Vers le national-maoïsme01/10/19751975Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Vers le national-maoïsme

Le 19 juin dernier, l'Humanité Rouge organisait avec l'UJP (Union des Jeunes pour le Progrès, gaulliste) et la NAF (Nouvelle Action Française, monarchiste), un meeting commun pour la « défense de l'indépendance nationale ». Ainsi l'on retrouvait à la même tribune, se côtoyant, un représentant d'une organisation maoïste, un gaulliste affirmé, et un monarchiste dit « éclairé ».

Une telle promiscuité n'étonne pas lorsque l'on a suivi la politique développée par les maoïstes de l'Humanité Rouge depuis de longs mois déjà. En effet, décalquant la politique d'indépendance nationale prônée par la Chine à son usage et à celui des pays du Tiers-Monde, ils se sont fait pour la France et les pays d'Europe occidentale les propagandistes acharnés de l'indépendance nationale, au point de faire de la lutte pour cette indépendance un des thèmes essentiels de leur agitation. Ainsi, par exemple, dans le numéro du 7 avril 1975 de leur journal, sous le titre « 1ierisuper0 mai pour l'indépendance nationale, contre les deux super-puissances », on peut lire : « Nous proclamons bien haut que, comme hier face à Hitler, notre peuple n'acceptera pas la soumission. L'esprit de résistance reste vif dans le peuple de notre pays. Pas plus aujourd'hui qu'il y a trente ans, il n'acceptera la mise sous tutelle ». Et l'on pourrait multiplier les exemples. Ils sont nombreux de la même eau dans chaque numéro de l'Humanité Rouge.

Dans la logique d'une telle position, H.R. se prononce résolument pour la défense nationale. Là encore, les prises de position sont nombreuses. Pour défendre l'indépendance nationale, il faut, peut-on lire dans l'Humanité Rouge, à la France une armée forte, par conséquent, il faut combattre ceux qui affaiblissent l'armée française par leurs actions. Les maoïstes de H.R. attaquent les « traîtres », entendez les « révisionnistes » - c'est-à-dire le PCF - et les trotskystes qui, selon eux, mènent une campagne de démobilisation et de démoralisation de la jeunesse au sein du contingent. C'est ainsi que l'on peut lire - mais c'est un exemple parmi des dizaines d'autres - dans le numéro du 3 avril 1975 de l'Humanité Rouge : « Dans l'immédiat, il faut bien voir que le problème central posé par l'offensive des révisionnistes en direction de la jeunesse, c'est le problème de la défense nationale. Tout le travail que le parti de Leroy-Marchais et ses succursales font dans la jeunesse et notamment sur le contingent, ne vise qu'à deux choses :

1) Utiliser la mobilisation des jeunes et des appelés sur certaines revendications justes et la récupérer, pour la transformer en mouvement revendiquant la réduction du service militaire à six mois, c'est-à-dire pour contrecarrer la volonté de la bourgeoisie monopoliste française de renforcer la défense nationale.

2) Exercer son contrôle hégémonique sur la jeunesse et en particulier sur le contingent pour l'empêcher de lutter contre l'agression social-impérialiste ».

En conséquence, justifiant par avance la participation des maoïstes de H.R. à des actions aux côtés d'organisations d'extrême-droite, on peut lire dans le même article : « A l'heure où l'impérialisme US et surtout le social-impérialisme russe s'apprêtent à agresser l'Europe de l'Ouest, les Communistes Marxistes- Léninistes de France doivent s'attacher à édifier le front uni de tous ceux qui s'opposent aux deux super-puissances et aux traîtres à la nation ».

La défense inconditionnelle de la politique extérieure de la chine maoiste

Pour justifier une telle politique, l'Humanité Rouge développe une argumentation, directement reprise des positions des dirigeants de la Chine de Mao. Cette argumentation repose sur un schéma simple, pour ne pas dire simpliste. Elle peut se résumer ainsi : le monde actuel est divisé en trois camps. Le premier, celui des deux super-puissances, comprend les USA et... l'URSS Il s'oppose au Tiers-Monde, force motrice de l'évolution dont la Chine maoïste est le chef de file. Enfin, il existe entre ces deux blocs antagonistes un « second monde » qui regroupe, selon les maoïstes, l'Europe occidentale, le Canada, le Japon. Ce « second monde » reste certes dans le cadre capitaliste, mais il tente malgré tout de s'opposer aux visées hégémonistes des super-puissances. Les nations qui le composent le font, selon l'Humanité Rouge, de manière velléitaire, inconséquente, hésitante. C'est pourquoi les maoïstes regroupés autour de ce journal militent contre toutes les faiblesses, les relâchements dans l'effort de défense nationale en se faisant parmi les plus ardents défenseurs de l'armée.

Mais si l'évocation des « deux super-puissances » semble maintenir la balance entre les « deux impérialistes », l'américain et le soviétique, ce n'est qu'une fausse symétrie qui sert de couverture à une propagande résolument dirigée contre l'URSS

Le danger principal : le « social-impérialisme »

Car, emboîtant là encore le pas aux dirigeants chinois, l'Humanité Rouge réserve l'essentiel de ses coups au « social-impérialisme » - entendez l'URSS Il le justifie en expliquant que les « deux super-puissances ne jouent pas le même rôle »... « I'expansionisme et le danger représenté par le social-impérialisme soviétique qui bénéficie d'une moindre vigilance des peuples et de l'action de ses cinquièmes colonnes des différents partis révisionnistes, est bien plus grand » (Humanité Rouge - 9 janvier 1975).

Pas plus que les chinois, les maoïstes français ne prennent la peine de nous expliquer par quel processus l'URSS est devenue capitaliste, impérialiste, et même « super-impérialiste ». Tout au plus disent-ils que le « révisionniste » Khrouchtchev, puis son successeur Brejnev ont bradé l'héritage légué par Staline. C'est pour le moins sommaire. Mais cela leur suffit. A partir de là, ils prennent pour cible essentielle, quasiment exclusive, les « sociaux-impérialistes » et leur « cinquième colonne » dans les pays d'Europe occidentale, entendez par là les Partis Communistes. Ils suivent, ce faisant, l'évolution de la politique extérieure chinoise qui, depuis que la Chine a été de nouveau réintroduite dans le concert des grandes nations occidentales, après que Nixon se soit rendu à Pékin, multiplie les efforts pour rétablir le maximum de liens avec les nations du monde capitaliste.

Certes, l'activité des maoïstes français, et plus particulièrement ceux de l'Humanité Rouge reste encore fortement marquée par les liens qu'ils ont avec la Chine. Mais leur politique, en France, a une logique propre, qui peut les entraîner, et qui les entraîne sans doute déjà dans une direction qui ne peut qu'inquiéter. Car lorsque l'on développe systématiquement une politique nationaliste, on peut même dire ouvertement militariste et chauvine, quand on dénonce, comme dans le numéro du 6 mars, les manoeuvres des révisionnistes comme « des actes de trahison nationale », lorsque l'on réserve la quasi-exclusivité de ses coups au PCF et aux trotskystes, il n'est pas fortuit de se retrouver aux côtés d'organisations qui, elles, se situent ouvertement à l'extrême-droite. Lorsque l'on dresse systématiquement ses militants à affronter, sur la base d'une telle politique, les militants du PCF qualifiés de « révisionnistes » mais aussi de traîtres à la nation, on ne développe pas - et c'est le moins que l'on puisse dire - une claire conception des frontières qui séparent les classes sociales. Surtout lorsque dans le même temps on ne répugne pas à s'acoquiner avec la droite qui elle non plus ne ménage pas ses critiques contre le PCF Critiques qui ne sont certainement pas des critiques de gauche.

Et ces affrontements ne restent pas uniquement verbaux. A plusieurs reprises, les militants de l'Humanité Rouge ont provoqué des bagarres avec les militants du PCF Nous savons certes que ces derniers ne se privent pas pour leur part d'agresser ceux qui contestent leur politique sur leur gauche. Mais en l'occurence, il ne s'agit pas de cela, mais de la part des maoïstes d'une politique délibérée, systématique, qui recherche l'affrontement.

S'il a depuis longtemps rompu avec le programme révolutionnaire, le Parti Communiste Français possède cependant un garde-fou qui l'empêche, malgré ses prises de position parfois ultra-chauvines, de glisser vers l'extrême-droite. C'est sa composition sociale, le fait qu'il est intimement lié à la classe ouvrière et à ses organisations syndicales. Il n'en est pas de même pour les maoïstes.

re guerre mondiale, la notion de « nation prolétaire ». Et c'est avec cette notion, entre autre, qu'il a nourri le nationalisme italien. A peine transposée, cette notion se retrouve aujourd'hui dans les conceptions développées par l'Humanité Rouge à propos des nations victimes de l'hégémonisme. Est-il nécessaire de rappeler enfin l'itinéraire d'un Doriot et du rayon de Saint-Denis du Parti Communiste Français passés du stalinisme au fascisme en quelques mois.

Certes, l'Humanité Rouge n'est qu'un petit groupe, sens base sociale réelle. Mais les militants qu'il peut recruter sur la base de la politique qu'il développe aujourd'hui ne se situent pas sur le terrain de intérêts de classe du prolétariat même s'il recrute aussi des travailleurs. Car l'anticommunisme virulent que développe cette organisation peut prendre sur des travailleurs repoussés par l'image hideuse que leur offre la Russie des bureaucrates, et écoeurés par la politique de collaboration de classe du PCF Mais sur cette base, l'Humanité Rouge peut recruter surtout dans d'autres couches sociales, essentiellement la petite bourgeoisie fascinée par le radicalisme verbal, séduite par l'exemple transformé en mythe de la Chine lointaine et forte, rassurée et confortée par la référence à un nationalisme vigoureusement affirmé.

Il ne s'agit pas pour nous de faire aujourd'hui un quelconque pronostic sur le développement de ce groupe. Tout au plus peut-on dire que la politique sur laquelle il se bat, sur laquelle il recrute aujourd'hui implique une évolution, plus ou moins rapide - ce groupe peut perpétuellement végéter à l'état de secte sans écho, comme il peut connaître un développement soudain - qui le tire inéluctablement vers l'extrême-droite. En ce sens, le meeting du 18 juin aux côtés des monarchistes de la NAF constitue un signe significatif qui valait qu'on le relève.

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