Au lendemain des élections municipales01/03/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/03/101.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Au lendemain des élections municipales

Au moment où nous bouclons ce numéro de Lutte de Classe, nous ne connaissons toujours pas les changements qui devraient se produire au gouvernement, ni même ne savons de façon sûre s'il y aura vraiment changement. Toute la presse avait cru pouvoir annoncer le remaniement pour mercredi dernier, le conseil des ministres est passé sans que rien ne vienne. Une vague déclaration de Delors et l'annonce de la démission de Michel Jobert ont fait croire que ce serait pour dimanche soir, une nouvelle fois rien n'est venu. Mercredi soir, Mitterrand doit, paraît-il, s'adresser au pays à la télévision. Sans doute saurons-nous alors si Pierre Mauroy reste Premier ministre ou s'il est remplacé par Jacques Delors, Pierre Bérégovoy, Louis Mermaz ou Jean Riboud, et si le Parti Communiste conserve des ministres et combien.

Ce suspense est un symbole et une démonstration voulue. C'est Mitterrand, et Mitterrand seul, qui décide. Le maintien ou le renvoi du Premier ministre ne dépendent que de lui, il peut changer le gouvernement quand et comme bon lui semble.

Le pays vient de connaître une consultation électorale. Le verdict qui est sorti des urnes est peut-être confus. La preuve en est que si tout le monde s'accorde à y voir un avertissement pour le gouvernement, chacun l'interprète à sa manière. Pour la droite, et même une partie des socialistes, les électeurs auraient protesté contre une politique trop à gauche et le Parti Communiste aurait encore perdu des électeurs. L'analyse des résultats que l'on trouvera dans les pages qui suivent, montre que ces élections sont sans doute très loin de démontrer cela et que s'il y a un avertissement net, c'est celui d'une fraction des travailleurs et des électeurs de gauche déçus par les vingt-deux mois écoulés. Mais de toute manière qu'importe la volonté exprimée dans les urnes puisque ce n'est pas elle qui dictera les décisions de Mitterrand !

C'est cela ce système présidentiel. Le président n'est en rien forcé de tenir compte d'une majorité électorale. II n'est même pas forcé de tenir compte de la majorité parlementaire. En théorie, celle-ci pourrait gêner ou contrôler son action si elle le voulait. En fait, comme il est maître du jeu et que cette majorité a été élue grâce à lui et non le contraire, elle n'a guère le choix que de jouer les godillots du président. C'est ce que la majorité socialo-communiste fait d'ailleurs depuis près de deux ans.

Les partis de gauche ont tenté de mobiliser leurs électeurs sur le thème qu'il était nécessaire d'empêcher le retour de la droite. Et les électeurs, après avoir été réticents au premier tour, ont même répondu plus ou moins à cet appel au second. En fait, ni la politique du gouvernement, ni même la composition de celui-ci ne dépendront des bulletins exprimés les dimanches 6 et 13 mars, pas même de voir ou de ne pas voir certains politiciens de droite à des postes de ministres.

Ces élections municipales ont confirmé une situation électorale que nous connaissons depuis de longues années dans ce pays. La décision électorale est faite par quelques centaines de milliers d'électeurs centristes - 2 ou 3 % du corps électoral au plus - qui balancent de droite à gauche et de gauche à droite. Cette fois une bonne partie d'entre eux qui avaient voté pour la gauche en 1981 ont penché du côté de la droite. Comme à cela s'est ajouté l'abstention au premier tour d'une petite partie des électeurs de gauche, Parti Socialiste et Parti Communiste ont perdu un certain nombre de mairies.

Le Parti Socialiste est donc encore un peu plus faible - s'il se peut - en face de Mitterrand. Après son triomphe de juin 1981, alors qu'il avait raflé la majorité absolue au Parlement, il ne s'est jamais senti capable d'autre chose que d'avaliser les choix et la politique de Mitterrand et de son gouvernement. Ce n'est évidemment pas après avoir enregistré un reflux électoral, au moment où ils craignent par-dessus tout de provoquer des élections législatives anticipées, que les députés socialistes vont regimber.

Et c'est aussi vrai pour le Parti Communiste. II n'est pas du tout évident, comme le prétend la droite et une bonne partie de la presse, qu'il y a eu un nouvel affaiblissement électoral du PCF par rapport au PS. Cependant, le Parti Communiste mène depuis une semaine, depuis le deuxième tour des élections municipales, une véritable campagne pour le maintien des ministres communistes. Mais il s'agit d'une plaidoirie, pas d'une exigence, encore moins d'une menace. Le PCF lui aussi sait bien que Mitterrand seul est juge en la matière. Probablement d'ailleurs, même s'il y a remaniement gouvernemental, quelques ministres communistes seront conservés. On ne voit pas pourquoi Mitterrand aurait intérêt aujourd'hui à se débarrasser du PCF, même si l'hypothèse de l'affaiblissement électoral du PCF était la bonne. Ce n'est pas à cause de son poids électoral que le PCF peut être utile à Mitterrand mais à cause de son rôle auprès de la classe ouvrière, sa capacité à contrôler ses colères et à empêcher le débordement de ses luttes. N'est-ce pas d'ailleurs au moment où le PCF a connu un retentissant échec électoral, en 1981, que Mitterrand l'a justement pris dans le gouvernement ? Cette campagne du PCF a donc toutes les chances de n'être qu'une justification par avance auprès de ses militants et de ses partisans. Le maintien de sa participation au gouvernement pourra être présentée comme un succès arraché par le parti, en comptant surtout que ce soi-disant succès justifiera un complet alignement sur les volontés et la politique de Mitterrand.

Le vrai résultat de ces élections municipales ce n'est donc pas la conquête de quelques mairies par les politiciens de droite aux dépens de ceux de gauche, c'est la confirmation, sinon le renforcement, du rôle souverain de Mitterrand au-dessus de la gauche comme de la droite.

Mitterrand choisira souverainement son gouvernement, ses ministres, le premier comme les autres. S'il hésite encore c'est pour trouver les meilleurs acteurs d'un rôle déjà défini. Car si l'on ne connaît pas le futur gouvernement, on en connaît la politique. Elle était en fait définie avant les élections.

Le Monde du samedi 19 mars écrivait : « II faut citer le mot terrible d'un expert en conjoncture, unanimement respecté, dans un colloque récent : comme il est absolument insuffisant de faire payer les riches, car ils prélèveront sur leur capital pour maintenir leur niveau de vie, « il faut aussi faire payer les pauvres ». Le Nouvel Observateur du 18 mars, lui, citait « un des plus hauts personnages de l'État PS » : « Il faut faire la purge, maintenant, en prélevant un point sur le pouvoir d'achat des ménages. Dans n'importe quel pays ça passerait comme une lettre à la poste. Ici, l'affaire a toutes les chances de tourner au drame : la droite, voire le PCF, vont parler de paupérisation. Comment trouver les 30 ou 40 milliards qui nous font défaut ? En relevant les tarifs publics et les cotisations sociales ; en confisquant la baisse du pétrole ; en stimulant l'épargne par tous les moyens. »

Avant, pendant, après les élections, tout le monde de mauroy ou delors jusqu'aux journaux qui peuvent passer pour les porte-parole officieux du pouvoir, l'ont dit et répété : on ne peut que s'attendre à une politique de rigueur et d'austérité... pour la population, pour les pauvres, pour les travailleurs bien entendu.

Car Mitterrand est souverain face aux politiciens et aux partis pour choisir les ministres. II ne l'est plus vraiment en ce qui concerne sa politique fondamentale.

II y a bien deux choix pour faire face aux difficultés économiques du pays, celles de la monnaie dont la troisième dévaluation en deux ans a souligné les problèmes, celles du commerce extérieur : celui de faire payer les riches ou celui de faire supporter les sacrifices aux pauvres. Celui de Mitterrand est fait d'avance. Et il n'a certainement ni les moyens, ni la volonté d'en changer. Maître du jeu vis-à-vis des politiciens, il reste le serviteur de la bourgeoisie. Quand on en vient aux choses sérieuses, l'arbitre suprême n'est au fond que le chef des valets.

Alors, quelles que soient les décisions finales du président, quels que soient ceux qui seront choisis par lui pour administrer le pays, une chose est sûre : la classe ouvrière si elle ne veut pas être la victime, si elle ne veut pas continuer à être sacrifiée, doit se préparer à la lutte, contre les capitalistes, bien sûr, mais du même coup contre le gouvernement qui les protège et les sert.

Au regard de cela, les élections municipales n'ont été qu'une péripétie sans aucune importance... et déjà oubliée.

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