Argentine : le retour des civils01/03/19841984Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1984/03/110.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Argentine : le retour des civils

Voilà un peu plus de trois mois qu'est installé en Argentine un pouvoir civil, issu d'élections générales, les premières élections depuis dix ans.

Les militaires qui en 1976 avaient renversé par un coup d'État le gouvernement péroniste sont retournés dans les casernes après avoir exercé pendant près de huit ans l'une des dictatures les plus féroces qu'ait connues ce pays. Et c'est délibérément qu'ils ont laissé la place puisque c'est eux-mêmes qui ont préparé et organisé le retour à un système de type parlementaire.

Ils avaient promis le redressement économique, mais la situation économique de l'Argentine s'était aggravée, à la fois à cause de la crise économique mondiale et à cause de leur politique.

Ils avaient promis de renforcer la position de l'Argentine sur la scène internationale : la guerre des Malouines qui a été pour les militaires une sorte de fuite en avant destinée à ressouder l'unité de la population, s'est terminée par le fiasco que l'on sait.

Ils avaient promis à la bourgeoisie argentine la paix sociale, or les manifestations d'hostilité contre la dictature trouvaient un appui dans toutes les couches de la population. Quant à la classe ouvrière, pourtant la plus frappée par la répression, elle se réorganisait peu à peu dans les usines, sur les lieux de travail.

Dans ces conditions, la répression, la brutalité policière et militaire, l'absence de libertés que devaient supporter toutes les couches de la société n'étaient plus tolérées. Et il n'est pas étonnant que les classes dirigeantes d'Argentine aient mis leur poids dans la balance pour que la dictature isolée, usée, laisse la place avant que la situation ne devienne explosive.

Sans doute ce passage d'une dictature usée à un régime civil présenté comme un « retour à la démocratie » n'est-il pas exceptionnel. Tout comme n'est pas exceptionnel d'ailleurs le renversement de régimes civils par les militaires. Car l'histoire de l'Argentine, comme celle de la plupart des pays d'Amérique latine, est une sécession de régimes civils et militaires qui se voient, les uns comme les autres, confier par les classes dirigeantes la mission de faire accepter à la population de ces pays sous-développés, même s'ils ne sont pas parmi les plus pauvres du monde, des conditions de vie très dures et qui se dégradent au fur et à mesure que se développe la crise économique mondiale. Dans les dix dernières années, le taux d'inflation annuel s'est accru, il atteint 400 % par an. Et la bourgeoisie a multiplié les plans d'austérité contre la classe ouvrière. Entre 1973 et 1976, elle a espéré que les liens étroits des péronistes avec la classe ouvrière permettraient aux péronistes au pouvoir de faire accepter un plan d'austérité qui s'est traduit par une baisse de près de 50 % du pouvoir d'achat de la classe ouvrière. Mais la classe ouvrière a commencé à réagir. Et ce sont les militaires qui ont pris la relève. Aujourd'hui, leur pouvoir semble usé et les classes dirigeantes tablent sur l'espoir que le rétablissement d'un certain nombre de libertés individuelles, syndicales et politiques créera une sorte d'état de grâce où Alfonsin aura les mains libres pour gouverner en continuant d'appauvrir les classes pauvres.

Car c'est bien cela le but de l'opération réalisée par la bourgeoisie argentine. Mais cela n'empêche pas que le retour au régime civil crée en Argentine des conditions nouvelles pour les militants et le développement du mouvement ouvrier qui, s'il déjoue les pièges que lui tendent les représentants politiques de la bourgeoisie, peut certainement profiter de cette situation pour se réorganiser et prendre position pour les batailles futures.

L'échec électoral des péronistes

En Argentine, deux grands courants jouent un rôle dominant dans la vie politique.

C'est d'un côté, le parti radical, l'Union Civique Radicale qui depuis le début du siècle se veut le représentant des classes moyennes avec de nombreux liens avec les milieux d'affaires.

Et d'un autre côté, c'est le mouvement péroniste qui apparaît depuis 40 ans comme le parti dominant. Sa force et sa place dans la vie politique viennent de son enracinement dans la classe ouvrière dont il contrôle l'énorme appareil syndical qu'est la CGT ; elles viennent aussi de ses liens avec la moyenne bourgeoisie et la bourgeoisie industrielle.

Or l'aspect le plus remarquable des élections d'octobre 1983 est qu'elles ont donné largement la victoire à l'Union Civique Radicale. C'est ainsi que Raul Alfonsin, le candidat de ce parti, remporta 52 % des suffrages (en 1973, l'Union Civique Radicale n'avait que 24 % des voix), tandis que, à l'inverse, Italo Luder, le candidat péroniste, ne remporta que 40 % des voix (en 1973, les péronistes - mais il faut dire que Peron était candidat - avaient eu 62 % des suffrages)...

L'inversion du rapport de forces entre les deux partis s'explique bien sûr par plusieurs raisons.

Tout d'abord elle s'explique par le discrédit du parti péroniste qui, entre 1973 et 1976, a déçu sa base ouvrière et les classes moyennes parce que, au cours des huit années de dictature, il est apparu à plusieurs reprises comme trop lié aux militaires. Mais elle s'explique aussi par le visage politique qu'a su se donner l'Union Civique Radicale dans les dernières années, voire les derniers mois, de la dictature. En effet, alors que dans les premiers temps qui suivirent le coup d'État, l'Union Civique Radicale, fidèle à son attitude traditionnelle vis-à-vis des militaires, chercha un accord avec la junte, ce parti changea son fusil d'épaule et passa dans l'opposition au fur et à mesure des revers essuyés par les militaires. Au sein de l'Union Civique Radicale, un courant chercha à s'appuyer sur le mécontentement croissant des classes moyennes et à critiquer la politique économique, sociale et même militaire du gouvernement. C'est ainsi que s'est développé au sein du parti radical le mouvement « Rénovation et changement » qui l'emporta aux élections internes de ce parti, au cours desquelles Raul Alfonsin fut désigné comme candidat des Radicaux à la présidence.

Dès lors, l'Union Civique Radicale apparut comme le parti le plus opposé au régime des militaires comparé au parti péroniste favorable à un pacte avec les militaires. Et c'est ce visage qui lui a valu d'attirer vers lui non seulement son électorat traditionnel conservateur de bourgeois grands et petits, hostiles aux aspects populistes du péronisme, mais aussi une partie de l'électorat péroniste et de l'électorat des partis de gauche qui perdirent eux aussi beaucoup de voix par rapport aux élections de 1973.

D'après des études sur les résultats électoraux, le recul du péronisme et de la gauche au profit des radicaux, très important dans la ville de BuenosAires, concernerait non seulement les quartiers petits-bourgeois mais aussi les quartiers ouvriers. Il serait aussi particulièrement sensible dans toute la ceinture industrielle du grand Buenos-Aires.

Et les commentateurs s'accordent pour dire que ce vote populaire en faveur du candidat radical provenait de ce que ce dernier apparaissait comme le plus décidé à tenir tête aux militaires et à sortir le pays de cette dictature horrible dont tout le monde espérait qu'elle allait finir pour de bon, pour toujours...

Il est certainement vrai que Raul Alfonsin a été élu parce qu'il apparaissait, quelles qu'aient été les compromissions passées de son parti avec les militaires, l'homme politique le plus partisan d'un retour à une époque de liberté, de respect des droits de l'homme et le plus à même de sortir le pays de l'horreur et du marasme économique.

Le libéralisme limité du nouveau régime

Alors, sous peine de décevoir les masses populaires, Raul Alfonsin une fois au pouvoir se devait de prendre des mesures montrant qu'il était l'homme des libertés.

La nouvelle équipe dirigeante fut mise en place avant les délais prévus par les militaires. Le Parlement avec ses deux Chambres commença à étudier rapidement des projets de loi sur les libertés, le fonctionnement syndical. Par ailleurs, le président Raul Alfonsin tenta rapidement de satisfaire le désir exprimé par des centaines de milliers d'Argentins, que la vérité soit connue sur le sort qu'ont subi ou subissent encore les 30 000 disparus et que justice soit faite contre ceux qui pendant huit ans furent responsables des enlèvements, des tortures et des massacres.

Étant donnée la façon dont fonctionne le régime militaire et comment s'exerça la répression, le nouveau gouvernement se trouvait dans l'incapacité de donner des informations sur les disparus.

En effet, pendant la dictature, chacune des trois armées, l'armée de terre, la marine et l'aviation tenait à conserver le contrôle d'organismes économiques, administratifs et politiques. Et chacune mena la répression avec une large autonomie. Chaque garnison militaire avait quasiment les mains libres pour faire la chasse aux opposants : chacune eut ses prisons, ses détenus, ses « disparus » et faisait appel quand elle l'estimait nécessaire à des supplétifs issus des milieux proches de la délinquance, à des groupes para-militaires. Et les récits d'enlèvements, de massacres, d'assassinats, de rapts d'enfants rapportés par des témoins qui osent seulement maintenant dire ce qu'ils ont vu, donnent une idée de la brutalité avec laquelle, à tous les niveaux, militaires et policiers ont agi.

Pour savoir, ne serait-ce qu'une partie de la vérité, il fallait que les bouches s'ouvrent. Pour recevoir les témoignages, une « Commission Nationale sur les disparitions » fut créée pour enquêter sur les disparus.

Par ailleurs, le gouvernement a mis à la retraite une partie des responsables militaires de haut niveau. Il a déféré devant des tribunaux militaires les plus ouvertement compromis à la fois dans les crimes contre les droits de l'homme et dans l'échec des Malouines. Parallèlement, le Parlement a annulé la loi d'auto-amnistie que les militaires s'étaient votée en septembre 1983 et qui stipulait qu'ils ne pouvaient être inquiétés pour leurs interventions visant à maintenir l'ordre.

Ces mesures de Raul Alfonsin semblent aujourd'hui faire pâlir d'horreur les militaires chiliens et uruguayens mais elles sont très limitées et très respectueuses des institutions. Les mouvements regroupant les familles des disparus, comme les organisations agissant pour le respect des droits de l'homme, en dénoncent les limites et les insuffisances. Elles dénoncent le fait qu'Alfonsin ait imposé que la Commission sur les disparus soit nommée par l'Exécutif plutôt que désignée par le Parlement.

Elles dénoncent aussi le fait qu'Alfonsin ait décidé que les militaires coupables de violation des droits de l'homme seraient jugés par des tribunaux militaires, forcément indulgents pour eux, et non par des tribunaux civils.

Et il est certainement très significatif qu'Alfonsin et les responsables du nouveau gouvernement répètent qu'ils n'entendent pas s'en prendre à l'institution militaire, mais qu'ils veulent seulement lui redonner son intégrité, ainsi que sa place et son prestige d'armée professionnelle de qualité.

Et Alfonsin et les politiciens qui l'entourent disent et répètent qu'ils visent par leurs mesures tous ceux qui troublent le calme. C'est-à-dire les militaires, bien sûr, mais aussi les guérilleros, les terroristes. Toutes les déclarations d'Alfonsin contre les exactions des militaires sont assorties de déclarations concernant en particulier les « montoneros » qui étaient une aile guérilleriste du mouvement péroniste : les leaders en exil de ce mouvement sont eux aussi convoqués à comparaître.

Mais quelles que soient les limites de ce retour à la démocratie, limites que des associations, des groupements politiques et même des groupements humanitaires dénoncent dès aujourd'hui, à juste titre, il n'en reste pas moins que dans l'Argentine de ce début de 1984, quelque chose a changé. Des émigrés politiques peuvent retourner au pays. Ils étaient des centaines de milliers à vivre en exil, le plus souvent pour fuir la répression.

Alors, ces mesures, même limitées, donnent-elles un crédit à court, moyen ou long terme, au nouveau régime ? L'avenir le dira.

L'avenir dira également combien de temps l'armée laissera à Alfonsin et son équipe les mains libres.

Pour le moment, les hauts responsables qui ont été mis à la retraite et qui comparaissent devant les tribunaux militaires se montrent arrogants mais laissent faire. Le reste de l'état-major accepte de collaborer avec ce gouvernement civil, du moment qu'il se contente de procès symboliques, qui finalement contribuent à blanchir l'armée actuelle en faisant de quelques généraux des boucs émissaires.

Mais cela peut changer brutalement car, même retirée dans les casernes, même avec des chefs traduits devant les tribunaux, l'armée argentine reste omniprésente et prête à reprendre le devant de la scène.

Et les classes populaires ont déjà fait l'expérience que les politiciens civils, ceux du courant radical comme ceux du mouvement péroniste, se sont toujours inclinés devant l'armée quand celle-ci s'emparait du pouvoir. Et l'un des pièges pour les masses serait de s'en remettre à Alfonsin pour défendre les droits démocratiques dont elles sont en train de recouvrer partiellement l'usage. L'un des pièges serait de croire qu'elles doivent se taire pour contribuer à la consolidation de la « démocratie » et que, pour écarter le danger d'un retour à la dictature, elles doivent accepter la politique de Raul Alfonsin.

Encore des sacrifices pour la classe ouvrière

Car ce que le gouvernement d'Alfonsin leur prépare c'est, dans l'immédiat, de nouveaux sacrifices.

Les militaires, ont laissé au nouveau régime une situation économique que tout le monde reconnaît catastrophique, la dette extérieure est de 45 milliards de dollars, la dette intérieure est presque aussi élevée. Il y a actuellement 2O % de chômeurs. Le taux d'inflation en 1983 a été de plus de 400 %. Et le nouveau gouvernement n'a pas de réelle solution à proposer ni pour résoudre cette crise, ni même pour empêcher qu'elle ne s'aggrave.

Raul Alfonsin et son ministre de l'Économie tentent d'obtenir des États-Unis, des États européens et des organismes monétaires internationaux un rééchelonnement de la dette. Mais ils savent bien qu'ils n'obtiendront pas des miracles. Actuellement ils ont obtenu pour six mois des facilités mais cela n'a pas empêché la crise de continuer à se développer.

Dans sa campagne électorale, Alfonsin avait promis un redressement de la situation économique et une revalorisation des salaires.

Quelques jours plus tard, il annonçait un certain nombre de mesures destinées à aider les plus démunis.

Il a promis l'élaboration d'un programme alimentaire national qui, dans l'immédiat, prévoyait la distribution de nourriture gratuite pour ceux qui n'ont pas de ressources. Il a promis une politique de santé favorable aux plus pauvres. Il a promis aussi de mener une politique sociale en matière d'éducation et de santé. Une augmentation de 40 % des plus bas salaires a été décidée (rappelons que les prix avaient augmenté de 20 % par mois en 1983). Mais les semaines suivantes ont déjà montré que ces mesures étaient bien précaires. Alors que le gouvernement avait procédé à un gel des prix, l'inflation a atteint 12,5 % en janvier et 17 % en février, avec des taux bien plus élevés pour les produits alimentaires (26 %) parmi lesquels la viande, avec 33 %, et les légumes, 49 %, battent les records.

Prétendant permettre aux salaires de rattraper progressivement la hausse du coût de la vie, le gouvernement d'Alfonsin prévoit des augmentations de salaire légèrement supérieures aux 10 % par mois dans lesquels Alfonsin s'est fait fort de maintenir l'inflation, mais très inférieures en fait aux taux réels de l'inflation.

La victoire électorale d'Alfonsin aura permis le remplacement du régime militaire usé par un régime civil. Mais Alfonsin est tout autant un représentant politique des intérêts de la bourgeoisie argentine et de la bourgeoisie internationale que l'ont été les généraux. Contrairement aux généraux, Alfonsin pourra, peut-être, utiliser les illusions électoralistes qui lui ont permis d'accéder au gouvernement pour tenter de faire accepter aux masses laborieuses des sacrifices que les militaires avaient du mal à imposer par la force. Mais il cherchera inévitablement à imposer des sacrifices, car les intérêts de la bourgeoisie argentine comme ceux des banquiers des puissances impérialistes exigent cela. Si la classe ouvrière argentine ne se résigne pas, si elle se défend, elle trouvera le gouvernement d'Alfonsin inévitablement sur son chemin, avec sa police, avec son armée, les mêmes que sous le règne ouvert des généraux. II est indispensable que la classe ouvrière en soit avertie, qu'elle n'aille pas à la bataille avec la conviction que le nouveau gouvernement lui est plus favorable, car plus démocratique. Cela n'est pas vrai.

Il est significatif que, face à la première grève d'importance, celle des transports, qui a eu lieu en février, pour de meilleures conditions de travail, le gouvernement ait réagi en déclarant la grève illégale tandis que les compagnies de transport licenciaient des grévistes.

Quelle perspective pour les travailleurs ?

Le nouveau régime bénéficiera-t-il de suffisamment de crédit pour faire accepter sans trop de remous de nouveaux sacrifices à la classe ouvrière ? Et pendant combien de temps en sera-t-il capable ?

Il est évidemment impossible de répondre à ces questions.

Dans l'immédiat il assure aux possédants une nouvelle période de répit. C'est pour l'essentiel tout ce que les possédants demandent à Alfonsin. Et si l'aggravation de la crise faisait que le droit d'user des urnes ne suffise plus pour faire tenir la classe ouvrière tranquille, les possédants aviseraient. Il y a, du côté des généraux argentins, certainement des candidats pour faire jouer l'alternance mais cette fois, des civils vers les militaires. La hiérarchie militaire du pays qui n'a évidemment pas été dissoute, a l'habitude...

C'est dire que les travailleurs ne peuvent attendre du gouvernement Alfonsin ni une amélioration de leur situation économique, ni même la consolidation de leurs droits et libertés démocratiques.

Certes les libertés et les droits concédés ou tolérés par Alfonsin peuvent faciliter la réorganisation du mouvement ouvrier. Mais il ne s'agit pas pour les travailleurs de se laisser prendre au piège de ceux qui vont désormais répéter sur tous les tons que l'essentiel est de consolider la démocratie, en jouant le jeu, en en respectant les règles, en étant raisonnable et pas trop exigeant, voire en appuyant tout simplement le nouveau régime.

Ces illusions-là, si elles étaient partagées par les travailleurs, ne pourraient conduire qu'à une répétition tragique des mêmes défaites pour la classe ouvrière. C'est la conscience claire du rôle d'Alfonsin, des limites de la démocratisation, du recours toujours possible à l'armée (toujours présente et puissante même si elle n'occupe plus provisoirement le devant de la scène politique) qui permettra à la classe ouvrière de ne pas être une nouvelle fois surprise et désarmée par les attaques des forces de répression le jour où celles-ci seront à nouveau lancées contre elle.

Aujourd'hui, la classe ouvrière argentine qui est nombreuse ne paraît pas avoir été brisée par la dictature. Elle donne des signes de réactivité, mais l'un des problèmes importants pour elle dans ses rangs des militants jeunes, combatifs, hostiles aux bureaucrates, mais qui agissent en ordre dispersé, qui n'ont ni expérience politique, ni perspectives politiques définies, tandis que de l'autre côté elle est chapeautée par un appareil bureaucratique, divisé en tendances certes, mais qui sont toutes dirigées par des bureaucrates rompus à toutes les manœuvres politiques, qui entendent profiter de ce retour à la « démocratie » pour négocier auprès du pouvoir l'audience qu'ils ont conservée ou récupérée dans la classe ouvrière.

Ces dirigeants-là, formés à l'école du péronisme, non seulement ont toujours entraîné la classe ouvrière argentine sur des voies de garage, mais ils l'ont à plusieurs reprises désarmée avant de la livrer aux mains des militaires.

Il semble qu'aujourd'hui, au sortir de la dictature, toute une génération de militants qui n'ont jamais connu Peron soient profondément défiants par rapport aux dirigeants en place.

C'est cette défiance qui s'est manifestée lors des élections dans certains secteurs de la classe ouvrière et qui s'exprime, d'après ce que rapporte la presse, dans des assemblées syndicales qui ont lieu et où les dirigeants se font chahuter, voire huer.

Si la classe ouvrière met à profit les libertés qui lui sont pour l'instant concédées pour préparer les batailles futures, des batailles qui ne se limiteront pas à des luttes défensives face à la crise, mais des batailles qui prépareront l'avenir, qui prépareront d'autres solutions politiques que l'alternance civils-militaires se relayant pour tromper et massacrer les travailleurs, alors, oui, l'histoire ne sera peut-être plus un dramatique et éternel recommencement.

Une classe ouvrière préparée politiquement et moralement au combat, débarrassée de ses illusions, pourrait inspirer une crainte telle aux classes dominantes et aux forces de répression que les unes comme les autres hésiteraient à s'attaquer à elle. Et c'est cette crainte qui constituerait la meilleure, et la seule, garantie que les droits démocratiques des travailleurs seront sauvegardés.

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