Querelle dans l'Union de la gauche : le PCF n'a aucune confiance en Mitterrand mais ne compte que sur lui01/11/19741974Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Querelle dans l'Union de la gauche : le PCF n'a aucune confiance en Mitterrand mais ne compte que sur lui

Depuis un mois le torchon brûle au sein de l'Union de la Gauche entre le Parti Communiste Français et le Parti Socialiste. Et, contre toute attente peut-être, celle des deux formations qui a allumé le feu et qui souffle pour l'entretenir, est celle qui a, jusqu'ici, et depuis des années, fait le plus d'efforts, accepté le plus de concessions, remisé le plus souvent ses intérêts propres de parti pour que vive cette Union de la Gauche : le Parti Communiste Français.

C'est le PCF qui encore en avril dernier, il y a six mois, acceptait de ne pas présenter de candidat aux élections présidentielles, de soutenir François Mitterrand, secrétaire général du PS, comme candidat unique de la gauche dès le premier tour, et de faire sans réticence campagne pour lui.

Et le voilà depuis quelques semaines qui s'interroge, en termes à peine voilés, sur la bonne foi de ses alliés, du Parti Socialiste, mais aussi de Mitterrand lui-même.

Que se passe-t-il donc ? Avons-nous affaire à un tournant spectaculaire dans la politique du PCF ? Aurait-il décidé de prendre le risque de briser l'Union de la Gauche ? Autrement dit, y renoncerait-il ? Et pourquoi ?

Au départ de cette campagne de doute et d'interrogation, il y a eu les résultats des six élections législatives partielles des 29 septembre et 6 octobre. Au premier tour, les candidats du PCF perdaient en moyenne 2,5 % des voix alors que ceux du PS voyaient le total des suffrages exprimés en leur faveur progresser de 8 %. Sur ces circonscriptions, le PS, avec 26,9 % des suffrages, devenait, et d'assez loin, le premier parti de gauche aux dépens du PCF qui ne recueillait plus que 18,9 %. Bien plus, alors qu'au second tour deux candidats socialistes étaient élus grâce au report sur leur nom des voix du PCF, le seul candidat communiste qui avait une chance, voyait la victoire lui échapper parce qu'au second tour une fraction des voix socialistes lui faisait défaut.

On peut comprendre devant cet état de chose un mouvement d'humeur du Parti Communiste. Et c'est, en effet, au lendemain même des résultats du deuxième tour qu'un communiqué du bureau politique de PCF, mettant en cause certains thèmes de la propagande socialiste, ouvrait la polémique. Mais le mouvement d'humeur s'est transformé depuis en une campagne véritable, systématique, opiniâtre. C'est ce problème qui a fait le sujet essentiel du vingt-et-unième congrès - congrès « extraordinaire » convoqué avant les vacances - que le PCF vient de tenir du 24 au 27 octobre à Vitry-sur-Seine. Il faut donc chercher au-delà du simple dépit devant de médiocres résultats électoraux qui, au mieux, ont servi de simple révélateur, les raisons qui poussent le PCF

Pas de tournant à gauche

Si certains ont pu avoir un instant l'impression qu'il s'agissait d'un tournant fondamental dans la politique du PCF, ils doivent sans aucun doute abandonner aujourd'hui cette explication. Il n'y a nul virage vers la gauche. Bien au contraire, le vingt-et-unième congrès a confirmé l'accentuation du cours résolument droitier pris par le parti depuis quelques mois.

A la suite des élections présidentielles du printemps dernier, le PCF lançait le mot d'ordre « d'union du peuple de France pour un changement démocratique ». En même temps, il menait campagne pour que l'Union de la Gauche s'étende sur sa droite et englobe une fraction des gaullistes par exemple. Ainsi depuis des mois chaque parole tant soit peu critique envers le pouvoir et le gouvernement actuel d'un ancien ministre de de Gaulle, d'un Charbonnel ou même d'un Debré, est montée en épingle dans l'Humanité. Dans le même temps, il multipliait aussi les efforts pour persuader une grande fraction de la bourgeoisie que l'Union de la Gauche et son « programme commun de gouvernement » pouvaient représenter ses intérêts.

C'est cette orientation qui a été pleinement confirmée par le vingt-et-unième congrès.

Ainsi peut-on lire dans la résolution finale adoptée à l'unanimité : « Les dirigeants des entreprises petites et moyennes, atteints par les mesures de concentration du capital, s'interrogent sur leur avenir. Ce qui les menace ce ne sont pas les légitimes revendications de leurs salariés soutenues activement par le Parti Communiste Français, c'est la politique des grandes sociétés, des banques et du pouvoir. Cette situation devrait les conduire à agir avec l'ensemble des forces populaires pour le changement démocratique ».

Et plus loin, toujours dans la même résolution : « Les communistes ont combattu bien des aspects de la politique soutenue par les gaullistes. Mais les uns et les autres se sont retrouvés côte à côte dans des combats essentiels pour l'indépendance et la dignité de la France. C'est de cela qu'il s'agit à nouveau. C'est pourquoi ils peuvent ensemble se retrouver dans une large alliance qui se donne pour but d'assurer l'unité, la prospérité, la grandeur et le rayonnement de la communauté nationale. Agir pour le rapprochement avec les travailleurs, les démocrates, les patriotes gaullistes, apparaît aux yeux des communistes comme indispensable pour la réalisation de l'union du peuple de France ».

Et l'un des thèmes essentiels de l'intervention du secrétaire général Georges Marchais - thème qu'il a encore repris le lendemain devant les caméras de la télévision dans l'émission « Actuel 2 » - puis de la résolution finale, a été d'affirmer que, honnêtement, sans aucune réticence ni arrière-pensée, le Parti Communiste Français entendait lutter aujourd'hui pour la démocratie avancée et surtout pas pour le socialisme, dont la réalisation est remise à une étape ultérieure.

On a même vu Georges Marchais, du haut de la tribune du congrès, reprocher au Parti Socialiste de laisser planer la confusion à ce propos : « Si le Parti Socialiste considère soudain que la tâche à l'ordre du jour est d'engager sans plus attendre le combat décisif pour l'instauration du socialisme en France, il faut qu'il le dise ». Le Parti Communiste Français, quant à lui, ne le considère pas et ses dirigeants l'ont répété sur tous les tons lors de ce congrès.

Il n'y a donc nul tournant « gauchiste » dans la politique du PCF Celui-ci se présente plus que jamais en parti responsable, prêt à défendre loyalement les intérêts de la bourgeoisie au cas où celle-ci accepterait de lui confier le pouvoir. Il multiplie même les assurances vis-à-vis de celle-ci. Ses appels aux « petits et moyens entrepreneurs » ou aux « gaullistes » en témoignent. Il va même jusqu'à se présenter comme le garant de ces intérêts face à certaines tendances de gauche qui se font jour dans le Parti Socialiste. Il est vrai qu'il sait que si la bourgeoisie n'a aucune raison de s'effrayer des excès de langage qui se font entendre dans le parti de François Mitterrand, qui a bien trop largement fait les preuves de son dévouement aux intérêts de cette bourgeoisie, il n'en est pas de même pour lui. Ses liens avec l'URSS, ses liens avec la classe ouvrière, continuent à en faire un parti suspect aux yeux de cette bourgeoisie. Il est donc tenu bien plus que le PS à lui donner des gages pour se faire admettre. En tout cas, ce n'est pas parce qu'il s'y refuse qu'il cherche aujourd'hui querelle au PS

Des alliés rien moins que sûrs

En fait, les raisons véritables de cette querelle, le secrétaire général du PCF les a aussi exposées à Vitry. Ce ne sont ni la volonté de gauchir sa politique ni, bien sûr, la peur de voir le PS céder à l'appel d'on ne sait quelles sirènes gauchistes. C'est bien plus simplement la crainte de voir le PS abandonner le PCF pour d'autres alliés.

« La clarté des objectifs doit s'accompagner de la clarté des alliances ». Et Georges Marchais de constater que les choses « sont par contre moins claires quand nos partenaires de la gauche votent pour M. Poher dont on sait qu'il partage les vues politiques du pouvoir. Elles sont aussi moins claires dans les municipalités où se maintient une alliance entre la gauche non communiste et la droite, camouflée ou non sous l'étiquette du centrisme ».

Et sur sa lancée Georges Marchais est allé jusqu'à poser carrément la question au PS de savoir ce que pouvaient bien cacher « les spéculations persistantes sur la possibilité de voir Giscard-d'Estaing appeler François Mitterrand à la direction du gouvernement ».

Voilà donc où le bât de l'Union de la Gauche blesse Georges Marchais. Le bel allié du PCF est d'autant moins sûr que la possibilité pour lui de parvenir effectivement au gouvernement semble devenir plus réelle.

Tant qu'ils semblaient condamnés encore pour longtemps à piétiner dans l'opposition, le Parti Socialiste et Mitterrand ont pu signer le programme commun de gouvernement avec le PCF et se répandre en discours proclamant leur attachement indéfectible à l'Union de la Gauche.

Mais depuis quelques mois la situation a changé. Sur le plan politique la majorité s'est bien agrandie, englobant depuis l'élection de Giscard-d'Estaing à la présidence de la république, les centristes de Lecanuet jusque là dans l'opposition. Mais dans le même temps cette majorité présidentielle se montre de moins en moins solide, laisse apparaître des fissures qui vont s'agrandissant, notamment à l'intérieur de l'UDR, et qui pourraient bien un de ces prochains jours provoquer un effondrement. Or, de plus, sur le plan économique et social, les difficultés s'amoncellent, pour ne pas parler d'une éventuelle crise.

Dans ces conditions, l'éventualité d'un appel de Giscard à la gauche et à Mitterrand ne peut pas être écartée.

C'est alors que Marchais et les dirigeants du PCF doivent bien se souvenir de ce que sont réellement Mitterrand et les dirigeants du PS, de ce que fut leur conduite jadis. Ils doivent se souvenir que pendant vingt ans ces hommes ont systématiquement écarté l'alliance du PCF pour rechercher celle de la droite ; que c'est en alliance avec cette droite qu'ils ont exercé le pouvoir pendant douze ans de Quatrième République ; que ce n'est que contraints et forcés, parce qu'ils n'avaient aucune autre perspective possible pour revenir un jour au gouvernement, qu'ils se sont résolus à nouer alliance avec le PCF

Mais que feront-ils demain, si brusquement à nouveau les chemins qui mènent au pouvoir leur sont ouverts par la droite ou par une alliance avec elle ?

C'est bien à juste titre que les dirigeants du PCF peuvent être inquiets et ulcérés.

Ils sont d'autant plus ulcérés que jamais, si l'on en croit du moins les politiciens de gauche eux-mêmes, la gauche n'a été aussi près depuis quinze ans d'accéder au gouvernement. Tous en parlent, l'envisagent, discutent les différentes hypothèses - appel de Giscard à Mitterrand pour former un nouveau gouvernement, dissolution de la Chambre et nouvelles élections, etc... Et c'est au moment où la gauche semble si près de toucher au but, et par conséquent le PCF avec elle dans la mesure où il reste allié du PS, qu'une trahison de dernière minute pourrait le priver du bénéfice de tant d'efforts !

Ils sont d'autant plus inquiets que les derniers résultats électoraux montrent justement que le PS a le vent en poupe, alors que le PCF piétine et recule. Or, vu le mode de scrutin utilisé pour les élections législatives, un recul même léger qui se confirmerait lors d'élections générales - et l'hypothèse de celles-ci, nullement certaine, n'est pas non plus totalement écartée, on le sait - serait catastrophique pour le PCF Quelques pour cent de suffrages en moins pour le PCF, quelques pour cent en plus pour le PS, et ce serait peut-être la perte de la moitié, voire des trois quarts de ses sièges de députés, et en tout cas une disproportion écrasante du nombre de députés socialistes par rapport à ceux du PCF Et dans ce cas, bien sûr, même si la gauche globalement sortait victorieuse de telles élections, le PCF, lui, n'aurait guère de chance d'accéder au gouvernement. Il n'aurait fait que tirer les marrons du feu pour le PS En quelque sorte la répétition en grand de ce qui vient de se dérouler lors des partielles du mois dernier.

Mais pas d'autre politique que de miser sur eux

Certes il est exclu que la bourgeoisie française accepte un gouvernement dans lequel le PCF tiendrait le premier rôle. Au mieux, pour le PCF, ce qu'elle peut accepter, c'est sa participation dans un gouvernement dirigé par les socialistes et Mitterrand, que ce soit un gouvernement d'Union de la Gauche, formé des seuls radicaux, socialistes ou communistes, ou un gouvernement d'union du peuple de France, c'est-à-dire de la gauche et d'une fraction de la droite.

Le PCF le sait si bien que pendant la campagne électorale des présidentielles, il avait tenu à préciser que, en cas de victoire de Mitterrand, il ne demandait ni le poste de premier ministre, ni ceux de ministre de l'Intérieur, des Armées ou des Affaires Etrangères. Le PS et Mitterrand le savent aussi puisqu'une partie de leur propagande électorale - ce que leur reproche justement le PCF - consiste à expliquer aux électeurs que, pour que la gauche ait une chance de gagner, il faut absolument que le PS devance le PCF comme premier parti de gauche dans ce pays.

Mais d'un autre côté, pour s'imposer, même à des sièges de ministères secondaires, le PCF doit être indispensable et à Mitterrand et à la bourgeoisie. Et pour cela être une force politique et sociale.

Ainsi, pour parvenir à ses fins, d'une part le PCF doit accepter d'avance de ne jouer que les seconds rangs derrière un Mitterrand, et montrer qu'il l'accepte. Et d'autre part, il doit quand même être une force de premier plan, absolument indispensable.

Et quand il joue d'une manière trop ostensible les seconds rôles, il s'affaiblit en conséquence. Ainsi, d'avoir disparu complètement au printemps de la scène électorale derrière Mitterrand, lui vaut de perdre aux élections législatives de l'automne et des voix et la première place occupée jusque-là, au profit du Parti Socialiste.

Entre ces deux exigences la voie est étroite et sinueuse. Un coup de barre dans un sens exige quasi-automatiquement d'être suivi par un coup de barre dans l'autre sens. C'est une manœuvre de cette sorte qu'il accomplit depuis un mois.

La polémique avec le PS, l'objectif fixé par Marchais à son parti de recueillir aux prochaines élections 25 % des voix, le rappel insistant par le congrès que le PCF est le parti de la classe ouvrière, sous-entendu qu'il est bien le seul à pouvoir assurer le calme social de celle-ci, sont la contrepartie quasi indispensable de la campagne présidentielle en faveur de Mitterrand. Elles ne contredisent pas celle-ci, elles ne reviennent pas sur l'attitude de ce printemps. Elles font partie de la même politique, celle que mène le PCF depuis des années.

Comme en fait partie aussi, par exemple, l'attitude de la CGT dans la grève des postiers, qui au moment où nous écrivons dure déjà depuis plus de dix jours. Dans les mois qui ont précédé, la CGT s'était montrée résolument opposée à toute grève offensive de la classe ouvrière, c'est-à-dire à toute grève qui avait pour objet le problème des salaires par exemple. Aujourd'hui elle appuie - même si c'est tout-à-fait momentanément - la grève des postiers, justement sur un problèmes le salaires. C'est que la CGT, et par delà la CGT, le PCF, pour démontrer qu'ils sont susceptibles d'arrêter ou d'empêcher des grèves, doivent démontrer qu'ils sont capables de les lancer et de les diriger.

Le PCF a sans aucun doute raison de considérer que pour ne pas être rejeté il lui faut être le plus fort possible. Etre indispensable est sa seule chance. Mais comme il n'a de toute manière aucune autre politique de rechange, son sort est, quels que soient ses effets de muscles ou ses éclats de voix, entièrement dans les mains de Mitterrand et de la bourgeoisie.

La grogne et la rogne manifestées aujourd'hui par le PCF envers le PS ne sont donc pas celles de quelqu'un qui cherche le divorce. Ce sont au contraire les plaintes et les menaces de celui qui, rien moins que sûr de la fidélité du partenaire, et ayant même de solides raisons d'en douter, s'aperçoit qu'il y a un tiers qui lui fait les yeux doux.

Partager