de l'État et de l'économie étant fait.

Certes, cela ne suffit pas pour dire que le PCF est un meilleur défenseur des intérêts ouvriers que le PS. Mais cela signifie que la bourgeoisie, elle, ne considère pas le PCF comme faisant partie de son personnel politique traditionnel. Elle peut avoir recours à lui, mais exceptionnellement, et quand cela lui paraît vraiment indispensable. Et si par miracle les urnes amenaient, contre son gré et en force, le PCF à la Chambre - et par le biais d'un Programme Commun, au gouvernement - elle aurait encore tout loisir d'accepter ou de refuser soit en manoevrant pour créer une majorité de rechange droite-PS, qui comme de 1947 à 1968 mettait le PCF quasiment hors course du point de vue parlementaire, soit par une dissolution des chambres, soit par toute forme d'intervention autoritaire voire putschiste.

 

Quand la bourgeoisie attaque la classe ouvrière : ne pas contribuer à l'isolement du PC

 

Aujourd'hui que l'aggravation de la crise pose à la bourgeoisie le problème de mater la classe ouvrière, de lui faire accepter plus de docilité, plus de discipline, plus de sacrifices, elle ne peut accepter de faire aucune concession aux organisations ouvrières et en particulier au PC, et cela bien sûr tant qu'il est dans l'opposition, et, a fortiori s'il était porté au gouvernement. Dans le contexte actuel, la politique de la bourgeoisie vise à isoler le PCF et la CGT qui lui facilitent bien les choses avec leur sectarisme affiché. Les coups seront peut-être dirigés contre le PCF, mais ils viseront au-delà tous les travailleurs. C'est vrai que dans ce contexte la division entre le PCF et le PS facilitera les choses à la bourgeoisie, c'est vrai que cette division a été au départ voulue par le PCF, c'est vrai aussi que si le PS réintègre le giron majoritaire de la bourgeoisie, la division actuelle conduira à un isolement du PCF et à une aggravation des conditions d'existence et de travail de la classe ouvrière. Et c'est vrai qu'il s'agit

là d'une perspective peu réjouissante pour les révolutionnaires, car la classe ouvrière serait perdante à tous les coups.

Mais à l'heure actuelle, réclamer l'unité électorale, c'est faire le jeu du PS.

Alors, dans la situation actuelle, si nous n'attaquons pas de la même façon le PS et le PC, ce n'est pas à cause de leur différence de politique dans l'immédiat ou dans l'hypothèse bien improbable de leur venue au pouvoir, c'est parce que, face aux menaces de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, nous ne voulons, en aucun cas, nous trouver face aux attaques contre le PCF, dans le camp de la social-démocratie, en compagnie de tous les anticommunistes, de tous ceux qui souhaitent une classe ouvrière raisonnable.

Et ces attaques contre le niveau de vie de la classe ouvrière, la précarité de la situation sociale, la menace d'une aggravation de la crise, sont autant de problèmes beaucoup plus importants que celui de la réalisation d'une unité électorale de circonstance entre le PCF et le PS. La dégradation de la situation économique et politique peut placer très vite les travailleurs et les révolutionnaires devant des échéances et des responsabilités infiniment plus dramatiques qu'une péripétie électorale, exigeant infiniment plus d'audace que de développer une stratégie pour « contraindre » les partis réformistes à s'unir afin de changer le président... d'un système qu'il faut abattre.

 

Nota :

Nous avons ici discuté de la politique actuelle de la LCR engagée dans sa campagne unitaire pour le désistement, car nos deux organisations ont des relations qui incitent à ce type de débat.

Mais notre caractérisation de la politique « unitaire » appréciée ici comme électoraliste et réformiste, peut bien entendu s'appliquer tout aussi bien à la politique de l'OCI. Cette dernière ayant elle, poussé les choses jusqu'à la caricature. Qu'on en juge.

Après la manifestation du 7 octobre consécutive à l'attentat de la rue Copernic et qui avait vu Mitterrand et Marchais défiler séparément dans la même manifestation, elle a sommé par tract et télégramme Mitterrand et Marchais de se rencontrer : « Marchais, Mitterrand, vous avez défilé à quelques rangs de distance, dans cette même manifestation, avec les directions de toutes les organisations ouvrières et démocratiques. Marchais, Mitterrand, vous ne pouvez pas ne pas avoir mesuré ce que signifiaient cet immense cortège, sa force, sa détermination. Il faut en finir maintenant ! Il faut l'unité ! Il faudra bien vous accorder ! Marchais, Mitterrand, rencontrez-vous immédiatement ! Accordez-vous maintenant sur une candidature unique avant le premier tour des élections présidentielles ! ».

Il s'agissait rappelons-le, de la manifestation plus qu'ambigüe qui avait rassemblé, outre Mitterrand et Marchais, Chirac et bon nombre de parlementaires de la majorité. Sans doute fallait-il avoir l'enthousiasme unitaire et le culot de l'OCI pour y avoir vu une manifestation... pour l'unité du PC et du PS.

Mais il faut dire que l'OCI, après sêtre engagée elle aussi, dans une campagne pour l'unité d'action - concurrente il est vrai de celle de la Ligue - a plus récemment lancé une pétition « exigeant » l'unité entre le PCF et le PS « pour une candidature unique dès le premier tour » et un peu partout des affiches OCI rappellent en grosses lettres cette exigence. Elle dit avoir créé dans ce but des comités d'unité, de quartier, d'école, d'entreprise, et avoir recueilli, elle aussi, plus de 100 000 signatures.

On le voit, cela tient plus de l'incantation que du raisonnement. Mais si l'on essaie de trouver une logique à ce propos, on peut en déduire que sans l'unité PCF-PS rien n'est possible, ni la grève générale, ni la pression sur le Parlement. Voilà donc la mobilisation ouvrière conditionnée par la réalisation de deux facteurs bien improbables, l'unité PCF-PS et la victoire électorale de la gauche. Cela revient, malgré les phrases révolutionnaires, à repousser aux calendes la lutte nécessaire contre le régime et le système.

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