Attentats antisémites : d'où vient la menace fasciste ?27/10/19801980Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1980/10/79.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Attentats antisémites : d'où vient la menace fasciste ?

L'extrême-droite organisée est numériquement faible en France et son audience politique est limitée.

Mais ce ne sont pas ces quelques centaines ou ces quelques milliers de nostalgiques de Hitler, aujourd'hui en marge de la société, qui constituent en eux-mêmes le véritable danger pour l'avenir.

Le véritable danger, il est au sein même de la société. Car c'est cette société elle-même, parce qu'elle est capitaliste, parce qu'elle est périodiquement en crise, parce qu'il y a en son sein une classe exploiteuse décidée à tout pour garder ses privilèges, qui sécrète le fascisme.

Le véritable danger, c'est que demain, si le capitalisme, en crise grave, pousse vers le désespoir et la colère de larges couches de la population, ce désespoir et cette colère se cristallisent autour de ces petits groupes fascistes, et les portent au pouvoir.

Le véritable danger, ce ne sont pas les quelques poseurs de bombes isolés ; c'est que demain, ils peuvent ne plus l'être ; et que beaucoup de ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, occupent l'antenne de la télévision ou même qui se bousculent au premier rang des manifestations antifascistes, basculent demain dans le camp des fascistes si la bourgeoisie décide d'y avoir recours.

Et l'exemple de la montée du nazisme en Allemagne, auquel tout le monde a pensé en apprenant l'attentat antisémite du vendredi 3 octobre, est là pour nous montrer que l'on aurait tort de minimiser le danger à cause de la petitesse et l'isolement des groupes fascistes et racistes aujourd'hui.

Le parti nazi à ses débuts

C'est de rien, moins que rien, qu'est né le parti nazi allemand. Ses initiateurs, dans les années qui précédèrent la première guerre mondiale, puis pendant la guerre et au lendemain de celle-ci, étaient des déclassés - aristocrates déchus ou petits-bourgeois ratés, maquereaux ou autres. Ils traînaient leurs bottes et leurs fantasmes dans les clubs et confréries racistes de l'époque, trinquant, entre deux beuveries, à la mort des Juifs et à la grandeur de l'Allemagne. Bien peu pensaient alors que ces hommes-là allaient, quinze ans plus tard, diriger l'Allemagne.

Car il faut dire que le niveau de réflexion des maîtres à penser d'Hitler était plus qu'élémentaire. C'est ainsi qu'un certain Jorg Lanz Von Ligenfilds, qui l'a beaucoup influencé, paraît-il, affirmait, dans la revue raciste qu'il animait, poursuivre le dessein de « fonder et organiser un ordre masculin de héros aryens appelés à former l'avant-garde de la race des seigneurs blonds dans la lutte sanglante avec les races métisses et inférieures ». Races inférieures dont la race juive était le plus remarquable exemple, précisait-il.

Dans les brasseries viennoises ou munichoises, la haine raciste volait bas. Et ce ne fut pas Hitler qui éleva le niveau, lui qui, dans Mein Kampf, évoquant les étapes de sa prise de conscience politique, disait avoir tiré une partie de ses convictions de ses obsessions et de sa « vision cauchemardesque de centaines de milliers de jeunes filles séduites par de répugnants bâtards juifs aux jambes torses ».

Et c'est pourtant ce monceau de stupidités haineuses, d'injures, de flatteries pour les instincts les plus bas qui sont devenus, dix ans plus tard pour le parti nazi un véritable levier qui lui a permis de s'emparer du pouvoir et, peu de temps après, ce fatras abject était bel et bien l'idéologie d'État de l'Allemagne nazie.

Alors, les fascistes d'aujourd'hui auraient-ils moins de chances parce que la bourgeoisie actuellement ne tablerait pas sur eux ?

Certainement pas. Les relations entre les bourgeois allemands, leur personnel politique habituel, et les organisations puis le parti fascistes, sont une longue histoire dont le fil conducteur n'est pas l'évolution des idées et des hommes, mais les soubresauts de la lutte de classe.

Utilisé comme groupe de choc anti-ouvrier

Méprisés à leurs débuts, les groupes d'extrême-droite allemands ont été encouragés et aidés une première fois par les bourgeois allemands au moment de la vague révolutionnaire des années 1919 à 1923. Quand les bourgeois d'alors craignaient de voir la classe ouvrière allemande prendre le pouvoir, les groupes d'extrême-droite ont proliféré. Des groupes para-militaires, formés d'officiers et de militaires déçus, se sont constitués. Le jeune parti nazi, dont Hitler apparaissait la personnalité dominante, s'est renforcé, tandis que d'autres groupes semblables faisaient eux aussi recette. Tous ces groupes ont reçu des fonds, des subsides des capitalistes. Ils ont eu le feu vert et l'appui des gouvernants allemands pour s'en prendre aux militants communistes, aux manifestations ouvrières.

C'est dans la lutte contre les ouvriers de Bavière, de Munich, de Berlin, de toutes les villes allemandes que Hitler et ses émules du parti nazi naissant, ont reçu dans ces années-là leur premier brevet de sauvetage de l'ordre en place.

Puis quand la situation s'est stabilisée, les nazis sont à nouveau retombés dans l'oubli. Un oubli relatif car il y avait tout de même quelques capitalistes et des petits-bourgeois pour les financer dans l'ombre. Mais ils se sont fait remettre plusieurs fois à leur place. Il y a eu des coups de main ratés. Il y a eu des fascistes arrêtés, comme on en voit aujourd'hui. Il y a eu Hitler en prison, cela lui a fait une belle auréole. Il y a eu toute une période où l'on pouvait croire le parti nazi enterré. Et, en 1928, il était encore un parti sans grandes troupes, qui remportait 2,6 % des voix aux élections. Il pleurait même misère, paraît-il, pour que Hitler puisse, mettre de l'essence dans sa voiture pour faire, le tour des patrons de la Rhur qui faisaient la sourde oreille à ses demandes de fonds.

Pourtant, cinq ans plus tard, ce parti-là était au pouvoir ; il détruisait les organisations ouvrières ; il préparait le massacre des millions. de Juifs, et la guerre.

Pourquoi ? Pour des raisons qui peuvent aujourd'hui se répéter en France, comme en Allemagne, comme dans d'autres pays.

La crise leur offre l'occasion politique

Le 14 octobre 1929, ce fut le vendredi noir, le krach bancaire à New-York. Ce fut le début d'une formidable crise économique mondiale. L'économie allemande, plus fragile que celles de France, d'Angleterre ou des USA, était la plus profondément touchée d'Europe.

Au printemps 1930, le nombre des faillites se mit à croître. Le nombre des chômeurs, qui était de 400 000 en 1928, passa à 3 millions en 1930, 5 millions en 1932.

Pour les petits commerçants, les petits artisans, c'était la ruine. Ils faisaient faillite, fermaient boutique. Et la société ne leur ouvrait plus aucune porte.

Les jeunes ne voyaient plus d'avenir. Les petits-bourgeois, avaient la rage au coeur. Les chômeurs aussi.

Dans ces circonstances, les capitalistes allemands, les couches possédantes savaient que si la colère des travailleurs éclatait et si ceux-ci entraînaient avec eux la petite bourgeoisie, des troubles sociaux risquaient de dégénérer en révolution. Ils savaient que s'ils voulaient continuer de pressurer comme ils le souhaitaient toutes les couches de la population pour sauver leurs profits, il fallait qu'ils brisent la classe ouvrière, qu'ils détruisent ses organisations.

C'est pour cela que les bourgeois allemands ont fait appel aux organisations fascistes et d'extrême-droite. Et la force des fascistes, aidés, subventionnés, armés par les bourgeois, cela n'a pas été seulement leur violence sans scrupule. Leur force, cela a été la colère des petits-bourgeois et des chômeurs qu'ils ont su détourner des possédants. Et leur politique a consisté à mobiliser l'énergie, la volonté de changement des centaines de milliers de désespérés que produisait la crise, et à l'orienter sur une voie de garage. Une voie qui devait confier le pouvoir à ces bandes fascistes dont la grande bourgeoisie était convaincue qu'elles étaient seules capables de mater la classe qui la menaçait, la classe ouvrière.

L'antisémitisme : un levier...

L'antisémitisme a été un levier puissant pour les fascistes. Il a été l'un des éléments qui a permis de présenter aux masses quelque chose à détruire et à haïr qui n'était pas les capitalistes et leur système.

Aujourd'hui, quand le pouvoir veut détourner de lui le mécontentement des travailleurs sur qui pèse le chômage, il joue sur la xénophobie. Il invente un responsable, un bouc émissaire : les travailleurs immigrés. Le gouvernement ment. Mais le mensonge peut prendre auprès de tous ceux qui trouvent qu'il est plus facile finalement de se venger sur la victime qu'on vous désigne que de lutter pour changer le système.

Ici, toujours en France, où la petite bourgeoisie se porte relativement bien, on a vu des petits-bourgeois et des travailleurs rester indifférents aux attentats antisémites sous prétexte que beaucoup de Juifs sont patrons, avocats, médecins, petits commerçants prospères. Ces réactions, à une toute petite échelle font bien comprendre comment le racisme, l'antisémitisme ont pu servir, à grande échelle, à dévoyer la colère des victimes de la crise.

Les démagogues nazis ont présenté le Juif à la fois comme le capitaliste et le bolchevique pour que les petits bourgeois hostiles à la fois aux gros capitalistes et aux travailleurs, les chômeurs, les intellectuels sans avenir y trouvent leur compte.

Les Juifs n'étaient peut-être que 500 000 ou 600 000 dans l'Allemagne des années 30, mais leur rôle dans la vie économique, politique et intellectuelle était important.

A la tête des banques, il y avait assez de Juifs pour que l'identification puisse se faire entre « Juifs » et haute finance du pays.

A la tête du grand commerce, il y en avait assez pour qu'ils soient enviés des petits boutiquiers en difficulté.

A la tête de la finance anglo-américaine, ils étaient suffisamment nombreux pour qu'ils puissent être présentés comme les étrangleurs de l'Allemagne.

Ajoutons à cela qu'il y avait des leaders juifs à la tête des partis marxistes, et il y avait décidément assez de prétextes pour semer la haine et la violence raciale, en donnant un dénominateur commun aux ennemis du bolchevisme et du capitalisme.

Hitler disait, dans Mein Kampf, que si le Juif n'existait pas, il aurait fallu l'inventer, parce qu'il fallait aux masses un « ennemi visible ». Les Juifs étaient en fait une cible destinée à masquer les vrais fauteurs de crise. Ils étaient le bouc émissaire et la diversion qui ont permis d'éviter que toute la rage de millions de désespérés vienne menacer l'ordre établi et le système en crise.

... et une menace en france aussi

Alors, avons-nous la moindre garantie que nos bourgeois français de la fin du vingtième siècle ne voudront jamais confier la barre de l'État à de nouveaux fascistes, s'ils avaient besoin de mettre en coupe réglée la société ?

Non. Nous avons nos Van Thyssen, nos Krupp, nos Kirdorf. Ils s'appellent Empain, Dassault, Michelin, Peugeot et même Rothschild. Ils ne sont pas fascistes pour le moment. Mais ils sont tout aussi capables de financer les bandes fascistes en douce aujourd'hui, ouvertement demain. Ils sont tout aussi capables de s'en remettre à eux si leurs profits, si leur domination, si leur ordre social sont en jeu. Ils disent haut et fort le, contraire. Ils sont satisfaits aujourd'hui des Barre, des Giscard ou des Chirac. Mais cela ne veut rien dire pour l'avenir.

Et si on cite ici Rothschild, ce n'est évidemment pas parce que l'on ignore qu'il est juif et qu'il a pris récemment la parole au nom de la communauté juive pour flétrir les auteurs de l'attentat antisémite, mais parce que, devant la peur d'une révolution sociale, ses propos actuels laissent à penser qu'il réagirait en bourgeois et qu'il préférerait sans doute encore la barbarie nazie.

En tout cas, d'autres que lui l'ont préférée. En Allemagne, en 1933, il y a eu des bourgeois juifs qui ont créé l'Union des Juifs nationaux allemands dans le but de concilier le programme du parti national-socialiste et l'avenir allemand avec les aspirations des Juifs vraiment allemands et nationaux. Cela peut paraître absurde quand on sait la suite.

Mais cela montre tout simplement que les bourgeois, les capitalistes, juifs ou pas, allemands ou pas, français ou pas, savent que les fascistes sont candidats au pouvoir pour défendre leurs intérêts.

Si la bourgeoisie allemande a choisi le fascisme, c'est parce que la crise l'avait mise dans une situation où pour ressusciter artificiellement ses profits, il lui fallait mettre en coupe réglée toute la société et en tout premier lieu pressurer la classe ouvrière, réduire son salaire, la museler et, pour y parvenir, détruire totalement les forces susceptibles de s'y opposer, c'est-à-dire les partis et syndicats ouvriers.

Alors, si la bourgeoisie française faisait un jour, à nouveau, ce choix-là, peut-on penser qu'elle serait empêchée d'agir parce que la société aurait aujourd'hui des défenses naturelles qui, spontanément, barreraient la route à une montée fasciste ?

On nous dit qu'il y a, dans ce pays, une France saine, libérale, éclairée, antiraciste qui a horreur de la barbarie.

C'est peut-être vrai qu'elle existe, cette France-là. Comme elle existait en 1939 en France. Comme il existait en 1930 une Allemagne libérale, antiraciste et civilisée, qui n'aimait pas la pègre fasciste.

Mais le problème n'est pas d'aimer ou de ne pas aimer : les grands bourgeois non plus n'aiment pas le fascisme ou le racisme. Mais ils savent s'en accommoder lorsque la sauvegarde de leurs profits et de leur système l'exige., Et ce qui s'est passé en France entre 1939 et 1944 doit nous rendre bien sceptiques sur les propriétés naturelles antifascistes et antiracistes de ce pays.

Lorsque le racisme était institutionnalisé en france

Nous ne pouvons pas oublier que l'État français de Pétain a mis sur pied, entre juin 1940 et 1944, une politique raciste aussi criminelle que celle de ses maîtres d'Outre-Rhin. L'État français vivait alors sous la botte allemande, nous dira-t-on. Belle excuse et trop facile. L'état-major nazi tenait peut-être les rênes dans la France occupée, et c'est, sûrement lui qui fut à l'origine de tout un plan de génocide des Juifs. Mais il trouva dans le gouvernement de Vichy non seulement des exécutants, mais des émules zélés.

Dès juillet 1940, le gouvernement de Vichy prévint les ordres allemands en éditant une loi sur la révision des naturalisations visant les Juifs naturalisés depuis peu. En août, il abrogea le décret-loi d'avril 1939, qui interdisait la propagande antisémite. C'est le Ministre de la Justice, bien français, Alibert, qui promulgua en octobre 1940 le premier statut sur les Juifs qui les excluait de certaines professions ou limitait leur nombre, un statut dont les autorités allemandes ont dit qu'il était encore plus dur que ce qu'ils exigeaient.

Le Commissariat Général aux questions juives, qui prépara la déportation des Juifs, était dirigé, animé, par des hommes bien français aussi, les Vallat, les Darquier de Pellepoix, du Paty de Clam. Une minorité, ces gens-là ? Peut-être, mais pour l'organisation des rafles, des camps de déportation, il a fallu la participation de milliers de fonctionnaires, de policiers et le silence de milliers d'exécutants. Ce fut enfin la police bien française, si saine et antifasciste en 1936, paraît-il (et blanchie de nouveau en 1944) qui opéra les rafles de décembre 1941 où un millier de Juifs furent parqués à Compiègne. Puis celles des 16 et 17 juillet 1942 où plus de 10 000 Juifs furent parqués au Vel d'Hiv avant d'être dirigés vers les camps de concentration. La politique raciste, antisémite, l'Allemagne n'en a pas eu l'exclusivité.

Une intelligentsia au service de la barbarie raciste

Et parmi tous ceux qui, en France, en Allemagne, étaient antifascistes et antiracistes, quand personne ne croyait au racisme et au fascisme, combien le sont devenus ? Combien ont laissé faire ?

Car il n'y a pas que la police et l'armée qui ont été aux ordres. Parmi les milieux éclairés, les intellectuels, les petits bourgeois instruits, dont on pourrait penser qu'ils ont les moyens de juger et de comprendre, une minorité seulement a refusé de marcher. Mais la plupart sont restés à la mangeoire. En paradant ou en composant, mais en laissant faire, en Allemagne comme en France.

En Allemagne, en 1933, un certain Philip Lenard, prix Nobel de physique, écrivait dans la préface de son livre intitulé La physique allemande : « Mais, me dira-t-on, la science est une, et demeure internationale. C'est faux ! En réalité, la science, comme tout autre produit de l'humanité, est raciale et conditionnée par le sang. La physique juive est par conséquent un fantôme et un phénomène de dégénérescence pour la physique allemande fondamentale » . Lenard a remplacé le sexe par la physique, prix Nobel exige ! Mais c'est vraiment tout ce qui différencie sa philosophie des fantasmes d'Hitler quinze-ans plus tôt.

Et dans le monde français et allemand des professionnels de la plume et des talents littéraires, le tableau n'est guère plus brillant. Il y a eu ceux qui se sont fait les chantres des idéaux nazis. Il y a eu ceux qui ont hésité et tergiversé, il y a eu ceux qui ont dit non par devant, mais leur serraient la main par derrière. Hitler n'a peut-être écrit que deux malheureux livres, mais la petite-bourgeoisie intellectuelle, française et allemande, a vu nombre de ses représentants, universitaires, journalistes, écrivains, écrire des millions de pages à son service.

C'est bien la preuve que le succès du fascisme, du racisme n'est pas une question d'idées, et que son échec ne dépend pas d'un simple combat d'idées, mais d'une lutte sociale et politique.

Le mouvement ouvrier face au nazisme

Mais si la bourgeoisie et la petite bourgeoisie ne sécrètent pas spontanément de défense efficace contre le fascisme et le racisme, la classe ouvrière, qui est la première visée, en sécrète-t-elle davantage ?

Sur ce terrain-là, l'Allemagne de 1930-33 nous enseigne aussi une dure leçon.

A cette période, en Allemagne, il y avait un mouvement ouvrier organisé puissant. Il y avait des syndicats. Il y avait aussi des partis ouvriers bien implantés : le Parti Social-Démocrate et le Parti Communiste. Pendant toute la montée du fascisme, le mouvement ouvrier était vivant. A chaque élection, le Parti Communiste voyait ses scores électoraux augmenter : 10,6 % en 1928, 13,1 % en 1930, 16,8 % en 1932. C'était le signe qu'il y avait, dans la classe ouvrière allemande, une certaine radicalisation.

Et les partis de la gauche allemande d'alors auraient pu engager la lutte contre la peste brune, le fascisme montant. Ils auraient pu, eux, couper l'herbe sous le pied des fascistes. Ils auraient pu faire la jonction entre les petits bourgeois ruinés, les chômeurs et les ouvriers, en leur proposant de lutter contre les vrais responsables, les capitalistes. Ils pouvaient leur proposer de changer de fond en comble un système qui montrait sa faillite, en proposant la révolution socialiste. Cela n'aurait pas été prudent, cela aurait choqué les petits-bourgeois ? Allons donc, si ces derniers suivaient les nazis, c'était justement parce que l'extrême-droite, elle, parlait de révolution, nationale celle-là. Cela aurait attisé la hargne des fascistes ? Allons donc, ils n'avaient pas besoin de cela pour préparer le massacre des travailleurs.

Pour l'emporter, il aurait fallu que les partis ouvriers soient aussi audacieux que les nazis, mais sur un tout autre terrain. Il fallait aller plus vite que les fascistes pour permettre à la classe ouvrière d'apparaître comme une force sociale capable d'offrir ses propres solutions à la crise de la société et d'entraîner derrière elle la petite bourgeoisie.

Ces deux partis en ont été incapables.. Ils ont ponctuellement répondu aux fascistes qui les attaquaient, mais ils n'ont préparé aucune offensive politique.

Parti social-democrate, parti stalinien, également impuissants

Le PSD. allemand a joué jusqu'au bout la carte de la légalité. Ses dirigeants ont soutenu les gouvernements en place. Et quand Hitler eut le pouvoir en janvier 1933, ils continuaient à dire que le gouvernement ne pouvait être combattu que sur les bases de la légalité. Ils appelaient la classe ouvrière à ne se laisser aller à aucune provocation, affirmant que la coalition qui avait porté Hitler au pouvoir, selon un dirigeant social-démocrate, « comportait en elle tant de contradictions que le règne du Führer serait finalement de courte durée » . On peut s'étonner, mais une telle politique était dans la logique de sa politique passée, de la politique d'un parti qui, dix ans plus tôt, alors qu'il était porté au pouvoir par une révolution ouvrière, avait fait appel aux bandes d'extrême-droite pour rétablir l'ordre et finalement écraser la révolution spartakiste dans le sang.

Quant au PC allemand, qui mettait alors sur le même plan le PSD. et le parti nazi, il dénonçait peut-être à juste titre le rôle contre-révolutionnaire de son rival, mais il n'a rien proposé parce que le PC avait depuis longtemps appris à raisonner en fonction des intérêts à court terme de Moscou, en fonction de ses intérêts de parti. Il avait renoncé de fait à la révolution. Au moment où il aurait fallu toute l'énergie de la classe ouvrière pour vaincre, où il fallait entraîner les ouvriers communistes et socialistes, les apolitiques, les chômeurs attirés par le nazisme, les petits-bourgeois vers une perspective révolutionnaire, le PCA mena aveuglément la lutte contre le Parti Social-Démocrate, traité de social-fasciste, sans rien proposer aux millions de travailleurs sociaux-démocrates qui suivaient leur parti.

Pourtant, les militants communistes étaient attaqués par les nazis. Ils se sont défendus au coup par coup ; mais en ordre dispersé en laissant l'initiative politique au camp d'en face.

Cela a valu à la classe ouvrière allemande une terrible saignée. Pour les militants, le fascisme ce fut les camps de concentration. Mais il n'y a pas que les militants qui ont payé.

La classe ouvrière toute entière muselée

Dans le fascisme, c'est toute la classe ouvrière qui est visée. Et ce sont tous les travailleurs qui sont touchés. C'est même très précisément pour être en mesure d'imposer des sacrifices aux travailleurs que la bourgeoisie donne carte blanche aux fascistes. C'est pourquoi le fascisme, cela a été, en même temps, les camps pour les militants, les persécutions, puis l'extermination pour des millions de Juifs, et en même temps une exploitation éhontée de toute la classe ouvrière.

On a évalué qu'en Allemagne, entre janvier 1933, date de l'accession d'Hitler au pouvoir et l'été 1935, les salaires avaient été réduits, de 30 à 40 %. Pour de nombreuses catégories d'ouvriers, le salaire était inférieur au montant de l'indemnité de chômage payée auparavant. Pour donner des places aux chômeurs hommes adultes, l'État nazi donna pleins pouvoirs aux « offices du travail » pour retirer leur emploi aux femmes et aux jeunes gens non mariés de moins de 25 ans. Pour employer les chômeurs, on en affecta aux travaux auxiliaires, à la construction d'autoroutes en leur payant des indemnités dérisoires. Les jeunes embrigadés par le service du travail reçurent juste quelques sous.

Pendant ce temps, il fallait produire, produire avant tout des armes, et la journée de travail passa dans bien des endroits à 9 ou 10 heures.

Le fascisme, cela a voulu dire une baisse du niveau de vie considérable de la classe ouvrière allemande. Cela a voulu dire le travail forcé pour des salaires dérisoires. Cela a voulu dire le quadrillage des quartiers et des villes ouvrières, toute une population surveillée, bâillonnée.

Cela a voulu dire aussi pour la classe ouvrière, toute la population laborieuse, les jeunes, la guerre, aller se faire tuer au service du grand capital, dans les quatre coins du monde.

Et, c'est justement parce que le fascisme est cela, la mise au pas de la classe ouvrière, que la bourgeoisie peut un jour encore y avoir recours.

L'Allemagne des années 1930 et 1940 est une époque révolue, c'est vrai. Mais tant que la société capitaliste est encore en place, personne ne peut dire que la bourgeoisie n'aura pas encore une fois besoin du fascisme ou d'une arme comparable pour briser la classe ouvrière.

Et le problème n'est pas d'évaluer aujourd'hui les chances des Frederiksen ou autres mais, le moment venu, de barrer la route au fascisme.

L'appareil d'état et la menace fasciste

Mais les solutions qui sont avancées aujourd'hui tournent le dos à cette nécessité.

Qu'il s'agisse des hommes politiques de droite qui gouvernent qui jurent tous solennellement que le sérieux et la rigueur seront employés pour empêcher les tueurs antisémites de nuire ; ou qu'il s'agisse des hommes politiques de gauche, qui contestent l'efficacité actuelle du gouvernement mais exigent pourtant de lui, et de lui seul, qu'il fasse quelque chose, toutes les interventions politiques concourent finalement à laisser croire que c'est l'appareil d'État de la bourgeoisie, et lui seul, qui peut et doit prévenir et écarter le danger.

Les partis de gauche et les syndicats ont appelé les travailleurs et tous les gens indignés par l'attentat à manifester dans la rue, mais pour dire, explicitement, en défilant derrière des banderoles réclamant au gouvernement la démission de Bonnet, exigeant du gouvernement l'épuration de la police, qu'ils étaient prêts à s'en remettre à l'État pour prévenir le danger fasciste. Cet État dont les dirigeants socialistes et communistes savent pourtant qu'en cas de crise grave, il choisira en dernier ressort le camp des fascistes contre les travailleurs organisés et mobilisés.

Cet État dont on nous dit qu'il abrite, aujourd'hui même, dans son propre appareil de répression, un certain nombre de néo-nazis organisés. Et à la suite de déclarations de certains dirigeants de syndicats de police, selon lesquels 20 % des 152 membres fichés de l'ex-FANE seraient des policiers, le débat a pris le tour dérisoire des comptes d'apothicaire pour savoir combien il y avait de militants organisés d'extrême-droite dans la police.

Mais qu'importe qu'il y en ait une trentaine, comme l'ont avancé certains ; dix-huit, comme l'a d'abord dit Bonnet au Sénat, pour finalement réduire la mise à deux, ou un seul même, et encore, si l'enquête qui se poursuit le confirme !

On nous amuse avec ces polémiques chiffrées sur les policiers néo-nazis. Il y a de quoi rire quand on entend Bonnet se plaindre que depuis 15 jours des milliers de policiers s'entendent demander par leurs gosses : « Alors, tu es fasciste ? ». Mais ceux qui discutent sur ce terrain-là, le gouvernement comme l'opposition, se moquent du monde.

L'extrême-droite qui s'exprime politiquement est numériquement faible, et encore bien plus faible dans la police. Mais les gens d'extrême-droite, réactionnaires ou racistes sans étiquette mais avec tous les réflexes et les préjugés du genre, sont nombreux dans les postes importants de l'administration, de l'armée et de la police.

Il y a 20-25 ans seulement, l'impérialisme français menait la guerre coloniale en Algérie. Son appareil d'État en est resté fortement marqué.

Les mêmes hommes - de gauche comme de droite puisque tous y participaient - qui commandaient, exécutaient ou toléraient les crimes, meurtres, interrogatoires ou tortures, sont pour la plupart toujours en place. Et c'est dans les plus hauts sommets de l'armée républicaine que se sont trouvés les cadres de l'OAS (L'OAS était anti-arabe mais n'était pas antisémite, puisque nombre de ses membres étaient des Juifs pieds-noirs). Plus loin dans le passé, c'est cette fois-là dans tous les grades de la police dite républicaine des années 1936 que se sont trouvés ceux qui, quelques années plus tard, sous le régime de Pétain, menaient avec zèle la chasse aux porteurs d'étoile jaune. Là, la police était devenue facilement antisémite,

Les forces de répression de l'appareil d'État savent suivre tous les racismes tristement à la mode, et en changer aussi.

C'est une première raison pour juger naïfs, ou hypocrites, ceux qui proposent de compter sur l'armée et la police pour combattre les fascistes. Mais ce n'est pas encore la plus importante.

L'appareil d'État, dans son ensemble, de haut en bas, est là pour servir la bourgeoisie. C'est l'instrument de sa domination. S'il est arrivé, dans le passé, que certains hommes d'État mettent des fascistes en prison, ou même les fassent exécuter dans certaines rares occasions, les chefs de l'appareil d'État ne veulent pas, ne peuvent, pas, détruire les groupes fascistes.

Les complaisances du personnel politique

Les fascistes, comme le personnel, politique plus classique de l'État, servent le même patron : la bourgeoisie. Pour maintenir sa domination de classe, cette dernière préfère à tout prendre son personnel ordinaire dit démocratique et républicain. Mais elle sait que certaines circonstances particulières peuvent exiger d'autres méthodes de gouvernement, et d'autres hommes, aussi peu civilisées soient leurs méthodes.

Ainsi, il n'y a pas si longtemps, De Gaulle a préféré prendre le risque d'être victime d'une charge de plastic, plutôt que de détruire l'OAS qui le menaçait. Ce n'était pas de l'inconscience. C'était au contraire de la haute conscience de classe. La conscience que la bourgeoisie pouvait avoir besoin des hommes de main de l'OAS pour sauvegarder sa domination. Et c'est pourquoi De Gaulle se refusait à frapper sérieusement sur sa droite.

Aujourd'hui, le personnel politique de la bourgeoisie, tous les libéraux ou moins libéraux de droite, ont participé à l'indignation unanime soulevée par l'attentat de la rue Copernic. Même attitude chez les intellectuels bourgeois, les journalistes. Toute la droite s'est dite scandalisée, et par le terrorisme, et par l'antisémitisme.

Mais en France, de grands bourgeois libéraux sont déjà plus ou moins tolérants vis-à-vis de l'extrême-droite. C'est à un service d'ordre formé de militants de l'ex-groupe d'extrême-droite « Ordre Nouveau » que Giscard' lui-même a fait appel, durant sa campagne électorale de 1974. Bien sûr, cette extrême-droite-là sait ne pas se déclarer terroriste, ou antisémite aujourd'hui... Mais qui sait ce qu'elle fera demain ?

Alors, on ne nous fera pas croire que ces gens-là, qui ne sont pas gênés de se compromettre avec la racaille fasciste aujourd'hui, alors que rien ne les y oblige, ne sont pas capables de faire appel à leurs services lorsqu'ils sentiront leurs privilèges de classe menacés.

Tuer dans l'oeuf la vermine fasciste ?

Bien sûr, certains peuvent se dire, dans les milieux de la jeunesse juive ou dans les milieux de la jeunesse gauchiste au sens large, que puisque les nostalgiques de Hitler ne sont encore que quelques individus, organisés dans quelques tout petits groupes, ce serait le moment ou jamais de les éliminer, de « tuer dans l'oef la vermine raciste et fasciste » comme disent certains.

Autrement dit, face au terrorisme d'extrême-droite, il faudrait pratiquer le contre-terrorisme.

Certes, des actions violentes, et un certain terrorisme trouveront forcément leur place dans le combat des travailleurs contre les fascistes. Quand la situation l'exigera, il faudra en découdre, physiquement ; répondre à la violence par la violence, aux coups par d'autres coups plus forts, mais toujours comme support et prolongement d'une mobilisation plus large et plus profonde. Et la classe ouvrière, ainsi que la fraction de la petite-bourgeoisie qu'elle saura gagner dans sa lutte devront trouver dans leurs rangs des gens courageux, prêts à se battre, à tuer et à mourir car ce sera une question de vie ou de mort.

Mais, dans le contexte actuel, le terrorisme ne peut pas mener à grand-chose car il laisse les travailleurs et tous les ennemis du fascisme sans rôle et sans défense.

Et si demain, le fascisme devient un phénomène social, si le processus de l'embrigadement dans ses rangs de petits bourgeois excités commence à s'enclencher, il faudra, pour l'enrayer, que des gens en grand nombre se mobilisent et s'organisent consciemment ; mais pour cela, il faudra qu'ils aient déjà été encouragés et habitués à le faire ; à intervenir eux-mêmes, à s'unir pour répliquer eux-mêmes, ce à quoi le terrorisme individuel, ou le terrorisme d'un petit groupe contre un autre petit groupe, hors de toute situation de mobilisation, ne les prépare pas.

C'est pourquoi il y avait sans doute une réponse immédiate à donner à l'attentat antisémite. Il y avait une politique à proposer pour préparer les masses populaires à agir par elles-mêmes, demain, sans compter sur l'État.

Pas seulement en appelant à manifester, même si les mots d'ordre proposés étaient justes, ce qui n'était même pas le cas lors des manifestations du mardi 7 octobre. Une manifestation peut exprimer une protestation, mais ne prépare pas les masses à apprendre à s'organiser pour se défendre.

Dans le cas précis de menaces d'attentats dans l'immédiat contre les synagogues ou les foyers africains, la réplique aurait pu être par exemple de prendre l'initiative, au nom des travailleurs, de faire appel à tous ceux qui, travailleurs, jeunes, juifs ou émigrés, auraient été prêts à organiser le gardiennage de tous les endroits susceptibles d'être menacés.

Il aurait pu être proposé à tous ceux qui auraient voulu donner de leur temps et de leur énergie à tenter d'empêcher d'autres attentats racistes, de s'organiser, de se mobiliser, et de protéger, tous ensemble, plus efficacement que la police, les lieux que l'extrême-droite pourrait viser.

Et, au-delà de ce cas précis, il s'agit de rechercher, systématiquement, face à chaque situation, ce qui permettrait aux travailleurs de se donner des habitudes d'organisation, des structures, qui puissent être retrouvées facilement.

Si une situation économique et sociale offre demain aux fascistes des chances de se développer, c'est par une série d'étapes qu'ils le feront. Lesquelles ? Nous ne le savons pas. Nous ne savons même pas si l'antisémitisme pourrait encore servir d'argument démagogique aux dirigeants et aux foules de ce nouveau nazisme qui n'a pas encore dit son nom.

Mais il faudrait d'abord qu'à chaque étape, le défi fasciste soit relevé, au nom de la classe ouvrière, par la classe ouvrière. Et c'est d'abord un problème politique.

On peut imaginer que des groupements de jeunes juifs, par exemple, ou encore des groupements nationalistes, puissent prendre en charge la défense de la communauté juive, voire qu'ils engagent la lutte contre les groupes antisémites, au niveau où ces groupes se manifestent aujourd'hui. Mais à quoi cela avancerait-il pour l'avenir ?

Car même si actuellement la communauté juive pouvait trouver dans sa jeunesse les moyens d'assurer sa protection, si des groupes d'auto-défense, par exemple, étaient réellement créés, ils pourraient peut-être assurer plus efficacement que la police la protection des bâtiments publics juifs. Mais préparer la lutte contre une montée réelle du fascisme est une tout autre affaire. Et pour commencer, sur le plan politique. Des groupes nationalistes juifs, même s'ils sont sensibles à l'aspect antisémite du fascisme au point d'être prêts à se défendre et à défendre la communauté juive par la violence, ne peuvent ni ne veulent bien évidemment lutter dans une perspective politique susceptible de mobiliser la classe ouvrière.

Ce n'est pas la seule communauté juive qui est menacée par la montée fasciste, même si c'est l'aspect antisémite qui domine, ce qui ne sera d'ailleurs pas forcément le cas. (L'exemple de l'Italie l'a montré). Le fascisme est un phénomène social lié au capitalisme en crise, et à certains moments, la crise de la société ne laisse d'autre choix à la communauté des hommes que le fascisme ou la révolution socialiste. Et il faut agir en conséquence.

La seule force capable d'arrêter la montée fasciste dans une période de crise, lorsque, des grandes masses sociales risquent de se cristalliser autour des groupes d'extrême-droite, est celle de la classe ouvrière. La seule façon d'être antifasciste de façon conséquente est de se placer sur le terrain du prolétariat, se réclamer politiquement de lui, jusqu'au bout, c'est-à-dire avec la conviction que c'est au prolétariat de prendre la direction de la société en crise.

Seule une politique révolutionnaire, c'est-à-dire une politique qui chercherait en toutes circonstances à faire appel à la classe ouvrière, pourrait s'opposer à la politique. fasciste.

Et c'est bien là qu'une course est engagée, dont dépend l'avenir.

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